Parolede la chanson. 1er couplet :Papa, tape maman, mon cartable, ma tristesseMon lit superposé, mes p'tits frÚres ma jeunesseOn s'accroche au RER, la vie défile à toute vitesseCourir, grandir, j'me sens libre dans l'ivresseLes . Lire l'intégralité de la parole Tous les clips de Nessbeal. 00:01. Bitume expérience. 00:01. Jeune vétéran. 03:35. à chaque jour
Paroles de la chanson Ă chaque jour suffit sa peine par Nessbeal Docteur .. NE2S Papa tape maman, mon cartable, ma tristesse Mon lit superposĂ©, mes peÂÂtits frĂšres, ma jeunesse On s'Âaccroche au RER, la vie dĂ©file Ă toute vitesse Courir, grandir, jâme sens libre dans lâivresse Les sous, des soucis, au pâtit dĂ©j' jâen mange par centaines Devant la porte les huissiers, impossible dâfuir les problĂšmes Aujourdhui jâen rigole, Ă chaque jour suffit sa peine Mariages, enterrements, des roses, bouquets de chrysanthĂšmes La flemme, de sârĂ©veiller, de travailler, sĂ©cher les cours Mon destin correctionnel, Dieu seul sait c'ÂÂque j'encours Un jour prochain, y'a plus de suspens dans mon parcours Enfant tĂȘtu, j'ÂÂpeux pas stopper le compte Ă rebours Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ăa meurt pas en silence, un homme qui se noie La traversĂ©e du miroir, nos sourires, jâĂ©tais petit, jâavais peur dans le noir Nuit blanche dans ce couloir, jâmarche, interminable est ce boulevard J'Ă©cris de la main gauche, dĂ©gueulasse est mon buvard Ready to die pour Ă©crire l'histoire, une dĂ©faite, un exploit Ă chaque jour suffit sa peine, demain jâtrouve un emploi Tomber, se relever, partir, tout le monde cherche sa voie Un regard, lâamour, rentre dans ta vie sans lâsavoir Ce monde un grand mensonge, on cache les apparences Un calvaire, du caviar, ça commence par une romance Triompher, regretter, pas le temps dâsouffler que ça recommence A chaque jour suffit sa peine, on sera tous rois avec d'la patience Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Rien ne dure dans ce monde cruel, pas mĂȘme nos souffrances Ă chaque jour suffit sa peine⊠Tu vas tomber, t'ÂÂrelever, jamais reculer Lâessentiel câest que tâavances Ă chaque jour suffit sa peine⊠Grosse dĂ©dicasse, tout passe, seuls les murs restent en place Ă chaque jour suffit sa peine⊠à chaque jour suffit sa haine On trouve pas l'bonheur dans l'ÂÂoseille Ă chaque jour suffit sa peine, moi jârespire Ă peine Les keufs et les sirĂšnes mâendorment SĂ»rement Ă Fleury ou Ă Fresnes, le daron fait l'adhan Et moi je traĂźne seul dehors Hai-hai-haine, oh oh oh, Ă chaque jour suffit sa peine Hai-hai-haine, oh oh oh, Ă chaque jour suffit sa peine Ă chaque jour suffit sa peine Un jour tu ris, un jour tu pleures Ă chaque jour suffit sa peine Avancer, tomber s'relever Ă chaque jour suffit sa peine⊠NE2S, NE2S Ă chaque jour suffit sa peine
Remixde Isleym en Lyrics.C'est ma 1e vidéo.
[Paroles de "Ă chaque jour..."][Refrain]Lossa n'est pas une enflure, il a juste quelques lacunesJ'vais pas t'dĂ©crocher la lune puisque t'en as dĂ©jĂ uneQue c'lui qui veut m'faire la peau rejoigne les autres dans la filePardonne-moi j'voulais juste entrer dans toi pas dans ta vie[Couplet 1]Que vais-je faire d'tous ces ennemis qui veulent m'stopper dans ma lutte ?Jadis frĂšre, qui aujourd'hui, dans l'ombre Ćuvre pour ma chuteJ'fais du stup', j'fais du stud', j'reçois prods, j'reçois nudesDans la salle du temps j'me bute, car dehors les temps sont rudesJ'suis un solitaire dans lâĂąme, programmĂ© pour tout cramerMieux miser sur une bonne arme plutĂŽt qu'sur une bonne armĂ©eJ'pense qu'Ă leur ĂŽter la vie pendant que le prĂȘtre prĂȘcheC'soir je ne dors pas de la nuit j'sais oĂč tous ces traĂźtres crĂšchent[Refrain]Lossa n'est pas une enflure, il a juste quelques lacunesJ'vais pas t'dĂ©crocher la lune puisque t'en as dĂ©jĂ uneQue c'lui qui veut m'faire la peau rejoigne les autres dans la filePardonne-moi j'voulais juste entrer dans toi pas dans ta vie hehe[Pont]Ă chaque jour suffit sa pute hĂ©hĂ©, Ă chaque jour suffit sa ... ehhBĂ©bĂ© j'dois faire des lovĂ©s, y a que dans le le-sa que je sais innoverJ'suis pas venu dĂ©livrer les dĂ©sĆuvrĂ©s, car j'ai dĂ©jĂ ma propre Ăąme Ă sauver[Couplet 2]Reproche pas Ă c'lui qui a froid de vouloir sauter dans le feuLes mecs s'fument vers chez moi sans qu'il y ait un euro en jeuJ'me demande c'qui est le plus important entre bien faire et faire le bienJ'ai envie d'tout mais besoin de rien sauf faire le point et faire le pleinJ'ai un blĂšme avec les lois qui s'appliquent pas Ă qui les fixentJ'aimerais qu'la vraie vie des fois prenne exemple sur celle des filmsEt le jour d'mon enterrement, j'n'aurai que faire de tout c'biffJe veux pas vivre Ă©ternellement, je veux que ce que j'ai construis me survive[Refrain]Lossa n'est pas une enflure, il a juste quelques lacunesJ'vais pas t'dĂ©crocher la lune puisque t'en as dĂ©jĂ uneQue c'lui qui veut m'faire la peau rejoigne les autres dans la filePardonne-moi j'voulais juste entrer dans toi pas dans ta vie hehe[Pont]Ă chaque jour suffit sa pute hĂ©hĂ©, Ă chaque jour suffit sa ... ehhBĂ©bĂ© j'dois faire des lovĂ©s, y a que dans le le-sa que je sais innoverJ'suis pas venu dĂ©livrer les dĂ©sĆuvrĂ©s, car j'ai dĂ©jĂ ma propre Ăąme Ă sauver[Outro]J'voulais juste entrer en toi pas dans ta vieJ'voulais juste entrer en toi pas dans ta vieJ'voulais juste entrer en toi pas dans ta vieEhh Ă chaque jour suffit sa ... skuurtJ'voulais juste entrer en toi pas dans ta vieJ'voulais juste entrer en toi pas dans ta vieJ'voulais juste entrer en toi pas dans ta vieEhh, car Ă chaque jour suffit sa ...
LarĂ©alitĂ© sur cette phrase : Ca signifie : A chaque Jour (prise de conscience), suffit, sa peine ! (elle disparait) C'est tout. parfois, il suffit d'une virgule, et ça change tout ! đ
*> . H . Ăźv. ; âą *'âą*-ÂŁ »r AUS DER BIBLIOTHEK VON OBERSTDIVISIONAR EUGEN BIRCHER AARAU DER BIBLIOTHEK DER EIDGENĂSSISCHEN TECHNISCHEN HOCHSCHULE GESCHENKT $j-ĂŻ ĂźjĂŻĂŻy , y y mĂ©i VINGT MOIS OU LA RĂVOLUTION PARTI RĂVOLUTIONNAIRE, K. A. DE SALVASBĂ, lâon DES QUARANTE DE LâACADĂMIE FRANĂAISE. NOUVELLE ĂDITION. PARIS, VICTOR MASSON, LIBRAIRE, Place' de lâĂcole-de-MĂ©decine, 7. km MiM VINGT MOIS ou LA RĂVOLUTION ET LE PARTI REVOLUTIONNAIRE. » KTBEUX , UIFRIMKnH! PE A. RĂ R ISSEY. MOIS OU LA RĂVOLUTION KT LK PARTI RĂVOLUTIONNAIRE, PAR N- A- DE SALVANDY, 1,âUM DES QUARANTE DF. I.âaC'AOĂMIE FRANĂAISE. e 11 faut savoir tour Ă tour prĂ©cĂ©der te Ilot populaire et rester en arriĂšre de lui. Il vous dĂ©passe , il vous rejoint il vous abandonne mais lâĂ©ternelle vĂ©ritĂ© demeure avec vous. DE STAĂL, de lâInfluence des LETTRES SUR LES INSTITUTIONS SOCIALES. * 4 NOUVELLE ĂDITIONâ» âąT y VICTOR MASSON, LIBRAIRE, rie lâĂcole Rc-M' ilei'ine . 1. BĂRCHER *„ *3 H *3 PRĂFACE. Novembie *849. Cet ouvrage estune rĂ©impression. Il a paru, pour la premiĂšre fois, Ă la fin de 1831 , sous ce titre SEIZE MOIS, OU LA. RĂVOLUTION DE 1830 ET LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE, câest-Ă -direla rĂ©volution accomplie alors, etla rĂ©volution future, la rĂ©volution imminente, inĂ©vitable, qui pesait dĂ©jĂ de tout son poids sur nos destinĂ©es. La seconde Ă©dition suivit de prĂšs, avec des augmentations considĂ©rables, et le titre de VINGT MOIS, qui a Ă©tĂ© conservĂ© depuis. LâĂ©dition actuelle ne comprend que des changements littĂ©raires, point de politiques. Il nâa Ă©tĂ© fait aucun retranchement, de quelque nature quâil pĂ»t ĂȘtre. Seulement çà et lĂ , au sujet dâhommes Ă©minents , placĂ©s aujourdâhui, ou du moins il y a quelques a. VI PRĂFACE. jours encore, Ă la tĂȘte des dĂ©fenseurs de la sociĂ©tĂ©, quelques vivacitĂ©s, naturelles Ă la polĂ©mique contemporaine, ont Ă©tĂ© restreintes, ou mĂȘme effacĂ©es quand le sujet lâa permis, de peur que le lecteur, malgrĂ© tous les avertissements, ne confondit les Ă©poques, et ne crĂ»t trouver dans nos paroles dâautrefois un ressouvenir actuel des dissentiments passĂ©s, ou de lâingratitude envers de rĂ©els et rĂ©cents services. Nous ne justifierons pas cette nouvelle publication dans les circonstances prĂ©sentes. Lâouvrage Ă©tait Ă©puisĂ© depuis longtemps ; il Ă©tait redemandĂ©. Nous nâavions aucun motif de reculer devant cette exposition animĂ©e de nos sentiments et de nos principes. Le temps et les rĂ©volutions ont passĂ© sur nous, sans les changer. Le temps et les rĂ©volutions nâont fait, Ă nos yeux, que leur donner dâĂ©clatantes consĂ©crations. Sâil faut le dire, câest lĂ peut-ĂȘtre lâintĂ©rĂȘt, et jusquâĂ un certain point lâutilitĂ© de cette publication. En reparaissant aprĂšs le bouleversement social quâil annonçait comme le rĂ©sultat nĂ©cessaire de nos prĂ©jugĂ©s, de nos passions, de nos discordes, le livre des Vingt Mois, Ă©crit il y a tant dâannĂ©es, semble lâavoir Ă©tĂ© en prĂ©sence des Ă©vĂ©nements qui viennent de sâaccomplir et de ceux qui nous environnent. Il est de circonstance encore; il semble lâĂȘtre plus que jamais. Comme il fut composĂ© en prĂ©occupation de lâavenir, son temps est en quelque sorte venu. Il nous a fallu bien souvent, pour Ă©viter des mĂ©prises, rappeler en note que le texte Ă©tait exactement celui de 1831 ou 1832. Cela tient Ă ce que la rĂ©volution de 18Ă»8 et celle de 1830 ne sont que PRĂFACE. VII les deux actes successifs dâun mĂȘme drame. La sociĂ©tĂ© française, en retombant des mains de la restauration et de lâempire dans la carriĂšre des rĂ©volutions, a rapidement descendu la spirale qui la mĂšnerait bientĂŽt aux derniers abĂźmes, si elle ne remontait, par un grand effort, vers un sol plus ferme, pour y asseoir ses destinĂ©es. AprĂšs un point dâarrĂȘt de dix-huit annĂ©es, qui a Ă©tĂ© lâouvrage et qui est la gloire du parti constitutionnel, luttant Ă force de raison et de courage contre les pentes fatales de la situation , nous sommes arrivĂ©s Ă un palier plus bas quâen 1830. Du reste, ce sont les mĂȘmes scĂšnes, les mĂȘmes ressorts, les mĂȘmes pĂ©ripĂ©ties, souvent les mĂȘmes hommes. Rien nâest changĂ©, sinon quâil y a du cĂŽtĂ© de lâordre des forces de moins et des pĂ©rils de plus... Il y a aussi des enseignements de plus, grĂące Ă Dieu ! Ils doivent ĂȘtre la consolation du prĂ©sent et le salut de lâavenir. On ose penser que ces enseignements, si Ă©clatants dans le livre mĂȘme des Ă©vĂ©nements, ressortent aussi, dâune façon prĂ©cise, des considĂ©rations que nous nous hasardons Ă replacer sous les regards de nos concitoyens. Comment ne pas reconnaĂźtre, dans la catastrophe Ă laquelle la France vient dâassister, lâeffet nĂ©cessaire de causes permanentes et profondes, quand on a pu la montrer Ă lâavance, dĂšs 1830, dans un si lointain avenir? Nâest-il pas Ă©vident quâil nây a que des principes vrais et des lois certaines qui puissent fournir des lumiĂšres sur la marche des Ă©vĂ©nements humains. Le fait devient alors lâargument et la preuve des principes, comme les vicissitudes de la mer et du VIII PRĂFACE. ciel, que tout le monde prĂ©voit avec certitude, constatent la vĂ©ritĂ© des grandes lois de lâunivers. Par cela mĂȘme, il a plus dâimportance, plus de grandeur, plus de moralitĂ© historique. On pourra tirer, de tous les spectacles quâil nous a donnĂ©s , des consĂ©quences qui importent Ă©galement Ă notre instruction prĂ©sente et Ă notre sĂ©curitĂ© future. La premiĂšre de ces consĂ©quences est de faire sentir dans ce qui s'est passĂ©, par lâexamen et lâenchaĂźnement des causes, lâaction dâune sorte de fatalitĂ© providentielle, qui ne laisse place ni Ă la responsabilitĂ© des hommes ni aux rĂ©criminations des partis ! Manifestement, la France du dernier siĂšcle, la France de 1791 , la France de toutes les rĂ©volutions passĂ©es rie pouvait manquer de faire les expĂ©riences , de rencontrer les Ă©preuves que la main de Dieu a semĂ©es sur sa route. Nous nâaurions le droit de nous accuser les uns les autres et de nous plaindre du sort ou de nous-mĂȘmes, que si nous ne savions pas mĂ©diter les leçons de lâexpĂ©rience, les comprendre et en profiter. En considĂ©rant quelles avaient Ă©tĂ© nos maximes et nos passions,quelles ont Ă©tĂ© ensuite nos tentatives pour faire de ces passions et de ces maximes la loi de lâavenir, et en voyant ce quâen a fait la Providence, quelle raison serait assez altiĂšre pour douter que, dans nos ouvrages, nous nâeussions pliĂ© bien souvent devant les erreurs profondes de lâesprit public? Les dangers qui nous pressent de toutes parts ont un langage Ă©clatant. Sâils rendent tĂ©moignage du dĂ©vouement et des lumiĂšres de ceux qui travaillĂšrent Ă Ă©carter de nous et les maux l'HKKACIi. IX visibles de lâĂ©tat prĂ©sent et les angoisses inconnues de lâavenir, ne disent-ils pas aussi Ă tout esprit sensĂ© pie, pour sauver la France, il faut abjurer tout ce qui lâa fait arriver une premiĂšre fois si prĂšs de sa perte? Onavu un gouvcrnemenlconstitutiounelemportĂ©par une rĂ©volution de place publique, circonscrite, soudaine et absolue comme une rĂ©volution de palais; un grand prince renversĂ©du trĂŽneaprĂšs un longet grand rĂšgne, en deux heures, par un simple trouble de sa capitale, avec une de ces jeunes et fortes familles qui formaient des appuis aussi solides que brillants pour le trĂŽne et pour lâempire; des institutions, enfin, qui versaient sur la nation des trĂ©sors de sĂ©curitĂ©, de libertĂ©, de prospĂ©ritĂ© infinies, emportĂ©es par une trombe populaire ignorĂ©e du reste du royaume, et qui nâĂ©tait le matin quâun point noir Ă lâhorizon, qui Ă midi avait tout englouti ! Avec dâimmenses sujets de tristesse, il y aurait lĂ pour tout le monde de grands sujets de dĂ©couragement, sj des rĂ©sultats salutaires ne venaient saisir et relever nos Ăąmes. Câen sera un, et immense, de reconnaĂźtre Ă cette fragilitĂ©, si soudaine dans ses effets, des raisons dâĂȘtre souveraines et invincibles, quâil sera en notre puissance de ne plus attacher Ă nos ouvrages. Il en est de plus grands. Les dix-huit annĂ©es sont loin dâavoir Ă©tĂ© perdues pour la France. De leur rude labeur, tout nâa point pĂ©ri avec leur Charte, leurs chambres et leur royautĂ©. IndĂ©pendamment des biens matĂ©riels quâon ne conteste pas, et dont il ne faut point parler avec dĂ©dain , parce X tâKĂlâACE. quâils constituent des Ă©lĂ©ments de sĂ©curitĂ©, de repos et de dignitĂ© intellectuelle pour les peuples, ces grandes annĂ©es ont laissĂ© aprĂšs elles des biens moraux sur lesquels devra se fonder le salut public. Nous allons les dire. On peut voir dans ce livre, car les jeunes gĂ©nĂ©rations ne le savent pas et lâancienne lâa oubliĂ©, deux prĂ©jugĂ©s qui rongeaient le sein de la sociĂ©tĂ© française en 1830 ; lâun Ă©tait une haine fanatique contre la religion, ou du moins contre ses pompes, ses rites et ses ministres; lâautre, une inimitiĂ© ardente et acharnĂ©e contre toute la partie Ă©levĂ©e de la sociĂ©tĂ©, sous la foule de noms que lâesprit de pactisait inventer. Ces deux sentiments auraient rendu la rĂ©volution de 1830 terrible, si un pouvoir modĂ©rateur ne fĂ»t intervenu aussitĂŽt; car elle aurait su partout oĂč adresser ses fureurs. Tant que ces deux passions insensĂ©es existaient, reconstruire nâĂ©tait pas en la puissaneedes Français. Elles n'existent plus lâĂšre qui vient de finir les a Ă la lente action dâun gouvernement rĂ©parateur et Ă celle de lâesprit public rendu Ă lui-mĂȘme, le sentiment religieux a repris sou empire parmi nous. Cette justice est due Ă la rĂ©vo lution de fĂ©vrier, quelle a abjurĂ©, parmi toutes ses rĂ©miniscences, lâimpiĂ©tĂ©. A la diffĂ©rence des exigences opiniĂątres de 1830, elle nâa pas eu dâĂ©lans quâelle nâait appelĂ© la religion Ă les bĂ©nir; elle nâa pas eu de fĂȘtes que Dieu et ses ministres nâv soient intervenus. Elle a montrĂ© dĂ©jĂ Ă nos places publiques , plus souvent que la restauration mĂȘme en quinze annĂ©es, le prĂȘtre sâinterposant entre Dieu et les hommes pour faire descendre PliEFaCE. XI ici-bas la bĂ©nĂ©diction el taire monter lĂ -liant la priĂšre. Des preuves, encore plus rnarcpiĂ©es peut-ĂȘtre, de l'autoritĂ© quâont reprise les choses de la religion , se sont succĂ©dĂ© dans la conduite des affaires et ont frappĂ© tous les yeux. En condamnant la royautĂ© de la terre, lâesprit rĂ©volutionnaire, Ă©pouvantĂ© de son Ćuvre et de lui-mĂȘme,a semblĂ© cette fois sâincliner du moins devant la royautĂ© du ciel. En mĂȘme temps a Ă©clatĂ© un rapprochement marquĂ© entre les classes diverses et les divers partis. Il sâest trouvĂ© cpie les grandes animositĂ©s de 181 Ă et de 1830 sâĂ©taient Ă©vanouies; la rĂ©volution, dans ses colĂšres, a Ă©tĂ© obligĂ©e de sâattaquer Ă la bourgeoisie , obstacle Ă la fois si indĂ©terminĂ© et si vaste quâelle devait sây amortir et sâv briser. Dans ce pĂ©ril commun, les membres trop longtemps dĂ©sunis de lâopinion monarchique, ceux qui sâéßaient lepluscombattus,ontpu se saisir ensemble du timon, sâasseoir au mĂȘme banc de manĆuvre, sâassocier au mĂȘme effort. Sous ces auspices salutaires, le peuple, appelĂ© par le suffrage universel Ă dire son mot sur cette crise incomparable dâune nation qui se trouve Ă son rĂ©veil sans gouvernement, sans institutions, sans lois, parce pie quelques hommes ont dĂ©clarĂ© tout cela mis au nĂ©ant, le peuple a donnĂ© le plus Ă©trange et le plus Ă©clatant des dĂ©mentis Ă toutes les pages du Contrai social, Ă toutes les doctrines de la philosophie rĂ©volutionnaire, par le premier usage quâil a fait des armes quâon y avait trouvĂ©es pour lui; car il a dĂ©clarĂ© et la puissance des noms et les prĂ©rogatives de la naissance et lâautoritĂ© desgloires hĂ©rĂ©ditaires, les plus intimes iuspi- XII phiĂŻFack. rations de lame humaine dans ses Ă©lans naturels et libres, les plus sĂ»rs refuses de lâordre social dans ses naufrages. G Ă©tait la premiĂšre fois, depuis soixante ans, que la France proclamait ces maximes. Câest que, pour la premiĂšre fois aussi, on a vu toutes les classes de la sociĂ©tĂ© enfin ralliĂ©es, tous les partis de lâĂtat comme toutes les rĂ©gions du territoire sâentendre, et par cela mĂȘme avoir complĂštement voix au chapitre, intervenir avec autoritĂ©, opposer enfin la volontĂ© de la France aux dĂ©cisions, jusquâici souveraines et absolues, de la mĂ©tropole des rĂ©volutions du monde. Un autre rĂ©sultat, plus considĂ©rable peut-ĂȘtre, a Ă©tĂ© acquis car il a eu sur ceux quâon vient de dire une influence incontestable et immense ; il peut en avoir une immense sur nos destinĂ©es futures. Une volontĂ©, qui fut invariable et tutĂ©laire, a semblĂ© survivre Ă sa propre puissance, pour imposer encore au monde la poursuite des transactions pacifiques, lerespect des traitĂ©s, la religion du droit des gens, la rĂ©pudiation de lâintervention des armes dans les questions qui soulĂšvent les nations. A cette Europe de 1830, si fortement unie, si puissamment armĂ©e; Ă cette France frĂ©missante dâalors qui ne respirait que vengeances nationales, reprĂ©sailles glorieuses, reprise des frontiĂšres naturelles, et qui reoherchaitsurtout dans le renversement des trĂŽnes le renversement des traitĂ©s, dans les rĂ©volutions, la guerre et la conquĂȘte, le temps, ce grand maĂźtre quand il tst bien dirigĂ©, a substituĂ© une Europe qui sâagite, ou contemple et attend; et, ce qui vaut mieux, une Fârance dont le bon sens, averti par tant de catastrophes et de l'iiliEACK. XIII douleurs, sâest appropriĂ© la politique contre laquelle les jiassions avaient si longtemps luttĂ© elle lâimpose Ă ses gouvernants les plus tĂ©mĂ©raires, Ă©tonnĂ©s de leur subite sagesse. Elle ne professe dâautre ambition que le repos, elle ne craint quâelle-mĂȘme, elle nâa maintenu debout dans ses bouleversements dâautre loi que la loi des nations. Tranquille ainsi au dehors, et dĂšs lors plus tranquille au dedans, elle nâest poussĂ©e hors de ses voies par aucune colĂšre; elle nâest prĂ©cipitĂ©e vers les dĂ©noĂ»- ments nĂ©cessaires par aucune apprĂ©hension. Par lĂ est obtenu ce grand bienfait, que la nation ne sent aucune pression peser sur elle il suffira quâelle sache et veuille. Dieu lui laisse le champ ouvert. Il prend soin dâĂ©carter de nos pensĂ©es, pour la facilitĂ© et lâindĂ©pendance de nos solutions , la main de lâĂ©tranger. De cette situation imposante et nouvelle il est arrivĂ©, par un Ă©trange et heureux contraste, quâalors mĂȘme que le gouvernement descendait aux plus bas fonds des factions anarchiques, la sociĂ©tĂ© se relevait, dâune façon inespĂ©rĂ©e qui a surpris le monde et qui la surprend elle-mĂȘme. Aujourdâhui , on peut se demander si cette rĂ©volution derniĂšre , qui semblait dĂ©chaĂźnĂ©e pour nous prĂ©cipiter dans toutes les subversions, ne nous aura pas fait toucher un moment le fond de lâabĂźme, pour marquer le dernier terme de nos entraĂźnements, le dernier aussi des vindictes du ciel! Lâordre, lâordre vrai, celui qui sâappuie Ă la loi divine et aux grands intĂ©rĂȘts humains, a survĂ©cu par ses seules forces, par celles quâun rĂ©gime de paix, de justice et de sĂ©curitĂ© lui avait rendues en XIV I'HĂFACE. dĂ©pit de tous les envahissements des idĂ©es subversives; lâordre, disons-nous, a surnagĂ©, il remonte ses pentes fatales au milieu du plus grand dĂ©sordre social qui se soit vu jamais chez un peuple. Quel que doive ĂȘtre lâavenir, ce sont lĂ des biens rĂ©els; ce sont aussi des prĂ©sages favorables. On a besoin dây attacher sa pensĂ©e pour discerner les voies de la Providence et y marcher dâun pas assurĂ©. Ces biens ont eu pour principe, et doivent avoir de plus en plus pour consĂ©quence, le besoin dâunion qui sâest fait jour enfin parmi nous. CâĂ©tait, dĂšs 1830,1a pensĂ©e fondamentale du livre des Vingt Mois, pensĂ©e alors solitaire et devenue dĂ©sormais celle de tout le monde. Câest que ce livre fut Ă©crit avec le sentiment des pĂ©rils intimes et immenses qui menaçaient lâordre social. En voyant une royautĂ© battue aux deux cĂŽtĂ©s de son horizon des assauts contraires dâune opposition monarchique et dâuneopposition dynastique tout ensemble, divisĂ©e dans ce qui lui restait dâĂ©lĂ©ments dâaction, et en butte cependant au plus grand dĂ©chaĂźnement de toutes les libertĂ©s qui se fĂ»t vu dans le monde, tandis quâun travail tout Ă la fois souterrain et Ă ciel ouvert, incessant, impuni, insaisissable, minait la sociĂ©tĂ© mĂȘme de lâeffort de toutes les passions et de toutes les thĂ©ories subversives, nous ue pouvions penser que ce travail ne devĂźnt Ă la longue formidable. Le salut de lâavenir nous semblait attachĂ© Ă la formation dâun grand parti, dâune grande armĂ©e de lâordre Int., p. 29, ralliĂ©s Ă la mĂȘme foi et Ă la mĂȘme loi par le sentiment des dangers publics et des devoirs communs. Ce livre nâeut pas l'UKFACli. XV dâautre but, dâautre pensĂ©e que dâexposer devant les partis aux prises lâobligation et la nĂ©cessitĂ© de la concorde entre tout ce qui avait des doctrines et des intĂ©rĂȘts semblables. Câest la consolation de lâauteur de penser que, fidĂšle Ă ces vues, il nâa pas contribuĂ©, par un seul de ses actes dans ces dix-huit annĂ©es, Ă mettre des barriĂšres de plus entre les Français. Il avait vu les classes Ă©levĂ©esimpuissantesĂ soutenir seules la royautĂ© lĂ©gitime! Il prĂ©voyait, toutes les pages de ce livre lâattestent, pour les classes moyennes et la royautĂ© nouvelle, la mĂȘme fortune. En prĂ©sence dâun ennemi funeste, infatigable, il demandait lâaccord des principes et lâunion des forces. Ce miracle a passĂ© la puissance des institutions et de lâĂ©poque. LâĂ©poque et les institutions nâont pu que le prĂ©parer. Il fallait la main de la rĂ©volution pour l'accomplir. Cette main terrible est intervenue; elle a donnĂ© , elle a imposĂ© dâautoritĂ© la concorde. Malheur Ă qui ne travaillerait pas Ă conserver ce bienfait, Ă lâĂ©tendre , Ă lui faire porter tous ses fruits ! Nous bornons lĂ ce quâil nous convenait de dire, Ă cette place, sur la situation prĂ©sente du pays. Le vĆu que nous venons dâĂ©crire est le complĂ©ment naturel de notre sujet, le couronnement et en quelque sorte la moralitĂ© du tableau que nous tracions des pĂ©rils de lâĂ©tablissement de 1830 , il y a dix-huit ans, câest-Ă -dire au temps mĂȘme et au dĂ©but de ses prospĂ©ritĂ©s. Les pĂ©rils se sont rĂ©alisĂ©s. Ils ont Ă©clatĂ© comme la tempĂȘte qui emporte tout devant soi, en nous laissant Ă tous de grandes conclusions Ă mĂ©diter. Ces conclusions , XVI l'lire au. heureusement, sont de nature Ă rendre pins facile, Ă forcer en quelque sorte lâunion des Français. [/Ă©tablissement clu 9 aoĂ»t 1830 avait Ă©tĂ© instituĂ© dans un jour dâorage qui nâĂ©tait pas le fait de la nation ; câest lĂ sa gloire. Il avait Ă©tĂ© Ă©tabli pour rendre le repos Ă la France en conciliant lâordre avec la libertĂ©; il sâest employĂ© sans repos Ă cette grande mission. Il a prouvĂ© que le gĂ©nie des hommes, la libĂ©ralitĂ© des institutions et le bonheur des peuples ne suffisent pas Ă fonder un gouvernement sur des bases solides. Il a prouvĂ© encore que la sociĂ©tĂ© française, telle que lâont faite la rĂ©volution et le temps , nâest pas constituĂ©e de maniĂšre Ă supplĂ©er par elle mĂȘme aux Ă©lĂ©ments de force et de stabilitĂ© qui manquaient Ă son gouvernement. Il a prouvĂ© enfin que lâesprit français, que le caractĂšre, Je gĂ©nie national nâa pas en soi, avec tant de puissance pour crĂ©er et pour dĂ©truire, ce quâil fallait pour rĂ©sister par ses propres forces aux entraĂźnements de la libertĂ© dĂ©mocratique, et soutenir Ă lui seul la double faiblesse des institutions et de la sociĂ©tĂ©. Dâun autre cĂŽtĂ©, il a fait voir aussi, par les maux dĂ©chaĂźnĂ©s aprĂšs sa chute, par les pĂ©rils qui, aujourdâhui eut ore, font de lâavenir un sujet dâalarme pour toute Ăąme française, quels services rendaient ceux qui travaillĂšrent Ă faire vivre ce rĂ©gime si puissant, pensait-on, et en rĂ©alitĂ© si menacĂ©. Leurs efforts, longtemps heureux , ont produit ce retour rĂ©el Ă la foi, ce retour rĂ©el Ă la conciliation, ce retour enfin Ă quelques grands principes sociaux, que nous saluons de nos 1M1 EF ACE. XVH hommages. Ce sont les nncies Ăźle salut. Que ceux Ă Ces lignes, malheureusement trop prophĂ©tiques, Ă©taient Ă©crites trente mois avant la rĂ©volution de 1830. Ce quâon disait alors, on le rĂ©pĂšte aujourd'hui. Si alors quelquâun voyait des concessions dans ce langage conservateur et monarchique, quoique opposant, câĂ©tait une erreur! Nous ne faisons pas de concessions. Si ou lâacceptait comme de lâhabiletĂ©, on avait tort; nous ne sommes pas habile. Mais on nous crie que la France a marchĂ©; câest le mot dâordre de ce temps-ci. En effet, la rĂ©volution a marchĂ©, ou plutĂŽt couru, comme on fait quand on va sans rĂšgle et sans sagesse; mais nous xxiv PltUFACE. 11e saurions croire que les intĂ©rĂȘts generaux des peuples, non plus que les rĂšgles Ă©ternelles sur lesquelles roule ce monde, puissent changer dâun cĂŽtĂ© Ă lâautre dâune barricade. I est des esprits Ă©tranges qui ne comprennent pas que plus on sacrifia aux libertĂ©s publiques, plus on a la rougeur au front Ă lâaspect de tout ce qui les profane; plus aussi par cela mĂȘme on Ă©prouve le besoin de protester contre tout ce qui les fausse et les compromet. VoilĂ les motifs et les sentiments de l'Ă©crivain, puisquâon a voulu pĂ©nĂ©trer au delĂ du livre. CondamnĂ© Ă parler de nous contre notre usage, que ce mot nous soit permis nos contradicteurs seront bien habiles si, en interrogeant notre cĆur, ils trouvent que la politique l ait jamais Ă©mu pour dâautres intĂ©rĂȘts que la grandeur, la libertĂ© et lâhonneur de la France. VINGT MOIS LA RĂVOLUTION ET LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. INTRODUCTION. Ătal politique et social de la France. â Sujet de cet Ouvrage. DĂCEMBRE 1831 Cecy est un livre de bonne foy. » Montaigne. Cu livre est destinĂ© Ă Ă©tablir les vĂ©ritables principes de lâordre social, et Ă rappeler les conditions nĂ©cessaires dâun gouvernement libre. Nous avons foi aux bonnes maximes. Nous croyons au devoir de les professer, quels que soient les temps. Lâesprit de dĂ©sorganisation plane sur la France. Il a tout envahi, la politique et la littĂ©rature, les journaux et les théùtres, les rues et les pouvoirs. Il entraĂźne, il domine trop souvent les hommes P 2 INTRODUCTION. de bien qui luttent contre le torrent avec courage, et qui croient lui rĂ©sister avec succĂšs, parce que câest Ă reculons quâils descendent vers les abĂźmes ! On ne sait si lâĆuvre de la dĂ©molition par les lois fut poussĂ©e plus vivement, aux dĂ©buts de la premiĂšre RĂ©volution. RoyautĂ©, Charte, Chambres, collĂšges Ă©lectoraux, jury, municipalitĂ©s, conseils-gĂ©nĂ©raux, conseil dâEtat, gardes nationales, organisation militaire, administration, finances, rapports de lâĂtat et de lâĂglise, instruction publique , rĂ©gime colonial, Code pĂ©nal, Code civil la nomenclature Ă©pouvante ! , tout a Ă©tĂ© repris Ă la fois en sous-Ćuvre. Le tour de la pairie est venu. Ce dernier rempart de lâordre, ce dernier tronçon de la monarchie devait tomber en poussiĂšre. Lâavenir dira quâil fut un temps et un pays , oĂč lâenfant qui comptait dix-huit mois Ă peine Ă©tait plus vieux que lâĂ©difice entier des institutions de la patrie ! Encore, le gouvernement nouveau nâest-il pas achevĂ©, que dĂ©jĂ les entrepreneurs de destruction brandissent de nouveau la hache et la torche. Il leur faut table rase une seconde fois. A lâexemple de la rĂ©volution de 1789 qui ne tarda pas Ă voir surgir dans son sein une seconde gĂ©nĂ©ration de rĂ©formateurs auxquels la Constitution de 91 ne pouvait suffire, la rĂ©volution de 1830 est dĂ©sormais aux prises avec un arriĂšre-ban rĂ©volutionnaire impatient de se remettre Ă lâĆuvre. Ce nâest plus seulement lâĂ©tat politique tout entier, INTRODUCTION. 3 câest lâĂ©tat social mĂȘme que ceux-lĂ sapent dans les fondements. Il ne reste debout parmi nous quâun trĂŽne qui sâĂ©lĂšve sans Ă©tais, et la propriĂ©tĂ© qui demeure sans boulevards. Us veulent balayer le trĂŽne, dĂ©truire la propriĂ©tĂ©. Elle est la royautĂ© domestique, la pairie Ă©ternelle quâils entendent abattre. Pourquoi non ? Quelle est la puissance qui a commandĂ© lâabandon de la pairie ? Le pouvoir, par lâorgane de M. Casimir PĂ©rier, sâest chargĂ© de rĂ©pondre. Câest au prĂ©jugĂ©, Ă la passion populaires , Ă Xivresse dĂ©magogique , Ă la haine aveugle de toutes les supĂ©rioritĂ©s , a-t-il dit hardiment, quâaura Ă©tĂ© fait cet immense holocauste ! Eh bien ! quâon le sache une nation, dont les lĂ©gislateurs auraient reçu dâelle en effet le mandat de sacrifier sur de semblables autels, cette nation se serait dĂ©clarĂ©e, Ă la face du monde, ignorante encore et incapable de la libertĂ©. Un pays, au sein duquel le dĂ©sordre marche ainsi officiellement le front levĂ© et la sape Ă la main, ce pays malheureux nâa pas rĂ©glĂ© tous ses comptes avec la colĂšre du ciel. Or, ceci Ă©tait la grande bataille de la politique rĂ©volutionnaire. Elle lâa gagnĂ©e ! Ce nâest plus par nos institutions que nous pouvons ĂȘtre dĂ©fendus contre les entreprises de la faction anarchique, et contre ses folies. A dater de ce jour, le bon sens public est notre seule sauvegarde. Quâil fĂźt dĂ©faut un jour, tout croulerait. Il faut dĂ©sormais, dans toute la suite des temps, quâĂ chaque soleil INTRODUCTION. 4 qui se lĂšvera, la raison et la conscience nationales restituent, par leur assistance, Ă lâordre dĂ©sarmĂ© la force que, chez les sociĂ©tĂ©s bien faites, il doit trouver dans les pouvoirs et dans les lois. Tous les principes sont donc intervertis parmi nous. Car câest prĂ©cisĂ©ment pour supplĂ©er aux dĂ©faillances de la conscience et de la raison mobiles des peuples, quâil y a des lois parmi les hommes. Il faut le dire Ă la France vainement lâordre attaquĂ©, battu en brĂšche de toutes parts, gagne- ra-t-il dans les rues des batailles par les armes, sâil doit continuer Ă les reperdre, sâil les a reperdues Ă lâavance irrĂ©parablement, dans les institutions. Un jour, Mirabeau sâĂ©cria Silence aux Trente ! Les Trente se turent. Le commandement du prince de la tribune Ă©tait si bien lâexpression de la pensĂ©e nationale, quâon le vit dâabord obĂ©i de ces Trente, inconnus et dĂ©daignĂ©s, Ă la tĂȘte desquels figurait obscurĂ©ment, avec une certaine renommĂ©e de philanthropie et de vertu , un orateur mĂ©diocre qui sâappelait Robespierre. Un jour devait venir oĂč ces Trente, quâon mĂ©prisait, rempliraient les assemblĂ©es, les tribunaux, les pouvoirs, les armĂ©es, et seraient toute la France. Sur le penchant de cet abĂźme, le gĂ©nĂ©ral La- fayette sembla un moment arrĂȘter le cours de la rĂ©volution, comme il travaille aujourdâhui Ă la prĂ©cipiter. On le vit courageusement mitrailler les Ă©meutes rĂ©publicaines dans le Chainp-de-Mars. Au INTRODUCTION. 5 spectacle de ce combat livrĂ© pour la cause de la monarchie et pourle triomphe delĂ Constitution, la France respira elle se crut sauvĂ©e. Les espĂ©rances et les travaux se ranimĂšrent ; lâavenir sourit Ă toutes les imaginations; tous les rĂȘves de 1789, rĂȘves de paix, de concorde, de libertĂ©, rentrĂšrent dans les cĆurs ; on crut Ă un avenir immense dâordre et de prospĂ©ritĂ©. Au bout d'une halte pacifique, apparurent le 10 aoĂ»t et le G septembre, le papier-monnaie et lâanarchie, la banqueroute et la terreur ! DâoĂč vint ce changement ? Le voici. Les cahiers des Etats-GĂ©nĂ©raux, en 1789, attestent que la France voulait uniquement la monarchie constitutionnelle ; admirable, mais difficile systĂšme, qui rĂ©sout seul pour les grands empires le problĂšme dâunir la libertĂ© Ă lâordre et Ă la puissance. Cependant la volontĂ© publique fut intervertie et violentĂ©e par le plus grand, par le plus effroyable des mensonges. Câest que Mirabeau, câest que le gĂ©nĂ©ral Lafayette, câest que lâAssemblĂ©e constituante avaient fait passer dans les lois les vĆux des Trente et leurs doctrines. Les Trente rĂ©gnĂšrent. Ce nâest pas en effet la volontĂ© des peuples qui fait leurs destinĂ©es ce sont leurs institutions, ce sont les principes sur lesquels ils les ont fondĂ©es. Quand câest prĂ©cisĂ©ment lĂ que le mal rĂ©side, quand il a pĂ©nĂ©trĂ© ainsi dans les boulevards créés pour dĂ©fendre la sociĂ©tĂ© de ses atteintes, nulle 6 INTRODUCTION. force ne peut plus prĂ©valoir contre lui. Un peu plus tĂŽt, un peu plus tard, toutes les tentatives, toutes les luttes ont, Ă un jour donnĂ©, une issue fatale. Câest Ă©crit. De 1789 Ă 1792, trois ans avaient passĂ© dans la perpĂ©tuelle illusion des gens de bien, qui faisaient faire chaque jour Ă la monarchie constitutionnelle un pas de plus vers la rĂ©publique et la dĂ©magogie, sans vouloir ni de la dĂ©magogie, ni de la rĂ©publique. Ce systĂšme fit ses ravages nĂ©cessaires. La dissolution politique et sociale alla croissant. BientĂŽt les factions elles-mĂȘmes tremblĂšrent de lâavenir quâelles commençaient Ă voir ouvert devant elles. Les Girondins nâĂ©taient pas encore maĂźtres pleinement de la France, et ils sâeffrayaient dĂ©jĂ de trouver des maĂźtres, Ă leur tour, dans les furieux qui les dĂ©bordaient. Un jour lâĂ©vĂȘque Lamourette monte Ă la tribune. Il expose que ce qui fait tout le mal de la patrie, ce sont les dissensions civiles ; câest le vĆu des uns pour lâĂ©tablissement des deux chambres, lâinclination des autres pour lâabolition de la royautĂ©. Il dĂ©montre que si chacun renonçait Ă sa chimĂšre, câen serait fait de toutes les discordes , et que lâon aurait lâĂąge dâor. Il propose, en consĂ©quence, de dĂ©crĂ©ter lâanathĂšme, Ă lâunanimitĂ©, contre la rĂ©publique Ă la fois et contre le systĂšme des deux chambres. CâĂ©tait lâidĂ©al du juste-milieu. La proposition, faite avec onction, est accueillie INTRODUCTION. H avec enthousiasme. Le cĂŽtĂ© droit et le cĂŽtĂ© gauche, les Girondins et les Feuillants se jettent dans les bras les uns des autres, en mĂȘlant des pleurs de tendresse et de joie. On dĂ©crĂšte que lâacte de rĂ©conciliation sera envoyĂ© aux quatre-vingt-trois dĂ©partements du royaume. Louis, en apprenant ces fortunĂ©s transports, accourt avec la reine, pour consacrer le pacte dâalliance entre tous les enfants de la grande famille. Le cri de vive le roi! jaillit de tous les coeurs, comme aux plus beaux jours de la monarchie toute la France le rĂ©pĂ©ta. Et, prĂ©cisĂ©ment un mois aprĂšs, le plus bienveillant des rois, la plus noble des reines et des femmes , tombaient du palais de leurs ancĂȘtres dans un cachot, dâoĂč le couple auguste ne devait sortir que par un attentat plus grand ! Pourquoi ce rapide retour? Parce que lâAssemblĂ©e , dans son dĂ©cret de rĂ©conciliation, et la France, dans son allĂ©gresse, nâavaient oubliĂ© quâune chose, câest quâil nâĂ©tait pas au pouvoir des hommes de repousser Ă la fois et la rĂ©publique et les deux chambres. Des deux systĂšmes, dĂ©nier lâun, câĂ©tait de toute nĂ©cessitĂ© se vouer Ă lâautre. On ne vit pas quâil fallait choisir. La Providence chĂątia lâaveuglement de nos pĂšres en choisissant pour eux. La Constitution de 91, cette Constitution caduque en naissant, nâa point pĂ©ri seulement, comme on le suppose dâordinaire, par un Ă©qui- 8 INTRODUCTION. libre imparfait des pouvoirs, par une dĂ©limitation mauvaise de la prĂ©rogative, par lâimpuissance enfin de la royautĂ©, toutes choses qui auraient pu en effet tuer la royautĂ© la plus populaire, la plus bienveillante, la plus habile. Non ! Plus profond Ă©tait le mal. Le vice ne rĂ©sidait pas uniquement Ă la tĂȘte de lâEtat ; il Ă©tait aussi dans les entrailles de la sociĂ©tĂ©, il Ă©tait dans lâesprit qui avait dictĂ© les lois de toute cette dĂ©mocratie royale. La vieille couronne dâAngleterre, Ă tout prendre, ne sâenorgueillit pas de beaucoup plus de fleurons que la couronne remaniĂ©e de Louis XVI, roi des Français. Mais la couronne dâAngleterre possĂšde, dans lâĂ©tat social des Anglais, des boulevards puissants, et la nĂŽtre nâen trouvait nulle part. Une royautĂ©, qui nâavait point de garanties, reposa sur une sociĂ©tĂ© qui nâen avait plus elle-mĂȘme, qui allait ĂȘtre aussi mobile que les sables dâAfrique, aussi friable sous le souffle des ouragans. La rĂ©volution, qui fonda cette sociĂ©tĂ© orageuse, eut le tort de lâasseoir sur des principes subversifs. Elle appela les masses, non Ă lâĂ©galitĂ©, mais Ă la suprĂ©matie ; non Ă la libertĂ©, mais Ă la domination. Câest par lĂ que lâĂ©difice sâĂ©croula. Nul moyen ne sâoffrait dĂšs lors pour donner Ă cette domination terrible ni contre-poids, ni barriĂšre. CâĂ©tait vouloir un torrent sans digues, un ocĂ©an sans rivages. Par une loi de sa nature, il devait ĂȘtre furieux, indomptable, destructeur, INTRODUCTION. g et en mĂȘme ternes changeant, fantasque, inhabile Ă rien laisser debout, hormis tout au plus les Ă©chafauds. Aussi, la royautĂ© et lâillustration, le talent et la vertu vinrent-ils expier lĂ leur long rĂšgne, jusquâĂ ce quâenfin le peuple, fatiguĂ© de lui- mĂȘme et dĂ©senchantĂ© de son ivresse fatale, abdiquĂąt sa fausse et funeste souverainetĂ© aux mains dâun grand homme. Tel il a Ă©tĂ©, tel il sera toujours mĂȘmes vices , mĂȘmes flĂ©aux, mĂȘmes chĂątiments. De tous les spectacles de cette triste Ă©poque, je ne sais lequel est le plus douloureux, de ses crimes ou de ses faiblesses. M. rie Serre avait raison de le dire Toujours la majoritĂ© fut saine ! » Saine dâesprit, mais faible de cĆur, et câest ce qui perdit tout. Sauf lâAssemblĂ©e constituante, oĂč les esprits Ă©taient fascinĂ©s, oĂč rĂ©gnaient un Ă©blouissement universel et une sorte de sublime dĂ©lire, toutes les lĂ©gislatures firent le mal, comme les nĂŽtres, Ă contre-cĆur, mais Ă bon escient. Lâabolition de la monarchie fut une concession de la LĂ©gislative. La tĂȘte de Louis XVI fut une concession de la Convention. Mais la Gironde, dans la LĂ©gislative, en livrant la monarchie, croyait sauver lâordre, incapable quâelle Ă©tait, avec tout son gĂ©nie, de comprendre que lâordre nâĂ©tait dĂ©jĂ plus, et lâombre qui en restait sâĂ©vanouit en effet avec la royautĂ©. Mais la Gironde et la Plaine unies, dans la Convention, en livrant Louis aux bourreaux, croyaient IO INTRODUCTION. rassasier avec ce noble sang la furie populaire ; et il fallut quâelles donnassent le leur, puis, avec le leur , celui de la France. Câest que la justice divine a une maniĂšre sĂ»re et facile de punir les exigences, les passions, les faiblesses subversives elle laisse les pouvoirs qui servent dâinstrument Ă ces flĂ©aux, sâenfoncer dans leurs voies fatales. Ils vont alors, sans sâinquiĂ©ter de la carriĂšre quâils ont dĂ©jĂ fournie, nâattacliant dâimportance quâau pas quâils sâapprĂȘtent Ă faire, comptant toujours que celui-lĂ sera le dernier, et disant Ă leur raison qui sâĂ©pouvante, comme Louis XI Ă sa vierge de plomb Encore un ! » Mais le poids des fautes commises vous pousse, vous entraĂźne, et on pĂ©rit Ă©crasĂ© sous ce rocher de Sysyphe. Nous savons lâĂ©ternelle rĂ©ponse. On nous crie que la rĂ©volution de 1830 ne ressemblera pas Ă la rĂ©volution de 1791, que le volcan est Ă©teint. Mais câest prĂ©cisĂ©ment la question qui est posĂ©e; et nous accepterons toutes les espĂ©rances, si vous nâĂštes pas aussi tĂ©mĂ©raires que vos devanciers, aussi prompts Ă dĂ©truire, aussi disposĂ©s Ă cĂ©der aux fantaisies populaires, câest-Ă -dire Ă la volontĂ© des tribuns qui sây appuyent ou sâen prĂ©valent. Mais il sera trop permis de craindre quâun peuple puisse, deux fois en quarante ans, fournir la mĂȘme carriĂšre de fautes et de malheurs, quand vous, qui parlez, vous recommencez toutes les fautes de vos INTRODUCTION. I 1 pĂšres. On sera bien forcĂ© de dire que la rĂ©volution de 1830, courra, tĂŽt ou tard, aux mĂȘmes dĂ©sastres que son aĂźnĂ©e, si la France lance son char sur le penchant des mĂȘmes prĂ©cipices. La marche sera plus ou moins lente, selon quâon aura laissĂ© subsister plus ou moins de points dâarrĂȘts ; mais elle sera Ă©galement inĂ©vitable. On arrivera Ă©galement au terme fatal. Partout et toujours, lâesprit de 91 portera les mĂȘmes fruits. Au ciel, il enfanterait lâanarchie, comme sur la terre. Quand on nâentend pas marcher Ă un abĂźme, il ne faut pas prendre le chemin qui y mĂšne. Quand on condamne un principe, il faut avoir le courage de repousser les prĂ©misses, sous peine de voir et la logique inexorable des partis, et la logique austĂšre de la fortune dĂ©duire toutes les consĂ©quences. Autrement, ce serait planter un arbre en ne voulant pas de ses fruits ; ce serait bĂątir sur le cratĂšre fumant, avec la prĂ©tention de dormir en paix. Nous le croyons fermement. AprĂšs un demi- siĂšcle de rĂ©volutions, la France aujourdâhui nâaspire Ă rien de plus, Ă rien de moins quâau dĂ©but de cette Ăšre dâessais et de mĂ©comptes. Tout a changĂ© sans cesse parmi nous, hormis la volontĂ© nationale, restĂ©e immuable sous les ruines de tout ce qui y a Ă©tĂ© substituĂ© par les factions. Cependant, une fois encore, la France se laisse, Ă son insu, entraĂźner loin du but. Quelque jour, elle 12 INTRODUCTION. sâĂ©tonnera de voir quâil a fui loin dâelle, parce quâelle va Ă la dĂ©rive sans se rendre compte du chemin quâelle parcourt. Il faudrait, aux peuples emportĂ©s par les rĂ©actions, quâon pĂ»t dresser de ces colonnes, oĂč , dans les pays de montagnes et de prĂ©cipices, on marque, pour lâinstruction et le salut des voyageurs, le passage des avalanches ou le progrĂšs des flots. Câest la tĂąche Ă laquelle nous nous dĂ©vouons. Ce livre nâa pas dâautre but. Quâon nous permette de le dire. Il nous appartenait dâentreprendre cette mission. La monarchie reprĂ©sentative, avec toutes ses conditions dâordre et de libertĂ© , a Ă©tĂ© la passion, le travail, lâĂ©tude de notre vie. Elle sâoffrit Ă nos regards quand tout ce rĂ©gime de gloire, premiĂšre illusion de quiconque Ă©tait jeune alors et portait un cĆur français, venait de sâĂ©crouler sous le poids de lâEurope soulevĂ©e. En fuyant, de victoire en victoire, devant les peuples qui poursuivaient les armĂ©es de la France au cri de libertĂ©, en entendant ce cri rĂ©pĂ©tĂ© par les villes et les hameaux Ă mesure que les aigles attristĂ©es repliaient leur vol, comment ne pas comprendre quâil existait quelque chose de plus grand que la force, mĂȘme rehaussĂ©e par le gĂ©nie et parĂ©e par la victoire ? CâĂ©tait le droit, câĂ©tait la libertĂ©. Ces deux grandes choses reparurent ensemble. La royautĂ© antique frappait Ă la porte de nos citĂ©s dĂ©solĂ©es, en criant Ouvrez ! câest la fortune de la France. La LibertĂ© se rĂ©veilla pour ou- INTRODUCTION. l3 vrir elles se donnĂšrent la main. CâĂ©tait le droit sous toutes ses formes, avec tous ses prestiges, et toute sa puissance. La libertĂ© se montrait liĂ©e Ă tous les souvenirs de la patrie, pure des crimes qui avaient profanĂ© son nom, dĂ©fendue par sa Constitution monarchique contre tout entraĂźnement Ă des excĂšs nouveaux, fĂ©conde cependant et en biens sans nombre, et en progrĂšs sans terme. Sâil fallait acheter, au prix de combats opiniĂątres, le dĂ©veloppement des institutions promises, comment ne pas aimer ces combats oĂč se dĂ©ployait le gĂ©nie dâun grand peuple, oĂč tous les talents marchaient Ă la tĂšte des camps divers, oĂč chaque assaut affermissait les franchises de la patrie ; combats gĂ©nĂ©reux qui, ajant une arĂšne fixĂ©e par les lois, et venant se conclure nĂ©cessairement au pied dâun trĂŽne respectĂ©, ne nous laissaient jamais craindre lâintervention de lâanarchie, et nâadmettaient, la violence ni comme ennemie, ni comme alliĂ©e ! Câest ce que lâorateur romain appelle Gertamen honestum et disputatio splendida. Que la France garde, de ces jours de luttes glorieuses et de discussions magnifiques, bonne mĂ©moire! Ils lui ont appris tout ce quâelle sait de libertĂ©. Maintenant quâils sont loin de nous, on aime Ă proclamer les biens quâils ont versĂ©s sur la France, surtout aprĂšs leur avoir tant demandĂ© dâen verser davantage encore, afin quâils fussent Ă©ternels. Ce sont les plus calmes, les plus prospĂšres, et les plus libres que la France, jusquâĂ ce jour, ait comptĂ©s ! INTRODUCTION. l4 Au terme de cette carriĂšre close par un abĂźme, il est deux choses dont nous sommes heureux, câest de nâavoir dĂ©sertĂ© jamais, ni les droits, ni les devoirs de la libertĂ© constitutionnelle. Depuis la douloureuse Ă©poque de lâoccupation Ă©trangĂšre, on ne citera point une faute de la restauration que nous ayons laissĂ© passer sans la combattre; et, certes, il nây avait Ă cela nul mĂ©rite; Il est des natures malheureuses qui sont facilement en contrariĂ©tĂ© avec la fortune. Quand on voit une opinion victorieuse, quel que soit son nom, mĂ©connaĂźtre ce quâon croit la justice et la sagesse, on court Ă leur aide sans rĂ©flexion et malgrĂ© soi-mĂȘme, comme si on voyait un ami se dĂ©battant dans les flots et emportĂ© par le courant. Mais aussi nous sommes-nous abstenus, dans une longue opposition, de toute alliance et de toute doctrine quâil aurait fallu dĂ©savouer un jour en approchant du pouvoir. Ce fut dans le feu mĂȘme de la polĂ©mique la plus animĂ©e, et en prĂ©voyance de retours inĂ©vitables, que fut tracĂ©e lâhistoire de la Pologne, pour frapper le public français des exemples terribles de cette malheureuse nation, qui, se relevant dix fois avec courage sous les coups de la Providence, a pĂ©ri, parce que le corps Ă©lectoral, sorte de bourgeoisie guerriĂšre sous le nom dâordre Ă©questre, crut ĂȘtre plus libre en gouvernant sans partage, et assurer mieux son Ă©galitĂ© jalouse en dĂ©niant aux deux autres pou- INTRODUCTION. i5 voirs la prĂ©rogative tutĂ©laire de lâhĂ©rĂ©ditĂ© ! Le » moment, disait la PrĂ©face1, peut paraĂźtre » mal choisi pour signaler les pĂ©rils de la libertĂ© » et de lâĂ©galitĂ© extrĂȘmes. Mais quand on a devant » soi une montagne, on doit songer quâon aura » bientĂŽt Ă descendre. » CâĂ©tait le temps oĂč nous Ă©crivions dans un journal cĂ©lĂšbre En visitant » naguĂšre, Ă Edimbourg , dans le sombre manoir » dâHoly-Rood, toutes fleurdelysĂ©es encore et » toutes prĂ©parĂ©es, les salles oĂč S. A. R. Mon- » sieur, comte dâArtois , aujourdâhui S. M. Cliar- » les X, tenait les levers de lâexil, une doulou- » reuse sensation nous a saisis... Mais non ! les » Bourbons proscrits auront trouvĂ© des conseils » de modĂ©ration et de sagesse sur la couche des » Stuarts 2 ! » Et Holy-Rood a retrouvĂ© ses hĂŽtes augustes ! Les Bourbons , ce qui ne sâĂ©tait pas vu encore , sont tombĂ©s du trĂŽne le lendemain et dans lâĂ©blouissement dâune victoire. Ils sont lombĂ©s du premier trĂŽne de lâunivers, aprĂšs lâavoir relevĂ© par les lois, honorĂ© par les sciences et les lettres, agrandi par les armes. Ils trouvĂšrent la France Ă©puisĂ©e dâargent, dâhommes, de courage ils lâont laissĂ©e populeuse, prospĂšre, passionnĂ©e pour 1 Histoire de Pologne, avant et sous le roi Jean Sobieski. PremiĂšre Ă©dition. â Paris , 4 827. 2 Les DĂ©bats 182G. i6 INTRODUCTION. toutes les entreprises et prĂȘte pour toutes les gloires. Nos finances Ă©taient anĂ©anties ils ont laissĂ© le trĂ©sor le plus riche et le crĂ©dit le plus haut du continent. Les mers avaient oubliĂ© notre pavillon ; ni le commerce , ni la guerre ne le leur montraient plus depuis vingt ans ils ont laissĂ© une marine puissante et victorieuse qui couvrit de ses voiles tous les ocĂ©ans, humilia Rio-Janeiro, emporta Cadix, illustra Navarin. En un mot, quand ils parurent, lâEurope tenait captifs Paris et nos provinces, lâEurope amenĂ©e au cĆur de la France par lâĂ©toile fatale de lâesprit de conquĂȘte ! ils ont laissĂ© la France redoutable Ă lâunivers, libĂ©ratrice en Orient, conquĂ©rante en afrique, portant ses frontiĂšres jusquâaux pieds de lâAtlas, et embrassant dĂ©sormais les deux rives de la MĂ©diterranĂ©e dans son domaine !... Cependant, ils sont tombĂ©s ! Innocent de leur chute, nous prions le ciel quâune catastrophe si grande et si haute ne soit pas, du moins comme une leçon terrible, perdue pour notre pays. Puisse- t-elle enseigner quâil y a pour tous les pouvoirs des conditions vitales quâaucuns dâeux ne peuvent mĂ©connaĂźtre impunĂ©ment, quelque soit leur titre ou quelle que semble leur puissance ! Les partis, dans leurs triomphes et quelquefois mĂȘme dans leurs adversitĂ©s, ne savent quâobĂ©ir Ă dâaveugles instincts. Une voix fatale leur crie toujours Marche ! marche ! Puis vient le jour oĂč la mesure INTRODUCTION. '7 de la bontĂ© du ciel est comblĂ©e, et tout Ă coup la terre manque sous leurs pas ! Ces choses, nous les avons dites cent fois Ă la monarchie qui a passĂ© sans les entendre. Nous les redisons Ă la libertĂ© serons-nous mieux entendu? La restauration ne se rendait pas compte quâellĂ© portait dans son sein un ennemi public contre les envahissements duquel elle devait de perpĂ©tuelles sĂ»retĂ©s Ă la France. Cet ennemi Ă©tait lâesprit contre, rĂ©volutionnaire, câest-Ă -dire le penchant Ă dĂ©duire sans rĂ©serve toutes les consĂ©quences extrĂȘmes du principe de la lĂ©gitimitĂ©; lâempressement Ă renverser, au profit des intĂ©rĂȘts anciens, lâĂ©tat social et politique, créé par la rĂ©volution et consacrĂ© par le temps, par la Charte, par mille serments. CâĂ©tait le cancer qui la rongeait. On le lui a criĂ© quinze ans, et il lâa dĂ©vorĂ©e. La royautĂ© nouvelle nourrit dans ses flancs un autre flĂ©au câest lâesprit rĂ©volutionnaire , Ă©voquĂ© du chaos sanglant de notre premiĂšre anarchie au bruit de la rapide victoire des masses sur la royautĂ©. Cet esprit funeste pĂšse sur les destins de la France de 1830 comme son mauvais ange. Nous Ă©crivons pour signaler toutes ses Ćuvres câest prendre lâengagement de combattre Ă peu prĂšs tous les actes du parti dominant et toutes ses doctrines. La contre-rĂ©volution ne semblait redoutable que grĂące Ă dâinĂ©vitables intelligences avec la 2 18 INTRODUCTION. royautĂ©, qui encourageait involontairement les plans de rĂ©action par son indulgence, et qui, tout en leur refusant longtemps ses armes, leur prĂȘta trop souvent son manteau. Lâesprit rĂ©volutionnaire, de son cĂŽtĂ©, a une alliĂ©e puissante, qui fait sa force par sa propre force, et lui donne lâautoritĂ© dâune sorte de droit par son propre droit. Cette alliĂ©e, câest la dĂ©mocratie qui rĂšgne sur la France en despote , câest-Ă -dire sans modĂ©ration , sans sagesse, et ne sâapercevant pas quâelle rĂšgne au profit de lâesprit de dĂ©sordre , qui la flatte et la caresse pour mieux la dominer. Il est temps de lui parler un sincĂšre langage, de rappeler enfin des principes vieux comme le monde, qui nâont jamais Ă©tĂ© violĂ©s impunĂ©ment par les nations, et qui disparaissent successivement du milieu de nous, Ă©touffĂ©s sous le poids dâinstincts grossiers, de passions tĂ©mĂ©raires, de concessions pusillanimes, de lois subservives. Les choses en sont venues Ă ce point quâil faut du courage pour exposer , pour dĂ©fendre ces principes sacrĂ©s ; et cependant il y va de toutes les fins de lâĂ©tat social, du progrĂšs vĂ©ritable des nations, de la dignitĂ© rĂ©elle de la nature humaine, de la libertĂ© enfin ; car cette libertĂ©, dont le nom brille au frontispice de tous nos monuments, Ă la porte de toutes nos citĂ©s, Ă la flamme de tous nos drapeaux, ne sera quâun Ă©clatant mensonge, si lâair que nous respirons est chargĂ© dâanarchie, comme dâune conta- INTRODUCTION. iq gion inĂ©vitable, si le flĂ©au marque chaque jour de sa croix fatale une de nos maximes, une de nos lois, un de nos pouvoirs, en attendant quâil puisse, dans un jour dâaudace et de fortune , dĂ©vorer la sociĂ©tĂ© entiĂšre. Comment et pourquoi le taire ? LâĂ©tat moral de cette sociĂ©tĂ©, si confiante et si menacĂ©e, est ce qui nous Ă©pouvante bien plus encore que son Ă©tat politique. Contemplez-vous ces populations dâordinaire calmes, laborieuses, avides de jouir en paix des biens que la main de Dieu a versĂ©s sur le sein de notre riche et belle France, vous prendrez espoir, vous envisagerez dâun Ćil rassurĂ© lâavenir. Mais scrutez le fond de ces masses quâaucune pensĂ©e religieuse ne soutientetnâenchaĂźne, quâaucune foi ne console dans leurs douleurs et nâarrĂȘte dans leurs colĂšres, qui frĂ©missent Ă lâidĂ©e de toute hiĂ©rarchie, qui ne comprennent et ne tolĂšrent aucune supĂ©rioritĂ© , quâun esprit fatal instruit Ă confondre , dans une haine sauvage, Dieu et le prĂȘtre, le magistrat et lâautoritĂ©, les grands et les rois ! Reportez vos regards sur la rĂ©gion oĂč grondent les partis ; voyez ces tentatives opiniĂątres de soulever, dans la multitude, toutes ces mauvaises passions qui minent lâordre social, de les rĂ©veiller lorsquâelles sont assoupies, de les enrĂ©gimenter lorsquâelles sont flottantes, dâen faire, quelquefois au profit des banniĂšres opposĂ©es, une mĂȘme milice, pour marcher comme ces chevaliers de lâArioste, sur 20 INTRODUCTION. un seul coursier, Ă la conquĂȘte dâune proie quâon se disputera ensuite clans le sang! Assistez Ă ces clubs clandestins qui dĂ©libĂšrent, de sang-froid la mort des princes, des administrateurs, de dix mille citoyens , pour mettre en appĂ©tit la furie populaire ; ou bien Ă ces prĂȘches Saint-Simoniens qui font de la prostitution un sacerdoce, et du renversement de la propriĂ©tĂ© une religion, quand toute autre religion semble proscrite! Voyez cette jeunesse enrĂ©gimentĂ©e de nos Ă©coles qui porte Ă la boutonniĂšre le triangle dâacier-, bĂȘlas ! qui y porte mĂȘme des spĂ©cimens de la guillotine infĂąme; car ce sont lĂ les hochets de notre temps, malheureux enfants qui se vantent des crimes quâils nâont pas commis, et placent leur vie innocente encore, sous lâinvocation des Marat, des Saint-Just, des monstres qui Ă©gorgeaient leurs pĂšres ! Comment sâempĂȘcher de reconnaĂźtre, dans ce dĂ©lire des passions destructives, bien moins les signes funestes qui suivent les secousses violentes, que ceux qui prĂ©cĂšdent et annoncent les secousses nouvelles?.. .. Tandis que nous hĂ©sitions sur ces lignes, nous demandant si elles ne formeraient pas un contraste trop grand avec la sĂ©curitĂ© publique, si nous ne devrions pas faire flĂ©chir lâexpression animĂ©e de notre profonde conviction devant le sentiment gĂ©nĂ©ral du pays et du temps, voilĂ que la colĂšre du ciel a Ă©clatĂ© sur cette France fascinĂ©e ! La rĂ©volte, INTRODUCTION. 2 I lâassassinat, la guerre civile ont ensanglantĂ© la seconde de nos citĂ©s 1, et il y aurait folie Ă sâen Ă©tonner. On sĂšme l'anarchie Ă pleines mains ; câest une moisson qui ne manque jamais. Aujourdâhui, comme il y a quarante ans, trois sortes dâhommes conspirent au triomphe de cette anarchie dĂ©testable. Les uns lâaiment pour elle- mĂȘme ; ils la veulent, ils lâattendent des souffrances publiques, de la disette, de la guerre, de tous les flĂ©aux par lesquels lâinclĂ©mence du ciel caresse leur espoir. Ce sont les rĂ©volutionnaires avouĂ©s, câest lâextrĂȘme gauche. Ceux-lĂ ne sont pas les plus dangereux Ă notre sens; nous ne savons pas mĂȘme sâils sont les plus coupables. Dâautr âąes dĂ©testent les saturnales de la terreur, sans oser le dire. Au fond, ils en redoutent le souvenir ; ils nâen souhaitent pas le retour. Voulant la libertĂ©, ils mesurent tous les pĂ©rils de la libertĂ© extrĂȘme. La dĂ©mocratie, dans ses dĂ©bordements, les inquiĂšte et mĂȘme les afflige. Et cependant, câest tantĂŽt par leur complicitĂ© irrĂ©flĂ©chie, tantĂŽt par leurs condescendances calculĂ©es, que le dĂ©sordre a fait ses conquĂȘtes ; câest par eux que nous avons vu toutes nos destinĂ©es remises en question , par eux cpie nous restons suspendus sur lâabĂźme , par eux que les partis espĂšrent obtenir de leur Ă©toile la restauration de la puissance populaire. Ils sont 1 RĂ©volte de Lyon, 483L 22 INTRODUCTION. toujours prĂȘts Ă gorger le monstre pour lâendormir, au risque de sâen faire dĂ©vorer. Ils dĂ©pouilleront piĂšce Ă piĂšce, ils laisseront cheoir la monarchie constitutionnelle quâils veulent, ils ia briseront plutĂŽt que de se sĂ©parer de lâanarchie qu'ils jugent et quâils redoutent. Ce camp funeste est la gauche proprement dite. On sait ses programmes, ses passions, ses peurs, son chef. Dâautres vont plus loin encore ils poussent droit aux bouleversements comme les premiers, tout en les dĂ©testant autant et plus que les seconds. Parcequâun Ă©lĂ©ment dâordre a pĂ©ri, ils demandent au dĂ©sordre de se montrer logique, câest-Ă -dire dâĂȘtre complet et absolu ; ils somment la rĂ©volution de se perdre, comme la lĂ©gitimitĂ©, en sâĂ©puisant politique extraordinaire qui se croit le droit de jeter la patrie dans des voies impĂ©nĂ©trables et terribles pour avoir raison contre la fortune, et attendre des rĂ©parations de lâexcĂšs des maux ! Mais ces calculs ont Ă©tĂ© faits dĂ©jĂ ne sait-on pas ce quâils ont produit? Quâon se rappelle, Ă lâaurore de nos tourmentes, ce camp oĂč les journĂ©es de 1793 Ă©taient comptĂ©es comme autant dâĂ©chelons par lesquels lâancien rĂ©gime remonterait Ă la puissance ! Lâancien rĂ©gime resta dĂ©trĂŽnĂ©. Ă lâintĂ©rieur, ses partisans, vrais ou supposĂ©s, hommes, femmes, jeunes filles, furent guillotinĂ©s, fusillĂ©s, noyĂ©s, mitraillĂ©s les nobles comptant pour des royalistes, les propriĂ©taires pour des nobles, les INTRODUCTION. a3 fermiers pour des propriĂ©taires, et Ă la fin, les marchands, les victimes du maximum comptant pour tous. Au dehors, lâĂ©migration se vit dispersĂ©e par toute la terre; et, quand elle rentra enfin, ce fut pour voir le dernier des CondĂ©s tomber, de la mort des Bourbons au siĂšcle oĂč nous sommes, dans les fossĂ©s de Yincennes, et le chef de lâEglise effacer ce sang, aux yeux des peuples, sous les onctions qui consacrent les rois! Il fallut quinze ans pour que la monarchie impĂ©riale sâĂ©croulĂąt sous le long suicide de sa gloire. Un cri de vive le roi ! put alors sâĂ©chapper de dessous les dĂ©combres, et les princes de Coblentz parurent avec lâhabit de gardes nationaux, en criant que rien nâĂ©tait changĂ©, quâil nây avait que des Français de plus! Louis XVIII fit son entrĂ©e dans Paris, ayant les marĂ©chaux de lâempire, les gĂ©nĂ©raux de la rĂ©publique pour tout cortĂšge. Il venait promulguer une Charte dont le premier article stipula lâĂ©galitĂ© devant la loi. Charles X, Ă son tour, est restĂ© longtemps assujetti Ă ce grand contrat; et quand, aprĂšs seize annĂ©es passĂ©es Ă prendre position , la restauration sâest dĂ©cidĂ©e Ă tenter enfin les aventures, Ă faire une entreprise , comme la plus malheureuse des femmes et la plus auguste lâa dit si bien I, voilĂ que la foudre tombe du ciel, et tout disparaĂźt dans lâabĂźme ! f Câest une entreprise, dit madame la Dauphine, en apprenant les ordonnances de juillet 1830. Cela ne nous a jamais rĂ©ussi, » 2l\ INTRODUCTION. Maintenant, beaucoup de ceux qui demandaient Ă lâautoritĂ© dâessayer Ă tous risques de se fixer sans partage au faite de lâEtat, font cause commune avec le parti qui travaille Ă l'asseoir aux derniers rangs des masses sans lumiĂšres. Etrange tĂ©mĂ©ritĂ© ! dĂ©plorable mĂ©pris de lâordre matĂ©riel qui nâest pas tout, mais qui est quelque chose! Oubli funeste des conditions auxquelles lâordre vĂ©ritable s'Ă©tablit chez les nations ! Nous nous abusons fort, ou dĂ©montrer hautement la vanitĂ© des tentatives de notre dĂ©mocratie, lui dĂ©montrer, sâil se peut, Ă elle-mĂȘme, son impuissance Ă constituer des libertĂ©s solides sur la base des intĂ©rĂȘts et des prĂ©jugĂ©s rĂ©volutionnaires, câest faire un acte meilleur que dâoffrir Ă cette dĂ©mocratie, ivre dĂ©jĂ dâassez dâencens et de passions, la consĂ©cration antique de ses utopies, et en quelque sorte le sacre de sa rĂ©publique , dans les anathĂšmes du prĂȘtre Samuel contre les rois, et dans les commandements du Dieu qui lâinspirait 1. AssurĂ©ment, un semblable emploi du gĂ©nie du christianisme est aussi pĂ©rilleux quâinattendu, et il nâest pas nouveau. Le livre de Sidney sâappuie aux mĂȘmes fondements. Sâil faut tout dire, nous ne saurions entendre que le grand Ă©crivain auquel nous faisons allusion promette aux Français la royautĂ© abaissant sous Henri V ce que la monarchie avait encore de trop 1 Brochure de M. de Chateaubriand 1834. INTRODUCTION. 25 haut sous la restauration , et se convertissant en une espĂšce de prĂ©sidence royale , pour mener , dans trente ou quarante ans, la France et lâEurope Ă un avenir rĂ©publicain ! A. ces conditions, que devient la perpĂ©tuitĂ© des trĂŽnes, dogme qui repose sur la stabilitĂ© de lâavenir autant et plus peut-ĂȘtre que sur la durĂ©e du passĂ©? Comment douter quâavec une prĂ©rogative rĂ©elle et des institutions conservatrices, la pire des usurpations ne fĂ»t meilleure Ă la France et Ă lâEurope que cette quasi-royautĂ© provisoire, ce quasi-trĂŽne rĂ©publicain, juste-milieu entre quelque chose et le nĂ©ant? Câest une cote mal taillĂ©e entre dâinconciliables extrĂȘmes ; câest le jugement de Salomon pris au sĂ©rieux. De cet enfant que se disputent lâexil et la royautĂ©, une moitiĂ© Ă Y ami de Washington , Ă la jeune France , aux hommes gĂ©nĂ©reux, aux dĂ©mocrates, un mot, car ce sont lĂ les noms quâon leur dĂ©fĂšre ; lâautre moitiĂ© aux royalistes ! Tout cela ne fait pas un roi. Et câest un roi quâil faut instruire la France Ă vouloir et Ă comprendre. Il faut lui crier que, dĂ©mocratique, continentale, libre et prĂ©tendant le rester, elle a besoin de royautĂ©, dâune royautĂ© rĂ©elle, câest-Ă -dire forte et respectĂ©e, pour lui ĂȘtre ce que fut Ă lâAngleterre, durant des siĂšcles, son aristocratie au dedans, ce que lui est au dehors son ocĂ©an. VoilĂ comment les passions contraires vont Ă©garant de concert lâesprit public, et frappant Ă 2Ă INTRODUCTION. plaisir de vertige cette France qui nâa que trop souffert depuis quarante ans , qui a plus souffert quâelle nâa failli. Car ce nâest pas elle qui siĂ©gait il y a quarante ans dans le ComitĂ© de salut public ; ce nâest pas elle non plus qui a prĂ©sentĂ© Ă la signature de son roi, en juillet 1830, les ordonnances fatales. Et elle a payĂ© pour toutes les factions auxquelles il a plu de jouer lâempire Ă quitte ou double, et qui toutes ont perdu Ă ce coupable jeu. Pour nous, au milieu de toutes les tĂ©mĂ©ritĂ©s et de toutes les dĂ©raisons, nous poursuivrons jusquâau bout la route que nous nous sommes tracĂ©e nous dirons la vĂ©ritĂ© quand mĂȘme, en prĂ©sence de tous les pouvoirs. Sous tous les rĂ©gimes, nous tirerons, Ă nos risques et pĂ©rils , lâhoroscope des mauvais actes et des mauvaises doctrines ; convaincus que nous sommes quâil est deux choses que nul nâa le droit de sacrifier, dans les troubles politiques, pas plus Ă la haine quâĂ la peur ce sont la justice et la vĂ©ritĂ©. Lâholocauste est trop grand pour de tels dieux. Les devoirs du citoyen , dans les grandes conjonctures telles que cellesci, sont, Ă nos yeux, semblables Ă ce que les relations dâun naufrage, cĂ©lĂšbre il y a quelques annĂ©es, disaient dâun jeune officier, marchant, sur une frĂȘle embarcation, au secours dâun navire incendiĂ©, que ballottait la mer en furie. La main sur la barre, lâoreille fermĂ©e JKTRODDCXIOiN . 2? aux cris de ses compagnons, inĂ©branlable sous lâassaut des vagues, oubliant tout hormis le devoir, il passa la nuit entiĂšre, le regard attachĂ© Ă une Ă©toile qui seule dirigeait sa course. Nous tous, pilotes volontaires qui nous offrons Ă conduire la nef de notre cher pays au milieu des orages, ne devons-nous pas ainsi regarder, non Ă nos pieds, non autour de nous, mais plus haut? 11 est aussi des Ă©toiles qui nous dirigent; il est des principes Ă©ternels qui sont nos flambeaux. Les prĂ©dilections les plus chĂšre, les intĂ©rĂȘts les plus saints, les questions les plus augustes doivent disparaĂźtre devant ces guides immuables. Les dĂ©laisser pour se jeter dans la tourmente par un coup de dĂ©sespoir, et attendre de lâaveugle furie des flots le retour au port ; apostasier en faveur de lâanarchie ; pactiser avec ses doctrines, soit ouvertes, soit cachĂ©es ; encenser ses grands hommes ; caresser leurs colĂšres , exalter leurs espĂ©rances , prĂȘter des armes Ă leurs passions, risquer de compromettre la France pour complaire Ă leur furie , saluer au passage leurs thĂ©ories contraires, baisser le fer devant leur rĂ©publique caduque ; tremper enfin dans la corruption et l'anarchie croissantes des esprits, avec lâespoir dâappliquer un jour la lance dâAchille on ne sait quel jour ! aux blessures profondes quâon aura faites ainsi au corps social tout entier, nous disons quâil nâest point de cause si sainte quâelle lĂ©gitimĂąt de tels actes, ou si impĂ©rieuse 28 INTRODUCTION. t^ĂSnvw quâelle puisse les commander. Il faudrait douter du Dieu qui ordonnerait dâapprĂȘter des malheurs Ă la patrie. La main doit se sĂ©cher plutĂŽt que de consentir Ă carasser l'anarchie, mĂȘme pour la trahir. Ah ! ne semons pas les tempĂȘtes ! Laissons ce soin au ciel et au temps. La responsabilitĂ© serait trop pesante pour de simples hommes ! On comprend Guillaume Tell maudissant la barque hors laquelle il sâest jetĂ©, et du pied la chassant vers la tempĂȘte. Mais, lui dehors, elle nâavait plus rien de commun avec la patrie et sa fortune; elle ne portait Ă la tempĂȘte que lâĂ©tranger. Nous pouvons montrer notre pensĂ©e sans rĂ©serve. TĂ©moin dâune rĂ©volution que nos vĆux nâappelaient pas , mais que notre pays a reconnue sans coup fĂ©rir, nous nous sentons incapables de renier ce qui a Ă©tĂ©; nous nous Ă©pouvanterions de nous-mĂȘmes, si nous pensions Ă Ă©branler ce qui est, car câest encore un refuge; Ă contester une planche de salut Ă la France, car câest la derniĂšre. On ne nous verra pas traverser les efforts tentĂ©s pour donner des digues au torrent. Nous ne nous attacherons pas Ă des personnes, Ă un parti, Ă une cause. Nous nous attacherons Ă ces grands intĂ©rĂȘts qui ne tombent et nâabdiquent jamais lâordre et la libertĂ© ; la patrie , son indĂ©pendance et sa gloire. Quoi quâil advienne , une Ăšre nouvelle sâest ouverte; de nouvelles combinaisons seront essayĂ©es INTRODUCTION. 2y par les sociĂ©tĂ©s pour trouver le repos et la grandeur sur ces bases dĂ©sormais indestructibles, mais mouvantes et pĂ©rilleuses, la libertĂ© civile, lâexamen universel, lâuniverselle controverse, la publicitĂ©. Dans lâattente dâun avenir inconnu qui peut renfermer en ses flancs tant de chances extraordinaires, et donner une face inattendue Ă toute notre vieille Europe , la sagesse nous trace une loi impĂ©rieuse, qui pourra ĂȘtre mĂ©connue, mais Ă laquelle il faudra, sous peine de pĂ©rir, revenir tĂŽt ou tard câest dâabjurer les anciennes divisions, de ne plus connaĂźtre dĂ©sormais que deux partis, lâun pour l'adopter et le dĂ©fendre, lâantre pour le combattre ; lâun comprenant quiconque, par ses intĂ©rĂȘts, ses opinions, son intelligence de la liante nature de lâordre , est nĂ©cessairement dĂ©vouĂ© Ă sa cause ; lâautre qui, par des utopies de boue et de sang, est le dĂ©sordre mĂȘme. Dans le premier, nous ne demanderons pas Ă tel ou tel quelles sont ses affections dans le second, Ă celui-ci sâil diffĂšre de celui-lĂ par des arriĂšres- pensĂ©es. Nous ne voyons que les thĂ©ories quâon propage, que les maux prĂ©sents quâon fait. 11 est des doctrines conservatrices , fĂ©condes, les seules vraiment favorables aux progrĂšs de lâhumanitĂ©; nous les embrassons. Il en est dâanti-sociales, nous les rĂ©pudions ; et nous flĂ©trissons leurs dĂ©fenseurs volontaires, nous combattons leurs opiniĂątres champions, nous essayerons dâĂ©clairer leurs pro- 3o INTRODUCTION . sĂ©lytes Ă©garĂ©s. Ensuite, plus habile que nous, le temps rĂ©soudra le grand problĂšme d'un assemblage de trente-deux millions dâhommes qui ont renversĂ© tous les principes sur lesquels le monde a roulĂ© six mille ans , et qui entendent rester paisibles et prospĂšres, grands et libres. Mais ce que le temps ne fera pas, câest quâil y ait un pacte possible entre la dĂ©magogie, lâathĂ©isme, tous ces montres, et la civilisation, le repos, la libertĂ©. La Providence mĂȘme a marquĂ© la barriĂšre; sachons la reconnaĂźtre et la respecter. Câest Ă faire sentir la nĂ©cessitĂ© de constituer, dĂšs Ă prĂ©sent, dans lâĂ©tat social de la France, sans se souvenir des dĂ©chirements passĂ©s, sans attendre des malheurs nouveaux, le grand parti, la grande armĂ©e de lâordre, que ce livre est consacrĂ©. Il sâadresse donc aux hommes de bien de tous les partis; Ă ceux qui sont rĂ©solus Ă tenir tĂȘte Ă lâanarchie, quelles que soient ses promesses, quelles que soient ses menaces ; Ă ceux qui, en courant au-devant dâelle, craindraient de lui livrer lâempire , et de rĂ©pondre devant Dieu et devant les hommes, du sort inconnu de la France. On sâadresse Ă eux, rĂ©solu de dĂ©voiler aux regards de notre pays toutes ses plaies , de poursuivre jusque dans leurs causes les maladies profondes qui nous tourmentent. Les causes en dĂ©finitive peuvent se rĂ©duire Ă une seule, Ă une grande mĂ©prise, celle prĂ©cisĂ©ment qui a une premiĂšre fois scindĂ© en INTRODUCTION. deux la patrie et conduit ce grand corps sur le penchant de sa ruine. Les Français parlent depuis cinquante ans de libertĂ©, et câest le gouvernement par les masses quâils travaillent Ă fonder. LâĂ©galitĂ© est leur passion, et ils la confondent avec le nivellement. On peut l'affirmer sans crainte tant que ce double prĂ©jugĂ© rĂ©gnera parmi nous , nous ne trouverons lâordre que dans le despotisme , et ne trouverons nulle part la libertĂ© libertĂ©, ordre, dernier terme de la civilisation, les deux plus belles des conquĂȘtes de lâhomme, celles qui assurent tontes les autres et sans lesquelles toutes les autres sont incomplĂštes et fragiles! Mais Dieu attache des conditions Ă ces biens. Puisse notre pays savoir les comprendre enfin et les remplir ! >'! A oiĂź/ Un-'h I Ăź n,i; A o '' fi iĂźfi'Oi S'il *nOf> D'5-UfiKK? fl r Ăź LIVRE PREMIER. PRINCIPES GĂNĂRAUX. On qualifiera ce systĂšme dâaristocratie ! Mais la nature a-t-elle donnĂ© h tous les citoyens Ă©galement en partage la force, le courage, lâactivitĂ©, lâindustrie, la patience ? PossĂšdent-ils par portions Ă©gales la richesse, les connaissances, la rĂ©putation, lâesprit, la sagesse? Tout le genre humain rĂ©pondra Non. Eh bien ! la propriĂ©tĂ©, la naissance et le mĂ©rite doivent avoir leurs poids dans lâopinion et les dĂ©libĂ©rations publiques, et lâauront toujours. Un grand service Ă rendre Ă lâhumanitĂ© est de fixer au juste quel doit ĂȘtre ce poids. John Adams prĂ©sident des Etats-Unis, DĂ©fense des Constitutions amĂ©ricaines. LIVRE PREMIER PRINCIPES GĂNĂRAUX. CHAPITRE PREMIER. LA LIBERTE. Quel que soit le prix do cette noble libertĂ©, il faut la payer aux dieux. Montesquieu , Dialogue d'Eucrate. Il est des hommes qui aiment la libertĂ© de passion ; nous avons toujours Ă©tĂ© de ces hommes. Il est des hommes qui, sous tous les rĂ©gimes, la dĂ©fendront envers et contre tous; nous sommes encore de ces hommes. Mais il en est qui commettent une perpĂ©tuelle mĂ©prise, qui parlent de la libertĂ©, croient l'aimer, croient la vouloir, et câest avec la dĂ©magogie quâils la confondent. Comme firent, nos pĂšres depuis la journĂ©e du Jeu de Paume jusquâau 9 thermidor, ils disent fort sincĂšrement, toutes les fois que le pouvoir se fixe Ă un degrĂ© plus bas de lâĂ©chelle sociale, que la libertĂ© est en progrĂšs, 36 LIVRE PREMIER. quâelle sâĂ©tend et sâaffermit nous nâavons pas cette façon de voir. Ceux-lĂ pensent aussi que la libertĂ© est le rĂ©gime le plus aisĂ© Ă conquĂ©rir, quâil sâagit simplement de descendre dans la rue, de mettre en dĂ©route la force publique et de crier Vive la libertĂ© ! Ils sont tout prĂȘts Ă prendre la libertĂ© pour une Ă©meute. Nous, qui la rĂ©vĂ©rons, nous en avons une tout autre idĂ©e. Ils imaginent encore que rien nâest plus facile que de la conserver; quâil suffit, pour rester libres, de le vouloir; que, sâil y a lutte, tout consiste Ă ĂȘtre les plus forts; quâen ayant pour soi le nombre, on possĂšde la libertĂ© la plus solide de la terre. Ce sont, Ă notre sens, autant dâhĂ©rĂ©sies grossiĂšres et fatales. Suivant eux, renverser de fond en comble les institutions de la patrie ; tenir Ă fleur de terre tous les pouvoirs ; saper principalement les puissances morales ; avoir en dĂ©dain les souvenirs et les croyances, niveler tous les rangs, encourager dans le citoyen la dĂ©sobĂ©issance au magistrat, dans le soldat le mĂ©pris du capitaine, dans lâavocat ou lâaccusĂ© lâinsulte au juge, dans le pauvre la haine du riche, dans le fils la dĂ©rision des opinions et des volontĂ©s du pĂšre, dans les masses la jalousie contre les supĂ©rioritĂ©s et la colĂšre contre les illustrations; extirper enfin du cĆur des peuples tout sentiment de respect, Ă©nerver dans leur sein toute notion PRINCIPES GĂNĂRAUX. 3 7 de devoir, proscrire de leurs pensĂ©es, comme de leurs lois, le nom du LĂ©gislateur souverain de la race humaine, tout cela sâappelle travailler pour la libertĂ©. Or, nous avons des doutes Ă ce sujet, et une autoritĂ© imposante nous appuie la Convention pensait comme nous. Elle ne se contenta point de donner par dĂ©cret Ă lâhomme une Ăąme immortelle, et Ă lâunivers un Ătre suprĂȘme elle comprit dans la dĂ©dicace de ses fĂȘtes les AncĂȘtres, la Vieillesse, la Gloire, aussi bien que la Raison et la Vertu. Il nây avait quâun malheur, câest quâelle nâavait plus le droit de consacrer de semblables hommages Ă Dieu, aux ancĂȘtres, au passĂ© de la patrie. CâĂ©tait le parricide Ă©levant un autel, de ses mains sanglantes, Ă la mĂ©moire de son pĂšre. Dans lâhistoire, il fait beau voir les Romains, quand ils veulent changer les lois quâils ont hĂ©ritĂ©es des siĂšcles prĂ©cĂ©dents, et qui ont assurĂ© leur libertĂ© comme leur grandeur, appareiller patiemment une flotte pour envoyer dâillustres citoyens en cours de dĂ©couverte dans la GrĂšce, avec la mission de consulter les dieux, de presser les oracles, de recueillir, comme les oracles de la sagesse antique, les institutions de Solon ou de Lycurgue, et les leçons dâun plus grand maĂźtre encore, celles du temps. De nos jours, on ne regarde pas de si prĂšs Ă reprendre aux fondements la Constitution de tout un peuple. On commence par dĂ©crĂ©ter lâabo- 38 LIVRE PREMIER. lition des Ă©tablissements qui importunent, sauf Ă voir ensuite ce qui devra ĂȘtre assis sur les dĂ©blais. L âinstinct de la foule 1 est le seul gĂ©nie que lâon reconnaisse pour guide, le seul oracle que lâon consulte ; et il sâagit de constituer la libertĂ© dâun empire populeux et vaste deux cents fois comme la rĂ©publique de Sparte ou dâAthĂšnes ! On ne peut penser que des lois, ainsi faites, soient destinĂ©es Ă durer autant que celles qui fleurirent Ă lâombre du Capitole et mĂȘme du ParthĂ©non. Nous avons toujours cru que les gouvernements libres Ă©taient les plus compliquĂ©s de tous, les plus difficiles Ă instituer, ceux qui doivent rĂ©unir le plus dâĂ©lĂ©ments dâordre pour sâĂ©tablir, le plus de ressorts pour se mouvoir, le plus de garanties morales pour sâaffermir. Ces conditions, ces ressorts, ces garanties, on les exposera rapidement, tels que lâauteur de ce livre les conçoit, tels quâil les a conçus toujours. Le grand et saint nom de libertĂ© comprend deux choses , qui sont entiĂšrement diffĂ©rentes , et que lâon confond sans cesse des droits individuels et des pouvoirs publics. Les pouvoirs sont des garanties instituĂ©es pour la dĂ©fense et le maintien des droits. Les droits appartiennent au citoyen ; ils constituent les libertĂ©s privĂ©es. Les pouvoirs spĂ©ciaux prĂ©posĂ©s Ă leur garde, et quâon ! Discours de M. PĂ©rier sur la pairie PRINCIPES GĂNĂRAUX. 3 9 nomme en consĂ©quence des garanties, appartiennent Ă la nation; ils constituent la libertĂ© publique. Ainsi, la libertĂ© individuelle; la libertĂ© de conscience; la libertĂ© dâenseignement, en ce qui touche le droit sacrĂ© du pĂšre de famille Ă la direction spirituelle, morale, intellectuelle de son enfant; la libertĂ© de la pensĂ©e, en tant que facultĂ© reconnue Ă chacun de publier sa plainte, son opinion, son vĆu par la voie de la presse; enfin, toutes les libertĂ©s civiles sont des droits. Les fonctions Ă©lectorales, au contraire, sont un pouvoir puisquâelles constituent la participation Ă la puissance lĂ©gislative par lâunique moyen quâait un grand peuple de lâexercer, par la reprĂ©sentation. Un citoyen est libre quand il jouit des immunitĂ©s nĂ©cessaires Ă son indĂ©pendance et Ă sa sĂ©curitĂ©, en vertu des lois. Une nation est libre quand elle participe Ă la puissance souveraine par des corps et des procĂ©dĂ©s qui sont les gardiens de toutes les immunitĂ©s lĂ©gales. Dans la monarchie prussienne, les sujets ont des franchises Ă©tendues 1; mais elles sont garanties par les institutions moins que par les mĆurs, elles nâont pas pour sauvegarde lâintervention du pays dans la conduite des affaires publiques lĂ , les citoyens sont libres, dâune libertĂ© incomplĂšte et prĂ©caire ; la nation ne lâest pas. Dans la monarchie anglaise, lâaristocratie {{ Ceci est Ă©crit en 1834. LIVRE PREMIER. 40 fait contre-poids au pouvoir royal par les deux Chambres elle met ainsi Ă lâabri des empiĂštements de la couronne les droits de tous. LĂ , les deux libertĂ©s fleurissent. Or, nous prĂ©tendons que la perfection de lâordre politique consiste en ce que les libertĂ©s privĂ©es, solidement garanties, soient Ă titre Ă©gal le patrimoine de tous les citoyens. Cette situation est, Dieu merci, celle de la France; elle lâest, sans exception, Ă un degrĂ© de rĂ©alitĂ© et de gĂ©nĂ©ralitĂ© inconnu Ă lâAngleterre et aux Etats-Unis, mĂȘme sans parler de lâIrlande Ă propos de lâAngleterre, ni de lâesclavage Ă propos des Etats-Unis. La perfection de lâordre social consiste en ce que les pouvoirs constitutionnels dans lesquels rĂ©side la libertĂ© publique soient attribuĂ©s par les lois ou par les mĆurs Ă la partie Ă©clairĂ©e des nations. Ils doivent sâappuyer tous Ă la propriĂ©tĂ©, comme au roc qui brave les tempĂȘtes. Encore lâĂtat chancelle-t-il, battu par tous les courants de lâopinion, si, parmi les pouvoirs constitutionnels, il nâen est pas qui soient permanents, pour ĂȘtre plus sĂ»rement conservateurs ; ceux-lĂ , en ayant leurs racines dans la nation plus profondĂ©ment encore que la pairie, trop artificielle et trop Ă fleur de terre, de la restauration, doivent sâappuyer Ă lâillustration comme Ă une garantie de plus haute nature que la richesse, comme Ă la plus noble et Ă la plus inviolable des propriĂ©tĂ©s. Lâillustration, PRINCIPES GĂNĂRAUX. 4l en effet, a pour fondement et pour sanction, autant que la propriĂ©tĂ© mĂȘme, les plus saintes des lois divines et les plus profonds des sentiments populaires. Car le peuple, lorsquâil est livrĂ© Ă lui- mĂȘme, ne manque jamais de la rechercher, de lâhonorer, de la couronner. Par un juste et noble orgueil, câest devant elle quâil aime Ă incliner la tĂȘte 1. Plus la sociĂ©tĂ© sera dĂ©mocratique par ses mĆurs, par ses prĂ©jugĂ©s, par ses lois civiles, plus il faudra demander Ă son gouvernement de ne pas lâĂȘtre par les lois politiques, pour quâil ait la puissance de rĂ©sister Ă ce flux et reflux de trente-deux millions dâhommes Ă©gaux et libres. Le temps des vieilles aristocraties, des aristocraties immobilisĂ©es et exclusives, est passĂ©. Le gĂ©nie français nâen saurait admettre que dâaccessibles Ă tous. Mais dans notre pays, tous peuvent parvenir Ă lâillustration ; car les routes qui y mĂšnent sont ouvertes. Tous, par l'effet de nos lois, peuvent parvenir Ă la propriĂ©tĂ© ; car la propriĂ©tĂ© est Ă une enchĂšre permanente oĂč le mĂ©rite le plus simple est toujours assurĂ© du succĂšs. Dans un tel Ă©tat social, est-ce crime de demander que le pouvoir soit dĂ©fĂ©rĂ© Ă ceux qui ont usĂ© du droit universel et sont parvenus Ă la gloire ou Ă la propriĂ©tĂ©, Ă 1 La rĂ©volution do FĂ©vrier, par ses Ă©lections les plus Ă©clatantes, est venue rendre tĂ©moignage de la vĂ©ritĂ© de cette apprĂ©ciation. LIVRE PREMIER. 42 ceux qui ont pris place Ă la tĂȘte de lâĂ©chelle relative de la commune, du dĂ©partement, de lâĂtat tout entier! Non, ce nâest pas crime; car, lâĆil sur lâhistoire du monde, on est bien assurĂ© quâil nây a de civilisation, quâil nây a de grandeur, quâil nây a de libertĂ© quâĂ ce prix. La libertĂ©, en effet, sâest alliĂ©e Ă lâaristocratie rĂ©guliĂšre et sensĂ©e, dans tous les siĂšcles. La plupart des Ătats aristocratiques, depuis lâantiquitĂ© jusquâĂ nos jours, ont joint la gloire de la libertĂ© Ă toutes les gloires. Enfants, on nous allaite avec la libertĂ© de Rome ; citoyens, la libertĂ© anglaise faisait autrefois notre envie. Il est Ă remarquer, au contraire, que la libertĂ© ne sâest pas montrĂ©e encore aux cĂŽtĂ©s de la dĂ©mocratie dans lâancien monde. Il y a dĂ©mocratie - Ă Constantinople ; il y eut dĂ©mocratie sous le comitĂ© de salut public ; point libertĂ©. Aux Etats-Unis, la lĂšpre de lâesclavage couvre les deux tiers du sol amĂ©ricain ; et en outre, câest de lâesprit, des prĂ©cĂ©dents, des croyances, des lois civiles de la sociĂ©tĂ© anglaise, que vit cette vieille sociĂ©tĂ© transplantĂ©e quâon appelle faussement nouvelle, parce quâelle est toute entiĂšre appliquĂ©e Ă dĂ©fricher un sol nouveau. Cette dĂ©mocratie incomplette, contenue et tempĂ©rĂ©e par son travail de conquĂȘte sur tout un monde, par ses traditions et ses principes dâautoritĂ© paternelle , par ses religions dâEtat, par son systĂšme fĂ©dĂ©ratif, par son bon sens hĂ©rĂ©ditaire, PRINCIPES GĂNĂRAUX. 43 doit Ă ces contre-poids tout Ă fait exceptionnels , la glorieuse exception qui montre unies sous son empire la dĂ©mocratie et la libertĂ©. Partout ailleurs , ce sont choses essentiellement distinctes, pour ne pas dire contraires. Les institutions peuvent devenir plus dĂ©mocratiques sans devenir plus libres. On a beaucoup dit, et avec raison, que la monarchie fĂ©odale se rapprocha par degrĂ©s de lâĂ©galitĂ© sous Richelieu et sous Louis XIV; assurĂ©ment, elle ne se rapprochait pas de la libertĂ©. Quand la rĂ©volution danoise triomphe, elle dĂ©crĂšte le pouvoir absolu et en investit la royautĂ©. Quand la rĂ©volution française rĂšgne, elle se substitue le soldat du 13 vendĂ©miaire ; elle lui met au front une couronne, le remercie dâencliaĂźner des rois en mĂȘme temps que sa patrie, et elle sâenorgueillira de pĂšre en fils dâune sujĂ©tion que la France calmĂ©e et lâunivers vaincu ont fait baptiser du nom de gloire. Quel est le principe de cette pente fatale qui mĂšne inĂ©vitablement la dĂ©mocratie au despotisme ? Serait-ce que les esprits qui sont incomplĂštement Ă©clairĂ©s nâont ni le gĂ©nie, ni lâindĂ©pendance, ni les goĂ»ts dâordre indispensables pour constituer un gouvernement libre ? serait-ce que la libertĂ© nâest pas leur premiĂšre passion, mais bien le nivellement ; que le despotisme leur donne satisfaction comme la dĂ©magogie, mais Ă moins de frais et LIVRE PREMIER. kk avec moins dâefforts ; que si le despotisme institue lâĂ©galitĂ© de la servitude, il fait cependant peser de prĂ©fĂ©rence son joug de fer sur les plus hautes tĂȘtes, et procure aux nations la plupart des biens de lâordre, en Ă©vitant Ă la multitude cette domination des classes Ă©clairĂ©es qui est lâĂ©pouvantail Ă©ternel des masses, tout en Ă©tant lâune des conditions les plus constantes de la libertĂ© ? Chose certaine , lâaristocratie a souvent maintenu, dans la rĂ©publique lâordre, et dans la monarchie la libertĂ©. La partie dĂ©mocratique des nations a toujours livrĂ© la monarchie au despotisme , la rĂ©publique Ă lâanarchie, chacun de ces gouvernements Ă son excĂšs, Ă sa corruption, Ă son flĂ©au. CHAPITRE II LE POUVOIR. La libertĂ© nâest pas le premier besoin des peuples ; elle nâest que le second. Le pouvoir est le premier de tous. Câest le pouvoir qui veille aux cĂŽtĂ©s du citoyen, sur sa vie, sur ses biens, sur son honneur, qui garde la borne des hĂ©ritages et le seuil du domicile, qui rĂšgle et assure les transactions, qui protĂšge le travail, qui prend sous sa garde les capitaux, qui Ă©tablit la paix, crĂ©e la sĂ©curitĂ©, donne et conserve, par la stabilitĂ© des lois et des frontiĂšres, ces loisirs intelligents et fĂ©conds dâoĂč naissent les pompes des arts, les dĂ©couvertes des sciences, les crĂ©ations des lettres, les spĂ©culations de la philosophie, les conquĂȘtes pacifiques et les institutions bienfaisantes de la Religion, toute cette noble part enfin des destinĂ©es et des grandeurs humaines; câestlui qui assure ainsi Ă lâexistence sociale tous ses dĂ©veloppements et toutes ses douceurs. Câest par le pouvoir que la sociĂ©tĂ© subsiste; câest en lui quâelle rĂ©side tout entiĂšre. Il lui sert Ă la fois de lien et de rempart il dĂ©fend au dedans ses mĆurs, ses intĂ©rĂȘts, ses LIVRE PREMIER. 46 lois ; au dehors, ses droits et sa puissance. En un mot, lâindĂ©pendance et lâordre, tels sont les bienfaits du pouvoir. Quâil disparĂ»t un jour, la sociĂ©tĂ© serait dissoute. Câest la civilisation , par ses progrĂšs, la civilisation, crĂ©ation du pouvoir et son honneur, qui mĂšne lâhomme Ă la libertĂ©. Elle dĂ©veloppe en lui une seconde nature ; elle suscite en lui des besoins nouveaux, ceux de lâordre moral. La sĂ©curitĂ© matĂ©rielle ne lui suffit plus il nâavait que des intĂ©rĂȘts dâabord ; il sent en soi quelque chose de plus prĂ©cieux, de plus haut, de plus sacrĂ©; ce sont des droits. Il veut la sĂ©curitĂ© politique. Alors, sa vie extĂ©rieure le prĂ©occupe moins que cetle vie intime qui bouillonne en lui. Il sâindigne des barriĂšres, et veut sâĂ©lancer sans entraves vers les thĂ©ories qui lâattirent, vers les dĂ©couvertes qui lâagrandissent, vers le Dieu intime quâil conçoit et quâil rĂ©vĂšre. Le champ quâil fĂ©conde de ses sueurs , la maison quâil a hĂ©ritĂ©e de ses pĂšres, le tombeau quâil a Ă©levĂ© Ă leurs cendres, le trĂ©sor qu'il entend lĂ©guer Ă ses fils, ne sont plus les propriĂ©tĂ©s uniques dont il soit jaloux. Il a enfin dâautres richesses qui le touchent davantage ses convictions et sa fiertĂ©, le nom et la gloire de ses ancĂȘtres, lâindĂ©pendance de ses fils et leur dignitĂ©. Il nâavait conçu dans le commencement quâun besoin , celui de se prĂ©munir contre ses semblables, et le pouvoir avait Ă©tĂ© armĂ© par lui pour Ă©chap- PRINCIPES GĂNĂRAUX. [fj per aux tentatives et aux assauts de forces ennemies , en y opposant lâaction tutĂ©laire de la force publique; maintenant, câest contre le pouvoir mĂȘme, tel quâil Ă©tait instituĂ© jusquâalors, que la sociĂ©tĂ© se prĂ©munit. Elle craint lâusage quâil peut faire des forces dont elle lâavait armĂ© pour sa dĂ©fense ; elle veut des sĂ»retĂ©s contre lui, comme il lui en donnait contre elle-mĂȘme. En un mot, comme la sociĂ©tĂ© enfanta le pouvoir pour sa sauvegarde, la civilisation, pour la sienne , enfante la libertĂ©. Mais cette libertĂ© intelligente et sensĂ©e, nâentendra pas mettre Ă nĂ©ant ce pouvoir sans lequel elle nâeut jamais pris naissance, sans lequel elle ne vivrait pas un jour. Elle veut le partager, le diviser, lui crĂ©er des contre-poids, sans lui retrancher des forces, instituer des ressorts nouveaux plus que briser les anciens ressorts. Elle 11e dĂ©truit pas le pouvoir; elle lâĂ©lĂšve, elle le consacre, elle le complette. Tels sont les gouvernements libres, rĂ©publiques, ou monarchies constitutionnelles, peu importe! Tous consistent surtout en ce que la responsabilitĂ© est instituĂ©e auprĂšs de lâautoritĂ©, les moyens de contrĂŽle auprĂšs des moyens dâaction, la pondĂ©ration auprĂšs de lâinitiative et de lâunitĂ© rĂ©elles du pouvoir soigneusement maintenues. Câest pour cela que, prĂšs le trĂŽne du prince ou la chaise curule du consul, sâĂ©lĂšvent ces trĂŽnes populaires qui, sous le nom de tribunes, lui serviront, selon les LIVJIE PREMIER. 48 temps, de barriĂšres ou de remparts. On conçoit que si tout gouvernement est une machine difficile, celui-lĂ est plus difficile et plus compliquĂ© quâaucun autre sa nature est de compter autant de contre-poids que dâinstruments. Cependant, le pouvoir doit y rester fort, autant et plus quâailleurs ; car il a exactement Ă remplir la mĂȘme mission conservatrice et tutĂ©laire que dans les autres gouvernements , avec plus dâentraves et plus de rouages, plus d'obstacles et plus de pĂ©rils. Les pĂ©rils naissent du soulĂšvement opiniĂątre des passions; les obstacles, du contrĂŽle malveillant et des rĂ©sistances actives de la foule ; les entraves , de la division et de la lutte intĂ©rieure des diverses branches de la puissance souveraine. Dans ces conflits, la tribune domine-t-elle ? lâĂtat tombe dans lâanarchie. Quâelle plie et sâabaisse, il retourne au despotisme. Dans tous les cas, lâĂ©quilibre entre le pouvoir et la libertĂ© est renversĂ© ; la Constitution de lâĂtat pĂ©rit. Et ce nâest pas tout la constitution mĂȘme de la sociĂ©tĂ© court aussi des hasards. Toutes les dĂ©clamations philosophiques, qui commencĂšrent dans le dernier siĂšcle par des sophismes et finirent par des crimes, ces dĂ©clamations , qui ressortent aujourdâhui de dessous les crimes avec les mĂȘmes sophismes et le mĂȘme cortĂšge, nâempĂȘcheront pas un fait Ă©ternel qui est toute la nature de lâhomme câest quâil y a dans PRINCIPES GĂNĂRAUX. 49 la sociĂ©tĂ© deux intĂ©rĂȘts, deux forces, deux passions aux prises. Vous les rencontreriez, quand vous rĂ©duiriez la sociĂ©tĂ© Ă deux hommes. Dâune part est lâesprit de conservation, le premier-nĂ© de la propriĂ©tĂ©, le gardien jaloux de lâordre social, le gĂ©nie familier des classes Ă©levĂ©es, le dieu des sociĂ©tĂ©s antiques. Il est tellement inhĂ©rent aux rĂ©gions supĂ©rieures, que, si on lui laissait pleine carriĂšre, il irait jusquâĂ immobiliser la puissance aux mains dâordres privilĂ©giĂ©s, pour concentrer et immobiliser plus sĂ»rement la propriĂ©tĂ© elle- mĂȘme. Dâautre part est le besoin de changement, lâesprit novateur, la recherche des amĂ©liorations indĂ©finies, lâardeur dâacquĂ©rir par toute voie et Ă tout prix, instinct fĂ©cond Ă la fois et redoutable, qui est surtout propre aux couches secondaires de la sociĂ©tĂ©, qui les porte sans cesse Ă envahir lâĂtat tout entier. Câest pour mener les masses violemment Ă la propriĂ©tĂ© quâil les pousse Ă la puissance. Eh bien ! que le pouvoir populaire, que les tribunes qui le reprĂ©sentent et le rĂ©sument, appartiennent sans partage Ă ce gĂ©nie entreprenant le voilĂ qui sape, mine, ronge toutes les institutions et tous les droits ! Il ne sâarrĂȘtera que lorsque la sociĂ©tĂ© bouleversĂ©e sera, aussi bien que lâEtat, reprise aux fondements. Certes, ce nâest pas pour dĂ©truire que la libertĂ© 4 LIVRE PREMIER. 5 O fut inventĂ©e ; câest pour conserver tout ensemble et amĂ©liorer les sociĂ©tĂ©s, pour agrandir, pour dĂ©fendre, pour glorifier les Etats. Ellenâa mission que dâastreindre le pouvoir Ă parfaire sa tĂąche bienfaisante, et Ă sây renfermer. Elle est mise au monde pour le rĂ©gler, point pour le renverser. Toute tribune doit donc, non pas le battre en brĂšche, mais rassurer, en le dĂ©fendant de lui-mĂȘme, de ses Ă©garements , de ses excĂšs. A qui livrer dĂšs-lors cette citadelle redoutable, ce capitole politique, sinon Ă une Ă©lite des citoyens, Ă ceux qui sont intĂ©ressĂ©s Ă maintenir la Constitution rĂ©gnante, et qui sauraient au besoin la fortifier? Aussi divise-t-on dâordinaire cette puissance vraiment tribunitienne en deux chambres, prĂ©cisĂ©ment pour pouvoir Ă©tendre ses bases sans danger. Quâon lâattribuĂąt Ă des classes qui risquent toujours dâĂȘtre ennemies du pouvoir Ă un double titre, et parce que câest surtout pour les tenir en bride quâil a Ă©tĂ© inventĂ© , et parce quâelles sont Ă©galement inhabiles ou Ă comprendre toute sa mission ou Ă la remplir elles-mĂȘmes, il est manifeste que la libertĂ© ainsi pratiquĂ©e, loin dâamĂ©liorer le sort des hommes, ne fera que le corrompre et lâaggraver. Au lieu de leur assurer des trĂ©sors nouveaux, elle renversera les barriĂšres qui gardaient leurs richesses Ă©ternelles. Lâordre, le bien- ĂȘtre , la prospĂ©ritĂ© publique disparaĂźtront, entraĂźnant h la longue la civilisation dans leur chute ; PRINCIPES GĂNĂRAUX. car les nations perdent tout dans lâanarchie; et, avant tout, elles y perdent la libertĂ©. A moins de refaire la nature humaine, il faut se soumettre Ă une observation cpie voici câest cjuetout pĂ©riclite aux mains de classes qui ne parviennent jamais Ă lâempire que parla violence; depuis que le monde existe, les jacqueries nâont jamais su rĂ©gner, et il est trop Ă©vident que câest la violence seule, lâeffet seul de coups de main heureux qui peut çà et lĂ leur livrer lâEtat pour un jour. Nous disons pour un jour. Car, pour bien manier le pouvoir, comme pour bien concevoir et bien dĂ©fendre la libertĂ©, il faut un apprentissage qui saisisse lâhomme au berceau. A la situation sociale se rattachent deux choses sans lesquelles on ne fait pas de gouvernemenis libres les lumiĂšres et lâindĂ©pendance. Otez ces deux biens , vous ferez des esclaves ou des tyrans ; mais des citoyens et des magistrats, jamais. Câest donc Ă trouver le difficile et nĂ©cessaire Ă©quilibre entre le progrĂšs et la conservation, Ă Ă©tablir dans les pouvoirs divers de lâEtat et dans les forces actives de la sociĂ©tĂ©, que tous les fondateurs de gouvernements pondĂ©rĂ©s doivent appliquer leur gĂ©nie. Aujourdâhui tout le monde met la main hardiment Ă des rĂ©volutions, câest-Ă -dire Ă des renversements dâinstitutions et de rĂ©gimes ; et personne ne pense Ă mĂ©diter sur ces vastes questions 32 LIVRE PREMIER. qui renferment toutes les destinĂ©es du genre humain ' Pourtant chacun a sur ses tablettes des constitutions toutes faites, des en cas de libertĂ© pour tous les peuples de lâunivers! LâantiquitĂ©, plus circonspecte, reconnaissait dans les grands hommes qui avaient rĂ©solu lâimmense problĂšme des sociĂ©tĂ©s humaines, lâinspiration des dieux. Voyez aussi, chez les anciens, combien de prĂ©cautions et dâombrages! La libertĂ© reposait sur quatre fondements la force du patriciat, lâinfluence du sacerdoce, la division des classes , lâodieux, mais commode nĂ©ant du grand nombre esclave. Encore, avec tous ces secours, les lĂ©gislateurs ne se croyaient-ils pas assez forts contre les orages du Forum et de lâAgora. Ils avaient senti le besoin de constituer, au sein delĂ sociĂ©tĂ©, un principe conservateur placĂ© au-dessus de toute contestation , partout prĂ©sent, opposant une digue Ă chaque flot, tenant en bride toute cette fougue des jeunes gĂ©nĂ©rations avides de nouveautĂ©s et dĂ©daigneuses de lâexpĂ©rience et de la sagesse ; enfin un contre-poids de la mĂȘme nature que la lĂ©gitimitĂ© dans les monarchies modernes. CâĂ©tait la puissance paternelle. Dans la GrĂšce, le pĂšre disposait du sol ; Ă Rome, il avait droit de vie et de mort. On pensait que ce nâĂ©tait pas trop dâune royautĂ© absolue par famille pour rĂ©sister aux Ă©branlements inĂ©vitables des Ă©tats libres. On PRINCIPES GĂNĂRAUX- 53 avait outrĂ© un principe saint, pour avoir une utile barriĂšre. LâAngleterre repose exactement sur les mĂȘmes maximes. Il y a une monarchie absolue par foyer, pour porter le poids de la libertĂ© politique du peuple anglais. Le chef de famille est pour tous les siens, pour sa femme, pour ses enfants, un maĂźtre souverain; les fils dĂ©pendent Ă©ternellement du pĂšre, et les frĂšres du frĂšre aĂźnĂ©. Nous ne disons pas que ce soit un bien , nous disons que câest un fait. Nous disons que le caractĂšre de cette sociĂ©tĂ© si libre, et prĂ©cisĂ©ment pour quâelle puisse ĂȘtre libre, câest que le principe dâautoritĂ© y est partout. Ces barriĂšres nâexistent point parmi nous, non plus quâaucune autre. Il rĂ©sulte de lâĂ©galitĂ© des partages un bien immense lâĂ©galitĂ© des frĂšres. Il en rĂ©sulte, ainsi que de tout lâensemble de nos lois civiles, un immense pĂ©ril le relĂąchement et presque la suppression du premier chaĂźnon de lâautoritĂ© parmi les hommes, la puissance du pĂšre de famille. Par cette cause, et par beaucoup dâautres, cette puissance salutaire nâexiste pas parmi nous, non plus quâune autre qui sây rattache et qui est une des colonnes de lâAngleterre, lâesprit de famille. Le sentiment de la subordination, celui mĂȘme de la coliĂ©tion et de la stabilitĂ©, ne se rencontrent nulle part, ni dans la famille, ni dans la sociĂ©tĂ©, ni dans lâEtat. Aussi avons-nous vu na- LIVRE PREMIER. 54 guĂšres cent jeunes gens, dont aucun nâĂ©fait majeur selon la loi civile elle-mĂȘme, gourmander en termes altiers nos Chambres lĂ©gislatives 1 sur ce que les pouvoirs leur marchandaient , disaient-ils, la libertĂ©! En Angleterre, cette folie, en mille ans, ne leur serait pas passĂ©e par lâesprit. A Rome, le tribunal domestique leur eĂ»t appris, dâune façon terrible, Ă ne pas usurper ce nom de libertĂ© , dans un Ăąge oĂč il ne leur Ă©tait permis que de mourir pour les lois, et oĂč, loin de pouvoir les outrager en tribuns, iis nâauraient mĂȘme pas Ă©tĂ© admis Ă les invoquer en suppliants. Le gouvernement que la sociĂ©tĂ© française institue pour veiller Ă sa dĂ©fense, est donc dĂ©pourvu du secours que lui prĂȘtait chez les anciens, que lui prĂȘte chez les Anglais, pour contenir la libertĂ© publique, un gouvernement antĂ©rieur Ă tout autre, celui du toit domestique. En France, les Ă©tudiants trouvent tout simple de nous bĂątir desgouver* nements, dâimposer des rĂ©volutions Ă leurs pĂšres ! En mĂȘme temps, le gouvernement est dĂ©pourvu parmi nous de lâappui que lui donnent partout ailleurs les hiĂ©rarchies sociales, toutes Ă©galement intĂ©ressĂ©es Ă payer dâun retour entier dâobĂ©issance lâassistance que chacune dâelles attend du pouvoir suprĂȘme pour tenir les rangs infĂ©rieurs subordonnĂ©s. 1 PĂ©tition des Ă©coles de MĂ©decine et de Droit aux deux chanx- lires, 1 831. PRINCIPES GĂNĂRAUX. LĂ , non plus, nous ne disons pas que ce soit un bien, mais que câest un fait. Parmi nous, la sociĂ©tĂ© plus bienveillante que nulle part ailleurs pour les situations infĂ©rieures, les voit dĂ©jĂ , les verra toujours de plus en plus sâagiter et se soulever contre elle, sans quâil existe une force morale ou positive pour les dominer. Par lĂ mĂȘme, lâĂ©tat de la sociĂ©tĂ© française est le moins disposĂ© qui se soit vu dans le monde Ă lâorganisation et Ă la durĂ©e dâun gouvernement libre. Si donc la libertĂ©, dans notre gouvernement, ne se subordonnait pas elle-mĂȘme aux principes qui ont toujours rĂ©gi les nations, si elle ne se mettait pas, par un effort permanent de sa propre sagesse, hors des atteintes de ces trois conjurĂ©s infatigables lâesprit brouillon, lâesprit rĂ©volutionnaire, lâesprit anti-social, cette libertĂ©, tant cherchĂ©e, disparaĂźtrait inĂ©vitablement quelque jour, perdue par ses fautes, et dĂ©laissĂ©e par les Français. Quâelle se montre Ă la longue incompatible, par lâeffet du vice des lois , avec tout gouvernement durable et fort le jour viendra oĂč elle pĂ©rira; car les peuples renoncent Ă tout, hormis au pouvoir, leur protecteur nĂ©cessaire. On les verra bien le mĂ©connaĂźtre et lâoutrager dans les jours de repos et de bien-ĂȘtre ; on les verra le dĂ©truire mĂȘme dans une heure de dĂ©lire, mais pour revenir bientĂŽt sur leurs pas, honteux et 56 LIVRE PREMIER. repentants jusques Ă la servitude. La raison en est simple avant de vouloir ĂȘtre libres, les nations veulent ĂȘtre. Les principes que nous posons sont donc ceci Le pouvoir est la vie et la force des nations. Toutes les institutions doivent ĂȘtre tournĂ©es Ă cette fin raffermir, en le rĂ©glant. En consĂ©quence, Faction doit toujours ĂȘtre dĂ©volue au pouvoir, sans partage et sans entrave. VoilĂ le gouvernement. Les droits, soit privĂ©s, soit publics, ont pour appui et pour dĂ©fenses des garanties constitutionnelles, qui se rĂ©sument toutes dans le contrĂŽle constant et rĂ©gulier des actes du pouvoir ; dâoĂč il rĂ©sulte que partout oĂč il y a action, il doit y avoir contrĂŽle contrĂŽle, par exemple, au milieu de nous, des corps municipaux auprĂšs des maires ; des conseils, auprĂšs des prĂ©fets ; des chambres, auprĂšs du gouvernement mĂȘme. VoilĂ la libertĂ©. Lâexercice du droit de contrĂŽle, Ă ces divers degrĂ©s, doit ĂȘtre soumis Ă des pouvoirs Ă©lectifs, et lâĂ©lection, quelles que soient ses formes, directe ou indirecte, plus restreinte dans le premier cas, plus Ă©tendue dans le second , doit ĂȘtre conçue de maniĂšre Ă fixer gĂ©nĂ©ralement la puissance publique dans la rĂ©gion des garanties et des lumiĂšres relatives, soit par lâeffet des mĆurs, soit Ă leur dĂ©faut, par lâeffet des lois. VoilĂ lâordre. PRINCIPES GĂNĂRAUX. D 7 Car Dieu a voulu que les sociĂ©tĂ©s et les nations marchassent comme les simples hommes que ce fĂ»t la tĂȘte qui menĂąt tout. Alors seulement, câest la puissance intelligente, ce sont les forces morales qui dominent, et de toutes les combinaisons politiques, celle qui a besoin dâĂȘtre la plus intelligente et la plus morale, câest la libertĂ©. Car elle est lâordre Ă sa plus haute puissance. En effet, quâest-ce que lâordre ? CHAPITRE III. lâordre. Lâordre est la conformitĂ© des choses de ce monde avec les lois qui les rĂ©gissent. Dans son expression la plus Ă©levĂ©e, il est la conformitĂ© des choses humaines avec la loi divine, de laquelle tout Ă©mane. Câest lâordre moral. Dans son acception commune, il est la conformitĂ© des faits sociaux avec les lois positives, soit quâil sâagisse de ces lois secondaires qui changent avec les lieux ou les temps , soit quâil sâagisse aussi de celles qui ont leur principe et leur sanction plus haut que nous et qui forment le code Ă©ternel tracĂ© par la main divine dans la conscience humaine. Câest lâordre positif, lâordre matĂ©riel, ou comme on dit, lâordre public. Câest pour assurer lâordre dans leur sein que les peuples ont instituĂ© le pouvoir. Nous disons que la libertĂ© est lâordre Ă sa plus haute puissance, parce quâelle est la jouissance de tous les droits que le pouvoir, dans sa perfection absolue, doit garantir et dĂ©fendre Ă lâĂ©gal de tous les autres intĂ©rĂȘts sociaux. Dans notre premier Ă©crit, avant PRINCIPES GĂNĂRAUX. vingt ans, nous la dĂ©finissions lâordre parles lois. Cette dĂ©finition nous parait bonne encore nous la maintenons. LâĂ©tat social, en effet, ne se compose pas seulement dâintĂ©rĂȘts matĂ©riels il se compose aussi, il se compose surtout d'intĂ©rĂȘts moraux. Câest pour les mieux assurer que les hommes les ont placĂ©s, les uns et les autres, sous une commune Ă©gide, celle des gouvernements constituĂ©s. Les intĂ©rĂȘts matĂ©riels se rĂ©sument tous dans la propriĂ©tĂ©. La propriĂ©tĂ© est, selon Rousseau mĂȘme, le fondement de la sociĂ©tĂ© civile. LâĂ©branler sous les pas de lâhomme, câest commettre le plus grand crime qui puisse ĂȘtre conçu par la pensĂ©e envers l'homme et envers son auteur ; câest nous dĂ©pouiller de ce besoin de conservation, de cet intĂ©rĂȘt au progrĂšs, de cet Ă©lĂ©ment de perpĂ©tuitĂ©, de ce prix du labeur et de lâĂ©conomie, de ce moyen de loisir et de mĂ©ditation, source de tous les travaux, de toutes les dĂ©couvertes de la pensĂ©e, et, par suite, principe de tous les dĂ©veloppements de lâĂąme et de la conscience. Câest renverser tout ce qui fait la puissance de lâhumanitĂ©, tout ce qui atteste la bienveillance de Dieu envers la crĂ©ature faite Ă son image. Est-il besoin de dire que les intĂ©rĂȘts moraux ne sont pas moins chers, ni moins sacrĂ©s ? Tels sont, par exemple, le respect gĂ©nĂ©ral du juste et du bon en toutes choses ; le respect de la sĂ»retĂ© % 6o LIVRE PREMIER. de la libertĂ© personnelles, celui des droits de la pensĂ©e, celui des droits de la conscience ; le respect des croyances intimes, et par consĂ©quent du culte qui les rĂ©vĂšle ; le respect des sentiments, des jouissances et des droits de la famille ; le respect de lâautoritĂ© paternelle ; le respect des supĂ©rioritĂ©s naturelles fondĂ©es sur les mĂȘmes titres, sur lâexpĂ©rience acquise et les services rendus ; le respect des souvenirs, des illustrations, ces lĂ©gitimitĂ©s premiĂšres , qui sont les plus vieilles de ce monde, et tiennent Ă ce quâil y a de plus Ă©levĂ© dans notre nature, câest-Ă -dire au soin du passĂ© et Ă la soif de lâavenir ! Ces intĂ©rĂȘts sacrĂ©s se rattachent dâanneau en anneau au trĂŽne de la grandeur divine. Plus nous considĂ©rerons de prĂšs les sociĂ©tĂ©s humaines, plus nous reconnaĂźtrons quâen elles tout vient aboutir Ă ces deux termes Dieu et la propriĂ©tĂ©, le ciel et la terre. Pesez un Ă un ces intĂ©rĂȘts augustes, puis avisez- vous de les retrancher au genre humain ! Vous croirez que la main qui le crĂ©a se retire de lui il ne sera plus que lâenfant maudit, dĂ©shĂ©ritĂ© par son pĂšre. DâoĂč il suit que ces Ă©lĂ©ments essentiels de la famille et de la sociĂ©tĂ© sont des principes supĂ©rieurs Ă toutes nos institutions; quâils dominent toutes nos lois, quâils constituent un droit suprĂȘme, et en quelque sorte une charte Ă©ternelle et inaliĂ©nable des nations. AprĂšs toutes les folies dont une Ă©cole fatale a, depuis cent ans, empoisonnĂ© PRINCIPES GĂNĂRAUX. 61 lâesprit des peuples, il est temps de rĂ©tablir les bases du contrat social vĂ©ritable; on le tentera ailleurs on fera voir que ce contrat saint fut Ă©crit de la main qui traça les tables du Thabor ; quâil stipule pour nous contre nous-mĂȘmes, câest-Ă -dire pour nos droits nĂ©cessaires, nos sentiments intimes, nos grandes destinĂ©es, contre nos passions brutales ; quâil forme le patrimoine immuable des sociĂ©tĂ©s; que le peuple, ou plutĂŽt les factions qui parlent pour lui, nâont pas plus que les rois le droit de le dĂ©serter et de lâabolir; que toute autoritĂ© qui lâenfreint, prince, Ă©meute, sĂ©nat ou convention, viole la loi divine, et vient tĂŽt ou tard sây briser ; quâil est enfin la condition universelle de lâordre vĂ©ritable, et par consĂ©quent la vraie mission du pouvoir, la vraie fin des gouvernements et de la libertĂ© parmi les hommes. Câest pour veiller au maintien de ces droits de tous les temps, quâil y a une puissance publique cbez les nations ; câest pour rendre inviolables ces fondements de lâĂ©tat social, que lâĂ©tat politique est instituĂ© ; enfin, câest en dehors de ce contrat immortel, mais en sây appuyant, que sâĂ©tablit, au sein de chaque sociĂ©tĂ©, un contrat particulier qui comprend les conditions spĂ©ciales sous lesquelles elle sâest formĂ©e ses lois civiles, ses mĆurs nationales, ses croyances religieuses, son gouvernement, ses libertĂ©s, tout ce qui fait son caractĂšre, son gĂ©nie, sa fortune. Ce contrat a passĂ© dans le sang 6a LIVRE PREMIER. mĂȘme de la sociĂ©tĂ©, sous la sanction des siĂšcles. Il nâa quâun rĂ©formateur lĂ©gitime, câest le lĂ©gislateur qui le fonda ; câest le temps. Car le temps seul assure aux modifications quâil opĂšre lâassentiment successif des gĂ©nĂ©rations intĂ©ressĂ©es. Il ne fait passer dans les lois que les changements accomplis dans les mĆurs , et il nâaccomplit pas dans les mĆurs et les esprits une rĂ©volution quâil ne manifeste et ne rĂ©alise bientĂŽt dans le gouvernement tout entier. Il fait ainsi, dâune longue suite de transactions successives entre tous les intĂ©rĂȘts et entre tous les Ăąges, le pacte permanent des peuples. LĂ est le droit. Lâordre politique roule sur un principe fondamental câest que la force matĂ©rielle, par le fait mĂȘme de lâĂ©tablissement de la sociĂ©tĂ© , a Ă©tĂ© solennellement abdiquĂ©e. LâEtat, qui est la sociĂ©tĂ© constituĂ©e, ne se conserve que par cette abdication irrĂ©vocable, par le besoin de plier uniquement devant une autoritĂ© lĂ©gitime, devant des transactions rĂ©guliĂšres, devant un droit public, image plus ou moins imparfaite du droit absolu que la sociĂ©tĂ© conçoit et rĂ©vĂšre. Toute conjuration qui tente de substituer ses fantaisies particuliĂšres Ă la loi commune, quels que soient du reste ses attributs et ses mobiles, ne fait autre chose que lever lâĂ©tendard de la rĂ©bellion contre la condition essentielle de lâordre politique, contre la garantie PRINCIPES GĂNĂRAUX. 63 premiĂšre de lâordre social, qui est le rĂšgne du droit et lâabjuration de la force. Ce qui est vrai pour le corps entier du peuple, le sera, Ă plus forte raison, pour les partis. La minoritĂ© peut rĂ©clamer le maintien du droit public, comme la majoritĂ© mĂȘme. Il lie Ă©galement le fort et le faible ; il appartient Ă©galement Ă tous. Peu importent les formes, plus ou moins spĂ©cieuses, plus ou moins mensongĂšres, au nom desquelles il serait violĂ©. Câest violer la conscience humaine. Que ce soit le fait du prince, ou du peuple, il y a toujours tyrannie. Lâintervention et la volontĂ© actives du grand nombre ne seraient pas une excuse. Car le nombre serait la force encore elle nâest point le droit. Elle nâest point la souverainetĂ©. Il nây a point de souverainetĂ© contre ce droit suprĂȘme que nous avons dit. Il est la souverainetĂ© mĂȘme. Ce qui revient Ă dire quâil nây a dâautoritĂ© lĂ©gitime, ni dans les majoritĂ©s, ni dans le glaive, mais dans le droit, dans la justice dâoĂč il suit que les dĂ©bats, qui divisent trop souvent les grandes familles politiques, nâont quâune conclusion Ă©quitable, les transactions. Maintenant, croiriez-vous assurer le contrat social et ses rĂšgles souveraines, le droit, la justice, les transactions, en concentrant le pouvoir lĂ©gal aux mains des classes qui ne savent que la livre premier. 64 force, et qui sont toujours prĂȘtes, dans les dĂ©bats soit privĂ©s, soit publics, Ă faire intervenir cet arbitre sauvage, pour vider leurs diffĂ©rends? Donnerez-vous exclusivement Ă garder le dĂ©pĂŽt des intĂ©rĂȘts moraux, celui des souvenirs, des renommĂ©es, des croyances, aux classes qui en sont encore Ă vivre sans passĂ© et sans lendemain, Ă celles qui nâont pas rĂ©ussi Ă se donner par elles-mĂȘmes, ni quelquefois Ă accepter des bienfaits de lâEtat, la prĂ©voyance et les lumiĂšres, Ă celles que des instincts Ă©troits dominent trop souvent, Ă celles qui vivent aujourdâhui, la plupart du temps, dans nos citĂ©s, Ă©trangĂšres Ă la foi et au culte de la patrie ? PrĂ©poserez-vous exclusivement au soin de conserver les richesses matĂ©rielles des nations et avant tout la propriĂ©tĂ©, les classes qui nâont pas Ă conserver, celles dans le sein desquelles sâagitent, sous Faction de tant de ferments ennemis, des passions envieuses et destructives ? Non, non ! lâordre ne peut pas fleurir Ă ces conditions. Le gouvernement des nations, quelles que soient les formes adoptĂ©es fut-ce celle du suffrage universel, doit appartenir dĂ©finitivement Ă la propriĂ©tĂ© et au savoir, Ă lâillustration, aux talents, aux services, derniĂšres noblesses incontestĂ©es de lâĂąge indĂ©pendant oĂč nous sommes. La rĂ©gion cjui comprend ces biens, peut seule exercer le pouvoir, parce quâelle en fera un usage utile PRINCIPES GĂNĂRAUX. 65 Ă tous ; elle comprendra et maintiendra les lois Ă©ternelles du monde social. Ailleurs, on nâa droit quâaux libertĂ©s privĂ©es et Ă lâĂ©galitĂ© civile. L ''ordre tout entier rĂ©side dans cette distinction. Car Montesquieu lâa dit Autant que le ciel est Ă©loignĂ© de la terre, autant le vĂ©ritable esprit dâĂ©galitĂ© lâest-il de lâesprit dâĂ©galitĂ© extrĂȘme ; » et il fait voir que le dernier nâa jamais menĂ© les peuples quâĂ la tyrannie dâun seul par la tyrannie de tous. LâĂ©galitĂ© vĂ©ritable est celle que nous possĂ©dons, et que lâunivers ignore. U y a Ă©galitĂ© parmi nous, entre tous les frĂšres, entre tous les hommes, entre tous les Français. Tous sont, au mĂȘme titre et Ă des conditions pareilles, les sujets de la loi, et ne le sont que de la loi seule. Il nây a point de forts ni de faibles ; nul nâest le dĂ©pendant obligĂ© dâun autre; nul nâa au-dessus de sa tĂȘte une hiĂ©rarchie qui arrĂȘte sa croissance et lâempĂȘche de grandir; tous peuvent atteindre Ă tout. Le pouvoir nâa pas la main si forte ni si habile quâil lui fut possible de frapper impunĂ©ment la tĂȘte du plus inconnu ou du plus indigent dâentre nous. Câest lĂ la plus noble et la plus belle des conquĂȘtes; câest lĂ une crĂ©ation immense, incomparable. Onpeutaccuser dâingratitude ceux qui, parlant toujours de conquĂȘtes nouvelles Ă poursuivre, oublient que la plus difficile et la plus grande de 5 G6 LIVItF toutes sâachĂšve, se consacre sous nos yeux. Il faudrait la bien reconnaĂźtre, se bien pĂ©nĂ©trer des devoirs quâelle nous impose , avant de passer outre. Serait-ce que, pourvues de lâĂ©galitĂ©, en jouissant Ă lâombre des lois, les masses sont dĂ©shĂ©ritĂ©es de la libertĂ© ? Non, sans doute. Les droits dont la libertĂ© se compose , nous disons les droits , ces droits augustes et sacrĂ©s, sont le patrimoine de tous. Telle est la libertĂ© de conscience; la libertĂ© des cultes; la libertĂ© individuelle ; la libertĂ© de la pensĂ©e; la facultĂ© donnĂ©e Ă chacun dâintervenir par la presse, par lespĂ©titions, par tous les moyens individuels, sans avoir rien Ă craindre des hommes, sans rencontrer nul empĂȘchement de la part des lois, dans les affaires de lâĂtat. Ces droits dans notre France appartiennent, ce qui ne sâest vu nulle part sous le soleil, aux trente-deux millions dâhommes qui vivent sous la mĂȘme loi. M. de Constant avait donc raison de proclamer, lâune des derniĂšres fois quâil ait tenu la tribune , que le mendiant mĂȘme a des droits, et non pas seulement, comme il le disait, des droits privĂ©s. 11 a les droits civils de tous les Français ; il a leurs droits politiques. Mais il nâa pas le pouvoir politique; il nâa pas celui de lâĂ©lection; il nâa pas celui de lâĂ©ligibilitĂ©, voilĂ le vrai! Ajoutons que la France est le seul pays de la terre oĂč la loi nâenchaĂźne par aucun lien le PRINCIPES GĂNĂRAUX. 67 vice Ă la fortune, et le talent Ă la pauvretĂ©; le seul oĂč la propriĂ©tĂ© ne soit substituĂ©e dans les mains de personne, oĂč personne ne trouve au- dessus de soi des obstacles qui arrĂȘtent son essor vers la richesse, vers le pouvoir, vers la grandeur. Sous de telles lois, il nây a pas de privilĂšge; car il nâest pas de situations si hautes quâelles ne soient accessibles Ă tous. PĂ©rissable au grĂ© des Ă©vĂ©nements dans les mains de chacun, la propriĂ©tĂ© nâest point la noblesse, ni rien qui y ressemble. Elle est le droit dans toute sa simplicitĂ©, puisque les avantages se proportionnent Ă trois choses que la propriĂ©tĂ© comprend, et que la raison proclame les charges, la capacitĂ©, les services. On a pu aisĂ©ment enlever aux classes Ă©clairĂ©es tous les privilĂšges. On peut, et avec injustice, leur contester tous les droits. Une prĂ©rogative leur restera ; celle dâĂȘtre les dĂ©positaires de tous les Ă©lĂ©ments de lâamĂ©lioration sociale et politique des nations. La pratique des arts, lâapplication des dĂ©couvertes des sciences, lâamour des lettres, la culture de toutes les branches de la civilisation forment le patrimoine de cette partie riche, polie, industrieuse des sociĂ©tĂ©s humaines vers laquelle gravite la sociĂ©tĂ© entiĂšre. Ce quâon s'est mis rĂ©cemment Ă proscrire sous le nom dâ oisivetĂ©, est ce travail intellectuel et moral qui consiste Ă rĂ©pandre toutes les vĂ©ritĂ©s utiles, Ă faire 68 LIVRE PREMIER. passer la philosophie dans les lois, Ă fonder des hĂŽpitaux et des Ă©coles, Ă mĂ©diter, Ă mĂ»rir, Ă former les grandes entreprises, Ă appeler les niasses courbĂ©es sous le joug de lâindigence, Ă lâinstruction qui les relĂšve, Ă lâordre qui les enrichit et les Ă©pure. Quel pouvoir dĂ©magogique nous versera ces biens ? Ah ! si nous voulonsvoir le termede nos misĂšres, gardons-nous dâĂ©tendre Ă la France moderne les sentiments quâexcitĂšrent les hiĂ©rarchies exclusives et dĂ©faillantes du dernier siĂšcle ! Reconnaissons que nul pays dans le monde ne voit dans les classes Ă©clairĂ©es autant de sacrifices et dâefforts pour provoquer des progrĂšs au sein des masses, sans autre but, sans autre salaire que les satisfactions de la conscience. Sâil vous plaĂźt de trier des noms, de faire des distinctions dans lâĂ©lite de notre patrie, de sĂ©parer lâancienne aristocratie de la classe moyenne, voyez sâil est une catĂ©gorie qui nâapporte pas son contingent Ă toutes nos gloires ; si les dĂ©bris de cette aristocratie dĂ©truite ne se recommandent pas par des services et des talents nouveaux ; si la littĂ©rature, la politique, la guerre ne sâhonorent pas chaque jour de noms dĂ©jĂ inscrits depuis des siĂšcles dans nos annales ! La classe Ă©clairĂ©e, ou, si lâon veut, lâaristocratie actuelle, mobile et ouverte Ă tous, est une dans ses Ă©lĂ©ments divers ; elle marche toute entiĂšre Ă la tĂȘte de PRINCIPES GĂNĂRAUX. Q notre civilisation ; toute entiĂšre, elle fait les grandeurs prĂ©sentes de notre patrie ; et, si on ne tient compte que des services rendus Ă la cause des institutions libres, quâon veuille bien rĂ©pondre Ă ceci Qui, durant les seize annĂ©es de la restauration, plaida pour le peuple et en son nom, la cause de la lĂ©galitĂ©, la cause des lois? La foule sait admirablement combattre pour la libertĂ© ; mais ce sont les classes Ă©clairĂ©es qui la conçoivent, la dĂ©veloppent, en font descendre les notions et les bienfaits au sein des masses ; et câest lĂ encore un de leurs titres au respect des gens de bien. La libertĂ© est, de tous les progrĂšs du gĂ©nie de lâhomme, le plus noble, le plus Ă©levĂ©; câest en mĂȘme temps le plus fragile. Elle nâest venue au monde, dans la GrĂšce , que deux mille ans aprĂšs le despotisme. Aujourdâhui encore, elle nâest acclimatĂ©e que dans quelques rares rĂ©gions favorisĂ©esdu quelles mains remettra-t-on cesaintdĂ©pĂŽt, sinon Ă celles qui en possĂšdent dĂ©jĂ un autre, plus grand et antĂ©rieur, celui de la science et des lumiĂšres , celui de la civilisation mĂȘme ? Celles-lĂ seules sauront le gĂ©rer. Fille des hauts lieux, la libertĂ© dĂ©pĂ©rit et succombe partout ailleurs. Ensuite, quand vous aurez assis vos institutions sur leurs lĂ©gitimes fondements, vous en confierez les destinĂ©es Ă la monarchie, ou Ă la rĂ©publique ; peu importera. Deux consuls peuvent faire dâun peuple le maĂźtre du monde on le sait. 7 ° LIVRE PREMIER. Dix archontes, un doge , un landammam , peuvent abriter sous leur toge Tordre et les lois. On le voit depuis trois mille ans dans lâhistoire. La seule chose qui ne se soit pas vue sous le soleil, câest un peuple menĂ© par en bas et bien conduit ; menĂ© par en bas, et libre ! Ce serait une pyramide renversĂ©e sur le faĂźte. Il nâest pas de miracles qui pussent la tenir debout. La rĂ©publique nâest si mal famĂ©e parmi nous , que parce que le parti qui la professe nâa point dâautre maniĂšre de la comprendre, que dĂ©magogique dâoĂč il suit que ceux qui la redoutent la voient toujours coiffĂ©e du bonnet rouge , les bras nus, subversive enfin , et par consĂ©quent abominable, absurde, impossible. Ils ont raison, dĂšs lors. La dĂ©mocratie, sans des contre-poids puissants, arrive de toute nĂ©cessitĂ© Ă lâanarchie populaire. Elle nâa quâun moyen dâĂ©chapper Ă sa destinĂ©e, quâun moyen de sauver lâordre , câest le despotisme ; et de lĂ vient quâelle finit toujours par aller, lasse et sanglante, se reposer Ă son ombre. Câest pourquoi la monarchie constitutionnelle est considĂ©rĂ©e comme prĂ©fĂ©rable Ă la rĂ©publique la mieux ordonnĂ©e elle donne un arbitre aux diverses classes ; elle oppose un contre-poids aux forces diverses. Le prince, qui tient en main la balance, Ă©quilibre , par son propre poids, les bassins. Dâun autre cĂŽtĂ©, il ne peut rien entre- PRINCIPES GĂNĂRAUX. 7 1 prendre contre la loi du pays ; ou bien si, dans un moment dĂ©colĂ©rĂ©, dâemportement, de crainte peut-ĂȘtre, il le tente jamais, toutes les forces se retirent de lui, et, dans cet impuissant effort, il tombe. Ceci ne nous ramĂšne que trop Ă notre France. CHAPITRE IV. LA. LĂGITIMITĂ. La lĂ©gitimitĂ© est lâordre dans la monarchie r lâordre entendu de la question fondamentale des Ă©tats monarchiques, qui est la transmission de la couronne. Il peut ĂȘtre violĂ©, interverti, renversĂ©. Cela sâest vu. Il ne sâest pas vu que ce fut sans les plus extrĂȘmes calamitĂ©s. Sous ce rapport, la monarchie reprĂ©sentative nâa point de maximes, point de conditions, point de destinĂ©es Ă part. Toute la diffĂ©rence avec les autres monarchies est quâelle place la lĂ©gitimitĂ© sous la garantie de deux grands principes constitutionnels qui sont les corollaires nĂ©cessaires lâun de lâautre la responsabilitĂ© ministĂ©rielle et lâinviolabilitĂ© royale. LĂ , les rois ne pouvant mal faire, ne peuvent pas tomber. Il y a autant de cas de responsabilitĂ© que la nation le veut. 11 nây a point, il ne peut jamais y avoir de cas de rĂ©volution j ou, si on en fait Ă plaisir, si on en invente, que ce soit le prince ou la nation , on peut dire avec certitude malheureux roi ! malheureuse nation! HĂ©las ! oui, nous en avons fait lâĂ©preuve. On a inventĂ© des cas de rĂ©volution pour la France ! Les PRINCIPES GĂNĂRAUX. 73 bouleversements ont recommencĂ© pour elle ! On a vu ce que coĂ»te aux princes le renversement des lois! La loi de'lâinviolabilitĂ© royale peut alors cesser de les dĂ©fendre. Par eux Ă©lait remis en question lâordre constitutionnel ! Lâordre monarchique pĂ©rit en eux. On voit aussi ce que coĂ»te aux nations le renversement du principe de la monarchie, mĂȘme quand on le justifie par le droit de la guerre, par lâintĂ©rĂȘt de la dĂ©fense, par lâĂ©lan de la victoire. LâĂtat Ă©branlĂ© ne se rassied pas au prix des plus longs efforts. Les imaginations Ă©mues, les passions dĂ©chaĂźnĂ©es ne savent plus se plier au joug des pouvoirs constituĂ©s et de la libertĂ© lĂ©gale. Cette libertĂ© patiente, sage, rĂ©guliĂšre , gĂȘne et irrite, comme un obstacle, ceux qui, ayant vaincu par le glaive, nâimaginent plus dâarbitre meilleur que le glaive pour la conduite des choses humaines. A lâinsurrection pour les lois succĂšde sans cesse et partout lâinsurrection contre les lois. De toutes parts, on veut des conquĂȘtes nouvelles, un avenir nouveau et cette inquiĂ©tude dĂ©vorante ne connaĂźt plus de barriĂšre devant laquelle sâarrĂȘtent les ambitions et les haines , les thĂ©ories et les destructions. Yoyez sâil ne semble pas que tous les droits aient pĂ©ri dans un seul. Il nâest pas dâinstitution qui ne soit attaquĂ©e, pas dâintĂ©rĂȘts qui ne se sentent compromis câest un dĂ©sordre dâidĂ©es universel; universelle est aussi lâanxiĂ©tĂ© des esprits. La citĂ©, avec cent mille hommes sous les armes dans LIVRE PREMIER. 74 ses rues, ne se croit pas en sĂ»retĂ©. Si parfois lâesprit public se relĂšve, câest pour retomber bientĂŽt, aprĂšs quelques trĂȘves dĂ©cevantes, sous le poids dâexcĂšs et de pĂ©rils plus grands. Il y a une impuissance indĂ©finissable et partout prĂ©sente de rendre au corps politique sa paix, sa sĂ©curitĂ© , sa foi en lui-mĂȘme. Que sâest-il donc passĂ©? Simplement ce fait. La force, la force populaire, fatalement provoquĂ©e, est intervenue dans la dĂ©cision des destinĂ©es publiques; une fois intervenue, elle a tranchĂ© des questions sur lesquelles il y avait un vieux droit national, solennel et consacrĂ©. Elle les a tranchĂ©es , nonobstant les clauses dâun autre droit national, nouveau et auguste, celui de la Charte, qui servait au premier de sanction et de dĂ©fense. Et lâapparition de la force, mĂȘme quand elle sâest produite pour la dĂ©fense et au nom des lois, est une atteinte si profonde Ă lâordre rĂ©gulier des sociĂ©tĂ©s humaines, que toutes les existences ont Ă©tĂ© mises par cela seul en pĂ©ril ; tous les principes, en question. La force est intervenue pour combattre un roi dont lâautoritĂ© avait fait appel Ă la force ; et non contente de le combattre, de le vaincre, elle lâa renversĂ©, et avec lui toute une lignĂ©e de rois. Les fils aĂźnĂ©s dâune race royale, qui brillait sur la scĂšne du monde avant que le monde moderne fĂ»t sorti des tĂ©nĂšbres de son enfance barbare, ont disparu en un jour du milieu de nous; ils ont dis- PRINCIPES GĂNĂRAUX. 75 paru, emportant des siĂšcles avec eux, mais emportant aussi le dogme politique qui est lâarc-boutant des trĂŽnes, et avec lui, on lâoublie trop, les deux autres dogmes de lâinviolabilitĂ© royale et de la responsabilitĂ© ministĂ©rielle, sur lesquels prĂ©tend sâasseoir la nouvelle monarchie constitutionelle quâon travaille Ă fonder, câest-Ă -dire tout ce qui devait servir Ă notre libertĂ© dĂ©mocratique de digue Ă la fois et de support. Il nâen a pas fallu davantage pour susciter dans la sociĂ©tĂ© toutes les audaces , dans lâĂ©tat toutes les subversions. La terre tremble parce quâa Ă©tĂ© arrachĂ© le principe mĂȘme qui a pour mission dâaffermir le sol sous les pas des nations. Serait-ce que cet Ă©lĂ©ment auguste et sĂ©culaire de lâordre politique est Ă nos yeux lâordre tout entier ? Sommes-nous de ceux qui jugent son inviolable maintien, une condition nĂ©cessaire de la vie des empires, la pierre angulaire des sociĂ©tĂ©s, celle sans laquelle tout pĂ©rit, tout tombe fatalement jusquâĂ ce que lâempire, battu des orages , vienne sây rasseoir, ou quâil se perde dans la guerre civile et la conquĂȘte ? RĂšgle si inviolable que si une atteinte y a Ă©tĂ© portĂ©e, le citoyen doit dĂ©sespĂ©rer sans retour de sa patrie , comme le Troyen quand EnĂ©e eut emportĂ© ses dieux , et que rien ne resta dâIlion, hormis des cendres et des ruines ! Nous expliquerons notre pensĂ©e, dans les termes mĂȘmes dont nous faisions usage, au sein LIVRE PREMIER. 76 de la monarchie triomphante, pour enlever Ă ses conseils lâaveugle confiance qui, en dĂ©finitive, a tout perdu. Le temps des superstitions politi- » ques est passĂ©, disions-nous; ne nous fions pas » sans bornes au simple appui dâun dogme, appui » trompeur qui manquerait sous le premier des » pas que nous ferions en dehors des lois. Les » peuples connaissent Ă©galement aujourdâhui et » leurs immunitĂ©s, et leurs annales. Le trĂŽne le » plus ancien de la chrĂ©tientĂ© ne lâest pas telle- » ment que nous ne l'ayons tous vu sâĂ©lever » dans lâhistoire, que nous nâayons en quelque » sorte entendu tous ce seigneur plus ancien que » la royautĂ© qui disait du chef des CapĂ©tiens » Qui lâa fait roi ? » De quelle source Ă©mane donc la lĂ©gitimitĂ© ? » Dâun contrat antique, Ă©crit dans le consente- » ment des gĂ©nĂ©rations qui se sont succĂ©dĂ©es; » contrat auguste et saint, prĂ©cisĂ©ment parce que » les affections, les intĂ©rĂȘts, les doctrines de toutes » les gĂ©nĂ©rations y trouvent leur consĂ©cration et » leur garant. Mais Ă qui espĂ©rerait-on cĂ©ler, au- » jourdâhui, que les nations, en remettant cet » immense dĂ©pĂŽt, tiennent en rĂ©serve , par une » clause tacite que rĂ©vĂšlent les rĂ©volutions des » empires, un droit terrible dont elles ne font usage que dans les temps qui sont toujours des t Vues politiques, ISIS. PRINCIPES GĂNĂRAUX. 77 » calamitĂ©s publiques , quand une secousse vio- » lente les a rĂ©veillĂ©es du sommeil des siĂšcles ? câest » ce droit de rĂ©sistance et de salut par soi-mĂȘme, » sur lequel la Constitution anglaise se fonde, et » dont Fox a dit quâil serait bon que les rois sâen » souvinssent toujours, que les peuples ne sâen » souviennent jamais. » Ces maximes ont reçu, depuis le temps oĂč elles furent tracĂ©es, une sanction mĂ©morable dans lâouvrage dont M. le vicomte de Chateaubriand, Ă lâheure mĂȘme de la rĂ©volution de juillet, enrichissait nos fastes historiques. Ses Discours sur lâhistoire de France lient, et mĂȘme subordonnent, dans notre patrie, le principe monarchique au droit national. Lâillustre Ă©crivain rappelle que tous nos rois ont Ă©tĂ© sacrĂ©s Ă Reims sous lâauspice de cette formule Peuple, est-ce bien lĂ celui que vous » Ă©lisez pour seigneur et roi ? » Tous? HĂ©las, non ! Il en est un qui, aprĂšs huit cents ans , raya du ri- tuaire de son inauguration ce tĂ©moignage des libertĂ©s antiques, et il nâa plus au front dâautre couronne que celle de lâadversitĂ©. La vĂ©ritĂ© est assurĂ©ment quâil nây a point de pouvoir indĂ©fini sur la terre. Supposez la lĂ©gitimitĂ© sans limite possible, elle sera supĂ©rieure Ă toutes les lois humaines. Religion, mĆurs, sociĂ©tĂ© civile , tout tombera Ă sa merci. La nation entiĂšre appartiendra corps et Ăąme Ă son chef ; tout devra plier sous sa volontĂ©, sous son caprice , jusquâĂ ce LIVRE PREMIER. ?8 quâil se prĂ©cipite avec toute sa monarchie dans les abĂźmes , comme ce Charles IV, dâEspagne, il y a vingt ans, livrant son peuple, son trĂŽne, et sa dynastie Ă lâĂ©tranger. A ces conditions, ce ne serait pas la royautĂ© ce serait la tyrannie perpĂ©tuelle. HĂ©las! supposez au contraire que lâincontestable droit du pays sur lui-mĂȘme sâintitule souverainetĂ© ; que cette souverainetĂ© prĂ©tendue se dĂ©clare sans bornes ; quâau lieu de reposer, silencieuse et inactive, dans lâarsenal dĂ©fensif des peuples, comme la ressource dern iĂšre et extrĂȘme des extrĂȘmes fatalitĂ©s, elle soit une arme offensive suspendue sans cesse Ă leur ceinture, ce ne sera bientĂŽt plus le corps entier de la nation qui en aura le dĂ©pĂŽt ; chaque faction pourra sâen saisir, chaque jour la voir briller sur la place publique; il nây aura ni sĂ©curitĂ©, ni ordre, ni libertĂ©. Le parti vainqueur se croira toujours le droit de changer les institutions et le gouvernement de la patrie. Par-dessus tout, une classe se dira, se croira le peuple. Ce sera la tyrannie encore, une autre sorte de despotisme, mais subalterne et grossier, oĂč tout sera violence et subversion , jusquâĂ ce quâenfin le peuple vĂ©ritable , fatiguĂ© de ce rĂšgne destructeur et mensonger, Ă©chappe par lâabdication au suicide. La tyrannie des masses aura donnĂ© soif Ă chacun de la tyrannie dâun seul. Heureusement, Dieu ne soumet point Ă des principes si absolus les choses de ce monde. Aussi, de PRINCIPES GĂNĂRAUX, 79 toutes les tentatives que fait la rĂ©volution de 1830, ce nâest pas celle dâintervertir lâordre de succession, si grave quâelle soit dĂ©jĂ par elle-mĂȘme, qui est en effet surhumaine. Lâhistoire de lâunivers offre Ă nos yeux nombre dâexemples de cette nature. LâEurope est sillonnĂ©e des courses errantes de dynasties renversĂ©es, et les nations ont vĂ©cu. En dĂ©pit de la chute absolue des Wasas, la SuĂšde prospĂšre. Il est advenu Ă lâAngleterre de faire, en principe, autant que les lĂ©gislateurs de juillet, et Dieu lui a dispensĂ©, depuis lors, cent cinquante ans de grandeur. Est-il donc vrai de penser que la France soit nĂ©cessairement une nation condamnĂ©e du Ciel ; que le droit se trouve banni Ă toujours de son sein ; que la force puisse seule dĂ©sormais y avoir lâempire ; que toutes les chances dâordre et de durĂ©e lui soient ravies sans retour; que ses misĂšres aient une cause unique et insurmontable; que nous tous, qui croyons quâil nây a de salut que par la monarchie dans la situation politique et sociale de la France, nous devions jeter, comme on dit, le manche aprĂšs la cognĂ©e, et attendre de pied ferme que le dĂ©sordre, deux cornes dâabondance Ă la main, verse dâabord tous les maux, dans lâespoir quâensuite il Ă©panchera les biens ? Non ! nous ne saurions admettre, quels que fussent du reste nos sentiments personnels, que cette triste fatalitĂ© pĂšse invinciblement sur notre patrie. 8o LIVRE PREMIER. Dans notre conviction, si la France sait et veut, le droit, condition de toute stabilitĂ©, peut ne pas rester exilĂ© du milieu dâelle. Nulle famille ne le possĂšde dâune façon si intime, Ă un titre si saint, quâelle puisse lâattacher Ă sa fortune, et en dĂ©shĂ©riter lâavenir tout entier dâun peuple. Mais nous avons dit si France sait et veut. Câest-Ă -dire si elle sait reconnaĂźtre et entend respecter, au-delĂ de la lĂ©gitimitĂ© des rois , dâautres principes, antĂ©rieurs Ă la lĂ©gitimitĂ© elle-mĂȘme, dâune origine plus haute encore, Ă qui la lĂ©gitimitĂ© empruntait sa force, et sans lesquels il ne sâest pas vu dâEtats se tenir debout et fleurir. Ainsi, nous citions lâexemple de lâAngleterre, exemple qui a exercĂ© une si dĂ©cisive influence sur les rĂ©solutions et les destinĂ©es de la France. Mais remarquons quâen se privant de la puissance politique de la lĂ©gitimitĂ©, lâAngleterre ne rĂ©pudia point sa constitution sociale. Remarquons quâelle tint son aristocratie et son Eglise debout la clĂ© de voĂ»te abattue , elle respecta les fondements. Elle crut avoir fait assez en un jour de crĂ©er une royautĂ© nouvelle, et elle se reposa ; elle ajourna de cent ans et plus lâĂ©mancipation, lâabolition de la traite des noirs, lâĂ©tablissement de la libertĂ© de la presse, toutes ces grandes entreprises auxquelles ses lĂ©gislateurs consacrent des trente annĂ©es de discussion, mais qui durent toujours. Supposez que le peuple an- PRINCIPES GĂNĂRAUX. glais eĂ»t prĂ©tendu renverser du mĂȘme coup que le trĂŽne des Stuarts, ses lois civiles et sa Chambre hĂ©rĂ©ditaire, accomplir la rĂ©forme, refaire le jury, changer lâadministration du royaume, du comtĂ©, de la commune, Ă©nerver tous les pouvoirs, courber tous les rangs sous le flĂ©au populaire, Ă©tendre enfin ses innovations radicales Ă lâEtat, Ă lâĂ©glise, Ă lâarmĂ©e, Ă la sociĂ©tĂ© mĂȘme ; supposez encore que le peuple anglais eĂ»t applaudi, entre mille autres folies coupables et subversives, la prĂ©dication de doctrines qui sont lâanarchie vivante, ou bien quâil eĂ»t tolĂ©rĂ© la dĂ©dicace de temples nouveaux , oĂč lâanarchie, restant logicienne et devenant mystique, fĂźt une religion de la loi agraire *; supposez enfin que ce fĂ»t sous le coup, en prĂ©sence, dans lâivresse dâinsurrections furibondes, tantĂŽt pour les prĂ©venir et tantĂŽt pour les contenter, que le Parlement eĂ»t promenĂ© la hache sur toutes les institutions existantes, que la royautĂ© nouvelle eĂ©it Ă©tĂ© contrainte de proclamer la rĂ©pudiation de tous les souyenirs, dç renier son propre passĂ©, dâabdiquer mĂȘme sa gĂ©nĂ©alogie et son histoire, câest-Ă - dire dâabjurer la part de droit qui subsistait en elle jusque dans la violation du droit, nous disons que la rĂ©volution de 1688, en procĂ©dant ainsi, aurait conduit le peuple anglais Ă des subversions sans terme, et quâelle se fut hĂątĂ©e de rĂ©trograder avec 1 Le Saint-Simonisme. 6 82 LIVRE PREMIER. effroi, ou bien quâeile nâaurait enfantĂ© que des tyrannies sauvages, et quâelle aurait pĂ©ri quelque jour noyĂ©e dans le sang et dans les pleurs. Cela vient de ce quâil est des intĂ©rĂȘts et des principes qui tiennent, plus intimement que la lĂ©gitimitĂ© mĂȘme, Ă la vie des Etats. Ce sont ceux sur lesquels la sociĂ©tĂ© se fonde, et quâon a exposĂ©s plus haut comme constituant la grande et Ă©ternelle charte delâhumanitĂ©. Us sont de droit divin, et par consĂ©quent de droit universel; la lĂ©gitimitĂ©, au contraire, comme la monarchie elle-mĂȘme, est simplement de droit public. Mais ce quâil faut ajouter, et ici nous dirons toute notre pensĂ©e, câest quâune grave erreur serait de mĂ©connaĂźtre son caractĂšre vĂ©ritable, qui est dâĂȘtre la sanction de ces intĂ©rĂȘts primordiaux que nous signalons, la sauvegarde de ces principes sacrĂ©s, si bien que , dans une monarchie, surtout qui a vĂ©cu des siĂšcles, elle fait corps avec eux par mille attaches, et participe ainsi Ă leur haute nature. Elle en est Ă la fois lâapplication , la garantie, la consĂ©cration. Si donc, nous ne sommes pas de ceux qui croient quâelle est tout, ne soyons pas non plus , Ă Dieu ne plaise! de ceux qui pensent quâelle nâest rien ou peu de chose, et qui, Ă©loignĂ©s de nourrir le goĂ»t du dĂ©sordre et les passions mauvaises, sont prĂȘts cependant Ă sâapplaudir de sa chute quâon nous passe lâexpression, comme dâun dĂ©barras. Quoi! ne voient-ils pas que le droit royal PRINCIPES GĂNĂRAUX. 83 interverti, tous les droits ont flottĂ© sur leurs bases ? Quoi ! nâont-ils pas entendu depuis vingt mois, la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme mise en question chaque jour par des doctrines qui sont une sĂ©dition morale, et par des sĂ©ditions positives, qui sont ces doctrines armĂ©es? Quoi ! nâont-ils pas vu la VendĂ©e Ă©mue jusquâĂ la guerre civile, et Lyon dĂ©lirant jusquâĂ la Jacquerie ? Quoi ! ne sentent-ils point lâordre tout entier chanceler sous leurs pas ? Et on voit quâils ne le sentent que trop dans leurs pages admirables dâesprit, de courage et de talent 1! Non, non ! en prĂ©sence des tristes et mystĂ©rieux spectacles qui nous ont entourĂ©s sans cesse, ne contestons plus les biens de la lĂ©gitimitĂ© ! Comment nier quâil y ait lĂ un principe tutĂ©laire, une sanction haute et puissante qui se lie Ă bien des besoins matĂ©riels et moraux, puisquâon ne peut lâabjurer, sans que le sol tout entier ne tremble ? La lĂ©gitimitĂ© est Ă lâĂ©difice des monarchies une clĂ© de voĂ»te donnĂ©e par lâhistoire. Elle place le pouvoir royal sous lâabri des siĂšcles, en le rendant respectable par ce double sceau de lâavenir et du passĂ© quâelle porte en elle-mĂȘme ; elle appuie toutes les institutions du pays Ă un Ă©lĂ©ment Ă©ternel dâordre et de stabilitĂ©. Il y a plus elle nâest pas sans doute le droit absolu, mais elle en est lâimage et le symbole. Elle tient par lĂ aux fonde- 1 De la Monarchie de 1830, par M. Thiers, LIVRE PREMIER. et dâune longue infĂ©rioritĂ© par un rapide nivellement ! On ne regarde jamais, dans les assemblĂ©es, que les chefs qui remplissent la tribune. Il faut voir le troupeau qui remplit les bancs. LĂ est lâinstinct qui meut, la volontĂ© qui pousse, la force qui prononce. Par le doublement du Tiers, la royautĂ© avait elle-mĂȘme renversĂ© la constitution antique , et appelĂ© la dĂ©mocratie Ă lâempire. Mais lâĂ©loquence, mais le gĂ©nie, mais la gloire en un mot, Ă quoi tout cela tint-il ? Incontestablement, Ă cette cause unique, que lâAssemblĂ©e Ă©tait la reprĂ©sentation, sinon prudemment ordonnĂ©e , du moins vraie et complĂšte, de la France ; quâelle rĂ©unissait dans son sein lâĂ©lite vĂ©ritable de la nation ; que toutes les supĂ©rioritĂ©s y furent conviĂ©es comme tous les intĂ©rĂȘts ; que le gĂ©nie national y parut dans tout ce que la monarchie avait de grand et de renommĂ©. Si ce ne fut point assez la tĂȘte de la France qui voulut pour la France , du moins ce fut elle qui reprĂ©senta pour le corps entier de la nation. Supprimez les deux premiers ordres dâalors ; croyez-vous nâenlever que la milice altiĂšre qui combattait derriĂšre Maury etCazalĂšs ? Point ; vous enlevez au parti des idĂ©es nouvelles, Mathieu de Montmorency, Talleyrand-PĂ©rigord, Clermont- Tonnerre, Lally-Tollendal, Liancourt, lâabbĂ© SyĂšyes, lâabbĂ© GrĂ©goire , Duport, les deux La- 121 LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. metli, le duc dâOrlĂ©ans, enfin les princes de la rĂ©volution, Lafayette et Mirabeau ! A part les personnages cĂ©lĂšbres, supprimez dans lâAssemblĂ©e le contre-poids de lâaristocratie ancienne. Laissez le Tiers, seul maĂźtre de la France, seul aux prises avec une rĂ©volution , ayant Ă la museler sans secours ou Ă la prĂ©cipiter sans obstacle. A quelles tentations, Ă quelles extrĂ©mitĂ©s, livrĂ© ainsi Ă lui-mĂȘme, nâeĂ»t-il pas Ă©tĂ© emportĂ© dâabord ? Ce quâil eĂ»t fait, les deux annĂ©es qui suivirent nous le rĂ©vĂšlent. LâAssemblĂ©e lĂ©gislative laisse Ă©chapper en mĂȘme temps la puissance et la renommĂ©e. Elle a fait le 10 aoĂ»t ; elle a renversĂ© le trĂŽne, et ces grands coups ne lui ont pas valu la gioire. Pourquoi les a-t-elle portĂ©s ? Pourquoi ont-ils Ă©tĂ© stĂ©riles pour elle, et brille-t-elle dâun si faible Ă©clat? Câest quâelle nâĂ©tait, de la France, quâune image incomplĂšte, quâun torse mutilĂ© ; tous les partis ne siĂ©geaient pas dans son sein , tous les intĂ©rĂȘts nây avaient point leurs reprĂ©sentants et leurs dĂ©fenseurs ; Ă©mondĂ© par les dissensions civiles, le tronc national nây montrait quâune partie de ses rameaux. Dâun autre cĂŽtĂ© , la puissance publique Ă©tait descendue dâun Ă©chelon et dĂšs-lors lâinfluence qui domina le pays , la passion qui maĂźtrisa les pouvoirs , la force qui les assista , dâoĂč serait-elle venue , sinon de ces zones infĂ©rieures, oĂč le penchant naturel est le nivellement , oĂč le gĂ©nie est la Ă22 LIVRE SECOND- destruction , oĂč la politique est la force , et partant la tyrannie. La tyrannie , disons-nous ; aussi lâhistoire des passions dĂ©mocratiques, dans tout lâunivers, se rĂ©duit-elle Ă ces deux phases lâexercer ou la subir. Une fois vaincue et dĂ©vastĂ©e la rĂ©gion sociale oĂč rĂ©side le dĂ©pĂŽt des lumiĂšres , de lâopinion , de la conscience des peuples , voyez ce qui resta de la puissance publique, la terreur ; de lâordre, le sang et les ruines ; de la libertĂ© , une grande profanation et une cruelle mĂ©prise. La Convention , jusquâau 31 mai, a une tribune encore. Elle compte dans ses rangs les Vergniaud , les Guadet,les GensonnĂ©, les Isnard, cette Gironde Ă©loquente quâelle a reçue delĂ LĂ©gislative et quâelle brĂ»le de passer aux Ă©chafauds. Comment fait-elle pour les rĂ©futer? Lâinsurrection prend sĂ©ance, escalade la tribune, gourme le talent, saisit au collet le courage, trouve plus simple de jeter bas ses adversaires que de les entendre , et plus facile , comme Lanjuinais le dit si bien , de les assommer que de leur rĂ©pondre. Mis au monde pour exercer les pleins pouvoirs de la multitude, le sĂ©nat populaire se distinguait encore de la multitude par tous ces hommes qui voulaient lâimpossible qui voulaient la rĂ©publique par les masses, et avaient dans lâesprit une autre libertĂ© que le niveau , dans le cĆur- une autre politique que la vengeance. Derniers reprĂ©sentants de lâindĂ©pendance des opinions, ils 123 LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. lie trempaient quâĂ regret dans le crime. Derniers dĂ©positaires de la parole , ils ne cĂ©daient pas sans protestation Ă la violence brutale. La Convention les rejette de son sein elle les livre Ă la furie populaire ; et, Ă dater de ce jour, il se fait silence dansson enceinte, comme dans le Forum quand les PlĂ©bĂ©iens eurent vaincu. On ne parle plus quâaux Cordeliers pour dĂ©noncer, et aux Jacobins pour proscrire. La Convention a cessĂ© dâĂȘtre une assemblĂ©e reprĂ©sentative qui discute câest une cour Ă©toilĂ©e qui frappe. La France, avec sa libertĂ© rĂ©volutionnaire , est arrivĂ©e en mĂȘme temps au silence et au deuil des tombeaux. La libertĂ© de la presse reste-t-elle du moins, comme un dernier asile, lâapanage de la pensĂ©e, du droit, Ă©crasĂ©s sous le poids de toute cette dictature sanglante qui sâappelle la libertĂ© ? Non, cette puissante franchise sâest Ă©vanouie avec celle de la tribune. Le malheureux Camille Desmoulins a cru que les membres de ce corps qui rĂ©gnait sur la France , que ceux au moins qui venaient de condamner le tyran Louis XVI, Ă©taient en droit de faire de lâopposition contre les tyrans subalternes et atroces du jour, contre un Lebon et un Carrier point ! le rĂ©gicide ne dispense pas de la servitude. Sa tĂȘte tombe, parce que sa main a Ă©crit. Les intĂ©rĂȘts , les talents, les partis aux prises ont perdu jusquâau dernier vestige de ces arĂšnes indĂ©pendantes que lâĂšre de 1789 avait promises Ă la F rance, LIVRE SECOND. 124 et qui constituent la libertĂ©. Il nây a plus de luttes dâopinion quâentre la voix de Marat demandant toujours des victimes, et le poignard de Charlotte Corday qui lui rĂ©pond. Câest alors que brillent, lâinjure Ă la bouche et la hache Ă la main, les Saint-Just, les BarrĂšre, les Robespierre enfin, tous ces montres dont on sâest mis depuis quelques annĂ©es Ă cĂ©lĂ©brer le gĂ©nie. Ah ! il y a plus homme de gĂ©nie quâeux tous câest le bourreau ! Le malheur de la dĂ©mocratie est ce perpĂ©tuel entraĂźnement Ă substituer la force Ă la loi, Ă trancher tous les diffĂ©rends par le glaive, Ă compter le nombre pour le droit et la justice? Et accepte-t-on, pour vider les dĂ©bats des opinions et des partis, un autre glaive que la parole, un autre champ de bataille que la tribune, un autre jugement de Dieu que les solutions pacifiques de discussions sans entraves, la libertĂ© nâest plus. Quand madame Roland marcha, poussĂ©e par la furie populaire, vers lâĂ©- cliafaud oĂč Marie-Antoinette avait portĂ© sa tĂȘte sacrĂ©e, elle dut se rappeler quâelle avait trouvĂ© tout simple, une annĂ©e auparavant, que cette mĂȘme furie populaire se levĂąt en armes, au nom de la libertĂ©, contre une constitution entourĂ©e des serments de la France, et quâelle chassĂąt Marie-Antoinette, avec toute sa race, dâun trĂŽne qui devrait ĂȘtre dĂ©fendu par lâautoritĂ© des lois nouvelles, en mĂȘme temps que par huit siĂšcles assis sur ses degrĂ©s. LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. . I 25 Certes , la terreur fut grande justiciĂšre, et grĂące Ă la haine des factions pour leurs chefs dissidents, il en sera toujours ainsi. Elle promena son glaive impitoyable sur toutes les tĂȘtes qui avaient invoquĂ© le rĂšgne de la force, qui avaient mis, Ă la place de la libertĂ©, la guerre et son ivresse. Les Chabot comme les Camille Desmoulins, les Barbaroux comme les Danton , vinrent expier leur faute sur lâautel sanglant, et les sacrificateurs ne furent pas Ă©pargnĂ©s par la vindicte du ciel. La terreur, en expirant se replia sur ses auteurs, sur Robespierre et ses complices; elle les dĂ©vora. Si Louis XVI, qui ouvrit, comme un roi, cette marche lugubre, avait aussi expiĂ© des fautes, ce nâĂ©taient pas les siennes du moins câĂ©taient celles de la royautĂ© absolue, celles de ses pĂšres. 4ussi le martyr auguste demanda-t-il en vain que son sang ne retombĂąt point sur la France. La priĂšre du fils de Saint-Louis ne fut pas exaucĂ©e tout son sang devait retomber sur la France. Nous savons quelles explications ont Ă©tĂ© donnĂ©es des attentats et des folies de cette Ăšre abominable. On a fait de lâĂ©chafaud un champ de bataille, de la terreur une guerre dĂ©fensive , et sans dĂ©corer ces affreuses vindictes du nom de justice, on les a consacrĂ©es sous celui de nĂ©cessitĂ©. Câest une excuse , trouvĂ©e aprĂšs coup par des hommes de talent engagĂ©s dans une lutte qui a faussĂ© leur grand LIVRE SECOND. I 2b sens 1. Comme ils se laissent prendre Ă cette perpĂ©tuelle confusion des mots de dĂ©mocratie et de libertĂ©, ils se sont cru obligĂ©s de justifier Ă tout prix la premiĂšre pour lâhonneur de la seconde. Leurs commentaires se fondent sur des anachronismes. Ce nâest pas pour parer Ă des pĂ©rils que la rĂ©volution assouvit sa fureur, et certes le moyen Ă©tait mal choisi ; car elle nâeĂ»t fait que les accroĂźtre. Câest pour obĂ©ir Ă ses instincts grossiers ; câest parce quâelle Ă©tait le gouvernement des masses, la dĂ©magogie en action, voilĂ tout. Car si elle tua le prince que lâAssemblĂ©e constituante avait par dĂ©crets surnommĂ© le restaurateur de la libertĂ©, ce fut quand elle venait de vaincre la coalition, de conquĂ©rir la Belgique, dâemporter Mayence, dâoccuper Francfort, quand elle faisait trembler lâAllemagne , et pouvait, terrible et glorieuse, dicter la paix. Ce furent au contraire ses victoires qui lui donnĂšrent le courage de ses crimes. Ce furent aussi ses crimes, qui ranimĂšrent la coalition, y firent entrer lâAngleterre, soulevĂšrent la VendĂ©e, la Bretagne, le Midi, Lyon enfin, et mirent la rĂ©volution Ă deux doigts de sa perte. La rĂ©volution aurait pĂ©ri par lâattentat du 21 janvier, si elle avait pu pĂ©rir. Mais elle Ă©tait invincible ; ce qui faisait sa tyrannie et ses spoliations, fit aussi sa force. Elle 4 M. Thiers ; M. Mignet. LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I27 avait les masses avec elle ; ces masses furent hĂ©roĂŻques contre lâĂ©tranger. Elles enfantĂšrent les armĂ©es, les capitaines, les victoires ; aussi ne servirait-il de rien aujourdâhui dâaccuser lâorigine de la sociĂ©tĂ© nouvelle, de lui objecter les mĂ©faits qui suivirent sa naissance. Il en est des rĂ©volutions comme des enfants des barbares quâon livrait au cours des fleuves pour les Ă©prouver, et nâavouer que ceux qui rĂ©sistaient aux flots. Elle a rĂ©sistĂ© Ă toutes les tempĂȘtes. Telle est sa nature, quâelle a revĂȘtu dâune insurmontable puissance tous les gouvernements créés ou reconnus par elle, soit quâelle se chargeĂąt elle-mĂȘme de se rĂ©gir sous lâombre dâun comitĂ© de salut public, soit quâelle ceignĂźt avec le plus grand de ses fils le bandeau des rois, et poursuivĂźt les restes des projets de Pilnitz dans toutes les capitales et sur tous les trĂŽnes. Et si lâEurope devait finir par prendre sur les armes françaises une revanche terrible, les intĂ©rĂȘts nouveaux nâĂ©taient plus en question depuis longtemps. Ils avaient depuis longtemps assurĂ© leurvictoire. LâEuropeĂ Campo-Formio, Ă Amiens, partout, les avait reconnus sans retour. Ce fut non plus lâesprit dĂ©mocratique, mais lâesprit militaire, non plus la passion de la libertĂ©, mais la passion des conquĂȘtes qui souleva les rĂ©sistances offensives des tĂȘtes couronnĂ©es. Des envahissements dynastiques avaient remplacĂ© la propagande rĂ©volutionnaire. NapolĂ©on en personne, NapolĂ©on 128 LIVRE SECOND. seul Ă©tait l'antagoniste de l'univers. De tout cet assaut de principes, de toute celte guerre commencĂ©e au nom de la libertĂ© et de lâĂ©galitĂ©, il ne restait au dehors quâun duel de rois. Au dedans, il restait de cette subversion effroyable la division de la propriĂ©tĂ© et sa mobilitĂ©, une nouvelle loi civile et lâĂ©galitĂ© devant la loi ; faits Ă©normes qui, assurant la diffusion du bien- ĂȘtre public et privĂ© entre tous les enfants de la grande famille, et donnant Ă lâEtat social une base nouvelle, exigeaient de la constitution politique de nouveaux moyens de force et de stabilitĂ© ! Pour que la libertĂ© put sâĂ©tablir un jour, il fallait dâabord lâinstitution dâun gouvernement puissant, le retour aux principes Ă©ternels de lâordre, la conciliation de ces principes avec la sociĂ©tĂ© nouvelle, la rĂ©union des deux Frances divorcĂ©es pour leur commun malheur. Les termes du pacte de conciliation devaient se trouver tĂŽt ou tard, puisque deux choses demeurent Ă©galement constantes ; câest que lâancienne aristocratrie, lâEurope, le monde seraient impuissants pour dĂ©truire lâordre nouveau , comme lâordre nouveau lâest lui-mĂȘme pour fonder et maintenir un vĂ©ritable systĂšme reprĂ©sentatif. Aussi, la rĂ©volution se reconnut-elle, sous la longue Ă©preuve des misĂšres publiques, incapable du pouvoir non moins que de la libertĂ©. Elle avait eu horreur dâelle-mĂȘme; elle se chercha un tuteur LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 1 29 et le trouva dans un soldat lĂ©gislateur. Il advenait Ă la France fatiguĂ©e, ce que Tacite dit de Rome , aprĂšs le rĂšgne des triumvirs elle se rĂ©fugiait sous les lois dâun maĂźtre. Câest ainsi que lâordre renaĂźt, et le monde nous appelle la grande nation. Mais nos chĂątiments ne sont pas finis car lâordre nâest venu quâavec le despotisme. Nos chĂątiments touchent Ă leur terme ; le despotisme vient avec le gĂ©nie qui le justifie et la gloire qui le rehausse. CHAPITRE III. RESTAURATIONS SUCCESSIVES. â RESTAURATION AVANT LA CHARTE, . OĂŒ LâEMPIRE. Une longue restauration sociale prĂ©cĂ©da le retour des Bourbons lâEmpire. Une autre restauration, celle-lĂ toute politique, devait accompagner la royautĂ© capĂ©tienne ce fut le rĂ©gime de la Charte. Une troisiĂšme, passionnĂ©e, subversive, fatale, pouvait suivre la nation crut en voir lâaurore dans les ordonnances de juillet 1830, et de lĂ est venue la nouvelle rĂ©volution. CâĂ©tait, disons-nous, une restauration, que le rĂ©tablissement des autels, la rĂ©intĂ©gration du calendrier, des locutions et des usages de la sociĂ©tĂ© ancienne, le rappel de ses restes fugitifs, la renaissance dâune ombre de puissance paternelle, celle des distinctions honorifiques, celle des titres transmissibles, celle des majorats hĂ©rĂ©ditaires, celle dâune cour, celle dâun trĂŽne, oeuvres inattendues et magnifiques du conquĂ©rant de lâEgypte et de lâItalie. Ajoutez la crĂ©ation de codes magnifiques, et. lâorganisation dâun pouvoir Ă©galement fort et tutĂ©laire, dâun pouvoir impartial quoique LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. l3l absolu. Par-dessus tout, voyez le systĂšme entier prendre pour appuis les deux supports nĂ©cessaires de lâautoritĂ© parmi les hommes, lâillustration et la propriĂ©tĂ©. NapolĂ©on mĂ©rita le titre de restaurateur de lâordre, que ses contemporains lui dĂ©fĂ©rĂšrent ; câĂ©tait avec raison celui qui flattait le plus son orgueil. Or, cette restauration Ă©tait indispensable Ă la rĂ©volution mĂȘme. Otez du milieu des hommes les lois, le pouvoir, la sĂ©curitĂ©, le respect, un culte; la bĂȘte fauve nâa point de plus grossiers destins. Aussi la sociĂ©tĂ© nouvelle sâaffermit-elle sous la main du gĂ©ant qui la rĂ©gla. Son autoritĂ© glorieuse pacifia les esprits, accoutuma le Bleu et le VendĂ©en Ă vivre et combattre ensemble; mit la nouvelle France, dâabord athĂ©e, puis thĂ©ophilanthrope la veille, aux genoux du chef de lâEglise romaine ; restitua aux pontifes, Ă leurs pompes, Ă leurs rites, les hommages de la foule ; plia le rĂ©publicain et le dĂ©mocrate Ă voir, Ă servir des tĂȘtes couronnĂ©es ; apprivoisa lâopinion avec la renaissance de lâaristocratie ancienne par la crĂ©ation de la nouvelle ; assit enfin cette France flottante, au sein de laquelle pas une institution et pas un principe nâĂ©taient restĂ©s debout, sur ces grandes lois que lâEmpire portait en quelque sorte incarnĂ©es en lui le respect des croyances, des supĂ©rioritĂ©s, des pouvoirs. Mais lâordre social ne fut reconstituĂ© par le pre- Ăź32 LIVRE SECOND. mier consul et lâempereur quâau profit des intĂ©rĂȘts nouveaux. Si un trĂŽne sâĂ©levait au sein de cette terre, oĂč la charrue rĂ©volutionnaire avait passĂ©, un parvenu y siĂ©geait. Sa cour brillait de gloires rĂ©centes; les rejetons des vieilles races nâĂ©taient admis, quelque fut lâĂ©clat des noms , quâaux rangs secondaires, et semblaient nâĂȘtre lĂ que pour donner du relief et des supports Ă toute cette improvisation dâune noblesse sans aĂŻeux, dâune monarchie sans passĂ©. Un Montmorency pouvait bien arriver au titre de comte, point Ă celui de duc, de peur que lâancienne sociĂ©tĂ© ne se crĂ»t rĂ©intĂ©grĂ©e en lui ; une superbe jalouse ne lui permettait pas mĂȘme le titre de baron, comme si le premier baron chrĂ©tien eĂ»t lait ombrage aux premiers soldats de la rĂ©volution et de lâunivers. Dans cette monarchie faite de main dâhomme, il fallait que rien ne sentĂźt la main du temps ; tout continua Ă dater des ruines de la Bastille; lâordre ancien restait vaincu. La libertĂ© ne pouvait, par cela mĂȘme, trouver place dans le gouvernement du 18 brumaire. Lâancienne France aurait fait un perpĂ©tuel effort pour prendre, sur ces champs de bataille des Ă©lections, de la presse, des deux tribunes, oĂč le nombre ne fait pas la victoire, des revanches de ses longs revers. Lâaristocratie impĂ©riale serait restĂ©e sans dĂ©fense contre les hĂ©ritiers de cette autre aristocratie, plastronnĂ©e de siĂšcles et rehaussĂ©e de LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 1 33 malheurs, qui eussent attaquĂ© sa suprĂ©matie dans le sentiment public, toujours contraire en France aux pouvoirs rĂ©gnants, avec toutes les armes. Les feux croisĂ©s de lâesprit rĂ©publicain et de lâesprit royaliste lâauraient criblĂ©e. Lâempereur mĂȘme nây aurait pas tenu ; il ne serait restĂ© que le grand homme; alors tout croulait. La longue guerre de lâAngleterre et de lâempire ne fut pas seulement, comme on lâa dit beaucoup, une autre guerre de Rome et de Carthage, une rivalitĂ© de la puissance territoriale et de la puissance industrielle, un effort du sceptre du continent pour briser, comme on parlait alors, le trident des mers. NapolĂ©on, vraisemblablement, portait plus loin sa pensĂ©e câĂ©tait contre la tribune anglaise quâil avait mĂ©ditĂ© la descente ; câĂ©tait contre la presse anglaise quâil avait fulminĂ© les dĂ©crets de Milan et de Berlin ; câĂ©tait la libertĂ© que ses manifestes nommaient le gĂ©nie du mal, et il avait raison. Il ne restait de libertĂ© dans le monde que sous les voĂ»tes de Westminster et sur le rocher de Cadix il sây brisa. La chute de NapolĂ©on Ă©tait la suite nĂ©cessaire de sa mission immense et fatale. Il ne pouvait dompter lâanarchie quâĂ lâaide du pouvoir absolu; car Dieu nâaurait pas rĂ©glĂ© le chaos, si le chaos avait Ă©tĂ© libre. La condition du pouvoir absolu Ă©tait de donner Ă la France la perpĂ©tuelle distraction de la gloire, la perpĂ©tuelle indemnitĂ© de la LIVRE SECOND. 1 34 conquĂȘte. Mais la conquĂȘte pouvait-elle avoir un autre rĂ©sultat que la rĂ©union de tous les peuples et de tous les rois dans un intĂ©rĂȘt commun, en mĂȘme temps que la lassitude, lâĂ©puisement, lâanimadversion de la France? Le jour devait venir oĂč la France se retirerait du colosse. Ce jour vint, et il tomba faute dâappui. Gloire Ă©ternelle Ă cet homme du destin, non pas pour avoir promenĂ© au milieu des nations le char de la France en foulant sous sa roue altiĂšre les peuples et les rois ; non pas pour avoir Ă©tĂ© le plus grand capitaine des temps modernes, et peut- ĂȘtre de tous les temps ; mais pour avoir rendu ce service immense de dĂ©brouiller le chaos rĂ©volutionnaire , de former, dans le sein de la sociĂ©tĂ© bouleversĂ©e, un gouvernement fondĂ© sur les seules maximes que puissent accepter les nations civilisĂ©es, de frayer enfin la route oĂč la puissance publique doit sâaffermir parmi nous, si nous voulons une fois nous reposer Ă lâombre dâinstitutions stables et rĂ©guliĂšres ! Il nous enseigna Ă prendre les supĂ©rioritĂ©s de toute nature pour remparts. Il pensa que la gloire Ă©tait un vain nom, si elle ne maintenait les fils dans les hautes rĂ©gions oĂč sâĂ©taient Ă©levĂ©s les pĂšres ; que lâhĂ©rĂ©ditĂ© Ă©tait nĂ©cessaire Ă lâambition comme le but Ă la course, sous peine de la voir dĂ©cheoir en spĂ©culations misĂ©rables, et se contenter du lucre qui du moins se transmet. En mĂȘme temps, il fonda une adminis- LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 135 tration, une et puissante Ă son image, qui fait de notre sociĂ©tĂ© Ă©parse un seul corps, qui rend notre dĂ©mocratie compacte et gouvernable, qui est notre lien et notre force uniques. Cette administration a donnĂ© Ă la restauration sa puissance matĂ©rielle et ses chances de durĂ©e câest un bienfait que la France mĂ©connaĂźt, et, aujourdâhui encore, elle en vit. On juge des gouvernements par ce quâils ont fait de leur vivant ; câest une mĂ©prise. Il faut juger dâeux par ce quâils ont laissĂ© aprĂšs leur chute. Lâancien rĂ©gime nourrit dans ses flancs la rĂ©volution, la dĂ©magogie, lâimpiĂ©tĂ©, tous nos flĂ©aux. Lâempire, dont nous admirons la splendeur guerriĂšre, laissa deux fois, en tombant, lâĂ©tranger assis sur ses ruines et les nĂŽtres. Mais il nous tira de notre anarchie sanglante, et nous fit aptes Ă la monarchie et Ă la libertĂ©. Toutes deux purent sortir du milieu des dĂ©bris de nos longs naufrages et rĂ©gner ensemble sur la France. VoilĂ son ouvrage, ses monuments, sa gloire. CHAPITRE IV. RESTAURATION SELON LA CHARTE LES BOURBONS. La seconde, la grande restauration, la restauration selon la Charte commence. Elle devait ĂȘtre, elle fut Ă lâĂ©tat politique ce que la restauration selon la gloire avait Ă©tĂ© Ă lâĂ©tat social câĂ©tait l'ordre encore, mais Ă un degrĂ© plus haut, avec toutes ses garanties et tous ses bienfaits lâordre avec des institutions libres. Quâon nous pardonne si, en abordant un sujet consacrĂ© dĂ©sormais par dâinouĂŻs malheurs, nous Ă©prouvons dâabord le besoin de renverser une mĂ©prise funeste, un malentendu injurieux, qui ne calomnie pas seulement dâillustres infortunes, qui outrage aussi la patrie. Tout notre sang bout dans nos veines Ă la pensĂ©e que des princes, qui ont marchĂ© quinze ans Ă la tĂȘte de la France, nâaient rĂ©gnĂ©, suivant lâexpression de M. de Salverte, que par la grĂące de ĂŻ Ă©tranger. On ne sait si tous ces orateurs, tous ces publicistes qui trouvent plaisant de mentira lâhistoire pour satisfaire Ă des haines et Ă des vengeances, eussent Ă©tĂ© dâhumeur, LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. l?'] pour leur compte, Ă plier devant un Tartare, un Allemand, un lieutenant enfin de lâennemi victorieux. Mais notre cĆur français nous crie que pour commander Ă la France , la premiĂšre condition est dâĂȘtre Français et dâĂȘtre voulu par elle. Qui ne sait les hĂ©sitations, les rĂ©pugnances , les combats des hauts alliĂ©s ? Qui ne sait que ce fut malgrĂ© la coalition, peut-ĂȘtre, que Bordeaux, Nancy, Troyes, Paris enfin, appelĂšrent les Bourbons pour sâinterposer entre la patrie et ses revers ? Les Bourbons reparurent par leur propre vertu, comme reparaĂźt, aprĂšs le passage du torrent, lâarbre sĂ©culaire que le torrent a couvert de ses flots. La rĂ©volution avait rĂ©tabli la monarchie le trĂŽne vacant, une dynastie Ă©mĂ©rite sâoffre Ă le remplir. Lâempire avait créé une noblesse une autre noblesse, consacrĂ©e par les mĆurs quand elle ne lâĂ©tait plus par les lois, se fait voir, dans ce grand dĂ©sastre de lâempire, agitant un drapeau, et criant Vive le roi! La France, affamĂ©e de repos, demandait la paix Ă grands cris ce drapeau lâapporte. La France, Ă©crasĂ©e de tyrannie, demandait dâune seule voix la libertĂ© ce roi promet le systĂšme reprĂ©sentatif. La France, Ă©puisĂ©e dâimpĂŽts, demandait non moins haut la destruction des droits rĂ©unis la rĂ©volution royale fait comme toutes les rĂ©volutions passĂ©es et futures ; elle crie Plus de droits rĂ©unis ! 138 LIVRE SECOND. Câest ainsi que la restauration sâopĂ©ra. Ce fut la Chambre des dĂ©putĂ©s de lâempire, ce furent les conseils gĂ©nĂ©raux de lâempire, ce fut ce SĂ©nat, pairie de la rĂ©volution, ce fut le conseil municipal de Paris, qui proclamĂšrent le rappel des Bourbons au trĂŽne de leurs pĂšres. CâĂ©tait lâhomme dâEtat, de nom et de sang illustre, mais associĂ© Ă lâordre nouveau par le plus de services et par le plus de garanties, qui venait nĂ©gocier le pacte dâalliance de la France avec ses princes proscrits, et on dirait quâil resta, pendant tout le cours de la restauration , attachĂ© Ă la premiĂšre marche du trĂŽne, comme le MacĂ©donien, pour rappeler aux Bourbons quâils Ă©taient mortels. Le second envahissement, celui de 1815, ne fut, pas plus que le premier, conduit par la maison royale ou pour elle. Il y eut, au 20 mars, soulĂšvement unanime des peuples, des aristocraties, des rois de lâEurope contre la rĂ©apparition du gĂ©nie des conquĂȘtes. Vainement subissait-il, non sans rĂ©volte assurĂ©ment, la loi de se retremper dans son origine rĂ©volutionnaire câĂ©tait accuser son infirmitĂ© native, mais longtemps cachĂ©e, sans se rendre moins insupportable Ă toute cette Europe, Ă©pouvantĂ©e doublement du spectre de la dĂ©magogie et de celui de lâempire, La maison de Bourbon nâintervint quâun jour ce fut le lendemain des nouveaux dĂ©sastres si tĂ©mĂ©rairement provoquĂ©s. La bataille de Waterloo LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I 3q avait livrĂ© la France Ă la merci de lâĂ©tranger. On sait quels conseils donnaient la colĂšre et la victoire. Alors paraĂźt, malgrĂ© les efforts des deux puissances, un vieillard qui, du sein de la capitale envahie, jette, entre la France et la coalition, son bien et son arme uniques, son bĂąton de voyageur. Mais ce bĂąton est le sceptre de nos soixante rois. Louis XVIII couvre de son droit le royaume entier, comme il a voulu couvrir de son corps le pont dâIĂ©na. Les rois sâarrĂȘtĂšrent devant ce principe de la lĂ©gitimitĂ© , Ă lâaide duquel le reprĂ©sentant de la France vaincue avait su, Ă Vienne, sauver la Saxe, et qui Ă Paris combattit pour la France. Pour en finir avec ces douloureuses questions, qui raniment tous les souvenirs de nos malheurs, nous ajouterons sur-le-champ quâil nâest pas vrai non plus que, dans sapeur de la France, la restauration nous ait tenus sous la loi de lâĂ©tranger afin dây trouver force et appui. Les hommes qui ont vu de prĂšs les affaires savent que le gouvernement royal a Ă©tĂ© lâun des plus incommodes Ă lâEurope, et des plus rebelles Ă cet esprit dâassimilation qui la dominait. LâĂ©vacuation gĂ©nĂ©rale du territoire français fut le premier voeu , la premiĂšre sollicitude de Louis XVIII et de ses ministres. La guerre dâEspagne sâaccomplit malgrĂ© lâAngleterre ; la guerre de GrĂšce, malgrĂ© lâAutriche; la guerre dâAlger, malgrĂ© tout le monde. Câest aussi malgrĂ© LIVRE SECOND. 140 tout le monde que fut entreprise une autre grande guerre, celle des ordonnances du 25 juillet 1830, contre la Charte et les lois. Toutes les cours, et la Russie plus quâaucune autre, multipliĂšrent en vain les reprĂ©sentations et les conseils. La Charte avait lâappui de lâĂ©tranger, et non pas le coup dâEtat. La meilleure preuve de lâindĂ©pendance de Charles X, câest sa chute. Nous voulons le dire de ce prince auguste et malheureux, dont nous avons assez souvent blessĂ© le cĆur sur le trĂŽne pour avoir le besoin et le droit dâenvoyer une vĂ©ritĂ© consolante Ă son exil. Il avait trop de hauteur dâĂąme pour ĂȘtre le vassal de personne. Sa fiertĂ© ne mesurait que trop bien la grandeur de la couronne de France. Il ne lâaurait pas humiliĂ©e devant lâĂ©tranger ; il lâa perdue pour ne pas lâincliner mĂȘme devant les Français. Il nâest donc pas vrai davantage, quâune haine vivace, puisĂ©e Ă ces sources, nâait cessĂ© de fermenter dans le cĆur des Français, contre la maison royale que nous entourions tous de nos hommages. La popularitĂ© que Louis XVIII conserve, les acclamations des deux avĂšnements, les fĂȘtes de lâAlsace, des annĂ©es dâune obĂ©issance universelle, paisdale, facile, empressĂ©e, sont des tĂ©moignages dâassentiment qui nous semblent authentiques. Nous ne croyons pas aux comĂ©dies de quinze ans, sauf des natures privilĂ©giĂ©es peut-ĂȘtre ; LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I 4 T mais ce rĂŽle ne va pas Ă tout un peuple. Il serait trop long et trop habile pour un tel acteur. Nul doute que la restauration selon la Charte ne fĂ»t le vĆu unanime de la France; et, ce qui le prouve, câest quâau milieu de toutes les dĂ©clamations outrageuses, on ne cesse de rĂ©pĂ©ter que, sans le coup dâEtat, la monarchie fĂ»t Ă©ternellement restĂ©e debout. Imagine-1-on la France Ă©ternellement enchaĂźnĂ©e Ă un joug bai et mĂ©prisĂ© ! Legs funeste de NapolĂ©on , les traitĂ©s, qui nous ont rĂ©gis depuis nos revers, Ă©taient un malheur pour la patrie , une dĂ©faite peut-ĂȘtre pour la dĂ©magogie et lâempire, pour personne une humiliation. 11 nây en a pas Ă ĂȘtre vaincu quand on est seuls contre tous comme la premiĂšre fois, et que de plus on est divisĂ©s comme la seconde. Câest seulement un avertissement de ne point se mettl e seuls contre tous, et de ne point se diviser. Le premier parti peut ne pas dĂ©pendre de nous ; le second en dĂ©pend toujours; et, pour y parvenir, il faut dâabord bannir ces rĂ©criminations violentes, iniques, odieuses. Quand de nos deux Frances, si longtemps dĂ©sunies , il en est une quâon accuse de nos dĂ©sastres, injustice et mensonge ! Ce nâest pas elle qui Ă©tait allĂ©e chercher au fond du Nord lâa- valanclie sous laquelle notre fortune tomba Ă©crasĂ©e. Ce nâest pas elle qui se serait complu Ă dĂ©- cheoir du rang, qui fut celui de la France dans le monde, depuis des siĂšcles. Ah ! sachons une fois l/j2 LIVRE SECOND. ĂȘtre vrais, bienveillants entre nous, comme des frĂšres qui se sont disputĂ© un commun hĂ©ritage, qui ont tous eu peut-ĂȘtre leur part de torts , mais que mille liens attachent, qui ont dans les veines le mĂȘme sang, qui sont nĂ©s sur la mĂȘme couche, qui doivent vivre du mĂȘme sillon, qui ne peuvent prospĂ©rer quâensemble, et qui tous portent des Ăąmes Ă©galement Ă©mues Ă ces grands noms de France et de patrie ! CHAPITRE V. SUITE DU PRĂCĂDENT. LA CHARTE. On a fait voir quâil nâĂ©tait pas vrai que la restauration se fĂ»t accomplie par lâĂ©tranger. 11 est une autre mĂ©prise, conçue dans les rangs royalistes, qui a Ă©tĂ© Ă©galement fatale; câĂ©tait de croire que la rĂ©volution fut vaincue avec lâempire, et, de supposer en consĂ©quence, que parce que ce fut le roi qui, par octroi, donna la Charte, il aurait pu ne pas la donner. Par qui la France nouvelle aurait-elle Ă©tĂ© vaincue ? Par lâancienne France ? Depuis quinze ans elle nâavait pas tirĂ© lâĂ©pĂ©e. Par les rois conjurĂ©s ? Les rois ne le croyaient pas. Ce nâest plus Ă elle quâils faisaient la guerre ; et tel Ă©tait leur effroi de la voir reparaĂźtre sur les champs de bataille, quâils nâintervinrent dans nos affaires domestiques que pour hĂąter la proclamation de cette Charte qui consacrait, sans exception, tous les intĂ©rĂȘts , tous les principes, tous les droits inaugurĂ©s par la rĂ©volution de 1789. Les couronnes allĂšrent jusquâĂ prendre le pacte fondamental sous leur garantie LIVRE SECOND. i44 commune, par un traitĂ© formel, tant leur sagesse avait compris quâil y allait du repos de la France et de la paix du monde ! Yeut-on savoir si le nouveau droit public du royaume, instituĂ© pour clore quarante ans de dissensions civiles, attribuait Ă lâĂ©migration la victoire? Quâon dise si on combattait Ă Coblentz pour lâĂ©galitĂ© devant la loi, si on sâĂ©tait confĂ©dĂ©rĂ© Ă Pilnitz pour la conquĂȘte du systĂšme reprĂ©sentatif. Le caractĂšre delĂ restauration et sa vertu furent prĂ©cisĂ©ment dâeffacer les distinctions de vaincus et de vainqueurs. CâĂ©tait la rĂ©conciliation de la sociĂ©tĂ© française avec la sociĂ©tĂ© europĂ©enne, avec elle-mĂȘme, avec ses propres annales. CâĂ©tait la restitution de tout ce que le passĂ© a dâauguste et de sacrĂ©, avec le maintien de toutes les conquĂȘtes prĂ©sentes, et la garantie de tous les progrĂšs futurs. La Charte rĂ©intĂ©grait simplement le passĂ© dans son droit ; elle lâĂ©levait Ă lâĂ©galitĂ© ; et, en mĂȘme temps quâelle rendait Ă la classe violemment dĂ©pouillĂ©e, les titres de ses pĂšres, aux illustrations parĂ©es de siĂšcles le droit dâanciennetĂ© , Ă la postĂ©ritĂ© de Henri IV le sceptre des quarante rois dont elle est issue, elle rendit Ă la nation la possession pleine et entiĂšre des institutions politiques que les cahiers des Etats-GĂ©nĂ©raux avaient unanimement revendis quĂ©es en 1789. Il y eut ainsi transaction entre les deux camps LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I 45 rivaux lâun attacha la couleur de Fontenoy aux enseignes de la patrie ; lâautre imposa ses codes, ses moeurs, ses maximes. Le premier plaça lâhĂ©rĂ©ditĂ© au faĂźte des pouvoirs ; le second assura aux hommes nouveaux la majoritĂ© dans lâassemblĂ©e hĂ©rĂ©ditaire, dans les conseils, et presque dans la cour. Alors le clergĂ© prit place au sein des corps politiques, mais avec lâunique mission de reprĂ©senter le grand intĂ©rĂȘt de lâEglise dans le conflit de tous les intĂ©rĂȘts sociaux. Le grand seigneur des anciens temps, nos capitaines chargĂ©s de victoires, lâavocat, le citoyen que la tribune avait Ă©levĂ©s au niveau des plus illustres serviteurs du trĂŽne, se rencontrĂšrent dans les conseils du prince, les rangs nâĂ©tant marquĂ©s entre eux que par les services, par lâautoritĂ© personnelle, par le talent; et tous nâexercĂšrent le pouvoir que sous la condition de faire sanctionner la dĂ©lĂ©gation royale parles majoritĂ©s parlementaires, du haut de ces tribunes puissantes qui se relevĂšrent en mĂȘme temps que le trĂŽne de Louis XIV. Dans ce rĂ©gime, il y avait Ă gagner pour tous. Lâaristocratie ancienne reprenait ses honneurs, sans offense Ă la nouvelle. Que disons-nous? La nouvelle y trouvait une sanction auguste et un lustre inattendu. Elle avait plus de foi en elle- mĂȘme depuis quâelle marchait cĂŽte Ă cĂŽte avec les illustrations anciennes , au lieu de les primer. Cette alliance Ă©tait une gĂ©nĂ©alogie toute faite 10 LIVRE SECOND. ĂźZjb pour nos gloires rĂ©centes. De son cĂŽtĂ©, la nation s'Ă©levait de plusieurs degrĂ©s, en mĂȘme temps que sa double Ă©lite ; elle sâĂ©levait par ces institutions gĂ©nĂ©reuses qui sont la noblesse des peuples ; elle sâĂ©levait par les richesses matĂ©rielles et morales dont lâinĂ©puisable mine Ă©tait cachĂ©e au pied de ce triple trĂŽne de la royautĂ©, de la pairie, de la reprĂ©sentation nationale, sanctuaires de toutes les grandeurs, buts de tous les talents, remparts de tous les droits, de tous les perfectionnements, de toutes les prospĂ©ritĂ©s. Ainsi, pour le peuple, pour le commerce, pour lâindustrie, pour les arts, pour les lettres, le repos, la paix, lâordre, lâindĂ©pendance personnelle, la libertĂ© publique ; pour les grands dâorigine nouvelle, les jouissances aprĂšs la conquĂȘte, une cour sans despote, et le pouvoir hĂ©rĂ©ditaire de la pairie ; pour les restes de la sociĂ©tĂ© dâautrefois, Ă la place de lâabaissement ou de lâexil, une patrie, des grandeurs, un trĂŽne!. France! France! combien on avait raison de dire alors que la Charte Ă©tait un fonds commun , grĂące auquel nous avions tous fait fortune en meme temps ! Eu disciplinant la sociĂ©tĂ©, en quelque sorte fĂ©brile , qui Ă©tait sortie des flancs de lâanarchie, indocile et violente comme sa mĂšre, NapolĂ©on nâavait pas eu besoin de donner de charte Ă la France ; sa charte, câĂ©taientson extraction et ses batailles. La rĂ©volution n'avait enfantĂ© jusquâalors LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I [fj que des intĂ©rĂȘts matĂ©riels. Elle avait englouti bien des principes, mais nâen avait pas mis au monde ou avouĂ© un seul car elle ne sâinquiĂ©tait de lâĂ©galitĂ© que comme de lâintĂ©rĂȘt positif du grand nombre. Comme principe, comme rĂšgle divine, comme accomplissement dâune amĂ©lioration sociale, la rĂ©volution ne lâentendait pas, et la preuve, câest quâelle traitait en ilote lâĂ©lite de la nation. Aussi des garanties matĂ©rielles pouvaient-elles parfaitement lui suffire; et la communautĂ© dâorigine, la communautĂ© dâintĂ©rĂȘt et de destinĂ©e, assurĂšrent la puissance du soldat du 13 vendĂ©miaire, du pacificateur de Campo-Formio, du hĂ©ros des Pyramides. Encore se crut-il obligĂ© dây ajouter une communautĂ© de plus celle du crime. Il complĂ©ta sa charte dans les fossĂ©s de Vincennes ; et, quand il eut mis du sang des rois Ă ses mains, il nâhĂ©sita plus Ă saisir la couronne, certain que la rĂ©volution le reconnaĂźtrait Ă cette grande tache jusque dans le cortĂšge des rois. Heureuse en effet de jouir enfin de sa fortune, elle sâendormit sous un despotisme protecteur, oubliant sans peine la libertĂ© dont elle nâavait connu que des impostures hideuses, rassurĂ©e sur lâĂ©galitĂ©, parce que les couronnes ducales ne brillaient quâau front des soldats de la rĂ©publique ou de ses tribuns, et que le chef de lâempire avait beau rappeler les pompes de Versailles, il nâĂ©tait, au milieu de ses pompes, que le premier des acquĂ©reurs de biens nationaux, car il rĂ©gnait au Louvre. LIVRE SECOND. i/»8 On a parlĂ© sans cesse de la force de NapolĂ©on, et Dieu sait les contre-sens funestes qui en sont nĂ©s ! Il semble que la force des trĂŽnes consiste Ă nourrir des rĂ©solutions immuables et passer des revues 1. On ne doute pas que si, en outre, on fait quelques expĂ©ditions brillantes, si on joint la gloire Ă la fermetĂ©, on nâait rempli toutes les conditions voulues pour ressaisir la succession entiĂšre de lâempire, et prendre son fonds, en quelque sorte, sans que la France sâaperçoive que la dictature a changĂ© de main. Erreur Ă©trange et fatale ! M. de Bourmont pourra attacher son nom Ă la conquĂȘte dâAlger, saris pousser des racines dans lâesprit public. La restauration pourra briller de lâĂ©clat de la victoire sans imposer davantage Ă la France. Si sa politique alarme les intĂ©rĂȘts nouveaux, elle ne fera que dĂ©populariser la victoire. Câest que la force, en politique, ne rĂ©side ni dans la rĂ©solution des hommes ni dans leur gĂ©nie leviers puissants, leviers inutiles, sâils nâont un point dâappui ; et le point dâappui se trouve dans les 4 Ce chapitre et la plus grande partie de ce livre, sauf quelques mots quâon va lire, avaient Ă©tĂ© Ă©crits avant la rĂ©volution, en juin 4830. Ils faisaient partie dâun ouvrage sur la situation de la France auquel les ordonnances vinrent couper court. On nâa rien changĂ© que des considĂ©rations ou des expressions aujourdâhui intempestives. Quand on se respecte, on ne peut parler aujourdâhui du gouvernement du roi Charles X, comme on lâaurait fait alors. Note des Ă©ditions de 4834 et 4832 seize mois et vingt mois LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I ZCJ intĂ©rĂȘts dont le pouvoir se fait le reprĂ©sentant. NapolĂ©on avait la force de la rĂ©volution incorporĂ©e en lui tout entiĂšre ; il avait la force de la multitude, qui jouissait de le voir, roi lui-mĂȘme, vaincre et humilier les rois, parce quâelle les humiliait par lui. De lĂ vient la popularitĂ© profonde que ce grand nom conserve. NapolĂ©on est toujours restĂ© peuple, malgrĂ© lui-mĂȘme. Il Ă©tait le peuple couronnĂ©; câest pourquoi il put rĂ©gner comme le peuple rĂšgne, par le pouvoir absolu. M. de Chateaubriand a donc raison de railler, dans son dernier Ă©crit 1, les grosses cervelles qui croyaient, en 1814, que les Bourbons nâavaient rien Ă changer au rĂ©gime de Bonaparte, hors les draps du lit. Mais ce nâest point parce que Bonaparte avait la gloire pour compagne de couche. Des princes, qui reprĂ©sentaient parmi nous dix siĂšcles de nos annales, nâĂ©taient pas une nouvelle connaissance pour la gĂźoire, qui dâailleurs nâĂ©tait quâune des figurantes de la cour impĂ©riale. La compagne vĂ©ritable de NapolĂ©on, câĂ©tait la rĂ©volution ; elle dormait tranquille sur le sein du despotisme impĂ©rial, comme une mĂšre auprĂšs dâun fils. La guerre et la victoire nâĂ©taient lĂ que pour servir Ă bercer ce salutaire sommeil. Mais, Ă lâapproche de la lĂ©gitimitĂ©, la rĂ©volution devait se 1 Sur la proposition Bricqueville le bannissement des Bourbons.â 1831, LIVRE SECOND. 1 5o rĂ©veiller ; elle nây manqua pas. Carnot, qui sâĂ©tait tĂ» sous NapolĂ©on, Ă©crivit sous les rois. On vit les hommes de lâempire, le front encore marquĂ© du joug dâor quâils avaient portĂ©, la main Ă peine libre du joug de fer quâils avaient appesanti sur les peuples, ne plus trouver assez de libertĂ© sous le soleil pour respirer en paix. Ce fut assez dâavoir Ă©tĂ© lieutenant de mamelucks pour compter parmi les libĂ©raux, dâavoir brillĂ© dans la cour impĂ©riale comme chambellan, page, comte ou duc, pour se montrer intraitable en fait dâĂ©galitĂ© ; et au fond il nây eut pas inconsĂ©quence, autant quâon put le dire et le penser. Tous ces hommes se sentirent dĂ©sormais contraints de dĂ©fendre en personne des intĂ©rĂȘts que le despotisme impĂ©rial dĂ©fendait auparavant pour eux. En vain les Bourbons, une fois absolus, auraient proclamĂ©, sous la foi dâun serment nouveau, Ă chaque soleil qui se serait levĂ©, lâinviolabilitĂ© des propriĂ©tĂ©s nationales, le maintien des pensions, des grades, des honneurs de toute origine, la tolĂ©rance religieuse, lâĂ©galitĂ© civile mĂȘme en croyant Ă leur loyautĂ©, la France ne se serait pas abandonnĂ©e Ă leur parole ; car la parole des princes est subordonnĂ©e aux intĂ©rĂȘts et aux passions des partis qui les dominent, et elle voyait autour dâeux lâancienne monarchie sortie dâexil ou ranimĂ©e du tombeau Ă leur aspect. Sans la garantie des institutions reprĂ©sentatives, le paysan, ennemi LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I 5 I de la corvĂ©e; lâouvrier, des jurandes; le bourgeois, du privilĂšge, auraient tons regardĂ© comme une menace permanente le drapeau blanc qui flottait sur leur clocher. Auraient-ils eu tort ? Entendons M. de Peyronnet 1. Il eĂ»t fallu, a dit rĂ©cemment ce ministre, » en parlant du coup dâEtat, tant de modĂ©ration » aprĂšs lâavoir achevĂ©! Il fallait de la force pour » en user, plus de force encore pour nâen pas abu- » ser; de la force envers les autres , plus de force » sur soi-mĂ©me ! » Câest justement pourquoi le despotisme, eĂ»t-il Ă©tĂ© possible Ă tout le monde, ne lâaurait pas Ă©tĂ© aux princes de la vieille France. La lĂ©gitimitĂ©, qui faisait leur force au sein dâinstitutions tutĂ©laires, aurait fait, avec un pouvoir sans contrainte , leur perpĂ©tuelle fragilitĂ© ! Il fallait Ă la France nouvelle des places de sĂ»retĂ© , comme en donnaient jadis les rois Ă la faible minoritĂ© protestante, pour gages des promesses du trĂŽne. Mais de nos jours les places de sĂ»retĂ©, ce sont les lois ; câest lâintervention des peuples dans la direction de leurs destinĂ©es. Or, le systĂšme reprĂ©sentatif Ă©tait le boulevard donnĂ© par les Bourbons , sous le nom de droit public, aux Français. La Charte fut, on peut le dire aujourdâhui, la condition de lâadhĂ©sion nationale, le sinon non de la I Questions de juridiction parlementaire Ă lâoccasion du procĂšs des anciens ministres de Charles X. LIVRE SECOND. i5a France *, condition heureuse qui rattachait tous les progrĂšs Ă tous les souvenirs , et faisait une nĂ©cessitĂ© aux Bourbons, pour conserver leurs droits ,. de nous restituer les nĂŽtres et de les respecter ! La libertĂ© Ă©tait donc le garant nĂ©cessaire de la rĂ©conciliation opĂ©rĂ©e par la restauration entre les deux principes, entre les deux Ă©lĂ©ments de la sociĂ©tĂ© française, comme cette rĂ©conciliation Ă©tait Ă son tour lâindispensable fondement de la libertĂ© ! Cette libertĂ© sacrĂ©e que nous avions cherchĂ©e au milieu de tant dâorages , nous la trouvions enfin', et câĂ©tait au port de la restauration, qui, seule obligĂ©e de nous la donner, pouvait, seule aussi, nous la donner pleine, entiĂšre et durable, parce quâelle avait lâavantage immense de reposer Ă la fois sur tous ces grands principes, sur toutes ces rĂšgles Ă©ternelles quâon a signalĂ©es comme les premiĂšres conditions de lâordre et delĂ libertĂ©. CHAPITRE VI. DU GOUVERNEMENT DE LA. RESTAURATION ET DE SES FRUITS. Le gouvernement de la restauration Ă©tait une monarchie mixte et libre. Il Ă©tait monarchique par son essence; il lâĂ©tait par les prĂ©rogatives rĂ©servĂ©es Ă la couronne. Il Ă©tait libre, on ne le conteste plus. LâinviolabilitĂ© de la propriĂ©tĂ© et celle du domicile, la libertĂ© individuelle, la libertĂ© religieuse , la libertĂ© de la presse , lâĂ©galitĂ© devant la loi, lâindĂ©pendance de lâordre judiciaire, lâĂ©tablissement du jury , la fixitĂ© des juridictions, la responsabilitĂ© des agents du pouvoir, le droit de pĂ©tition enfin, assuraient tout ce quâil y a jamais eu de libertĂ©s privĂ©es dans lâunivers. La libertĂ© publique consistait dans la division des pouvoirs, le partage de la puissance lĂ©gislative entre le roi et le peuple, lâindĂ©pendance de lâune des deux chambres, le principe Ă©lectif de lâautre , la responsabilitĂ© des ministres devant toutes deux, le vote annuel de lâimpĂŽt, le vote annuel et minutieux des dĂ©penses , la libertĂ© de la presse, lâinstitution enfin du gouvernement reprĂ©sentatif tout entier. LIVRE SECOND. I 54 Ce gouvernement Ă©tait mixte enfin ; car il Ă©tait aristocratique par le maintien de la nouvelle et de lâancienne noblesse, par la crĂ©ation dâune pairie hĂ©rĂ©ditaire, par lâattribution delĂ seconde branche du pouvoir lĂ©gislatif aux quatre-vingt millecitoyens les plus imposĂ©s du royaume, par lâobligation de choisir, comme Ă AthĂšnes, les reprĂ©sentants dans le premier quart des Ă©lecteurs ; enfin par le cautionnement de deux cent mille francs, imposĂ©, comme garantie envers lâordre public, pour lâĂ©tablissement de ces tribunes mobiles et formidables quâon appelle les journaux. La loi du double vote avait fortifiĂ© cette tendance gĂ©nĂ©rale et positive de la Charte. Dâun autre cĂŽtĂ© , la dĂ©mocratie nâĂ©tait, Ă Dieu ne plaise, ni mĂ©connue ni dĂ©sarmĂ©e. Car, dans un rĂ©gime oĂč lâaristocratie est une sorte dâhĂŽtellerie ouverte Ă quiconque sait et veut, elle fait partie de la dĂ©mocratie, comme la tĂȘte fait partie du corps. Le corps entier de la sociĂ©tĂ© avait pour soi lâĂ©galitĂ© universelle devant la loi, lâuniverselle admissibilitĂ© et lâadmission rĂ©elle de tous Ă tous les emplois publics, lâĂ©galitĂ© forcĂ©e des partages, lâĂ©galitĂ© des charges publiques , lâaccĂšs du pouvoir Ă©lectoral et du droit dâĂ©ligibilitĂ© moyennant une annĂ©e de cens, lâintroduction des patentes dans les quotes contributives, la prĂ©pondĂ©rance manifeste et inĂ©vitable de la classe moyenne dans les collĂšges Ă©lectoraux, en dĂ©pit de toutes les restric- x 55 LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. tions de la loi, et enfin, non plus un droit, non plus une facultĂ©, mais un pouvoir dont lâesprit dĂ©mocratique a presque le monopole, et qui est immense, la domination de la presse pĂ©riodique. Exposer le rĂ©gime de la Charte tel quâil Ă©tait, ce nâest pas lâapprouver dans toutes ses parties. La constitution du gouvernement Ă©tait Ă nos yeux vicieuse, invalide. La chambre des pair s , illustre par sa composition et indĂ©pendante par son hĂ©rĂ©ditĂ© , ne posait pas assez sur la nation ; elle nây avait pas suffisamment de points dâappui. Elle ne reprĂ©sentait directement aucun des grands intĂ©rĂȘts sociaux. Elle nâeut ainsi aucune des forces nationales avec elle. La chambre Ă©lective, par une Ă©trange singularitĂ©, semblait participer de cette faiblesse, grĂące Ă la base Ă©troite de lâĂ©lectorat. Et, en rĂ©alitĂ©, seule investie des forces, ou, pour mieux dire, de lâomnipotence du principe Ă©lectif , elle y puisait une telle puissance quâelle pouvait toujours engager la lutte avec la couronne , et quâau premier choc elle devait la briser. Ce que nous entendons seulement Ă©tablir, câest que de ce rĂ©gime ainsi constituĂ© il a pu ĂȘtre dit, par de grands esprits, quĂš la dĂ©mocratie y coulait Ă pleins bords 1. Personne nâa dit quâexĂ©cutĂ© loyalement il mĂźt les libertĂ©s publiques en pĂ©ril, quâil ? M. Royer-Collard. i56 LIVRE SECOND. leur laissĂąt peu de garanties, que le pouvoir absolu y pĂ»t Ă©merger jamais. Aussi lâesprit constitutionnel est-il le premier-nĂ© de la Charte de 1814. Il a dĂ» le jour au mariage de raison des Bourbons avec la libertĂ©. Il puisa Ă cette source le respect et lâintelligence du droit, unique base sur laquelle la libertĂ© puisse sâĂ©tablir parmi les hommes. Il fit des progrĂšs rapides , des progrĂšs universels, des progrĂšs irrĂ©vocables, parce quâil grandit au sein de toutes ces classes auxquelles le nom de la libertĂ© , promulguĂ© quand on prenait des tĂȘtes , avait longtemps fait horreur. La propriĂ©tĂ©, l'industrie, le commerce, se sont attachĂ©s au systĂšme reprĂ©sentatif, comme Ă un gardien assurĂ© qui ne pouvait pas tourner contre eux ses armes. On sentait quâil dĂ©fendrait le pays contre le trĂŽne, ou le trĂŽne contre lui-mĂȘme, sans jamais rappeler la multitude Ă son effroyable dictature. Quâon le croie bien, il avait fallu, pour que lâordre pĂ»t ĂȘtre acceptĂ© de la France rĂ©volutionnaire, quâil lui fĂ»t prĂ©sentĂ© par un soldat heureux, par un roi parvenu. Et, dâun autre cĂŽtĂ©, pour quâa- prĂšs tant de prĂ©ventions et de mĂ©comptes, la libertĂ© trouvĂąt accueil dans des classes dont le concours lui Ă©tait indispensable afin de croĂźtre et de fleurir, il fallait quâelle y fĂ»t apportĂ©e par les Bourbons. Lors de la promulgation de la Charte, la France nâavait aucune notion des principes dâun gouvernement libre et de ses conditions. Cette rĂ©volution IA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I 5 1 ] de quarante annĂ©es, qui avait passĂ© sur nous en mugissant sans cesse le nom de la libertĂ©, sâĂ©tait Ă©coulĂ©e tout entiĂšre sans laisser une idĂ©e, un sentiment de libertĂ© parmi nous. Des coups dâEtat, câest-Ă -dire des coups de force du parti populaire, composent toutes ses annales, aussi bien que toute sa science; et ces coups dâEtat ne blessaient pas la conscience publique, comme contraires Ă la libertĂ© vĂ©ritable, qui repousse toujours la force et cherche toujours la justice. Non! ces victoires successives des factions ne faisaient que lâenvie , que le dĂ©sespoir des partis contraires. CâĂ©tait Ă qui sâarracherait ces armes terribles. Dâun cĂŽtĂ© , on Ă©tait disposĂ© Ă nommer ordre les triomphes obtenus ainsi; de lâautre, on les appelait libertĂ©. Mais violence , mais iniquitĂ©, mais attentats aux lois de la civilisation ; mais retour aux temps barbares, on ne les nommait, on ne les jugeait ainsi nulle part. Aussi NapolĂ©on avait-il trouvĂ© sa tĂąche facile. DĂšs les premiers jours du consulat, sa main hardie frappe sans relĂąche des coups dâEtat sur lâanarchie; il dĂ©porte par ses dĂ©crets les citoyens, casse des jugements, supprime les libertĂ©s, renverse des lois ; enfin , il confisque la rĂ©publique tout entiĂšre au profit de son Ă©pĂ©e, et la France attentive fait silence , ou plutĂŽt elle applaudit. Car la tyrannie frappait les tyrans, et si le parti vaincu murmurait, câĂ©tait dâĂȘtre vaincu, non pas de lâĂȘtre par de telles armes; câĂ©tait dâĂȘtre dĂ©possĂ©dĂ© du t 58 LIVRE SECOND. pouvoir, non pas de lâĂȘtre de la libertĂ©. La saintetĂ© des lois , le droit des nations de nâobĂ©ir quâĂ des rĂšgles lĂ©gitimes, point Ă lâautoritĂ© injurieuse des baĂŻonnettes, personne nâinvoquait ces maximes. Les mĂ©contents mĂȘme, gens au gĂ©nie inventif, ne les inventent pas. Câest que les passions dĂ©mocratiques nâont jamais mis au monde des idĂ©es, jamais compris des droits. Ce quâelles entendent bien, câest le fait, le nombre, la force , et, comme on lâa dit plus haut, la tyrannie ; ce mot embrasse tout le reste. 11 Ă©tait rĂ©servĂ© Ă la restauration de nous donner un bien plus prĂ©cieux que les provinces soumises par le glaive câest le sentiment, la passion de la lĂ©galitĂ©, sentiment auquel le peuple mĂȘme sâĂ©leva rapidement, et qui nâĂ©tait pas, il y a quarante ans, devinĂ© de ses chefs. Ce sentiment est puissant et noble comme la justice; il est le fils de la civilisation, et le pĂšre de la libertĂ©. Câest lui qui, dans les journĂ©es de juillet 1830, fit lâordre au sein dâune rĂ©volution Ă main armĂ©e, et maintint le respect des lois quand il nây avait plus de lois. Câest lui qui nous retient depuis lors sur le penchant de tous les abĂźmes. Câest lui qui fait que la rĂ©volte, mĂȘme violente, mĂȘme ensanglantĂ©e, mĂȘme victorieuse, sâabdique tout dâabord; comme il vient d'advenir encore dans cette France qui pourrait tant ĂȘtre heureuse si elle connaissait ses biens ! La multitude, quand elle a secouĂ© le LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. I 09 joug de la loi, sâĂ©pouvante bientĂŽt dâelle-mĂȘme, comme lâenfant qui a frappĂ© sa mĂšre. Dans tout le cours de cet ouvrage, on distinguera soigneusement lâesprit et le parti constitutionnel, dĂ©vouĂ© Ă la cause de la monarchie reprĂ©sentative dans son double Ă©lĂ©ment, le trĂŽne et la Charte, de lâesprit et du parti rĂ©volutionnaires incapables dâaccepter ni Fun ni lâautre joug ; car cet esprit funeste, ce funeste parti est incapable de plier sous aucun gouvernement il veut le gouvernement rĂ©publicain, il le croit du moins, parce quâil confond la rĂ©publique avec la dĂ©magogie. Au fond, il a pour gĂ©nie la terreur, pour leviers les masses, pour instruments le carbonarisme, les sociĂ©tĂ©s secrĂštes, les conspirations de toute nature. Lâesprit constitutionnel comprend ceux qui voulaient les Bourbons sans excepter la Charte de leur adhĂ©sion, ou qui voulaient la Charte en acceptant Ă ce prix les Bourbons, câest-Ă dire quâil rassemble en un noble et puissant faisceau la propriĂ©tĂ© et les capitaux, le commerce et lâindustrie , les illustrations et les lumiĂšres de la France. LâĂšrede la restauration marquera Ă©ternellement dans lâhistoire par ce long labeur du gouvernement reprĂ©sentatif, faisant son Ă©tablissement parmi nous, sans autre force que la libre controverse, sans autre secours que le bon sens public, sans autre milice que ces orateurs des partis opposĂ©s qui se sont succĂ©dĂ©s dans lâarĂšne parlemen- LIVRE SECOND. 1 6 o taire, et y ont combattu avec la puissance du talent pour la recherche du vrai, du juste, de lâutile. La France, dans ces quinze annĂ©es , a offert l'un des plus magnifiques spectacles quâait donnĂ©s un peuple, celui de vieilles factions aux prises dans le sanctuaire seul des lois, celui de libertĂ©s nouvelles conquises par la discussion, et conquises seulement quand elles Ă©taient mĂ©ritĂ©es. Câest que pour la premiĂšre fois alors la loi rĂ©gna sur la France. Pour la premiĂšre fois aussi, toutes les classes, toutes les forces, tous les talents, toutes les richesses, au milieu de la lutte inĂ©vitable des partis, concoururent Ă un but commun la grandeur de la patrie. Pour la premiĂšre fois, la pensĂ©e, affranchie de toute entrave, se trouva maĂźtresse dans lâunivers, put sonder sans obstacle les profondeurs de la philosophie ; interroger la religion sur son trĂŽne ; poursuivre la science dans tous ses mystĂšres ; refaire le passĂ© comme le prĂ©sent ; Ă©manciper aussi lâhistoire, et porter la lumiĂšre dans toutes les routes de lâintelligence ; chercher partout la vĂ©ritĂ©, partout la justice; tout tenter, tout accomplir dans lâintĂ©rĂȘt du bonheur et de la dignitĂ© des hommes. Pour la premiĂšre fois, il y eut un travail rĂ©flĂ©chi et uniforme de la sociĂ©tĂ© pour Ă©tendre aux classes infĂ©rieures les bienfaits de lâordre social, les relever par lâinstruction , les rendre plus heureuses en amĂ©liorant Ă la fois leur condition et leur moralitĂ©. La vertu dâun tel rĂ©- LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. l6t girne fit Ă©clore de toutes parts un bien-ĂȘtre inaccoutumĂ© dans le peuple, le goĂ»t du travail et de lâenseignement ; dans les ateliers, une activitĂ© immense ; dans les citĂ©s, des constructions, des villes entiĂšres ; partout lâaisance , les dĂ©couvertes , la prospĂ©ritĂ© ! Elle enfanta sans mesure les travaux littĂ©raire^, les conquĂȘtes scientifiques, et multiplia enfin les miracles de ce gĂ©nie national qui trouvait, pour la premiĂšre fois dans son essor, le secours delĂ paix, de la concorde et de la libertĂ©. Il faut le dire la France, durant ces quinze annĂ©es, a dĂ©passĂ© tous les peuples, moins un peut- ĂȘtre , dans la carriĂšre de la civilisation comme de la libertĂ© , et, tout pesĂ© , pas un du moins nâa le pas sur elle. La tolĂ©rance a presque partout conquis, sinon les lois, du moins les mĆurs. LâEurope, Ă peu prĂšs tout entiĂšre, la professe. Mais la Charte de 1814, en proclamant la religion catholique ce quâelle est depuis dix-huit siĂšcles, la religion de la France, avait la premiĂšre, avait, seule dans le monde, Ă©tabli lâĂ©galitĂ© des sectateurs de toutes les croyances devant la loi politique. LâAngleterre reconnaĂźt encore des distinctions, mĂȘme depuis la rĂ©cente Ă©mancipation de lâIrlande, et la plupart des Constitutions de lâAmĂ©rique du Nord exigent, pour lâexercice des fonctions publiques, le serment de croire, soit Ă lâancien et au nouveau Testament, 11 LIVRE SECOND. l 62 soit Ă la religion protestante, soit simplement Ă la rĂ©vĂ©lation. M. de Lafayette nâa jamais songĂ© Ă citer ce fait curieux. Il reconnaĂźtra que la France, dĂšs la restauration, avait fait un pas de plus que les Etats-Unis. La France eut une autre gloire ce fut dâavoir mieux compris, plus complĂštement appliquĂ© quâaucune autre nation lâĂ©galitĂ© devant la loi. Elle seule jusquâĂ ce jour lâa proclamĂ©e tout haut, et câest Louis XVIII qui lâĂ©crivit en propres termes sur le frontispice de son code. Les Etats-Unis quâon vante conservent lâesclavage, cette honte de lâhumanitĂ©, et il y est plus cruel quâailleurs. La confiscation sâadoucit par toute la terre. Mais il nây a au monde quâune seule nation qui ait rendu par ses lois au droit de propriĂ©tĂ© son inviolabilitĂ© souveraine ; câest toujours la France. La Charte de 1814 a eu encore cette gloire dâabolir, pour la premiĂšre fois dans lâunivers, une loi barbare dont la rĂ©volution avait si affreusement abusĂ© contre la vieille France toute entiĂšre, et Louis X VIII eut un mĂ©rite plus grand que celui dâinscrire cette magnifique conquĂȘte de la civilisation dans ses lois, ce fut dây tenir, au lendemain des cent-jours, quand lâEurope armĂ©e pouvait prĂȘter force Ă toutes les rĂ©actions, quand les longues misĂšres de lâĂ©migration sollicitaient des rĂ©parations et pouvaient solliciter des vengeances. Le parti 163 LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. de la rĂ©volution venait d'ailleurs de faire beau jeu. Il ne sâĂ©tait assis quâun jour au pouvoir, et sâĂ©tait hĂątĂ© dâabolir lâarticle tutĂ©laire de la Charte royale, dâĂ©crire dans la Charte des cent-jours Je confisquerai. Certes, lâauteur de cet ouvrage, bien jeune alors, a protestĂ©, assez haut, lorsque tant dâautres se taisaient, contre les emportements de 181 5. Maintenant que la rĂ©action qui les suscita sâest dissoute depuis bien des annĂ©es, et que ses dĂ©bris sont plus que jamais dispersĂ©s et vaincus, câest justice de dĂ©dier au parti royaliste cette inscription glorieuse Il ne confisqua point. Ceci donne Ă penser que tout rĂ©gime qui sâappuie Ă la propriĂ©tĂ© vaut mieux, par cela mĂȘme, que les systĂšmes qui sâappuient Ă la multitude. La peine de mort charge encore le code de toutes les nations partout sâaccomplissent dâun bout du monde Ă lâautre, sur des théùtres Ă©levĂ©s au milieu des places publiques, ces drames dâhommes, de femmes, de jeunes filles, de vieillards se dĂ©battant, avec des cris de rage et dâhorreur, contre un homme qui les apprĂȘte pour les Ă©gorger de par la loi on convie les peuples Ă ces spectacles de sang, afin de les prĂ©munir, dit-on, contre le goĂ»t du sang ! Cependant, partout sâadoucissent et les lois et les supplices, et câest un bonheur pour nous de retrouver notre pays Ă la tĂȘte des nations dans cette heureuse voie. LIVRE SECOND. I 64 Nos codes sâĂ©purent de tout ce quâils avaient encore de cruel; le lĂ©gislateur y Ă©monde le superflu des chĂątiments, peut-ĂȘtre au risque de nây pas conserver le nĂ©cessaire de la rĂ©pression ; la mort surtout cesse dâen attrister toutes les pages, et grĂące Ă cette heureuse combinaison de la double latitude laissĂ©e dĂ©sormais aux juges et aux jurĂ©s, lâĂ©chafaud nâensanglantera plus que de loin Ă loin nos places publiques. Mais Ă lâombre de quelles institutions des publicistes gĂ©nĂ©reux ont-ils pu Ă©veiller des scrupules inattendus dans la conscience du lĂ©gislateur, demander compte Ă la loi de ce sang quâelle rĂ©pandait sans remords, depuis six mille ans, au milieu des nations, lâinterroger sur son droit, lâintimider sur cet usage universel de sa puissance, la faire reculer par lâintervention des mĆurs publiques, en attendant quâelle abdique le glaive, et reconnaisse cpie lâhomme nâa sur lâhomme, quand le crime le domine, quâun seul droit certain, câest de le rendre impuissant; quâun seul pouvoir lĂ©gitime, câest de le rendre meilleur ! Nos rĂ©volutionnaires, en Ă©crivant sur leurs drapeaux la libertĂ© ou la mort! en rĂ©sumant ainsi, avec un laconisme effroyable, toutes les barbaries des temps passĂ©s, avaient laissĂ© une longue et profitable horreur. La mort pour des opinions et des croyances, commence Ă rĂ©volter la conscience humaine. Les amnisties, dont les rois couvrent les crimes politiques, alors mĂȘme quâelles semblent LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 1 G5 le plus restrictives, marquent encore le passage du droit ancien au droit nouveau. On veut ici rappeler, dans lâintĂ©rĂȘt de toutes nos Frances et de toute notre histoire, quâil y eut parmi nous une rĂ©volution qui sâaccomplit sans reprĂ©sailles sanglantes, et qui fut la premiĂšre dans le monde Ă donner ce magnifique exemple. La restauration de 1814, Ă laquelle ne manquaient pas les griefs, resta purede vengeance. Depuis lors, la rĂ©volution de 1830 lâa imitĂ©e son plus beau jour est celui oĂč la Chambre des dĂ©putĂ©s 1 cria Ă cette pairie si digne de lâentendre Tu ne tueras point! Mais enfin, sous lâempire de quel rĂ©gime, de quelles discussions fĂ©condes se sont formĂ©es les mĆurs publiques qui ont dotĂ© lâhumanitĂ© de cette conquĂȘte immense ? On vient de le dire. La guerre tombe dans tout lâunivers comme tous les autres flĂ©aux. Il a Ă©tĂ© secouĂ©, depuis les jours de juillet, mille fois plus de brandons qu'il nâen eĂ»t fallu autrefois pour mettre le feu au monde, et le monde est restĂ© en paix. Câest que les congrĂšs des seize derniĂšres annĂ©es ont commencĂ© une Ăšre nouvelle. La confĂ©rence de Londres consacre cet incommensurable progrĂšs. La force nâest plus lâunique truchement des Etats dans leurs discordes. Les rois ont appris Ă aimer un 4 Au sujet du procĂšs des ministres. i66 LIVRE SECOND. autre arbitrage que celui du dieu des batailles. Le principe des transactions pĂ©nĂštre dans le droit des gens. On peut prĂ©dire quâil sây sera bientĂŽt affermi, si la France en dĂ©lire ne proscrit pas de son droit public cette loi bienfaisante, et nâallume pas dans son sein , par la conflagration des partis, un incendie qui sâĂ©tendrait sĂ»rement Ă lâEurope entiĂšre. Mais ce changement de lâĂ©tat du monde, quelle part nây a pas eue la France de ces derniĂšres annĂ©es, avec ce rĂ©gime de dĂ©bats pacifiques, qui ont remuĂ© toutes les questions, Ă©clairĂ© tous les droits, instruit tous les peuples, jetĂ© sur tous les rapports des partis et des Etats un jour nouveau ! Ajoutons que la nature de notre gouvernement a créé un Ă©lĂ©ment de paix qui nâexiste nulle part ailleurs. Nos discussions de budget, Ă livres, sous et deniers, inconnues Ă toutes les autres monarchies constitutionnelles, sans exception de lâAngleterre, et propres, sous trop de rapports, Ă Ă©nerver le pouvoir, ont du moins ce rĂ©sultat heureux de faire un contre-poids puissant au droit royal de paix et de guerre, et de rendre les guerres plus difficiles, par cela mĂȘme plus rares, plus rares, en obligeant les gouvernements Ă ne tirer lâĂ©pĂ©e quâavec lâadhĂ©sion des peuples. Quand nous rĂ©clamions de M. de VillĂšle et obtenions la spĂ©cialitĂ© des dĂ©penses, qui est inconnue en Angleterre, combien peu dâesprits se doutaient que LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 167 cette conquĂȘte nouvelle des libertĂ©s publiques renfermĂąt le germe dâune bienfaisante rĂ©volution pour lâunivers ! Si on demandait quels ont Ă©tĂ© les principaux ressorts de ces progrĂšs de la civilation française sous la restauration, les principaux mobiles de lâĂ©tablissement de lâordre constitutionnel pendant ces quinze grandes annĂ©es, on en citerait trois sans balancer Dâabord, la puissance dâune royautĂ©, source auguste de toutes les institutions et image de tous les droits ; donnant Ă la sociĂ©tĂ©, nĂ©e de la rĂ©volution , un gouvernement antĂ©rieur Ă la rĂ©volution et supĂ©rieur Ă ses orages ; ralliant aux institutions nouvelles tous les partis, toutes les classes, et, en quelque sorte, tous les siĂšcles de la patrie ; relevant le pouvoir dans tous les degrĂ©s des hiĂ©rarchies politiques, par cela seul quâil Ă©manait dâelle ; contenant la libertĂ©, et la renfermant dans des bornes lĂ©gitimes, comme une digue inviolable au pied de laquelle venait nĂ©cessairement se briser lâesprit dâinnovation et de bouleversement ; Ensuite, la circonspection du systĂšme Ă©lectoral, mal assis assurĂ©ment, et par lĂ mĂȘme trop restreint, mais qui, Ă travers ses variations successives, a rendu le service de maintenir la puissance lĂ©gislative dans une rĂ©gion conservatrice, et em- i68 LIVRE SECOND. pĂȘchĂ© lâesprit de dĂ©sordre et de sĂ©dition, sinon de pĂ©nĂ©trer dans les assemblĂ©es, du moins dây rĂ©gner ; Enfin, la sagesse de la Chambre haute, corps illustre et populaire, qui a dĂ©fendu nos libertĂ©s naissantes contre leurs ennemis et contre elles- mĂȘmes, opposĂ© un Ă©gal boulevard aux passions contraires, tenu avec fermetĂ© la balance entre les partis, et contraint quiconque conspirait la chute des lois, sous des motifs divers, de se jeter par des entreprises dĂ©sespĂ©rĂ©es en dehors des lois. On rĂ©sumera ainsi le rĂ©gime sous lequel nous avons accompli les plus belles conquĂȘtes que jamais nation ait faites, des conquĂȘtes dont lâAngleterre nâa obtenu que la moitiĂ©, la partie politique, au prix des siĂšcles, et dont elle ne poursuivrait lâautre moitiĂ©, la partie sociale, que dans les convulsions Lâordre rĂ©gnait avec toutes ses conditions dans la sociĂ©tĂ© française. LâĂ©galitĂ© Ă©tait consacrĂ©e par les mĆurs et par les lois ; tous pouvaient arriver et arrivaient Ă tout. La noblesse de sang Ă©tait reconnue par la Constitution, mais primĂ©e par la noblesse dâintelligence et par la noblesse de cĆur, câest-Ă -dire par lâhonneur et le talent. Le talent Ă©tait une magistrature souveraine. La parole, lâesprit, le droit rĂ©gnaient. Dans lâordre politique, les masses faisaient si- LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 169 lence autour des pouvoirs publics; et, des deux tribunes, il en Ă©tait une qui garantissait un long avenir Ă la libertĂ© française, parce quâelle Ă©tait Ă©galement forte contre le trĂŽne, contre la multitude, contre les factions ; parce quâelle reposait sur le premier des intĂ©rĂȘts, sur le premier des sentiments, dĂ©veloppĂ©s au sein des sociĂ©tĂ©s humaines, nous voulons dire sur cet instinct conservateur qui a besoin dâavenir, et nây croit que lorsquâil sâappuie au passĂ©. Enfin, dans lâordre moral, sur cette triple base du droit royal, du principe, aristocratique et des pouvoirs populaires, de lâĂ©galitĂ© civile, fortement balancĂ©s et sagement contenus, câest-Ă -dire sur la base du droit partout, il y avait, pour lâesprit ascendant qui est propre Ă notre temps et Ă notre pays, des mobiles autres que lâintĂ©rĂȘt, que le lucre, que la richesse. Il y avait dâautres aiguillons que des Ă©moluments; lâargent nâĂ©tait pas tout. On pouvait prĂ©tendre Ă fonder une famille, Ă laisser un nom, Ă transmettre une illustration honorĂ©e du pays et consacrĂ©e par les lois. Maintenant, il faut faire fortune. Câest lâunique ambition lĂ©gale quâadmette la Charte de 1830! Quâon nous pardonne ce vice ou ce prĂ©jugĂ© nous prĂ©fĂ©rions, pour la gloire de notre pays et dans lâintĂ©rĂȘt des moeurs publiques, les ambitions tirĂ©es du vieux ressort de lâhonneur français. LIVRE SECOND. I70 CâĂ©tait donc la perfection ? va-t-on dire. HĂ©las ! non car ce qui est parfait nâest pas vulnĂ©rable aux coups de la fortune Nous ne reconnaissons Ă personne le droit de nous apprendre quels Ă©taient les cĂŽtĂ©s faibles. Nous allons retracer ceux qui importent Ă notre sujet. Mais nous disons que les plus essentiels ne faisaient point partie de la restauration selon la Charte. CHAPITRE VII. PLAIES DE LA RESTAURATION. IDĂES CONTRE - RĂVOLUTIONNAIRES. La restauration avait une grande infirmitĂ©, et la voici dâune main, elle versait sur la France des trĂ©sors de libertĂ©, dâinstruction, de prospĂ©ritĂ© ; de lâautre, des trĂ©sors dâingratitude. A cĂŽtĂ© de tous lesbiens, un seul manquait!. Mais celui dont lâabsence neutralise tous les autres dans lâesprit des hommes, celui que NapolĂ©on donnait avec tout son despotisme, et qui le rendait acceptable aux Français, celui qui est le premier besoin des nations la sĂ©curitĂ©. Et la sĂ©curitĂ© ne fut pas seulement absente des foyers populaires ; elle dĂ©serta aussi la couche du monarque. Le roi, au milieu de sa grandeur et de sa puissance, le peuple, au milieu de son bien-ĂȘtre et de sa libertĂ©, ne sâendormaient pas sans se demander ce que serait le lendemain. On ne recherchera pas Ă qui Ă©tait la faute, qui suscita le premier des alarmes fondĂ©es, ou en conçut le premier dâillĂ©gitimes. Devant des coups de la fortune comme ceux que nous avons vus, LIVRE SECOND. I72 on risquerait de 11e plus ĂȘtre impartial. Dâailleurs, quâimporte aujourdâhui? Ce qui importe, et ce qui nâest que trop certain, câest que des deux cĂŽtĂ©s on avait un fantĂŽme qui entretenait lâĂ©pouvante. Les masses croyaient toujours sentir la contre-rĂ©volution sâavancer sous terre ; le monarque voyait toujours face Ă face la rĂ©volution. Câest que, pour notre commun malheur Ă tous, une troisiĂšme restauration aurait pu ĂȘtre tentĂ©e, ou plutĂŽtrĂȘvĂ©e câĂ©tait la restauration contre la Charte. Celle-lĂ aurait mis, Ă la place dâune transaction entre les partis, la victoire de lâancienne France sur la nouvelle. Elle aurait rĂ©tabli lâinĂ©galitĂ© dans les fortunes, de haute lutte, pour la rĂ©tablir plus sĂ»rement dans les rangs. La grande propriĂ©tĂ© se serait reconstruite par les lois de lâancien rĂ©gime, et, suivant quelques conseils, plus promptement que par les lois. Au grĂ© des publicistes divers, on eĂ»t complĂ©tĂ© le rĂ©tablissement de lâordre, relativement aux personnes, en ne comptant que les services royalistes; relativement aux classes, en restituant les privilĂšges dĂ©truits; relativement aux intĂ©rĂȘts, en rĂ©tablissant purement et simplement le droit dâaĂźnesse et les substitutions ; relativement aux pouvoirs, en relevant les couvents abattus, les sociĂ©tĂ©s abolies, les corporations supprimĂ©es, sauf Ă couronner lâĂ©difice, selon deux gĂ©nies divers qui auraient Ă©tĂ© aux prises bientĂŽt, soit par la puissance absolue du Saint-SiĂšge , soit par celle des rois. LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 1^3 Cette restauration subversive et impossible est ce que la polĂ©mique nommait la contre-rĂ©volution, expression impropre car, Ă parler exactement, les trois restaurations que nous avons dites, en comprenant sous ce nom lâempire comme il convient, Ă©taient Ă©galement contre-rĂ©volutionnaires, puisque toutes trois, en rĂ©alitĂ©, Ă©taient la condamnation des actes ou des principes de la rĂ©volution Ă des degrĂ©s divers, et au mĂȘme degrĂ© la condamnation de ses crimes. La restauration contre la Charte diffĂ©rait de lâautre, en ce quâelle nâĂ©tait bonne pour personne au monde, ni pour les Bourbons, ni pour les Français. Les Français? elle pouvait les bouleverser; les Bourbons ? les perdre voilĂ toute sa puissance. Il ne sâagissait pour elle de rien moins que dâune rĂ©volution politique et sociale tout ensemble ; dâune rĂ©volution aussi complĂšte, aussi vaste que celle de 1789, mais Ă rebours, mais Ă contre-courant , mais en brisant cette force de lâesprit moderne et de lâaction populaire par laquelle la VendĂ©e, lâĂ©migration et le monde avaient Ă©tĂ© Ă©crasĂ©s vingt-cinq ans ! Son premier acte aurait Ă©tĂ© de substituer Ă la libertĂ© le pouvoir absolu ; et ceci, quoi quâon en ait pu dire, de toute nĂ©cessitĂ©. Comment espĂ©rer que le systĂšme reprĂ©sentatif reprĂ©sentĂąt autre chose que les intĂ©rĂȘts rĂ©gnants ? Ou, si on pouvait passagĂšrement obtenir de ce vaste instrument un mensonge, la nation ne sây serait pas trompĂ©e. Un moment soumise Ă la fie- LIVRE SECOND. 174 tion, elle aurait bientĂŽt pris les armies contre la rĂ©alitĂ©. Aussi ses dĂ©fiances associaient-elles toujours ces deux flĂ©aux pouvoir absolu, contre-rĂ©volution , sans sâinquiĂ©ter quel serait cel ui des deux qui mĂšnerait Ă lâautre. Ces entreprises,, qui auraient Ă©tĂ© Ă la fois coupables et surhumaines â Ă©taient prĂ©cisĂ©ment les dangers contre lesquels Louis XVIII avait entendu rassurer la France, quand il sâĂ©tait hĂątĂ© de donner la Charte Ă toujours. Tous les biens contenus dans ce mot Ă toujours Ă©taient infirmĂ©s par le parti qui lisait hautement dans un article de la Charte lâart. 14, le droit de la mettre tout entiĂšre Ă nĂ©ant, sans voir quâen frappant de provisoire toutes nos franchises et toutes nos prospĂ©ritĂ©s, il en frappait aussi la monarchie. Vainement, ce parti, puissant aux jours de 1815, sâĂ©tait-il vu graduellement affaibli, transformĂ©, conquis par la Charte le comte dâArtois avait Ă©tĂ© son chef, et, roi, il ne sut jamais se rĂ©soudre Ă rompre hautement avec ce vieux compagnon qui le flattait jusquâĂ le perdre. Tout le monde sentait que, si jamais il se voyait acculĂ© aux limites de la Charte pour la querelle delĂ prĂ©rogative, il accepterait, plutĂŽt que de flĂ©chir, les interprĂ©tations de lâarticle 14, que lui offrait ce serviteur funeste; la France savait que son roi en viendrait lĂ , avant quâil en fĂ»t convenu avec personne, ni peut-ĂȘtre avec lui-mĂȘme. Dâun autre cĂŽtĂ©, lâesprit rĂ©volutionnaire, en- LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 1^5 dormi quinze ans aux pieds de NapolĂ©on, sâĂ©tait rĂ©veillĂ© au seul aspect de la monarchie lĂ©gitime. TantĂŽt cacliĂ© Ă lâombre de lâopinion loyalement constitutionnelle, tantĂŽt marchant Ă dĂ©couvert, il traitait le pouvoir en ennemi public, parce que les princesqui en avaient le dĂ©pĂŽtĂ©taient ceux pour qui avaient combattu lesCharetteetlesBonchamps. LâimpiĂ©tĂ© sâĂ©tait agenouillĂ©e devant les autels relevĂ©s par Bonaparte; elle se rua sur les autels hantĂ©s par les Bourbons. La dĂ©magogie sortit de terre en mĂȘme temps. Voltaire et Rousseau, alors dĂ©laissĂ©s, redevinrent subitement des idoles. La restauration de M. de Lafayette, oubliĂ© depuis vingt-deux ans, fut le contre-coup de celle du trĂŽne. On le tira, populaire, de son impopularitĂ© de 1792, simplement parce quâon se rappela que la reine Marie- Antoinette, qui lâavait bien traitĂ© Ă Versailles, parlait mal de lui aux Tuileries, parce quâon sut que les Bourbons, qui lâauraient dĂ©popularisĂ© de nouveau avec un sourire, venaient de se refuser cette victoire. Dans le choix des noms, les plus hostiles Ă la royautĂ© Ă©taient toujours recommandĂ©s Ă lâopinion publique par la presse et les comitĂ©s. Les Ă©lections allĂšrent jusquâĂ montrer aux Bourbons les juges de Louis XVI quâon ne montrait plus Ă Bonaparte couronnĂ© ; la restauration anglaise avait arrachĂ© la vie Ă leurs devanciers, dans des mutilations et des supplices abominables; la restauration française LIVRE SECOND. I 7 6 les avait, Dieu merci, laissĂ©s vivants ; mais devait-elle sâattendre Ă se les voir opposer en insulte ou en dĂ©rision ? CâĂ©tait un des points que la Charte avait omis de prĂ©voir. Enfin, tous les mauvais noms Ă©taient Ă©voquĂ©s Ă la fois, avec toutes les mauvaises maximes, comme si la rĂ©volution ne pouvait assurer ses conquĂȘtes quâĂ lâaide de toutes ses armes et de tous ses hĂ©ros ! De lâamour prĂ©tendu des rĂ©volutionnaires pour la libertĂ©, de lâamour sincĂšre et exaltĂ© des royalistes de toutes les nuances pour la royautĂ© lĂ©gitime, naquit un double malentendu presque constant entre le roi et son peuple. Ce que le public nommait libertĂ©, le roi lâappelait rĂ©volution ; ce que le roi appelait ordre t pouvoir, prĂ©rogative, Ă©tait contre-rĂ©volution aux yeux de lâopposition qui mailrisait la France. Dans la pratique souvent dĂ©sordonnĂ©e de la libertĂ©, lâopposition voyait surtout le droit; Je roi voyait surtout les excĂšs il ne pouvait entendre que les excĂšs Ă©taient les consĂ©quences du droit, et, en quelque sorte, ses preuves. Dans la prĂ©rogative, au contraire, le prince ne voulait voir que le droit rigoureux, tandis que lâopinion inquiĂšte sâattachait aux circonstances, aux noms - propres , et, par suite, aux intentions, aux arriĂšre-pensĂ©es, enfin au fantĂŽme, Ă la contre-rĂ©volution. Comment lâautoritĂ© royale, au milieu de ces Ă©cueils contraires, 11e se serait-elle pas fourvoyĂ©e LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. lâj'J sans cesse dans le partage quâelle avait Ă faire entre le pouvoir et la libertĂ©, entre le passĂ© et le prĂ©sent, entre les droits de la couronne et ses intĂ©rĂȘts bien entendus ? Ainsi, croyait-elle faire merveille de conserver la nomination des conseils- gĂ©nĂ©raux, au lieu de les instituer sur des bases solides, de maniĂšre Ă y trouver des points dâappui . Ainsi, employait-elle une Chambre dĂ©vouĂ©e et fidĂšle, Ă garder dans les lois lâarme de la censure, Ă y attacher le glaive du sacrilĂšge, menaces stĂ©riles et mauvaises , au lieu de profiter dâĂ©lections favorables pour raffermir la propriĂ©tĂ©, la famille et les influences lĂ©gitimes, par des modifications sensĂ©es de la loi civile, sans touchera ses bases essentielles; pour rĂ©gler dĂ©finitivement toutes nos libertĂ©s incohĂ©rentes ou incertaines encore; enfin, pour complĂ©ter, finir la Charte, et donner au pays des garanties de plus, tout en asseyant la monarchie sur des principes dâordre et de conservation plus fortement instituĂ©s dans la famille, dans la sociĂ©tĂ©, dans lâĂtat. Ainsi, avait-elle assez souci de lâopinion pour ne pas nourrir un seul jour, dans les quinze annĂ©es, la pensĂ©e de restituer Ă nos provinces leurs noms historiques ; ce qui eĂ»t Ă©tĂ© possible pourtant, sans blesser la circonscription administrative, grĂące aux circonscriptions judiciaires, acadĂ©miques , militaires ;*ce qui eĂ»t Ă©tĂ© pour lâancienne France une inoffensive et lĂ©gitime satisfac- 12 LIVRE SECOND. I78 lion ; ce que la France nouvelle nâaurait pu voir de mauvais Ćil, quand les associations libĂ©rales ressuscitaient elles-mĂȘmes sans cesse ces noms antiques de Bretagne ou de Lorraine; ce qui nâeĂ»t rien fait, au bout du compte, que de naturaliser nos enfants dans lâhistoire de leur patrie, au lieu de les laisser dĂ©paysĂ©s et perdus dans la gĂ©ographie nationale comme des Ă©trangers. Et, tandis que la couronne avait de ces circonspections, elle sâopiniĂątrait Ă ne montrer nul mĂ©nagement pour le sentiment public dans le sujet qui avait le plus besoin de rĂ©unir tousâles sentiments et tous les vĆux, lâĂ©ducation du jeune hĂ©ritier de la couronne ! Câest en vain quâon lui criait que ce ri Ă©tait pas assez quil fĂąt lâenfant du miracle , qriil fallait le faire lâenfant de la France ; quâil ne sâĂ©tait pas vu que des miracles eussent jamais empĂȘchĂ© un trĂŽne de cheoir , ou relevĂ© un trĂŽne abattu , tandis que la sympathie et la confiance des peuples avaient suffi souvent Ă lâune et lâautre lĂąche 1 ! La grande calamitĂ© de la restauration Ă©tait que la royautĂ© , dans ses alarmes et ses griefs, justes ou non, nâimaginait pas de moyen plus sĂ»r , pour se dĂ©fendre dâun extrĂȘme, que de demander Ă lâautre extrĂȘme des forces qui nây Ă©taient pas. CâĂ©tait sâenfoncer dans la nue en voulant fuir lâorage. 1 Journal des De'bats, LA SOCIĂTĂ FIĂAĂVĂ AISE. I 79 De cette sorte, chaque rĂ©action portait aux intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes du pouvoir , aux Ă©lĂ©ments de lâordre, aux saines notions de la libertĂ©, un coup funeste; lâesprit public en restait profondĂ©ment faussĂ©. Le dĂ©sordre faisait des progrĂšs sĂ©rieux et rapides. Lâopinion constitutionnelle sâen laissait entamer Ă son insu; la France devenait manifestement ingouvernable, et on sait des gens qui lâĂ©crivaient dĂšs lors. Lâadministration Ă©tant tournĂ©e Ă des fins impopulaires, toute administration, toute autoritĂ© parut dĂ©ception, fraude, tyrannie. Lâanimadversion pour la religion, ses pompes et ses ministres , dĂ©passa promptement les fautes quâon reprochait au sacerdoce. Ce fut assez de la tentative avouĂ©e de reconstruire la propriĂ©tĂ© nobiliaire , pour rendre impossibles les modifications dĂ©sirables, et pour faire Ă la propriĂ©tĂ© mĂȘme des ennemis. Il est advenu ainsi, par une Ă©trange fatalitĂ© , que la restauration nuisit beaucoup Ă ces doctrines conservatrices dont elle semblait porter en elle-mĂȘme la source et le dĂ©pĂŽt. Ou pouvait craindre quelquefois que la France ne reculĂąt de tout le chemin que lâempire lui avait fait faire dans les voies de lâordre et du pouvoir. Tels Ă©taient les rĂ©sultats funestes du perpĂ©tuel qui-vive du pays et du trĂŽneâ. II vint un moment oĂč les bons esprits purent mesurer, dans toute son Ă©tendue , la grandeur du mal. LIVRE SECONO. 180 M. Thiers a dit 1 que la Charte, excellente en soi, resta stĂ©rile seize ans ; que sa nature Ă©tait de fonder le gouvernement de la majoritĂ© ; quâil nâen fut rien_Erreur de fait. Pendant les seize annĂ©es, il nây eut pas un ministĂšre qui ne sâappuyĂąt sur la majoritĂ© et ne tombĂąt avec elle la premiĂšre exception devait se voir en 1830 ; elle a emportĂ© la monarchie. Mais, au commencement de 1828, la Charte donna de sa souverainetĂ© active une preuve Ă©clatante ce fut la chute dâune administration dont lâhabiletĂ© et les doctrines Ă©taient chĂšres au prince, et que la puissance du prince cessa de soutenir devant la puissance des Ă©lections; ce fut le renversement dâun systĂšme tout entier par le simple jeu de la machine constitutionnelle; ce fut lâavĂ©- nement dâun ministĂšre nĂ© de la nĂ©cessitĂ© lĂ©gale, oĂč se reconnut la couronne, de faire flĂ©chir ses conseils personnels devant le vĆu national. CâĂ©tait le systĂšme reprĂ©sentatif dans toute sa vertu ; le droit de la majoritĂ© Ă©lectorale et de la majoritĂ© parlementaire se montrait la dans toute sa puissance. La France retrouvait, sous la monarchie, le self government des Ătats-Unis, le gouvernement par soi-mĂȘme. Charles X acceptait, de la Charte, ses derniĂšresâconsĂ©quences, et triomphant de ses sentiments personnels, donnait, de tous les 1 Monarchie de 1830. LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. l8ĂŻ gages, le plus grand, Ă lâordre constitutionnel. LâAlsace prouva que les peuples payaient avec usure au monarque sa prompte condescendance. Mais quel usage la majoritĂ© fit-elle de cette fortune ? Nous le dirons hardiment. CHAPITRE VIII. SUITE DU PRĂCĂDENT. CE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. Il est un parti qui nâa jamais fait que du mal Ă la France ; qui, pendant les seize annĂ©es, a entravĂ© lâaffermissement des institutions libres; qui a sus- pendu ou refoulĂ© tous les progrĂšs, et risquĂ© souvent de les dĂ©truire dans leur principe mĂȘme , en les compromettant jusque dans lâadhĂ©sion et la confiance publiques. Lâalliance dĂ©fensive de lâopinion constitutionnelle avec ce parti nĂ©cessairement aggressif et destructeur, a Ă©tĂ© la grande fatalitĂ© de la restauration. Ce parti, que sa gĂ©nĂ©alogie rattache Ă nos temps de crimes et de malheurs, naquit aux cents-jours, du mariage forcĂ© de NapolĂ©on avec la dĂ©magogie, tenant de lâun et de lâautre, apĂŽtre du progrĂšs des lumiĂšres et vivant des rĂ©miniscences de la rĂ©volution ou de l'empire; traĂźnard de tous les rĂ©gimes, et nâen gardant que des souvenirs corrompus ; ne reconnaissant le pouvoir quâĂ la tyrannie, 183 LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. et la libertĂ© quâĂ la licence; souple sous NapolĂ©on tant quâil rĂšgne aux Tuileries, levant la tĂȘte quand NapolĂ©on revient mutilĂ© du champ de douleur et de revers, parlant de dĂ©chĂ©ance alors que câeĂ»t Ă©tĂ© le cas de parler de gloire, de guerre, de dĂ©sespoir ; se hĂątant de prendre les devants sur lâEurope , dâachever le lion quâelle a Ă©crasĂ©, de gagner Ă lâĂlysĂ©e-Bourbon sa victoire de Waterloo, sons les yeux de lâĂ©tranger; humiliant enfin le grand homme comme a fait la fortune, le contraignant, pour dernier outrage , dâabdiquer Ă ses pieds, lui contestant le titre de soldat aprĂšs celui de prince, et lâobligeant dâaller sâoffrir seul, nu, dĂ©couronnĂ©, aux mains de lâAngleterre ; gens qui semblaient nâavoir dâautre ambition que de laisser lâhistoire indĂ©cise sâil Ă©tait tombĂ© devant M. de Lafayette ou devant lord Wellington. CâĂ©tait le moment de combattre ? point; de traiter ? point. Les soldats, les capitaines multiplient en vain dâinutiles miracles de dĂ©vouaient et de courage. Ces vieilles bandes, qui arrivent du champ de bataille dĂ©labrĂ©es et sanglantes, nâont pas Ă©tĂ© assez mutilĂ©es par la fortune. La Chambre des reprĂ©sentants se met elle-mĂȘme Ă les mutiler de nouveau par le plus imbĂ©cile et le plus pusillanime des calculs ; elle leur enlĂšve leur chef, elle les dĂ©possĂšde de son gĂ©nie en mĂȘme temps que lui de sa cour onne, de peur quâil ne se relĂšve par une LIVRE SECOND. 184 victoire. Les hommes qui, depuis lors, nâont cessĂ© dâavoir la bouche pleine des hontes de la France, ne sont occupĂ©s quâĂ cette Ćuvre de briser aux mains de NapolĂ©on le sceptre et lâĂ©pĂ©e, dans lâespoir de tendre avec plus de succĂšs leurs mains dĂ©sarmĂ©es Ă lâĂ©tranger qui les repousse. Et quand ils lâont brisĂ©e en effet, cette Ă©pĂ©e qui intimidait encore le monde, ils ne sâoccupent plus que dâune chose, câest dâĂ©laborer une constitution quâils dĂ©dient aux gĂ©nĂ©rations futures, et Ă laquelle, du reste, eux-mĂȘmes nâont plus songĂ© depuis. VoilĂ quâau milieu de la discussion de lâarticle 90, sâil y a un article 90, ou tel autre, les bataillons anglais et prussiens apparaissent sous les murs de Paris consternĂ©; alors on songe au salut public, et les commissaires de lâassemblĂ©e sâacheminent vers les camps Ă©trangers , pour aller , de quartier-gĂ©nĂ©ral en quartier-gĂ©nĂ©ral, quĂȘter un roi qui ne fĂ»t pas Bourbon, et, par consĂ©quent, selon toute apparence, qui ne fĂ»t pas Français. Vient la rĂ©action royaliste de 1815. Dâautres parlent, dâautres Ă©crivent, dâautres protestent, dâautres plaident la cause de la mansuĂ©tude, de la politique, de la Charte enfin ; dâautres demandent quâon rĂ©ponde Ă coups de cloche aux exigences de VĂ©tranger, que les VĂȘpres siciliennes soient nos traitĂ©s avec la coalition 1 qui tenait notre grande 1 La coalition et la France* i85 LA. SOCIĂTĂ FRANĂAISE. France sous ses lois ; et, si on se le rappelle bien, celui qui laissait Ă©chapper ces accents pĂ©rilleux resta tout seul ; sa voix nâeut dâĂ©clios quâau fond des cĆurs français. Mais, dĂšs quâun ministĂšre, qui prĂ©tend lier sa cause Ă celle des intĂ©rĂȘts nationaux, et qui rompt avec les royalistes le ministĂšre Decaze, sâest affermi au pouvoir, le parti, dĂšs-lors rassurĂ©, se montre superbe et intraitable le premier usage quâil fait de lâaffranchissement de la presse est de cĂ©lĂ©brer , par amour pour la libertĂ© , NapolĂ©on et le ComitĂ© de salut public ; le premier usage quâil fait de lâaffranchissement de la tribune est de demander le rappel des Conventionnels; le premier usage quâil fait de l'affranchissement des Ă©lections est dâasseoir un RĂ©gicide Ă la Chambre comme on plante un drapeau. Ces violences provoquent dans les esprits une rĂ©action qui, en un jour de deuil et dâĂ©pouvante 1, passe aisĂ©ment des esprits dans les conseils. Le ministĂšre tombe, et le parti lâabandonne sans dĂ©fense aux attaques les plus cruelles. Un ministĂšre, conciliateur encore, et sage, loyal, habile, celui du duc de Richelieu, succĂšde le parti imagine de sâallier, pour lâabattre, avec ses ennemis naturels, avec les royalistes extrĂȘmes, sachant bien que ce nâest pas Ă lui que servira la victoire. Il ne se trompe pas Ă ce point sur lâĂ©tat de la cour et de 1 13 FĂ©vrier 1820, Assassinat de M. le due de Berry. i86 LIVRE SECOND. la France. Non; il pousse aux roues de la rĂ©action, simplement parce que le char nâira point trois mois, dit-il, sans se briser. Cette coupable coalition, ce tour dâaffranchis Ă©lĂšve le ministĂšre VillĂšle, qui dure sept annĂ©es, et qui malheureusement passe sans rien fonder ! Un tel succĂšs obtenu dans les AssemblĂ©es, le parti rĂ©volutionnaire recourt au carbonarisme, aux conspirations, aux rĂ©voltes sanglantes , pour renverser son ouvrage, et il ne fait quâexaspĂ©rer ainsi le rĂ©gime quâil a créé. La guerre dâEspagne Ă©clate le parti Ă©migre; il fait Ă©migrer avec lui le drapeau tricolore; il le promĂšne en Catalogne, mariĂ© aux bandes Ă©trangĂšres; il ressuscite enfin et sâapproprie, pour les faire battre par des Français, cescouleursqui ont vaincu le monde. Par lĂ il grandit dâautant le triomphe des adversaires qui ont trouvĂ© en lui un marche-pied officieux pour arriver Ă la puissance. La victoire des royalistes est complĂšte; elle domine les Ă©lections; elle envahit les journaux mĂȘme du parti rĂ©volutionnaire, qui se livrent, se vendent, sâeffacent Ă lâenvi. La Chambre des pairs reste seule inĂ©branlable, comme un roc que battent tour Ă tour les flots contraires; seule elle dĂ©fend , seule elle reprĂ©sente cette restauration selon la Charte, dont elle semble lâexpression la plus haute et la plus vive image. Hormis ce grand corps, tout faisait silence et pliait la I,A SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 187 tĂȘte, quand un gĂ©ant arrive du camp royaliste, qui lâa follement chassĂ© de ses conseils. M. de Chateaubriand, Ă©vincĂ© par une fraction de ses anciens amis quâil dĂ©nonce Ă la France comme des barbares , chĂątie impitoyablement sa disgrĂące sur la royautĂ© qui y a consenti, en tendant Ă la libertĂ© constitutionnelle sa main gantelĂ©e , en la couvrant du drapeau blanc, en lui rendant courage Ă son ombre ; et il rallie une armĂ©e par ses grands coups qui valent des armĂ©es. Tout habile, tout opiniĂątre que pĂ»t ĂȘtre la dĂ©fense du pouvoir, on voyait chaque jour tomber de la place assiĂ©gĂ©e un pan de muraille, chaque jour se dĂ©tacher du faisceau rompu de nombreux, de riches tronçons qui prĂȘtaient du lustre et de la force Ăą lâopinion constitutionnelle, Ă celle qui voulait la restauration selon la Charte, rien de plus. De progrĂšs en progrĂšs, la victoire est acquise ; les Ă©lections la dĂ©clarent, Qui lâa obtenue ? Consultez les listes des Ă©crivains, des candidats , des Ă©lus. Yous verrez que ce furent les Royalistes dissidents, les Constitutionnels sincĂšres et loyaux. Mais qui se chargera de la corrompre et de la ruiner? Laissez faire au parti rĂ©volutionnaire. Le voilĂ ! il perdra tout. En effet, le ministĂšre Martignac, nĂ© de la victoire Ă©lectorale, a promis une loi quibrise le glaive delĂ censure et une autre qui assure la sincĂ©ritĂ© des Ă©lections. Câest une Charte toute entiĂšre ; câest le i88 LIVRE SECOND. gouvernement reprĂ©sentatif Ă©levĂ© Ă sa plus haute puissance. LâAngleterre a mis cent ans pour arriver Ă la premiĂšre de ces libertĂ©s ; et elle nâa point lâautre. Ces lois sont prĂ©sentĂ©es. La France pousse un cri de gratitude. Ce cri, M. Benjamin de Constant le formule, pour son compte, dans un journal, et y attache son nom. Mais tout Ă coup le parti rĂ©volutionnaire se ravise. Tout ceci nâest que de la libertĂ©; par consĂ©quent du repos, lâordre, la monarchie. Le parti dĂ©clare les lois vandales ; et câest le mĂȘme M. Benjamin de Constant qui est chargĂ© dâouvrir l'assaut tous sây prĂ©cipitent; et, Ă dater de ce moment, harceler, calomnier lâadministration conciliatrice, multiplier en mĂȘme temps les coups que lâon sait les plus sensibles au monarque dans tous les votes parlementaires, câest, pendant deux sessions entiĂšres, lâĆuvre de tous les jours, et, par malheur , le parti constitutionnel dans la chambre Ă©lective se fait lâinstrument de la faction subversive que ses rangs recĂšlent. Dans lâintervalle, le cabinet multiplie, aux regards de la France, les victoires delĂ Charte sur toutes les rĂ©sistances des prĂ©ventions ou des alarmes royales, et il a droit dâattendre que lâesprit rĂ©volutionnaire recule dâautant de terrain que lâordre nouveau en a conquis. Ainsi , les portes des conseils se sont ou- LA SOC [ĂTĂ FRANĂAISE. 1 89 vertes devant les publicistes et les orateurs, qui ont combattu longtemps pour la Charte, et qui ont vaincu. Ainsi, des rĂ©formes nombreuses se sont Ă©tendues de lâadministration Ă la cour et Ă lâEglise. Ainsi, des ordonnances mĂ©morables ont fait raison du grand grief de lâopinion, la sociĂ©tĂ© de JĂ©sus; la conscience du monarque sâest mĂȘme pliĂ©e Ă cet Ă©gard, pour donner des gages plus surs, Ă des exigences qui dĂ©passent, dans la question du moins de lâaffirmation obligatoire, lâattente des bons citoyens et peut-ĂȘtre le vĆu des lois. BientĂŽt, des lois qui doivent instituer nos libertĂ©s communales et dĂ©partementales arrivent Ă la tribune. Lâopposition qui a demandĂ© ces lois, et qui mĂȘme sâavoue satisfaite de lâune des deux, trouve plaisant de se coaliser de nouveau, contre le ministĂšre habile et loyal qui les a obtenues du trĂŽne, avec ceux qui ne veulent ni de lâune ni de lâautre , qui condamnent toutes les concessions. Le ministĂšre demande quâon discute dâabord celle qui satisfait les esprits, celle qui est la base naturelle du systĂšme, celle qui pose et tranche des questions dont la solution est indispensable au reste des dĂ©bats, celle qui a Ă©tĂ© introduite la premiĂšre, rapportĂ©e la premiĂšre, prĂ©sentĂ©e la premiĂšre Ă lâordre du jour , la loi communale enfin. Câest assez pour que lâopposition dĂ©cide de tout bouleverser, de commen- LIVRE SECOND. 19° cer par ce qui fera orage, par ce qui ajournera dâune annĂ©e, au moins, les libertĂ©s municipales dont on se dit avide. Pourquoi cette dĂ©cision ? simplement pour molester, Ă tort et Ă travers, un pouvoir coupable de se montrer constitutionnel et dĂ©bonnaire. Quâon donne une autre raison on en dĂ©fie. Enfin , la loi dĂ©partementale est livrĂ©e Ă la discussion. Au premier article, le nom des conseils dâarrondissement se trouve rappelĂ© ; quelquâun propose de les abolir, de renverser, par un amendement auquel personne nâasorigĂ©, sans discussion prĂ©alable, le systĂšme entier de lâadministration française et toute lâĂ©conomie de la loi. Le ministĂšre dĂ©clare que cette folie, que cette offense Ă la prĂ©rogative royale comme au bon sens, ne sera point subie. Raison de plus; il faut voir si le roi osera. Cette expĂ©rience est le seul intĂ©rĂȘt qui tente car les conseils dâarrondissement ne font rien Ă personne; la preuve en est que, depuis juillet, le parti a eu carte blanche, quâil a pensĂ© Ă toutes les destructions, et nâa plus pensĂ© Ă celle-lĂ . Il renonce Ă de grandes institutions pour recommencer le jeu des coalitions de 1822. Il vote avec lâextrĂȘme droite, en criant que, si les lois Ă©taient retirĂ©es, il remuerait ciel et terre. Le roi retire Ă lâinstant les lois. Le parti fait silence, plie la tĂȘte ; une conquĂȘte pacifique est ajournĂ©e sans coup fĂ©rir. LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. IQ t Par malheur, la facilitĂ© de la victoire en exagĂšre la portĂ©e aux yeux de la couronne ; et la France a obligation Ă cette opposition turbulente et stĂ©rile de lâavĂ©nement du ministĂšre du 8 aoĂ»t 1829, celui du prince de Polignac. Câest exactement ainsi que le tribunat avait procĂ©dĂ© avec NapolĂ©on , dĂ©jĂ rĂ©parateur, et constitutionnel encore. Une opposition, Ă tort et Ă travers, le prĂ©cipita dans le pouvoir absolu qui le conduisit Ă sa ruine par excĂšs de gloire. Charles X, entrant dans les voies constitutionnelles, Ă©tait accueilli avec les mĂȘmes emportements, et allait en tirer les mĂȘmes conclusions pour son malheur et pour le nĂŽtre. Aujourdâhui, on procĂšde dĂ©jĂ de la mĂȘme maniĂšre, envers la monarchie de 1830. Tant que ce fatal esprit sera celui de notre patrie, tant que les gouvernements seront dâautant plus combattus quâils seront moins affermis ou plus dĂ©bonnaires, la libertĂ© y sera impossible. Nous aurons le destin des rĂ©publiques espagnoles. Il n'y aura de permanent parmi nous que les rĂ©volutions ! â De lâexposĂ© qui prĂ©cĂšde, on peut conclure que le parti rĂ©volutionnaire nâa point le droit dâaccuser la restauration; car, il a fait les ministĂšres par qui les actes impopulaires se sont accomplis. U nâa point le droit de se plaindre des quatre cents millions de la guerre dâEspagne et du milliard de lâindemnitĂ©. Il nâa pas non plus le droit 192 LIVRE SECOND. de parler dâĂ©conomie ; car il a coĂ»tĂ© Ă la France, outre ces deux chapitres, les deux milliards du 20 mars 1815 et le quantum de la rĂ©volution de 1830. Il nâa point le droit de parler de la libertĂ© ; car il ne lâa jamais comprise, llnâa jamais su lâaccueillir quand elle sâest offerte Ă lui. Il ne connaĂźt quâune chose les subversions. Encore exige-t-il, infatigable artisan, que ce soient des toiles de PĂ©nĂ©- loppe. Nous sommes contraint pour la leçon de lâavenir , dâinsister sur ce point Pourquoi faut-il quâen 1828 et 1829, le parti rĂ©volutionnaire obtĂźnt trop souvent, dans les votes de chaque jour, lâadhĂ©sion de constitutionnels loyaux, qui auraient dĂ» mettre leur gloire, comme leur politique, Ă se sĂ©parer de lui jusquâĂ ce quâil sâabjurĂąt? Les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes avaient créé une seconde royautĂ© qui balançait la royautĂ© vĂ©ritable, ou plutĂŽt la surpassait dĂ©jĂ dans la sollicitude des hommes publics. La popularitĂ© commençait de rĂ©gner, sa tĂȘte de MĂ©duse Ă la main. Dieu sait de quels amis, de quels serviteurs de la couronne elle enchaĂźnait les votes aux opinions populaires, et la mauvaise Ă©toile de la monarchie voulut quâun grand esprit, qui gouvernait alors la Chambre des dĂ©putĂ©s, au lieu de rapprocher le centre gauche du centre droit qui avait Ă©galement pour symboles le roi et LA. SOCIĂTĂ iq3 la Charte, mit toute sa sagesse Ă maintenir lâalliance contre nature des amis de la Charte et de la royautĂ© avec ceux qui ne voulaient ni de roi ni de Charte. Cette alliance formidable fut le prĂ©texte de toutes les accusations, lâaliment de toutes les mĂ©fiances, lâobstacle Ă toutes les transactions ! / 13 CHAPITRE IX. MINISTĂRE DU 8 AOUT 1829. CONFLIT ENTRE LA PRĂROGATIVE ROYALE ET LA CHAMBRE ĂLECTIVE. Le malheur du trĂŽne et de la France fut que le roi sentit les torts quâon vient dâexposer, non en successeur de Louis XVIII, mais en hĂ©ritier de Louis XIV.. Le malheur du trĂŽne et de la France fut que le roi vit dans ces fautes, moins la preuve du mal produit par les rĂ©actions prĂ©cĂ©dentes, que lâoccasion et le motif lĂ©gitime dâune nouvelle rĂ©action, dâune revanche pour la royautĂ©. On ne peut douter que lâopinion publique ne fĂ»t vivement frappĂ©e de toutes les tĂ©mĂ©ritĂ©s de lâopposilion. Lâivresse passagĂšre qui avait entraĂźnĂ© des gens d'honneur et de loyaux amis des lois Ă incliner leurs votes devant le parti rĂ©volutionnaire, cette ivresse fatale Ă©tait tombĂ©e. La mise en coupe rĂ©glĂ©e de tous les services publics, dans la discussion des deux budgets, avait frappĂ© tous les gens sensĂ©s, comme le symptĂŽme dâun travail de dĂ©sorganisation qui accusait une grande plaie LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. ig5 sociale et politique. Tous les esprits droits Ă©taient rĂ©solus Ă rompre enfin avec la faction qui venait de trahir hautement le dessein dâasservir et de perdre la monarchie. Nul doute que lâautoritĂ© royale nâeĂ»t trouvĂ© dans la session suivante, au sein de la Charte, et avec lâappui de la raison publique, les forces qui lui avaient manquĂ© dâabord. Le roi prĂ©fĂ©ra une autre expĂ©rience. Au lieu de conformer plus longtemps ses conseils aux mouvements de la majoritĂ©, il rĂ©solut de plier la majoritĂ© aux loix dâun ministĂšre selon son cĆur et sa pensĂ©e persuadĂ© que la faiblesse du trĂŽne faisait lâaudace de ses ennemis ; que tout flĂ©chirait devant des dĂ©terminations assez dĂ©cidĂ©es pour ne pouvoir sembler passagĂšres ; quâen restant de fait dans la Charte, mais en se montrant par ses choix prĂȘt Ă en sortir, sâil le fallait, il ne trouverait pas de Chambres qui osassent tenir tĂȘte Ă la couronne, et que, si elles lâosaient.... Accepter cette pensĂ©e, câĂ©tait avoir franchi le Rubicon. Car dissoudre constitutionnellement la Chambre Ă©tait impossible. On aurait eu pis. Il fallait donc briser la Constitution mĂȘme. Par cette pensĂ©e, le roi infirmait la restauration dans la premiĂšre de ses garanties, lâinviolabilitĂ© de la Charte. Il mettait contre lui le bon droit câĂ©tait y mettre la fortune. Ce prince vĂ©nĂ©rable nous semble avoir con- 196 LIVRE SECOND. fondu Ă ce moment tous les Ă©lĂ©ments de sa monarchie. Rester soumis Ă la lettre de la Charte, aux formes du gouvernement reprĂ©sentatif, et porter au pouvoir des hommes qui y faisaient monter avec eux le cortĂšge entier des alarmes publiques, câĂ©tait une inutile contradiction. Il se trouva quâil nây eut quâun Français qui crĂ»t le roi fidĂšle encore Ă la loi constitutionnelle câĂ©tait le roi. Quels que fussent les desseins, il y avait tort et pĂ©ril dans ce dĂ©fi sans actes qui ne semblait quâune ostentation dâimpopularitĂ© ; car la couronne se rendait plus malaisĂ© Ă opĂ©rer, et le mal, et le bien. Il lui devenait plus difficile de rester dans la Charte, plus difficile mĂȘme dâen sortir. Cependant, le roi Ă©tait loin de sâabuser sur lâĂ©tendue des voies oĂč il sâengageait. Il savait trĂšs- bien quâil mettait son trĂŽne au hasard de deux batailles, lâune dans les Chambres, lâautre dans les rues. Mais il ne faisait pas un doute quâil ne dĂ»t gagner la premiĂšre, et comptait bien, par consĂ©quent, nâavoir pas besoin de livrer la seconde. Celle-ci, il en pesait toutes les chances. Les journaux redirent son mot souvent rĂ©pĂ©tĂ© QuâaprĂšs tout, il aimait mieux ĂȘtre un roi exilĂ© quâun roi avili. Une pensĂ©e fatale lâentretenait dans la rĂ©solution dâaffronter toutes les menaces de lâavenir. Il croyait Ă une vaste conspiration contre sa cou- LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. 1 97 ronne. Il comprenait dans le complot tout ce qui nâĂ©tait que dĂ©sordre dâesprit, dans les trames contre son gouvernement tout ce qui nâĂ©tait quâimpuissance de plier sous aucun gouvernement rĂ©gulier. PĂ©rir pour pĂ©rir, il aimait autant que ce lĂ»t par les armes que par les lois, en sortant de la Charte quâen y restant. Je sais bien, disait-il un jour, que les Français dâaujourdâhui ne veulent pas faire tomber ma tĂšte comme cellede mon frĂšre Louis XVI. Non, personne nâa cette intention. Mais ce quâon veut, câest de dĂ©pouiller si bien et de si bien dĂ©grader la royautĂ©, que le roi ne soit plus quâune espĂšce de prĂ©sident hĂ©rĂ©ditaire jusquâau jour oĂč on mettr a Ă sa place un prĂ©sident tout simplement. Je ne me prĂȘterai pas Ă ces dĂ©chĂ©ances. Je ne sais sâil y a des princes Ă qui elles pourraient convenir. Pour moi, jâaimerais mieux ĂȘtre scieur de long. » On retrace ces graves paroles, parce quâelles Ă©taient prophĂ©tiques. Elles honorent le jugement de ce prince. Elles attestent une intelligence du mal plus sĂ»re et plus exacte que ne le fut le choix des remĂšdes. On avait le remĂšde sous la main. On le chercha oĂč il nâĂ©tait pas, oĂč il ne pouvait pas ĂȘtre. Toutes les difficultĂ©s accidentelles de la situation nous ne parlons pas des difficultĂ©s fondamentales qui pouvaient venir de la sociĂ©tĂ©, ou de la Constitution, et tenir en rĂ©serve dâautresjpĂ©rils tenaient LIVRE SECOND. 198 Ă la longue union des centres avec lâextrĂȘme gauche, autrement dit des constitutionnels avec les rĂ©volutionnaires. Cette union, que fallait-il pour franchir le dĂ©fdĂ© oĂč on Ă©tait engagĂ© ? La rompre. Et la sagesse, la loyautĂ©, jointes Ă la fermetĂ©, y eussent rĂ©ussi sans peine. Au contraire, le roi la resserrait par une dĂ©monstration hostile. Il la lĂ©gitimait en quelque sorte; il la justifiait jusque dans le passĂ© ; il la fortifiait Ă ce point quâelle allait renverser le trĂŽne en trois jours. A la nouvelle des choix extraordinaires de la couronne, quelquâun Ă©crivit sur-le-champ au roi Votre MajestĂ© joue sa monarchie Ă quitte ou » double le doule nâexiste pas. Les voies oĂč » le roi sâengage nâont quâun issue, les coups » dâEtat ; et les coups dâEtat auront pour lende- » main un 20 mars, oĂč le peuple jouera le rĂŽle » de Bonaparte. » La France entiĂšre discerna lâavenir renfermĂ© dans le 8 aoĂ»t 1829 avec un admirable instinct. Un an aprĂšs, jour pour jour, il y avait une autre royautĂ©. Lâopinion prit les noms qui lui Ă©taient jetĂ©s comme des cartels, et le dĂ©fi lâĂ©pouvanta. Tout le monde vit qu'il sâagissait de la Charte. Comment les hommes qui avaient quelque prĂ©voyance dans lâesprit nâauraient-ils pas compris quâil sâagissait par cela mĂȘme de la couronne ! Jamais situation plus extraordinaire ne se vit dans lâhistoire. Le trĂŽne et la nation sâobservaient LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. ] 99 comme sur un cliamp de bataille; on semblait sâattendre. La couronne faisait ses prĂ©paratifs, en sâoccupant de ranger la gloire de son parti par lâexpĂ©dition dâAlger. La nation mettait du sien la loi. Tandis que le prince proclamait ses rĂ©solutions immuables , un arrĂȘt des magistrats, rendu au nom du roi, dĂ©clara crime toute entreprise contre la Charte et nos serments. De part et dâautre, cependant, la Charte restait fidĂšlement observĂ©e ; le ministĂšre poussa la circonspection au point de laisser intactes les ordonnances de juin contre la sociĂ©tĂ© de JĂ©sus, celles qui avaient coĂ»tĂ© le plus dâefforts et valu le plus de haine au ministĂšre renversĂ©. Dâun autre cĂŽtĂ©, la royautĂ© continuait de recueillir une soumission universelle ; le pays donnait sans murmure et ses trĂ©sors, et ses soldats. La restauration ne fut jamais plus grande au dehors quâĂ ces derniers jours, oĂč une invisible main la tenait suspendue sur un abĂźme. Câest quâelle ne fut jamais plus obĂ©ie au dedans. Jamais non plus la France nâavait professĂ© si haut le principe fondamental de la monarchie que ne le fit lâopposition mĂȘme, dans cette adresse des 221, oĂč la Chambre des dĂ©putĂ©s, en revendiquant la Charte tout entiĂšre et refusant au ministĂšre son concours , dĂ©clara, par lâorgane de M. Royer - Collard, la lĂ©gitimitĂ© nĂ©cessaire aux peuples encore plus quâaux rois. Cette dĂ©claration Ă©tait solennelle. Elle pouvait, 200 LIVRE SECOND. elle devait ĂȘtre salutaire. Elle fut stĂ©rile. Elle Ă©tait insuffisante Ă contenter le roi ; tout au plus lâenhardit-elle. Il dĂ»t penser, en voyant qui la profĂ©rait, qui sâen portait garant, quâelle ne serait pas oubliĂ©e ; et elle lâa Ă©tĂ© ! Dans ce conflit, tout le monde avait tort. La Chambre, en refusant son concours sur des noms propres, ne considĂ©rait que le fond des choses, que lâesprit de la Constitution ; le roi, en dĂ©niant ce droit aux chambres, en les sommant dâattendre les actes et de statuer uniquement sur des griefs lĂ©gaux, ne sâattachait quâĂ la lettre de la Charte ; des deux parts, on poussait son droit Ă lâextrĂȘme sans vouloir dâune rĂ©volution , on le poussait jusquâĂ une rĂ©volution. La couronne, oubliant que le pouvoir doit toujours lâexemple de la sagesse, avait pris lâinitiative de ce dĂ©fi. Les 221, en repoussant la rĂ©daction dĂ©posĂ©e dans lâamendement Lorgeril par les royalistes Ă©prouvĂ©s du centre droit, firent la faute de resserrer leur menaçante alliance avec les passions rĂ©volutionnaires ; et par lĂ affermirent le ministĂšre contre lequel ils protestaient. A vrai dire, il nây avait plus de ministĂšre. Nous Ă©tions dĂ©jĂ placĂ©s en dehors de lâordre constitutionnel. Leroi et la France se voyaient face Ă face. La France, disons-nous! car lâopposition comptait dans son sein tous les corps politiques, industriels, commerciaux, littĂ©raires, les tribunaux .20 I LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. comme les acadĂ©mies, les colleges Ă©lectoraux comme les deux chambres, et lâancienne sociĂ©tĂ© en grande partie comme la nouvelle. En arrivant aux confins de la Charte, le pouvoir royal arrivait Ă la solitude. Depuis les jours de 1815, lâopinion royaliste Ă©tait changĂ©e. Les pĂšres avaient fait place Ă des fils imbus de lâesprit nouveau, grandis avec la Charte, et fiers de leur part de libertĂ©. Les royalistes constitutionnels sâĂ©taient fortifiĂ©s chaque annĂ©e dâillustres conquĂȘtes sur lâancienne droite, et chaque nom reprĂ©sentait tout un ordre dâidĂ©es et de rangs que le mĂȘme progrĂšs avait entraĂźnĂ© avec lui. Seize annĂ©es de formes reprĂ©sentatives, avaient liĂ© Ă ce rĂ©gime toutes les classes et tous les esprits. La cour presque toute entiĂšre sây Ă©tait attachĂ©e par les habitudes de la Chambre des pairs et par les conseils dâune expĂ©rience de tant dâannĂ©es. On faisait remarquer un jour Ă quelquâun, dans la salle du trĂŽne, que le systĂšme dominant nây comptait pas une voix sur dix. Quâattendre du reste de la France ? Et le systĂšme dominant nâĂ©tait pas encore le coup dâEtat ! Ce systĂšme ne sâannoncait, par lâorgane de M. le prince de Polignac, chef du ministĂšre, que comme une sorte de torysme monarchique ; il recevait lâappui de royalistes qui, croyant la prĂ©rogative intĂ©ressĂ©e dans la lutte de la couronne pour un ministĂšre mĂȘme pris en dehors de 202 LIVRE SECOND. la majoritĂ©, prĂȘtaient secours au trĂŽne, sans entendre quâil sâagit de sacrifier la Charte et la paix publique Ă ce funeste dĂ©bat. Le coup dâEtat, mis aux voix dans la cour, ou bien dans la garde royale, nây aurait pas trouvĂ© dix partisans. Tout le monde sait aujourdâhui quâil nâen comptait pas mĂȘme dans le conseil. La sociĂ©tĂ© française Ă©tait donc parvenue Ă ce point, oĂč la transaction, commandĂ©e par les intĂ©rĂȘts de tous et Ă©crite dans les lois, avait passĂ© dans les esprits et dans les mĆurs plus que la France ne le savait elle-mĂȘme, et câĂ©tait alors que cette grande transaction allait ĂȘtre brisĂ©e pour longtemps ; nous ne voulons pas dire pour toujours. Car Ă notre avis, câen serait fait de la France. Le duel se rĂ©duisait Ă ces deux contendants le pays presque tout entier uni, et un roi qui, dans sa fiertĂ© blessĂ©e, dans ses apprĂ©hensions persĂ©vĂ©rantes, dans ses tĂ©mĂ©ritĂ©s excitĂ©es, demandait Ă la monarchie absolue la solution de difficultĂ©s, la vengeance dâagressions inhĂ©rentes Ă la monarchie constitutionnelle. CâĂ©tait un roi de soixante-dix ans, et deux fois Ă©prouvĂ© par lâexil, qui allait mettre sa couronne Ă la pointe de lâĂ©pĂ©e, de peur de la transmettre amoindrie Ă ses neveux. CâĂ©tait un prince, de religion sincĂšre, qui, parvenu aux limites de la Charte, ne sâarrĂȘtait pas Ă une barriĂšre gardĂ©e par des serments. Cependant, dâun cĂŽtĂ©, il y avait, 203 LA SOCIĂTĂ FRANĂAISE. en rĂ©alitĂ©, la France, le retenant par toutes les voix des jxmvoirs constitutionnels, de la fidĂ©litĂ©, du dĂ©voĂ»ment, du sang mĂȘme, car on sait quelles Ă©taient les pensĂ©es et les priĂšres de la fille auguste de Louis XVI ; de lâautre, Ă©taient les voix solitaires qui exhortaient sa rĂ©solution, lui criant dâaller toujours, quâil aurait pour lui les soldats, le peuple, la gloire!... La gloire! Oui! Alger tombait Ă ce moment 7 juillet sous les coups des soldats de la France. HĂątons-nous de recueillir ses trophĂ©es, pour en parer une grande ruine ! Que cette royautĂ© de mille ans tombe dâune façon digne dâelle et de la France! Que ce soit en gagnant des batailles, en imposant Ă lâunivers ! Et, du moins, les clĂ©s dâune ville conquise brilleront sur ses restes, comme celles de Randon sur la dĂ©pouille de Duguesclin. rfxĂŻuxitattĂši. ÂŁ vcĂźkis^i fi 1 > ' , - . '-.'Ăßï;fĂŽKĂ t.* %*>*>* * âŠ!/ ri,* â* /* 'Ăźirflifji'Ă© . v > tiĂąĂzĂ Ăźi ' W , , V* -41%' itli *v r Ăź. ' Ăź s,. JM .- .. i4i ' i âą ' âą -r.* ' f j i ;âąâą. âąâąnT- .-' i ; w& 'v'^ r -w V- v,^.. ,.4j^. r . , , . ; v V âą '-. . .»!. -. âHĂźy .â >' â ! \? ; h t*;âą. !âą tmfliu ; itv>Vâ " .'.>' âąÂ» ,^> 5ĂŒn1f;ri,- >fi âąit - >'it *Mt> f»i4 r! LIVRE TROISIĂME. RĂVOLUTION DE 1830. Ce serait bien mal Ă propos que nos ancĂȘtres, h lâĂ©poque de la rĂ©volution de 1688, auraient mĂ©ritĂ© leur rĂ©putation de sagesse, sâils nâavaient pas trouvĂ© dâautre sĂ©curitĂ© pour leur libertĂ© que dâaffaiblir le gouvernement et de rendre son titre prĂ©caire, sâils nâavaient pas trouvĂ© de meilleur remĂšde contre le pouvoir arbitraire que la confusion de lâEtat. Burke . LIVRE TROISIĂME. RĂVOLUTION DE 1830. CHAPITRE PREMIER. LES JOURNĂES DE JUILLET. VICTOIRE DE LA CHARTE. EFFETS DE LâESPRIT CONSTITUTIONNEL. .... Quo tcnditis ultra ? Si cives, lmc usque licet ! Lucain. Le dimanche 25 juillet, le soleil se coucha pur et radieux sur une monarchie florissante et victorieuse, sur un peuple prospĂšre et libre, qui vaquait en paix Ă ses fĂȘtes. Le lundi 26, il se leva sur un peuple inquiet dĂ©jĂ , et bientĂŽt morne , pressĂ© tout entier dans les rues comme dans une mĂȘme attente, les boutiques closes comme dans les jours de calamitĂ© publique. On nâentendait que ces 2o8 livre troisiĂšme. mots La Charte est renversĂ©e... La monarchie tremblait sur ses fondements. Ce jour-lĂ , le Moniteur avait publiĂ© tout Ă coup les ordonnances cĂ©lĂšbres du 25 juillet par lesquelles la couronne , ressaisissant la puissance lĂ©gislative que la Charte royale avait dĂ©lĂ©guĂ©e Ă toujours aux trois pouvoirs, brisait la loi des Ă©lections , la loi de la presse, et substituait au droit constitutionnel le principe Si veut le roi, Si veut la loi, » sâautorisant de lâart. 14 de la Charte, mais sâen autorisant, suivant lâexpression de M. de Chateaubriand, pour confisquer la Charte tout entiĂšre. Le lendemain, mardi 27 , Ă la pointe du jour, des officiers de police et des soldats se prĂ©sentent Ă la porte dâimprimeries qui Ă©taient fermĂ©es. On ordonne dâouvrir de par la loi. Mais il nây a plus de lois, et les portes restent fermĂ©es. Les agents appellent un homme du mĂ©tier pour ouvrir ; et ce nâest point Ă Paris seulement, câest Ă Lyon, au Havre, Ă Bordeaux, dans toute la France, quâil ne se trouve pas un ouvrier, pas un apprenti qui obĂ©isse ! En dehors de la Charte, ils ne connaissent point de roi. Les agents recourent aux tribunaux les tribunaux les repoussent. U nây a plus de justice. Reste la force. On Ă©branle des bataillons ; on les pousse sur ces masses de peuple dĂ©sarmĂ©es, immobiles, silencieuses. Des officiers brisent leur LA RĂVOLUTION DE I 83 o. 209 Ă©pĂ©e ; dâautres croisent les bras et attendent que la mort vienne, nâimporte dâoĂč, affranchir leur conscience bourrelĂ©e. Les soldats hĂ©sitent; beaucoup se dĂ©bandent. Au bout de quelques heures, les routes en Ă©taient couvertes. Il nây a plus dâarmĂ©e. Si la garde royale obĂ©it, lâĂąme navrĂ©e, Ă la loi militaire, la population, Ă son tour, court aux armes, et tout devient arme dans sa main terrible. Elle livre une bataille Ă chaque coin de rue, sâembusque derriĂšre chaque borne, combat enfin Ă ces deux seuls cris Vive la ligne ! caria ligne nâa pas consenti Ă tirer sur des concitoyens, de peur de tirer sur les lois; et Vive la Charte! cette Charte que les Bourbons ont Ă©crite, et qui est la restauration mĂȘme. A ces nouvelles, le mercredi 28, le roi absent dĂ©clare sa capitale en Ă©tat de siĂšge, et il aurait Ă y mettre toutes les villes de son royaume; car ce nâest pas un soulĂšvement solitaire toutes les citĂ©s du royaume se sont Ă©mues. Les gardes nationales se sont partout levĂ©es; partout lâautoritĂ© sâabdique elle-mĂȘme et rĂ©signe ses pouvoirs aux mains de la population armĂ©e , comme si on ne reconnaissait plus dâautre loi que ce statut de la premiĂšre restauration, qui remettait aux gardes nationales le dĂ©pĂŽt de la Charte et sa dĂ©fense. Un seul prĂ©fet dans le royaume, M. de Curzay, Ă Bordeaux, voudra tenir bon pour lâautoritĂ© royale emportĂ©e hors de sa base, et il restera seul, dans la 14 210 LIVRE TROISIĂME. ville du 12 mars! Du Rhin aux PyrĂ©nĂ©es, dans cette France si divisĂ©e longtemps, il ne se rencontre pas un Français qui prenne fait et cause pour les ordonnances subversives. Personne nâa suivi le roi au-delĂ de la barriĂšre sacrĂ©e. Partout semble se faire une convention, entre lâautoritĂ© qui tombe et la citĂ© qui se lĂšve, de se remettre, du soin de conclure ce grand dĂ©bat, Ă la dĂ©cision quâapportera la malle-poste de Paris. Ă Paris, la garde nationale, depuis trois ans condamnĂ©e, a reparu vĂȘtue de son uniforme, armĂ©e, rĂ©solue Ă repousser la force par la force. Paris est une place de guerre. En arrivant aux barriĂšres , vous ĂȘtes surpris de les voir munies de palissades, de chevaux de frises, comme des camps retranchĂ©s que lâart militaire aurait fortifiĂ©s de longue main-, plus surpris au dedans de ne trouver aucune trace dâautoritĂ© , de police , de gendarmerie , de gouvernement. Tout a disparu. Il ne reste que des soldats de la ligne qui rient en voyant tomber les insignes de lâautoritĂ© royale, des grenadiers de la garde qui meurent pour le serment militaire, et puis tout un peuple qui dĂ©fend les lois. Tout un peuple ! car le mĂȘme sentiment rassemble et les rangs et les Ăąges les plus divers. Le citoyen qui rencontre un citoyen nâa pas lâinquiĂ©tude dây trouver un ennemi lâennemi, câest la mousqueterie qui retentit de tous cĂŽtĂ©s, câest le LA RĂVOLUTION PE l83o. 21 1 canon qui gronde sur la capitale des arts et sur ses monuments. BientĂŽt la population ne se dĂ©fend plus; elle attaque. A dĂ©faut dâarmes, on saisit ces gothiques armures conservĂ©es comme curiositĂ©s historiques dans nos musĂ©es, et qui servent une fois encore, mais pour se retourner contre la derniĂšre rĂ©miniscence des anciens jours. A dĂ©faut de gibernes, les femmes portent de la poudre ; les enfants marchent Ă la tĂȘte des colonnes câest un enfant qui casse la jambe, dâun coup de pistolet, au brave duc de Fimarcon; un autre renouvelle, sur nos ponts, la scĂšne dâArcole; un autre emportera le Louvre. A cette armĂ©e il ne manque que des chefs. En voilĂ ! Des jeunes gens, qui ont sur la tĂȘte le chapeau militaire, et au collet de leur habit une fleur de lys dâor, se distinguent de la foule par leur uniforme non moins que par leur courage. On assure que ce sont des enfants de famille qui se distinguent bien davantage encore parleur science. Câest assez. On les suit, ou plutĂŽt on les porte, on les entraĂźne Ă la victoire; car, au fait, câest ainsi quâobĂ©issent les nations. Devant cet Ă©lan unanime tombent les casernes, les palais, les Tuileries enfin. Les Tuileries! Sur ce champ de bataille connu, les Suisses meurent comme au 10 aoĂ»t, mais moins bien, dit-on, quâau 10 aoĂ»t car ils nâont pas le sentiment quâils dĂ©fendent les lois ! CâĂ©tait le jeudi matin, 29 juillet. A Saint-Cloud, 2 I 2 LIVRE TROISIĂME. on ignorait tout encore; on croyait encore rĂ©gner, quand tout Ă coup un noble enfant, le premier, sâĂ©tonne, une jeune femme sâĂ©crie, un vieillard tressaille ils voient au loin, sur le pavillon des Tuileries, flotter un drapeau qui nâĂ©tait pas celui du BĂ©arnais et de ses descendants. En l'arborant, ou plutĂŽt en le laissant arborer, le peuple n'a eu garde dâintervenir dans la dĂ©cision des destinĂ©es publiques, de faire ou dĂ©faire une monarchie, de mettre la main sur le gouvernail pour le tenir lui-mĂȘme ou pour le briser. Ces pensĂ©es ne lui sont pas venues. Il ne se croyait quâune mission, celle de prĂȘter sa force aux lois opprimĂ©es. Il pose des sentinelles sous les portraits du roi Louis XVIII qui donna la Charte et la respecta ; il trace le nom conservateur de la Charte sur le monument qui attend la statue de Louis XVI; de mĂȘme quâil a suivi dans le combat les plus vaillants et les plus habiles, il cherche dans la victoire les plus autorisĂ©s pour abdiquer dans leurs mains. 11 renverse avec respect les barricades devant le dĂ©putĂ©, devant le pair du royaume, ces princes de la Charte, qui courent Ă leur palais. Et si, parmi les membres de la Chambre hĂ©rĂ©ditaire, la foule en reconnaĂźt quelquâun illustre par le gĂ©nie, illustre par les monuments que sa foi fĂ©conde Ă©leva Ă la religion de ses pĂšres, par son culte pour le passĂ© de la patrie, par sa haine du rĂ©gime impĂ©rial , par son dĂ©voĂ»ment de toute la vie au sang des la. rĂ©volution de i83o. 2l3 rois et Ă la doctrine de la lĂ©gitimitĂ©, par ses combats en faveur de la monarchie constitutionnelle, aussitĂŽt le peuple le salue de son nom Chateaubriand ! et lâemporte dans ses bras. VoilĂ la politique du peuple ; voici sa religion. Avant de retourner Ă ses foyers, il a un dernier devoir Ă remplir. Il recueille les morts de ces trois journĂ©es , oĂč la mort a rĂ©gnĂ© sur tous , comme auparavant rĂ©gnaient les lois ; il creuse au pied du Louvre une fosse profonde, va Ă lâĂ©glise de Saint-Germain-lâAuxerrois, demande un prĂȘtre, rĂ©clame de lui les bĂ©nĂ©dictions de lâEglise pour tous ces citoyens, ces soldats, ces chrĂ©tiens que lâĂ©ternel sommeil a surpris au milieu de ce rĂ©veil de tout un peuple. Lâhomme de Dieu revĂȘt ses ornements on lâentoure, on le presse, on le suit avec respect sur le bord du sĂ©pulcre, et le peuple, le sabre ou la pique Ă la main, incline la tĂȘte sous le crucifix, et termine par une priĂšre Ă Dieu cette bataille quâil a commencĂ©e en invoquant les lois. De quelque point de vue quâon juge les Ă©vĂ©nements qui suivirent, personne ne peut mĂ©connaĂźtre dans cette Ă©motion universelle de la grande semaine , grande, a dit M. de Chateaubriand, par la justice de la cause comme par lâhĂ©roĂŻsme, lâun des plus Ă©tonnants spectacles et peut-ĂȘtre des plus redoutables, mais aussi des plus instructifs qui se soient jamais offerts dans lâhistoire. Au LIVRE TROISIĂME. 2l4 jour oĂč une pensĂ©e fatale, en renversant les lois, jette une nation ardente dans lâalternative de tout subir ou bien de tout risquer, ce jour-lĂ tous les liens semblent brisĂ©s dâun bout de la monarchie Ă lâautre. La nation reposait sur la foi dâune loi et dâun serment le serment sâefface, la loi tombe , la nation se lĂšve. Ces cent mille hommes qui ne sont pas Ă©lecteurs , ces cent mille autres qui ne savent pas lire peut-ĂȘtre , se lĂšvent comme une immense armĂ©e pour la querelle de la libertĂ© des Ă©lections et de la libertĂ© de la presse, parce quâils ont tous des intĂ©rĂȘts et des droits dont ils savent que ces libertĂ©s sont les remparts. Et on ne peut pas assez le dire car câest lĂ le caractĂšre essentiel du grand mouvement populaire dont nous allons scruter les rĂ©sultats ; ce nâest point Paris seul. LâĂ©branlement est universel; toutes les campagnes sont en armes ; toutes les villes envoient des renforts. Ceux de Rouen, du Havre sont venus dĂ©jĂ . Le magnifique rĂ©giment des hussards de la garde, qui arrive deux jours aprĂšs, est poursuivi et traquĂ© dans les plaines par la population entiĂšre il ne trouve pas un bourg, un village dont il ne lui fallĂ»t faire le siĂšge pour y entrer. Le roi, dans sa fatale demeure de Saint-Cloud, entend prĂšs de lui Versailles rejeter violemment ses ordonnances en mĂȘme temps que Paris ; avant Paris Stenay arbore le drapeau tricolore ; et, au centre du royaume, la LA RĂVOLUTION DE l83o. 210 fille des rois qui a uni en vain sa voix Ă celle de la France, lâauguste Marie-ThĂ©rĂšse a vu , dĂšs les premiers moments, le sol trembler de toutes parts sous ses pas, comme il tremble Ă Saint-Cloud sons ceux du monarque qui a portĂ© ce grand coup. Le combat terminĂ©, il se trouve que la multitude victorieuse sait respecter les lois, comme elle a su, dĂ©sarmĂ©e, vaincre en les dĂ©fendant. Lâhistoire dira que Paris ne fut jamais plus calme que dans ces terribles jours, oĂč des hommes cpii nâont ni pain, ni habits , avaient seuls des armes et faisaient sans obstacle le redoutable apprentissage de la puissance. La justice en se rĂ©veillant nâaura mĂȘme pas un mĂ©fait Ă rechercher et Ă punir. A ce premier essai de prĂ©potence populaire, les passions coupables sont restĂ©es en suspens comme la justice. Lâesprit constitutionnel fit ces miracles. Câest contre lui, par une mĂ©prise funeste, que la bataille des ordonnances a Ă©tĂ© livrĂ©e. Câest lui qui a soutenu lâassaut, et qui a vaincu ; lui seul ! Et la preuve, câest le cri unique de vive la Charte ! sous lequel les citoyens marchaient au combat et quâils continuent Ă faire retentir quand le combat a cessĂ© ; la preuve, câest le respect que le peuple a fait voir pour toutes les propriĂ©tĂ©s, toutes les existences, tous les droits, tous les pouvoirs, quand lui seul avait la force ; la preuve, câest quâil dĂ©pose ses armes victorieuses dĂšs quâune 2l6 LIVRE TROISIĂME. autoritĂ© rĂ©guliĂšre sâoffre pour prendre en main y Ă sa place, la garde et la dĂ©fense des lois. Ce peuple, admirable quand on ne le dĂ©prave pas avec effort, comme font les prĂ©cepteurs de princes , qui corrompent leurs pupilles pour les asservir, ce peuple sâest montrĂ©, dans ces terribles jours, plus digne de la libertĂ© vĂ©ritable et plus jaloux dâelle que la plupart de ses guides. Veut-on Des dieux que nous servons savoir la diffĂ©rence ? Quinze annĂ©es de monarchie constitutionnelle ont fait la semaine virile et calme de juillet 1830; six mois dâinfluences rĂ©volutionnaires feront la semaine anarchique de fĂ©vrier 1831. Et ce ne sont pas seulement les journĂ©es militantes de juillet qui ont Ă©talĂ© ces prodiges de la raison publique. Elles se sont bornĂ©es Ă sauver, ressaisir et glorifier la Charte. Les journĂ©es dĂ©libĂ©rantes qui suivent vont modifier, Ă©nerver, dĂ©naturer la Charte; elles rendront Ă la monarchie coup dâĂtat pour coup dâĂtat; elles substitueront un cas de renversement extra-lĂ©gal Ă un cas de responsabilitĂ© ministĂ©rielle; enfin, elles feront une rĂ©volution. Mais cette rĂ©volution va sâaccomplir, elle se fait, elle se consomme, sans que le peuple en ait pris lâinitiative , sans que le pays nulle part en ait exprimĂ© le vĆu ! Le peuple nâa pas fait un pas en dehors de la Charte pour laquelle il a donnĂ© sa vie. Le pays nâa pas exprimĂ© un senti- REVOLUTION DE l83o. 2 I 7 ment ni un dĂ©sir contraires Ă cette Charte quâil avait reconquise. Ceux qui prĂ©tendent aujourdâhui parler au nom du peuple , avoir mission de lui, sâautoriser de ses exploits pour violenter nos destinĂ©es, ceux-lĂ mentent Ă lâhistoire que nous avons vue tous vivante au milieu de nous. Dâun autre cĂŽtĂ©, nous devons le dire avant de passer outre, ceux-lĂ aussi nourrissent une illusion dĂ©plorable qui cherchent Ă des Ă©vĂ©nements immenses de mesquines explications. On voit, dans la dĂ©faite des ordonnances, une question de stratĂ©gie. Combattre avec plus de dĂ©voĂ»ment que les rĂ©giments de la garde qui ont combattu ? HĂ©las ! ils ont eu tout celui que pouvaient avoir des cĆurs français. Mais, dit-on, il fallait abandonner les rues barricadĂ©es, ne pas y enfouir et y perdre des bataillons, quitter Paris , lâassiĂ©ger... Oui! commencer un coup dâEtat par une fuite ! entrer dans la monarchie absolue, en se proclamant chassĂ©s de la capitale ! prĂ©luder Ă la guerre civile par la perte de Paris! Et cela, quand on avait pris lâoffensive, quand dâailleurs les campagnes, quand lesprovinces, quand toutela France Ă©taient aussi soulevĂ©es que Paris mĂȘme ! Quel gĂ©nĂ©ral aurait pris une aussi redoutable initiative? Dâailleurs, la fortune lâa fait pour lui. Cette situation quâon regrette, on lâa eue on lâa eue le 29 juillet; quâa-t-elie produit ? On lâaurait eue le 28 ; dans lâĂ©tat de la France, quâeĂ»t-elle produit de plus ? 2l8 LIVRE TROISIĂME. Un homme dâesprit qui, dans ses narrations historiques , a surpris les gens de lâart par sa stratĂ©gie, et qui en a fait Ă la tribune de meilleure encore , sâĂ©tonne qu'on nâait pas profitĂ© des buttes Montmartre_Quoi! bombarder, dĂ©truire, brĂ»ler Paris ! Par le bras de qui ? Il nây avait lĂ que des Français ! H Ă©tait tout simple quâon nây songeĂąt point. LâĂ©tranger nây eĂ»t pas songĂ©. Non ! le chef malheureux 1 de cette malheureuse armĂ©e ne pouvait pas combattre autrement ; il ne le pouvait pas, plus quâil ne pouvait sâabstenir de combattre. Car, pour refuser au roi son Ă©pĂ©e le 27, il aurait fallu lâavoir brisĂ©e le 26. Le trĂŽne quâon nâa pas abandonnĂ© au jour de ses fautes, on ne lâabandonne pas Ă lâheure de ses pĂ©rils. Dâautres expliquent tout par une conspiration Ă©clatant Ă point nommĂ© sous un trĂŽne qui comptait seize ans de durĂ©e et tenait dans ses mains le gouvernement, le trĂ©sor , lâarmĂ©e ; conspiration si grande quâelle lâĂ©tait autant que le royaume tout entier soulevĂ©, et dont pourtant, dans une annĂ©e, M. Mangin, le prĂ©fet de police du 8 aoĂ»t, nâavait pas dĂ©couvert les fils ! Sans doute il y avait des conspirations souterraines , des passions rĂ©volutionnaires ; mauvais vouloirs de faction qui nâauraient pas suffi Ă ren- 1 Le duc de liaguse. LA RĂVOLUTION DE l83o. 21 9 verser le trĂŽne, sâil nâavait pas pris cette offensive formidable contre le sentiment public et contre les lois. Cherchons, une fois, les causes des Ă©vĂ©nements on Dieu les a placĂ©es. La cause unique du soulĂšvement public, la voici. Le rapport ministĂ©riel qui motivait le coup dâĂtat, aprĂšs avoir longuement Ă©tabli que le roi nâavait pas le droit de changer la Charte, quâen consĂ©quence il ne la changeait pas, quâil ne faisait que la rendre immuable, ce rapport terrible finissait par ces mots la force restera Ă la justice !... HĂ© bien ! on avait raison la force resta Ă la justice, dans la grande semaine de juillet. Voyons la suivante, CHAPITRE II. RĂVOLUTION DU 9 AOUT. ABANDON DE LA CHARTE ROVALE ET DE LA LĂGITIMITĂ. ErrETS DE LâESPRIT RĂVOLUTIONNAIRE. Une voix Ă©loquente et monarchique lanoramĂ© les catastrophes quâon vient de raconter, le suicide de juillet. Voici le suicide qui se consomme. Le 27, le 28, le 29 juillet nâavaient vaincu quâun roi et tout au plus un rĂšgne. Les derniers jours de cette semaine immense, la royautĂ© succombe et la Charte avec elle. Le 25 juillet avait vaincu un roi ; car le coup dâEtat, elle soulĂšvement universel qui lâavait suivi, Ă©puisaient la vertu du sacre de Reims. Comment Charles X vaincu aurait-il rĂ©gnĂ© comme il lui appartenait, câest-Ă -dire dignement? CâeĂ»t Ă©tĂ© le retour de Varennes, et bien pis encore. Il fallait le sacrifice du roi pour le salut de la royautĂ© ! La royautĂ©, nous entendons la royautĂ© selon le droit national ancien et nouveau, la royautĂ© lĂ©gitime pouvait ĂȘtre sauvĂ©e , mĂȘme aprĂšs la 1 M. de Lamartine. Ceci est Ă©crit en '183'!. LA RĂVOLUTION DL l83o. 11 I chute du Louvre, si elle eĂ»t apparu Ă lâinstant mĂȘme, renouvelĂ©e dâune gĂ©nĂ©ration, tendant la main Ă la Charte victorieuse, donnant un gouvernement Ă ces populations quâĂ©tonnait leur indĂ©pendance redoutable , ou bien convoquant Ă Saint-Cloud les grands pouvoirs et appelant de lâinsurrection, dĂšs lors dĂ©naturĂ©e, Ă la Charte elle-mĂȘme et Ă la France. 11 faut se rappeler que la veille, Ă quatre heures du soir, M. Laffitte, M. Mauguin, les reprĂ©sentants de lâopposition, attendaient, dans ce mĂȘme Louvre, une audience du prince de Polignac, heureux dâobtenir un changement de ministĂšre et nâĂ©levant pas leur ambition plus haut. Au moment oĂč le peuple de Paris emportait les Tuileries, Charles X sâĂ©tait fait annoncer, et les mĂȘmes dĂ©putĂ©s sâapprĂȘtaient, comme tout le peuple, Ă le recevoir en sujets heureux de pouvoir traiter avec leur roi. Jusquâalors personne nâavait cru Ă toute la portĂ©e des Ă©vĂ©nements accomplis. On pouvait se mĂ©prendre Ă Saint-Cloud ; on se mĂ©prenait dans Paris mĂȘme. La victoire passait la croyance de ceux qui avaient le plus de foi Ă la puissance du nom delĂ Charte etau bon droit de la France. On pourrait dire en quel lieu on dĂ©libĂ©rait sur la question de savoir si lâimpĂŽt devait cesser sur-le-champ dâĂȘtre payĂ©, ou sâil nâĂ©tait pas obligatoire pendant lâexercice entier de 1830, tandis que dĂ©jĂ le glaive populaire avait tranchĂ© le nĆud. La bataille ga- 222 LIVRE TROISIĂME. gnĂ©e, on Ă©tait loin de croire la campagne finie ; on Ă©tait plus loin de penser quâelleeĂ»t dĂ©cidĂ©dâune couronne. La journĂ©e du jeudi 29 tout entiĂšre se passa dans lâattente dâune agression des troupes royales. Le vendredi 30, les arbres chenus des boulevards , justifiant ce vieux nom, tombaient encore pour dresser de nouvelles barricades. Alors on sâinquiĂ©tait et de Saint-Cloud, et de la France, et de lâEurope. Il fallut deux jours presque entier Ă Paris pour pĂ©nĂ©trer le voile qui cachait Saint- Cloud , savoir lâaspect du reste du pays, et sentir enfin la victoire. Il est vrai quâune fois sentie, elle fut bien pesĂ©e. Ce fut un Ă©clair. Il frappa , il Ă©blouit. Toute cette monarchie de Saint-Cloud disparut aux regards de Paris et de la France, comme dans un abĂźme. Ainsi, personne ne pourrait dire quâaux premiers instants un changement de ministĂšre nâeĂ»t pas Ă©tĂ© acceptĂ© de ces masses, qui ne parlaient que de la Charte dans leurs transports. Personne au moins ne peut nier que, le jeudi soir, un changement de rĂšgne nâeĂ»t suffi aux plus exaspĂ©rĂ©s dans le camp constitutionnel. Par malheur, ce fut un changement de ministĂšre qui arriva. Le lendemain , toute la journĂ©e, on en fut lĂ encore. AnnoncĂ©e depuis dix-sept heures, lâordonnance qui appelait Ă la tĂšte du conseil M. le duc de Morte- mart et restituait la Charte, nâarriva que ce vendredi fatal, au milieu du jour, quand dĂ©jĂ , dans LA ItĂVOLimOM DE l83o. 223 ceite longue attente et ce besoin universel de point dâappui, le pouvoir flottant sâĂ©tait inclinĂ©, Ă Paris, vers dâautres mains. Dans ces deux journĂ©es oĂč les minutes Ă©taient dĂ©vorantes, la fortune voulut que la cour se trouvĂąt toujours en retard du quart- dâheure, comme elle avait Ă©tĂ© trop souvent en retard du siĂšcle. M. de Mortemart nâavait eu, que le lendemain de sa nomination, les pouvoirs nĂ©cessaires pour se rendre dans la capitale. Lâbistoire dira par quelle fatalitĂ© nouvelle il ne put rĂ©ussir, malgrĂ© les plus pĂ©nibles efforts, Ă y pĂ©nĂ©trer que de longues heures plus tard, tandis quâune derniĂšre fa- talitĂ©, la plus grande de toutes, fit nĂ©gliger les intĂ©rĂȘts les plus pressants. Ainsi, veiller Ă soutenir, Ă lier les restes de la monarchie qui sâĂ©croulait, maintenir un gouvernement autour du roi, quel que fĂ»t le roi, publier autrement que par la communication Ă lâHĂŽtel-de-Ville la rĂ©vocation des ordonnances fatales, rappeler ainsi hautement le droit pour tenter de rappeler la force, raffermir lâarmĂ©e, prĂ©venir et interroger les dĂ©partements , convoquer prĂšs dusouverain lesdĂ©putĂ©s et les pairs du royaume, appeler les reprĂ©sentants de lâEurope comme ceux de la France, ces pensĂ©es ne vinrent Ă personne. Personne ne soupçonnait lĂ , non plus quâĂ Paris, que chaque heure qui sâĂ©coulait, emportĂąt, comme les torrents emportent, un pan de cette monarchie, dont les premiĂšres assises, LIVRE TROISIĂME. 22 4 contemporaines de notre histoire, Ă©taient cachĂ©es dans la nuit des siĂšcles. La grandeur de cette catastrophe, sa rapiditĂ© surnaturelle, cette sorte de mort subite dâune monarchie quâun coup de foudre met Ă nĂ©ant, confondent aujourdâhui, quand on se rappelle combien alors les minutes Ă©taient longues, combien les solutions semblaient lentes. AssurĂ©ment, au point de vue de lâhistoire, Charles X paraĂźtra avoir fait de lui-mĂȘme bien prompte justice ; car le troisiĂšme soleil depuis quâil ne rĂ©gnait plus sur sa capitale, le huitiĂšme depuis quâil sâĂ©tait souvenu de la royautĂ© absolue de ses pĂšres, ne descendait pas encore sous lâhorizon, que sa main avait tracĂ© lâacte dâexpiation. La monarchie finit comme lâempire Charles X et NapolĂ©on brisĂšrent eux-mĂȘmes dans leurs mains le sceptre et lâĂ©pĂ©e, lâun se punissant de sâĂȘtre attaquĂ© Ă lâEurope, lâautre Ă la France, et tous deux demandant Ă la nation anglaise et Ă ses institutions un abri pour leur adversitĂ©. Charles X fit plus que de sâimmoler sur-le- champ Ă ses doctrines vaincues ; dans sa prĂ©occupation des intĂ©rĂȘts de la royautĂ©, il condamna un rĂšgne aprĂšs le sien. Ce prince, qui avait exposĂ© la monarchie pour dĂ©fendre ses ministres, voulut maintenant, dans lâespĂ©rance de mieux relever le trĂŽne, sacrifier avec lui son fils et la compagne de son fils, la fille de Louis XVI, qui, aprĂšs avoir vu la couronne brisĂ©e tant de fois autour dâelle, ne de- LA. REVOLUTION DF. l83o. 226 vait pas avoir le front touchĂ© de ses dĂ©bris. Charles X supposa-t-il que la tempĂȘte de cette impopularitĂ© sanglante tomberait mieux devant le visage dâun enfant ? CĂ©da-t-il Ă dâautres calculs ? Quelquâils fussent, il ne vit pas quâil donnait le dangereux exemple de porter la main sur lâordre des successions royales ; quâil faisait dâune minoritĂ© une affaire de bon plaisir, non plus de nĂ©cessitĂ©; quâil Ă©tonnait les imaginations et les excitait au lieu de les calmer; quâil jetait la question du trĂŽne dans la mĂȘlĂ©e et offrait une rĂ©volution de palais comme aliment Ă une rĂ©volution de place publique, en voulant la lui donner pour solution. Il ne rĂ©flĂ©chit point quâappelĂ©e ainsi Ă dĂ©libĂ©rer sur de tels intĂ©rĂȘts, lâinsurrection pourrait juger une main dâenfant incapable de fermer des plaies si grandes, quâĂ Paris la passion le dirait, et que la France trouverait tout simple de ne pas voir un berceau sâĂ©lever au-dessus de tant de ruines ! Lâomnipotence de Paris ne sâĂ©tait pas manifestĂ©e dans le combat, puisque le royaume entier y avait pris part. Elle Ă©clate dans lâusage quâen prĂ©sence de ce prĂ©cĂ©dent, on va faire de la victoire. Il semble convenu, Ă Saint-Cloud et partout, que le gouvernement est tout entier aux Tuileries, en quelques mains que tombent ces pierres historiques. Tout autre centre dâaction, tout autre pouvoir se sont Ă©vanouis. Câest par les combattants des barricades que les provinces apprennent toute la suite des 15 * 226 LIVRE TROISIĂME. Ă©vĂ©nements. Le tĂ©lĂ©graphe soumet aux lois des autoritĂ©s que Paris institue, Brest et Toulon, quand on ignore encore Ă OrlĂ©ans leur naissance ; rien nâempĂȘchera les gĂ©nĂ©raux dâAfrique de reprendre la cocarde tricolore sur lâordre dâun vainqueur du Louvre, avant que la France sache quâil lui faut opter entre les deux drapeaux. Le gouvernement avait donc passĂ© du cĂŽtĂ© de Paris, avec la Charte et la force. Ce gouvernement , quel fut-il ? Il y en avait dĂ©jĂ deux la Chambre et lâHĂŽtel-de-Ville. La dualitĂ© rĂ©volutionnaire qui devait ĂȘtre la loi de lâavenir, Ă©tait nĂ©e dĂ©jĂ . Le peuple avait combattu sans que personne dans les pouvoirs constitutionnels se fĂ»t montrĂ© Ă sa tĂȘte. M. Armand Marrast Documents historiques , Paris, 1831, raconte bien que, la nuit du mercredi 28 au jeudi 29, Ă la clartĂ© des rĂ©verbĂšres, M. le gĂ©nĂ©ral Lafayette avait passĂ© en revue une centaine de gardes nationaux quâil rencontra sur son passage. Mais, dâaprĂšs les mĂȘmes documents , ce ne fut que le jeudi soir , aprĂšs la prise du Louvre, quâil se promena en habit militaire sur les boulevards; câest toujours M. Marrast qui parle. Lâillustre gĂ©nĂ©ral, aprĂšs avoir inspectĂ© la victoire, se rendit Ă lâHĂŽtel-de-Ville pour la gouverner. Nous avons dit le respect de la citĂ© militante pour les pairs, pour les dĂ©putĂ©s, seuls reprĂ©sentants lĂ©gitimes de lâautoritĂ© absente et du peuple armĂ©. Ils semblaient ĂȘtre tout ce qui restait de la LA. RĂVOLUTION DE l83o. 227 monarchie constitutionnelle au milieu de ce chaos. Loin de contester leur droit, tout le monde le reconnut et lâinvoqua. Mais il advint de lâimpulsion donnĂ©e par la victoire populaire, que la pairie fut laissĂ©e en dehors du mouvement qui sâaccomplissait le pouvoir se concentra tout entier dans les mains de lâassemblĂ©e Ă©lective. Il advint encore, de cette mĂȘme impulsion, que le centre droit, le cĂŽtĂ© droit, toute la partie monarchique de lâAssemblĂ©e et de la nation se trouvĂšrent en dehors de ce mouvement qui allait constituer lâavenir. Les vainqueurs travaillĂšrent seuls Ă organiser la victoire. Ces vainqueurs, câĂ©tait lâancienne opposition, câest-Ă -dire lĂ© centre gauche, le cĂŽtĂ© gauche et lâextrĂȘme gauche, encore unis, mais prĂȘts Ă se diviser pour toujours. Dans leur union, ces fractions diverses de lâopinion victorieuse reprĂ©sentaient une partie robuste de la France; mais enfin elles nâĂ©taient pas toute la France, et elles allaient statuer en son nom et pour elle ! Le trĂšs-petit nombre de dĂ©putĂ©s prĂ©sents Ă Paris, en qui elles se personnifiaient ainsi, Ă©taient rĂ©unies chez M. Laffitte. Ils attendaient les paroles et le ministre de Charles X. Inquiets de tout ce qui se rassemblait Ă lâHĂŽtel-de-Ville de ferments rĂ©volutionnaires bouillonnant autour du gĂ©nĂ©ral Lafayette, ils instituĂšrent, sous le titre restreint et circonspect de Commission municipale , une sorte de gouvernement par intĂ©rim, 228 LIVRE TROISIĂME. qui alla sur-le-champ sâĂ©tablir Ă lâHĂŽtel-de-Ville, Ă ce quartier-gĂ©nĂ©ral des passions soulevĂ©es, au milieu duquel M. de Lafayette rĂ©gnait, ou plutĂŽt trĂŽnait, sans partage. M. de Lafayette, M. Laffitte et M. Audry de Puyraveau , de la gauche, auxquels Ă©taient associĂ©s le comte de Lobau et M. de Schonen, du centre gauche, formaient ce gouvernement indĂ©terminĂ© de Paris ou de la France. Ils tranchĂšrent la question, en nommant, le soir mĂȘme, des ministres. Ce furent les chefs de lâopposition loyale et modĂ©rĂ©e. On comprenait alors la nĂ©cessitĂ© de rassurer, dâentraĂźner la France et lâEurope. Aussi, nâattribua-t-on dans le conseil ministĂ©riel, Ă lâextrĂȘme gauche, quâune voix, celle deM. Dupont delâEure ; quâune autre au cĂŽtĂ© gauche, celle de M. Bignon; trois des ministres, lâamiral de Rigny, le baron Louis et M. Guizot, Ă©taient des serviteurs respectĂ©s et populaires de la restauration. Deux autres furent le marĂ©chal GĂ©rard et le duc de Broglie, Ces choix illustres et sages devaient rassurer tous les esprits. Tel fut le gouvernement issu de la Chambre des dĂ©putĂ©s. Mais, autour de la Commission, toujours appelĂ©e municipale , et du cabinet quâelle avait instituĂ©, sâagitait dĂ©jĂ une autre autoritĂ©, anonyme, multiple, tumultueuse, et toute-puissante dans le quartier. Son origine et son but nâĂ©taient pas bien dĂ©finis. Il nây avait de bien dĂ©terminĂ© que son chef. CâĂ©tait encore M. de Lafayette. Du reste, le LA RĂVOLUTION DE 1 83o. 229 carbonarisme et les ventes conspiratrices en Ă©taient le fond; la dĂ©magogie en Ă©tait lâĂąme; la rĂ©publique en Ă©tait la figure confuse et cachĂ©e. LĂ Ă©clataient, mis en commun et fermentant ensemble, des exaltations de jeunesse, des ivresses de victoire, des passions de faubourgs, des Ă©tourderies de vieillard. Lâaspect du lieu suscitait des souvenirs et des Ă©mulations de la commune de Paris ; et, comme il sây exerçait de la puissance, lâintrigue y Ă©tait dĂ©jĂ installĂ©e, au dire de M. Armand Marrast, ce qui prouverait quâon en trouve autant dessous que dessus les pavĂ©s. Voici le tableau que fait, toujours dans ses prĂ©cieux documents, M. Marrast, de ce gouvernement sorti de terre Dans lâintĂ©rieur de lâHĂŽtel-de-Ville, un gou- » vernement. A gauche , deux piĂšces oĂč se tenait la Commission municipale dont M. de Lafayette » faisait partie. A droite, le gĂ©nĂ©ral Lafayette et » ses aides-de-camp. » Quel tableau Ă faire que celui de ce mouve- » ment perpĂ©tuel de lâHĂŽtel-de-Ville! Quels * hommes y sont venus ! quelles pĂ©titions y sont » arrivĂ©es !... Intrigue! intrigue! Mais je nâĂ©cris » pas lâhistoire complĂšte de ces jours. m A vrai dire, le gĂ©nĂ©ral Lafayette et ceux qui » agissaient en son nom Ă©taient le seul gouverne- » ment rĂ©el. LĂ venaient les nouvelles , lĂ se prĂ©- » sentaient les dĂ©putations; mais le gĂ©nĂ©ral, il » faut le dire, montrait une trop facile condes- a3o LIVRE TROISIĂME. » cendance pour ses collĂšgues ; les reprĂ©sentations » ne lui manquĂšrent pas cependant il vint des » dĂ©putĂ©s des barricades, braves amis, camarades » du peuple. Ils parlĂšrent haut, ils avaient lâarme » au poing. On les mĂ©nagea, on leur fit des pro- » messes. » VoilĂ quel fut le gouvernement vĂ©ritable de lâHĂŽtel-de-Ville, celui par qui la commission mu- nipale se voyait dĂ©jĂ dĂ©bordĂ©e et dĂ©chue. Evidemment, les promesses de ce gouvernement insurrectionnel et rĂ©publicain, nâĂ©taient pas, au dire de M. Marrast lui-mĂȘme, des promesses de vertu. Ce nâĂ©taient pas non plus des promesses dâordre. Ătaient-ce des promesses de lĂ©galitĂ©, de libertĂ©, de fraternitĂ© ? Voici comment on lâentendait. Cette autoritĂ© improvisĂ©e se mit dâabord Ă lancer des mandats dâamener contre tels ou tels, notamment contre des dĂ©putĂ©s, et ces dĂ©putĂ©s Ă©taient les chefs du centre gauche , les chefs de lâopinion constitutionnelle victorieuse, en particulier contre M. Casimir PĂ©rier! Le coupable qui dicta cet ordre, dit » M. Armand Marrast avec orgueil, est celui-lĂ b mĂȘme qui Ă©crit ces documents. » Ce second gouvernement, on le voit, ne promettait pas poire molle Ă la France. De telles violences manifestaient la face nouvelle des affaires de la France. Lâalliance de lâesprit constitutionnel et de lâesprit rĂ©volutionnaire Ă©tait rompue ; cette alliance fatale que le pouvoir LA RĂVOLUTION DE l83o. 23 1 royal aurait pu dissoudre , que le bon sens public aurait dĂ» prĂ©venir, sans que ni lâun ni l'autre eĂ»t su le vouloir quand il le fallait, avait Ă©tĂ© la consĂ©quence de toutes les fautes, et la cause de tous les malheurs ! Le trĂŽne lâavait resserrĂ©e, comme Ă plaisir, au 8 aoĂ»t 1829 par lâavĂšnement du ministĂšre de M. de Polignac; il venait de sây briser; et, maintenant, elle Ă©tait elle-mĂȘme, comme il fallait sây attendre, brisĂ©e par la victoire. Le faisceau, en se rompant, allait former, dâun cĂŽtĂ©, le parti constitutionnel, le tiers-parti et le nouveau centre gauche; de lâautre, lâopposition nouvelle, et avec elle la foule des sectes et des factions destinĂ©es Ă rester rĂ©volutionnaires partout et toujours. DĂšs Ă prĂ©sent dĂ©chaĂźnĂ©es et indĂ©cises, nâayant plus de liens ni de barriĂšres, les passions rĂ©volutionnaires sâappuyaient Ă lâHĂŽtel-de-Ville comme au centre dâopĂ©rations naturel de cette armĂ©e ; et lĂ commença contre la commission municipale, pour continuer peu aprĂšs contre les nouveaux pouvoirs, câest-Ă -dire contre lâopinion constitutionnelle saisie du gouvernail, la mĂȘme lutte que tous ces partis ensemble avaient suivie de concert jusquâalors contre lâopinion royaliste. Seulement, la lutte Ă©tait dĂ©jĂ , elle allait ĂȘtre chaque jour plus violente, plus audacieuse, plus menaçante, parce quâelle sâappuyait plus bas et quâelle Ă©tait encouragĂ©e par son succĂšs Ă viser plus haut guerre acharnĂ©e, 232 LIVRE TROISIĂME. guerre incessante et aveugle, qui, Ă dater de ce moment, va crĂ©er toutes les difficultĂ©s du prĂ©sent et prĂ©parer sans repos tous les dangers de lâavenir. Nous avons dit que fort peu de dĂ©putĂ©s se trouvaient alors rĂ©unis dans la capitale. GrĂące Ă lâesprit particulier des dĂ©partements circonvoi- sins, les dĂ©putĂ©s arrivĂ©s dĂ©jĂ appartenaient de plus en plus Ă la gauche ou Ă lâextrĂȘme gauche. Cependant lâHĂŽtel-de-Ville les Ă©pouvanta. Lâeffervescence croissante des masses, celte fermentation, cette attente redoutable de tout un peuple qui nâavait plus ni autoritĂ©, ni lois, ce passage soudain de lâordre Ă la perspective de lâanarchie, tout leur rendit terrible le veuvage de la patrie. Mais, s^ils Ă©taient Ă©loignĂ©s des violences de la faction de lâHĂŽtel-de-Ville, ils lâĂ©taient moins de ses maximes et de ses exigences. Ils participaient de ses instincts plus que de ses passions, et de ses prĂ©jugĂ©s plus que de ses desseins ni de ses thĂ©ories. Cette double disposition dĂ©cide des destinĂ©es de la France. Ils transfĂšrent leurs rĂ©unions de lâhĂŽtel Laffitte au Palais-Bourbon pour mieux opposer puissance Ă puissance; et lĂ , quels sont leurs actes ? Le premier est de rompre avec le drapeau de la restauration, qui nâavait personne pour le dĂ©fendre, de relever le drapeau tricolore, pour se fortifier de la popularitĂ© des couleurs de la rĂ©publique et de lâempire ; le second LA RĂVOLUTION DE l83o. 233 va ĂȘtre de donner la lieutenance-gĂ©nĂ©rale du royaume au premier des princes aprĂšs lâorphelin de St-Cloud, au chef de cette branche des Bourbons qui sâĂ©tait mariĂ©e Ă la rĂ©volution depuis quarante ans, mais sans abaisser encore devant lui la barriĂšre qui le sĂ©parait du trĂŽne ; le troisiĂšme sera de mettre la main sur la Charte victorieuse, de la traiter en vaincue, delĂ reviser dans le sens des idĂ©es et des sentiments dĂ©mocratiques. Cela fait, rien nâempĂȘchera de traiter, de la mĂȘme maniĂšre que la Charte, la dĂ©claration des 221 qui avait servi de manifeste au combat; et, bien quâavec la mĂȘme dynastie, la lĂ©gitimitĂ© abjurĂ©e fera place Ă une nouvelle royautĂ©. Mgr le duc dâOrlĂ©ans Ă©tait si naturellement appelĂ©, dans cet immense dĂ©sastre, Ă soutenir la monarchie dĂ©faillante , que la mĂȘme pensĂ©e sâĂ©tait offerte en mĂȘme temps Ă Paris et Ă Saint- Cloud ; le roi et les dĂ©putĂ©s le nommaient Ă la mĂȘme heure lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume. Les intentions seules diffĂ©raient. A Saint-Cloud, on voulait maintenir la royautĂ©, la Charte et la lĂ©gitimitĂ©. Au Palais-Bourbon, on voulait uniquement sauver la forme et le nom du pouvoir royal, sans dire et peut-ĂȘtre sans savoir encore au profit de quelles idĂ©es et de quelle maison. Mgr le duc dâOrlĂ©ans, muni de son double titre, arriva en criant quâil venait prĂ©server la France delĂ guerre civile et de lâanarchie; lâunique pro- LIVRE TROISIĂME. 234 messe que fit ce prince Ă ceux qui lâappelaient, fut que la Charte serait dĂ©sormais une vĂ©ritĂ©. CâĂ©tait arborer dans le camp constitutionnel son drapeau. Ce nâĂ©tait pas encore consentir Ă le planter en dehors de lâordre lĂ©gal. On nâĂ©tait quâau samedi 31 juillet ; lâHĂŽtel- de-Ville sâĂ©branla, quand il vit un lieutenant - gĂ©nĂ©ral du royaume, et quâil pressentit une solution royale. La pensĂ©e lui vint de livrer une nouvelle bataille des barricades, de proclamer son gouvernement vĂ©ritable, dâavouer la rĂ©publique, de lâimposer Ă la France ; il ne lui manqua que la puissance et le courage. Mais lâeffroi en prit au Palais-Bourbon. A la nouvelle de lâeffervescence propagĂ©e dans les masses, la Chambre se serre autour de M. le duc dâOrlĂ©ans, et le prince se rend, avec elle, Ă lâHĂŽtel-de-Ville mĂȘme, pour y faire reconnaĂźtre et consacrer sa puissance. Ce fut son voyage de Beims. M. de Lafayette, en se rangeant du cĂŽtĂ© du prince, devint le pontife de ce sacre populaire. Mais de prĂ©tendre, comme M. Auguste Portalis le faisait naguĂšre Ă la tribune, que M. de Lafayette donna ce jour-lĂ la couronne, câest-Ă -dire quâil en aurait pu disposer Ă son grĂ©, la donner Ă tel ou tel, la ceindre lui-mĂȘme par exemple, ou bien la mettre dans sa poche, y prendre le bonnet phrygien et en coiffer la France, qui se fĂ»t laissĂ© faire, le cou tendu et les yeux fermĂ©s, câest trop de moquerie. LA. RĂVOLUTION DE l83o. 2 35 Ce qui est vrai, câest que M. de Lafayette avait le pied dans les deux gouvernements de ces quarante- huit heures. Il e'tait comme le pont de Milton, qui unit le ciel aux enfers. Ce fut pour rester appuyĂ© aux deux rivages quâil afficha, Ă lâarrivĂ©e du prince, le manifeste cĂ©lĂšbre de la monarchie populaire reposant sur des institutions rĂ©publicaines. Cet illustre non-sens Ă©tait exactement le juste- milieu entre lâordre et le chaos, entre le Palais- Bourbon et la commune de Paris. On en a fait, depuis lors , le mot dâordre et le cri de ralliement de toutes les branches du parti rĂ©volutionnaire. On veut y plier toutes nos institutions et toutes nos destinĂ©es. Câest ce quâon a nommĂ© le programme de VHĂŽtel-de - Vdie. Vouloir que la France soit liĂ©e par ce programme de lâillustre citoyen desDeux-Mondes, quâelle soit tenue par corps envers lâHĂŽtel-de-Ville de fournir Ă ces messieurs une monarchie rĂ©publicaine, câest la condamner Ă trouver, pour leur complaire, la quadrature du cercle. Câest, pour mieux dire, la condamner Ă fournir une carriĂšre de rĂ©volutions sans terme. La rĂ©publique, dont on sâinquiĂ©tait fort, nâĂ©tait Ă©videmment quâun Ă©pouvantail qui sâĂ©vanouit aussitĂŽt le parti rĂ©volutionnaire jugea prudent de la tenir en rĂ©serve pour des temps meilleurs; Paris nâen entendit plus parler. On nâa pas dit que la France lâait rĂ©clamĂ©e. Suivant toute apparence, ce a36 LIVRE TROISIĂME. fut pour lâavoir entrevue Ă lâHĂŽtel-de-Yille deux jours durant, telle que les documents de M. Armand Marrast nous la montrent, moitiĂ© intrigue, moitiĂ© faubourg, faisant des dĂ©putations et des remontrances , ayant lâarme au poing et lâaccusation Ă la bouche , que M. de Lafayette, embarrassĂ©, comme il y a quarante ans, de tenir tĂȘte au monstre, jugea, avec grande raison, que la monarchie reprĂ©sentative Ă©tait dĂ©cidĂ©ment la meilleure des rĂ©publiques. Il aima mieux, Ă lâaspect de tels amis , se rĂ©fugier dans le port de la royautĂ© constitutionnelle, que dans quelques nouveaux cachots dâOI- mutz. Par malheur, en accordant la monarchie constitutionnelle aux besoins et aux idĂ©es dâordre, ce fut Ă un autre esprit, Ă dâautres influences que furent dĂ©diĂ©es toutes les rĂ©solutions qui suivirent. On fit une cĂŽte mal taillĂ©e avec la rĂ©volution frĂ©missante. Ce fut lâesprit rĂ©volutionnaire qui se trouva en possession de dĂ©cider toutes les questions organiques, toutes les questions royales. Il fit tous les pouvoirs Ă son image. Il ne consentit Ă la monarchie quâĂ la condition quâelle fut nouvelle, Ă fleur de terre, en dehors du droit monarchique. Lâayant obtenue telle, il voulut quâelle fut humble, faible, dĂ©semparĂ©e. Et le cĂŽtĂ© gauche, aprĂšs sâĂȘtre appuyĂ©, dansun sentiment dâhonnĂȘtetĂ© et dâĂ©pouvante, aux intĂ©rĂȘts et aux principes constitutionnels pour maintenir lâinstitution de la LA RĂVOLUTION DE l83o. t>3 r ] royautĂ©, le cĂŽtĂ© gauche se rĂ©unit Ă tous ceux qui ne la voulaient pas, pour la constituer. Il devait leur rester ensuite rĂ©uni pour la miner, lâabaisser, lâĂ©craser, la mettre Ă nĂ©ant! Et le prĂ©texte de cette alliance, le point de ralliement, le cri de guerre mis en avant sans repos, a Ă©tĂ© ce quâon a continuĂ© de nommer, par opposition avec la Charte, seul point de ralliement lĂ©gal des Français, le programme de lâHĂŽtel-de-Yille ! Or, ce programme, sans cesse invoquĂ© depuis dans les dĂ©bats de la presse et des chambres, quel Ă©tait-il ? Historiquement, on ne trouve que le mot de M. de Eafayette, ou une dĂ©claration de la Chambre des dĂ©putĂ©s queM. Yiennet avait lue Ă lâHĂŽtel-de-Ville, et cpii Ă©tablissait trois choses, dont aucune nâimpliquait le renversement des lois, ni celui de la Charte, ni celui mĂȘme de la lĂ©gitimitĂ© ; savoir Que la cause qui venait de triompher par les armes Ă©tait celle qui avait triomphĂ© par les Ă©lections , câest-Ă -dire la cause des 221, de leur adresse par consĂ©quent, et de leurs maximes ; Que, suivant la parole solennelle du lieutenant- gĂ©nĂ©ral du royaume, la Charte devait ĂȘtre une vĂ©ritĂ© ; Quâenfin des lois rĂ©gleraient lâintervention des citoyens dans le choix des officiers de la garde nationale ; leur intervention dans la formation des administrations dĂ©partementale et municipale ; le jury pour les dĂ©lits de la presse; lâĂ©tat des mili- LIVRE TBOISIKME. 338 taires lĂ©galement assurĂ© ; la réélection des dĂ©putĂ©s promus Ă des fonctions publiques; la responsabilitĂ© enfin des ministres et des agents secondaires de lâautoritĂ©. Tout cela nâĂ©tait point la nĂ©gation nĂ©cessaire de lâordre rĂ©gulier; ce nâĂ©tait mĂȘme pas encore le renversement ou seulement la rĂ©vision de la Charte. Ajoutez la convocation des Chambres pour le 3 aoĂ»t, jour qui Ă©tait prĂ©cisĂ©ment celui que les ordonnances de Charles X fixaient. On Ă©vitait donc jusques lĂ tout ce qui serait illĂ©gal, tout ce qui serait compromettant en Ă©tant factieux. Les Chambres continuaient de remplir leur mandat constitutionnel. Sur les premiĂšres marches du trĂŽne se montrait, avec sa jeune famille, muni des pouvoirs du roi, un prince qui y avait sa place naturelle. La restauration rĂ©gnait encore tout entiĂšre. Cependant, il est trĂšs-vrai que tout le monde savait, sans que personne lâeut dit, quâil sâagissait au fond du dĂ©placement de la couronne. A lâexemple de F HĂŽtel-de-Ville, Paris et la France avaient reconnu le prince lieutenant-gĂ©nĂ©ral, sachant bien que câĂ©tait reconnaĂźtre un roi. Le jour, lâheure oĂč sâaccomplit le changement, personne ne le pourrait dire. Seulement, le 4 aoĂ»t, la proposition en fut faite Ă la Chambre des pairs, qui fit montre de se rĂ©unir pour affecter cette grave initiative. Une seule voix protesta, celle de M. de Chateaubriand, en des termes qui nâindiquent nulle pensĂ©e de gagner sa LA. RĂVOLUTION DE l83o. 23g cause. A la Chambre des dĂ©putĂ©s, lâimmense majoritĂ© du parti constitutionnel ne pensa pas Ă dĂ©fendre la lĂ©gitimitĂ©, que les 221 avaient dĂ©clarĂ©e si rĂ©cemment la base de nos libertĂ©s , tant on avait hĂąte de plier les passions rĂ©volutionnaires Ă la forme royale, dâen finir avec lâinsurrection et lâinterrĂšgne, dâĂ©chapper Ă la rĂ©publique. Les Hydede Neuville, les Martignac, les Arthur de la Bourdonnaye, les Alexis de Noailles luttĂšrent seuls contre le torrent. A cela prĂšs, des rĂ©sistances nâapparurent nulle part. LâillĂ©gitimitĂ© du coup dâEtat semblait avoir ĂŽtĂ© aux plus fermes esprits la puissance dâinvoquer la lĂ©gitimitĂ©. Il y a en France des courants dâopinion qui emportent tout, avec lesquels on ne discute pas, devant lesquels tout plie. On ne reprend la libertĂ© de son jugement que quand il nâest plus temps. La rĂ©publique se soumit, sans coup fĂ©rir mais sans abdiquer, Ă lâĂ©tablissement nouveau, parce que la lĂ©gitimitĂ© lui Ă©tait immolĂ©e. Elle trouva, pour une fois, son succĂšs assez grand. Dâun autre cĂŽtĂ©, les Chambres entendirent bien Ă©tablir que, si la lĂ©gitimitĂ© Ă©tait abandonnĂ©e, la dynastie mĂȘme ne lâĂ©tait pas -, quâelle continuait de rĂ©gner dans la seule de ses branches qui fut majeure et populaire. Par lĂ le droit public de la premiĂšre race, câest- Ă -dire le choix par les assemblĂ©es entre les membres de la maison royale, se trouvait remis en honneur Ă la place de lâordre hĂ©rĂ©ditaire qui LIVRE TROISIĂME. 2/0 est le choix de la Providence, mais que Charles X lui-mĂȘme avait infirmĂ© dans la personne de son fils. Le vieux droit national Ă©tait donc lĂ©sĂ©, non dĂ©truit; le vieux sang capĂ©tien nâĂ©tait pas abjurĂ©. Lâun et lâautre Ă©taient reconnus et consacrĂ©s Ă nouveau par lâacte mĂȘme qui y portait atteinte ; car câĂ©tait en raison de lâabsence prĂ©tendue de tous les princes de la branche aĂźnĂ©e que la branche cadette des Bourbons Ă©tait appelĂ©e Ă la couronne dans la personne d eson altesse royale Mgr le duc dâOrlĂ©ans. Aussi lâesprit rĂ©volutionnaire ne se contenta-t-il point de la grande proie qui lui Ă©tait livrĂ©e. Il lui fallut dâautres satisfactions, des petites et des grandes. Alors quâon prĂ©tendait rompre avec le passĂ©, on revint aux formes de la premiĂšre race sur un autre point. Au lieu de ce nom de roi de France consacrĂ© dans les respects de lâunivers, on affubla le duc dâOrlĂ©ans du titre de roi des Français, que nul de nos rois nâavait portĂ© depuis Clovis, exceptĂ© le monarque infortunĂ© qui le reçut, en 1791, de lâAssemblĂ©e constituante, avec celui de restaurateur de la libertĂ© française, et qui alla les perdre, lâun et lâautre, la dix-septiĂšme annĂ©e de son rĂšgne libĂ©ral et pacifique, sur le pavĂ© sanglant de la place Louis XY, de la place de la Concorde, de la place de la RĂ©volution, comme on voudra la nommer ! On interdit en outre au roi des Français de rĂ©gner par la grĂące de Dieu. Dieu Ă©tait destituĂ© du gouvernement de lâunivers. Ce LA. RĂVOLUTION DE l83o. 2,[\\ qui Ă©tonne, câest que tant de gens de bien et de grands esprits aient cru qu'on pouvait bĂątir suide tels fondements ! Ces conquĂȘtes morales nâempĂȘchĂšrent pas la rĂ©volution dâen exiger de plus positives. Elle prĂ©tendait envahir et dĂ©vaster la Charte mĂȘme, au nom de laquelle le peuple avait pris les armes et vaincu. Le cĂŽtĂ© gauche voulut quâelle fĂ»t revisĂ©e, et cette concession fut consentie. Dans lâintĂ©rĂȘt du rĂ©gime nouveau, la faute Ă©tait immense. CâĂ©tait un coup de hache Ă son support unique, un dĂ©menti Ă son unique programme , le dĂ©saveu de son seul titre. Par lâesprit qui prĂ©sida aux changements, ce devait ĂȘtre lâabandon de tous les moyens de gouvernement, de toutes les conditions dâascendant et dâautoritĂ© indispensables chez les Français. On aurait compris une dĂ©claration solennelle fixant le sens de lâarticle 14, et rouvrant Ă toutes les amĂ©liorations ultĂ©rieures lâarticle fermĂ© qui immobilisait le corps Ă©lectoral dans les 300 francs dâimpĂŽt. Au heu de cela, on remit sur le chantier la Charte entiĂšre. Dans toute cette bourrasque, on ne vit que lâHĂŽtel-de-Ville, les cris, les armes, les tempĂȘtes; on ne pensa quâĂ Paris et au jour qui sâĂ©coulait, point Ă la France et au lendemain! Cette malheureuse France subissait le destin de la Pologne, oĂč, Ă chaque renouvellement de souverain, le prince Ă©lu avait hĂąte dâaccepter tous les changements proposĂ©s aux pacia conventa , pour mettre 16 LIVRE TROISIĂME. 24 2 un terme plus prompt aux vicissitudes de lâinterrĂšgne ; et, de cette sorte, il Ă©tait roi plutĂŽt; mais il lâĂ©tait moins toute sa vie. Câest par lĂ que la Pologne a pĂ©ri! La Chambre des dĂ©putĂ©s, en cĂ©dant sur le le fond, sâattacha, cette fois encore , Ă sauver la forme , Ă marquer que, si elle touchait Ă la Charte, elle entendait, non la dĂ©truire, non la refaire, mais seulement la perfectionner, la consacrer. Il fut expressĂ©ment dĂ©clarĂ© que cette Charte auguste nâĂ©tait pas en question on ne vota que sur les articles nouveaux ; elle restait câest son titre lĂ©gal la Charte constitutionnelle de 1814. Les changements ne semblĂšrent que des libertĂ©s, câest-Ă -dire en apparence des droits, des bienfaits; en rĂ©alitĂ© câĂ©taient des affaiblissements. Il nây avait nul dessein dâentamer aucune des garanties de lâordre. Ce fut sans sâen apercevoir quâon les infirma toutes. Lâesprit de faction ne sây trompa point. La Charte se trouva, comme la royautĂ©, contemporaine de la rĂ©volution ; elle devenait une consĂ©quence de juillet comme on parlait alors, lâouvrage des mains qui Ă©taient encore noires de poudre et frĂ©missantes des joies du combat et des attentes de la victoire. A ces conditions, il ne fallait pas quâelle comptĂąt sur des respects. RĂšgle universelle et invariable. Les hommes ne respectent que ce quâils nâont pas fait, que ce qui est plus LA RĂVOLUTION DE l83o, ^43 ancien quâeux-mĂšmes. On ne leur semble supĂ©rieur Ă eux, quâĂ la condition de leur ĂȘtre antĂ©rieur. Il faut le dire, la peur rĂ©gnait. Car câest lĂ toujours le moyen de persuation du parti rĂ©volutionnaire. Le parti constitutionnel ne comprit pas sa force il oublia la France. Sâil eĂ»t tenu bon dans lâenceinte sacrĂ©e de la Charte et de la monarchie une seule fois, les rĂ©volutionnaires de Paris eussent Ă©tĂ© contraints de flĂ©chir, ou bien dâarborer le bonnet rouge. La nation nâĂ©tait pas prĂ©parĂ©e Ă cette insolence. Elle se fĂ»t levĂ©e toute entiĂšre pour la punir. Ă la vĂ©ritĂ©, Dieu seul peut savoir aprĂšs quels dĂ©sastres, et au prix de quels flots de sang ! CâĂ©tait un prix redoutable on espĂ©ra ainsi nâavoir point Ă le payer. Pendant ce travail de dĂ©molition par lequel on croyait sĂ©rieusement reconstruire, le gouvernement rĂ©publicain de lâHĂŽtel-de-Ville, assoupi depuis quelques jours dans son abdication forcĂ©e, ou rĂ©duit Ă de simples nĂ©gociations, se rĂ©veilla. 11 se rĂ©veilla sous une forme nouvelle quâil allait dĂ©sormais garder pour tenir en Ă©chec le gouvernement officiel, celle de lâĂ©meute, Sosie incomplet de la grande semaine, ayant les mĂȘmes colĂšres contre les lois que la grande semaine pour les lois, montrant Ă©galement des pavĂ©s Ă ses adversaires, mais, grĂące Ă Dieu, ne ralliant plus la citĂ© entiĂšre, et ne faisant que rendre visibles Ă tous les yeux les maux auxquels la France sâefforcait dâĂ©chapper. LIVRE TROISIĂME. 244 LâĂ©meute, Ă dater de ce jour, prĂ©tendit intervenir comme pouvoir, et pouvoir prĂ©pondĂ©rant, dans le vote des lois. CâĂ©tait une branche nouvelle, une pousse spontanĂ©e de la puissance lĂ©gislative, qui se produisait audacieusement, comme entĂ©e sur les barricades. Il lui fallut un grand lambeau de sa monarchie rĂ©publicaine. Nâayant pu nous apprendre Ă nous passer de royautĂ©, la RĂ©publique voulut nous contraindre Ă nous passer de pairie. Le prĂ©sent lui Ă©chappait ; elle mit la main sur lâavenir. M. Armand Marrast, dans ses Documents historiques , rend le service de raconter comment, le samedi 7 aoĂ»t, Ă trois heures de lâaprĂšs-midi, se rĂ©unirent sur la place de lâOdĂ©on quelques centaines dâĂ©tudiants, sĂ©nateurs imberbes qui ne se donnĂšrent pas la peine de dĂ©libĂ©rer sur la question de lâhĂ©rĂ©ditĂ©, mais qui la tranchĂšrent! Ils marchĂšrent sur le Palais-Bourbon ; la Chambre eut peur... Voyez quelle gloire pour notre patrie ! câest la peur qui fixe la nature du pouvoir destinĂ© Ă faire Ă©quilibre Ă la dĂ©mocratie ou Ă la royautĂ©, et peut-ĂȘtre aucun de ces lĂ©gislateurs improvisĂ©s nâĂ©tait-il majeur ! Les Documents historiques nous apprennent encore ce fait curieux, que, prĂ©venu Ă lâavance du tumulte, le chef de la garde nationale, M. de La- fayette, dans sa confiance sĂ©culaire, nâavait pris aucune prĂ©caution pour dĂ©fendre lâordre public LA RĂVOLUTION DE l83o. 2/j5 et la Chambre qui dĂ©libĂ©rait, parce quâil obtint de lâĂ©meute sa parole dâhonneur de ne pas bouger. Il faut avouer que la Cliarte fut malheureusement gardĂ©e par lâillustre gĂ©nĂ©ral. Sans doute, on louera lâĂ©meute dâavoir Ă©tĂ© honnĂȘte, de sâĂȘtre arrĂȘtĂ©e devant les reprĂ©sentations du grand citoyen , de nâavoir point pĂ©nĂ©trĂ© dans lâenceinte lĂ©gislative qui Ă©tait ouverte, point violĂ© lâinviolable pouvoir. Câest une erreur elle lâa fait. Elle pĂ©nĂ©tra dans lâenceinte sacrĂ©e; elle la dĂ©vasta. Car sa pensĂ©e, sa politique, son attache mortelle envahirent lâarticle 23 de la Charte, qui fut dĂ©clarĂ© passible, dans le courant dâune annĂ©e, dâun nouvel examen, et la pairie devait un an aprĂšs succomber sous le coup. On sait bien que cette dĂ©claration nâĂ©tait quâune cote mal taillĂ©e, un mezzo termine , un atermoiement, comme tout ce qui se fit alors. On lâadopta pour faire face Ă une difficultĂ© du quart-dâheure aux dĂ©pens de lâavenir. Tout le monde vit une simple formalitĂ© dans la rĂ©vision ultĂ©rieure qui Ă©tait annoncĂ©e. On imagina que dans un an lâĂ©meute aurait lĂąchĂ© prise ; et, comme il sâagissait, dans cet instant, Ă la Chambre, de soumettre Ă des formes particuliĂšres dâexamen la prĂ©rogative royale des nominations illimitĂ©es de pairs, on jugea sans inconvĂ©nient dâĂ©tendre Ă lâarticle tout entier sur la pairie, la disposition projetĂ©e. Ce ne fut autre chose Ă vrai dire quâun LIVRE TROISIĂME. 246 moyen de police, une maniĂšre de supplĂ©er aux patrouilles omises par le gĂ©nĂ©ral Lafayette. Grande leçon aux dĂ©positaires des destinĂ©es publiques ! Il est des points sur lesquels nul nâa le droit de faiblir un jour. Frapper de provisoire une des colonnes de lâĂ©tat social, câest lâĂ©branler tout entier. La monarchie, il y a quarante ans, ne pĂ©rit pas non plus par lâĂ©branlement du 6 octobre ; ce ne fut que trois ans aprĂšs. Personne alors ne rĂ©flĂ©chit aux consĂ©quences de ce facile abandon de la premiĂšre des institutions auxquelles sâappuyait la monarchie constitutionnelle; on ne vit que lâordre rĂ©tabli dans les carrefours. Dans la prĂ©vention publique, les innovations apportĂ©es au pacte constitutionnel continuĂšrent dâĂȘtre accueillies comme autant de conquĂȘtes. La grande atteinte au passĂ© de la patrie et Ă sa loi fondamentale sembla une garantie dâavenir. Ce fut avec une confiance infinie dans la protection divine que les deux chambres, le 9 aoĂ»t, dĂ©clarĂšrent ce changement de rĂšgne, de branche, de charte, de drapeau, de maximes. Le prince lieutenant - gĂ©nĂ©ral du royaume monta lâunique degrĂ© qui le sĂ©parĂąt du trĂŽne; le cri de Vive le roi! enfoui depuis quinze jours dans les entrailles de la terre , se fit entendre de nouveau, et la plus grande diffĂ©rence cjui apparut Ă toute cette France Ă©tourdie et charmĂ©e de ses combats, de ses dangers, de sa force , de sa sagesse câest que le cri LA RĂVOLUTION DE I 83o. iLfj de Vive la reine! pour la premiĂšre fois aprĂšs qua- ranle ans, put se joindre Ă celui de Vive le roi! Lâun et lâautre retentirent, comme le cri sauveur, dâun bout du royaume Ă lâautre. Toutes les passions contraires se soumirent sans obstacle. Les demeurants de lâempire et les soupirants de la rĂ©publique se pressĂšrent, dans les premiers moments, comme le parti constitutionnel, sur toutes les avenues du trĂŽne nouveau. Le parti royaliste seul se tint Ă lâĂ©cart, ce qui parut un triomphe et fut prĂšs de paraĂźtre une force, dâautant plus que ne faisant pas concurrence sous les lambris du Palais-Royal, les royalistes semblĂšrent, parmi beaucoup de fermes et loyales dĂ©missions, adhĂ©rer, sur les bancs du Luxembourg et du Palais Bourbon. On vit, en effet, les serviteurs, les amis personnels des princes frappĂ©s par le sort, les chefs de lâĂ©migration de 1789, baisser la tĂȘte sous la loi dâune nĂ©cessitĂ© qui semblait irrĂ©vocable. On les entendit, par la bouche notamment du duc de Fitz-James, dans un noble et touchant langage, attester leur rĂ©solution dâĂ©viter Ă tout risque les dĂ©sordres, dâimmoler Ă tout prix leurs affections brisĂ©es au besoin de ne point diviser le sein de sa patrie. Tandis que les voĂ»tes des deux Chambres retentissaient de ces dĂ©clarations, Charles X, ses enfants et son petit-fils, trois gĂ©nĂ©rations de rois, sâĂ©loignĂšrent Ă pas lents, noblement, dignement, des palais, du trĂŽne et de la 248 LIVRE TROISIĂME. terre de leurs aĂŻeux. Un vaisseau amĂ©ricain attendait tout ce qui restait du sang de Louis XVI. Il leva lâancre sans effort, sous ce faix de la lĂ©gitimitĂ© arrachĂ©e de ses fondements, et poussĂ©e par les vagues vers une terre dâexil. En un mot, lâordre, lâordre extĂ©rieur, rĂ©gna, ce qui ne sâĂ©tait pas vu encore et ce qui charma les Français, dans la chute dâun trĂŽne. Le cours de nos longues prospĂ©ritĂ©s ne sembla mĂȘme pas interrompu. On avait vu des changements de ministĂšres qui sâĂ©taient fait sentir Ă la bourse plus que ce changement de Charte, de drapeau et de royautĂ©. Tout le monde crut que la rĂ©volution Ă©tait recommençait ! CHAPITRE III. MOBILES DE LA RĂVOLUTION. Telle fut la rĂ©volution de 1830. Elle sembla presque en mĂȘme temps conçue, faite et close. La France mit moins de temps Ă la faire ou Ă la laisser faire, que nous Ă la raconter, parce que nous essayons dâen faire comprendre le sens et la portĂ©e. Et nous disons la rĂ©volution; car nous ne sommes pas de ceux qui nây voient quâun Ă©vĂ©nement. De quel nom assez grand appeler le renversement du principe fondamental delĂ monarchie, de celui sur lequel reposait lâordre constitutionnel lui-mĂȘme, de celui dont lâinfraction , alors mĂȘme quâelle Ă©tait consacrĂ©e sans secousse, allait laisser, au sein de la sociĂ©tĂ© entiĂšre, un mystĂ©rieux et long malaise? LâAngleterre appelle la mĂȘme catastrophe sa glorieuse rĂ©volution. Il faut mĂȘme le dire ce qui assura en grande partie cette rĂ©volution soudaine , ce fut lâhistoire dâAngleterre. CâĂ©tait un dĂ©noĂ»ment tout fait; les imaginations y Ă©taient dĂšs longtemps prĂ©parĂ©es par les rapprochements plus ou moins fidĂšles que SĂO LIVRE TROISIĂME. la polĂ©mique multipliait chaque jour depuis seize annĂ©es. Il semblait que ce fĂ»t une dette de la rĂ©volution française envers sa sĆur aĂźnĂ©e, delĂ calquer jusquâau bout. Plusieurs pensĂ©es se rĂ©unirent pour dĂ©terminer cette subversion du droit public sur lequel la France reposait depuis mille ans. Il y eut concession rĂ©flĂ©chie au gĂ©nie du dĂ©sordre qui sâagitait, apprĂ©hension de pĂ©rils nouveaux , espoir dâopposer dĂ©sormais Ă lâanarchie le rempart dâun trĂŽne plus solide, pensait-on, que celui qui tombait faute dâavoir eu le point dâappui des intĂ©rĂȘts nouveaux en mĂȘme temps que le point dâappui des siĂšcles. Il y avait aussi, et peut-ĂȘtre fĂ»t-ce le sentiment qui domina, il y avait rĂ©solution de mettre lâavenir Ă lâabri de rĂ©actions et dâentreprises funestes comme celle dont on venait de porter le poids , prĂ©caution contre lâesprit qui avait dictĂ© les ordonnances fatales, parti pris dâassurer enfin Ă la France nouvelle cette sĂ©curitĂ© qui nâavait Ă©tĂ© que trop vainement cherchĂ©e jusquâalors sous la foule des rĂ©gimes prĂ©cĂ©dents, et qui Ă©tait Tunique bien dont la restauration eĂ»t Ă©tĂ© avare. On ne vit pas que les pĂ©rils qui venaient dâattrister la France constitutionnelle, avaient Ă©tĂ© Ă©cartĂ©s Ă toujours par son triomphe; que la Charte aurait Ă©tĂ© dĂ©sormais, non plus un octroi de la couronne, mais la conquĂȘte et le patrimoine de la France; que la sĂ©curitĂ© quâon voulait sâassurer dâun cĂŽtĂ© JA RĂVOLUTION DE l83o. 25 1 de lâhorizon, manquerait au contraire de lâautre; que lâesprit rĂ©volutionnaire, amorcĂ© en quelque sorte et irritĂ© par cette satisfaction , deviendrait la terreur et la calamitĂ© permanente de lâavenir. On copiale modĂšle fourni par lâhistoire, sans songer que profondĂ©ment dĂ©mocratiques, nous ne pouvions pas impunĂ©ment nous jouer, comme les Anglais, avec un Ă©lĂ©ment dâordre, quand nous nâen possĂ©dions plus, pour parler exactement, quâun seul 1. Mais aussi, il faut ĂȘtre sincĂšres ces rĂ©flexions, combien y eut-il dâesprits qui les firent alors? La disposition gĂ©nĂ©rale Ă©taitde ne voir quâune grande faute, un grand chĂątiment, de grands dangers. 1 Pendant que ces pages Ă©taient rĂ©imprimĂ©es aoĂ»t 1849, lâapprĂ©ciation que lâauteur y avait tracĂ©e, dĂšs 1831, de la rĂ©volution du 9 aoĂ»t 1830, recevait deux sanctions Ă©clatantes, lâune dans le livre de M. Dunoyer, ancien collaborateur du Censeur EuropĂ©en , sur la rĂ©volution de 1848 ; lâautre dans une lettre de M. Madier Montjeau, lâun des 221, qui va jusquâĂ sâexprimer ainsi Tout Ă©tait juste et grand dans le combat pour la Charte. Nous devĂźnmes criminels jusquâĂ la dĂ©mence dans le refus dâaccepter lâabdication expiatoire de Charles X. » Dans ce que nous avons prĂ©fĂ©rĂ©, tout Ă©tait malaisĂ©... impossible; dans ce que nous avons refusĂ©, tout Ă©tait facile, noble, durable. » Si la magnifique famille dâOrlĂ©ans nâavait Ă©tĂ© contrainte par nous quâĂ un concours lĂ©gal, elle nous eĂ»t apportĂ© des forces immenses... Maintenant que je vois tous ces princes inutiles Ă leur pays, tous bannis, tous courbĂ©s sous le mĂȘme malheur immĂ©ritĂ© pour tous, je maudis lâaveuglement de ce vote lamentable qui mâa rendu aussi fatal Ă deux races royales quâĂ mon pays. LIVRE TROISIĂME. 2$2 Rappelons-nous lâĂ©tat de lâopinion, la situation violente de la capitale, ce sang qui fumait encore, ces barricades partout dressĂ©es, qui accusaient un dĂ©sordre immense et son origine royale, ce peuple armĂ© qui gardait, demi-nu, nos palais et nos trĂ©sors, dont on admirait la vertu, en se demandant si elle Ă©tait immortelle ; et nâoublions pas deux choses câest que lâanarchie, Ă Paris , risquait de devenir lâanarchie dâune grande partie delaFrance; que la monarchie lĂ©gitime, au contraire , ne pouvait pas ĂȘtre constituĂ©e dans la capitale incandescente et exaspĂ©rĂ©e comme elle lâĂ©tait. Si elle pouvait vivre, câĂ©tait Ă Saint-Cloud et dans les provinces elle ne tenta rien nulle part. Pour expliquer Ă la fois et Saint-Cloud et Paris, il faut avoir prĂ©sent Ă lâesprit ce dĂ©laissement universel du prince qui avait lancĂ© le foudre du coup dâEtat, cette conviction gĂ©nĂ©rale dâune sentence sans appel, cette solitude croissant autour de lui de seconde en seconde. Nous avons dit le dĂ©sert avant les ordonnances ; mais alors il trompait encore par le mirage inĂ©vitable de la puissance , et maintenant on le touchait au doigt et Ă lâĆil ; il Ă©tait morne, terrible. Tout le monde savait quâil nâĂ©tait plus question que de dĂ©part et de retraite. On connaĂźt quelquâun qui pensa que les princes nâĂ©taient pas hors la loi commune, qui veut quâon prenne congĂ© de ceux quâatteint le malhĂ©ur et qui partent pour de douloureux voya- LA. RĂVOLUTION DE l83o. 203 âąges. Ce nâĂ©tait encore que le samedi 31 juillet. Il se heurta contre les plus grands noms de la monarchie , de la cour, de la VendĂ©e, qui revenaient. Il ne rencontra personne occupĂ© Ă affronter ce soleil dĂ©vorant et ces infortunes, ces fautes plus dĂ©vorantes encore. Lui-mĂȘme sâarrĂȘta, aprĂšs avoir frappĂ© Ă la porte de Saint-Cloud et de Trianon , en nây trouvant que des escadrons de la garde royale dĂ©bandĂ©s et le drapeau tricolore. Personne, Ă Versailles, ne lui annonça la halte de Rambouillet; personne ne la supposait. La prĂ©occupation universelle des esprits Ă©tait la peur de lâanarchie et des vengeances dont elle serait accompagnĂ©e , de la rĂ©action sanglante Ă laquelle elle servirait dâinstrument. Quels intĂ©rĂȘts eussent Ă©tĂ© immolĂ©s dâabord, quelles tĂȘtes prises les premiĂšres, comment le mĂ©connaĂźtre? La haine contre le royaliste et le prĂȘtre courait dans les veines gonflĂ©es des masses avec une vraie furie. Qui oserait dire que sans ce calque de la rĂ©volution dâAngleterre, nous nâaurions pas eu la contre- Ă©preuve de la nĂŽtre? La halte du gouvernement de 1830 aura servi Ă rĂ©concilier le noble et lâecclĂ©siastique avec le citadin, Ă faire tomber toutes les fureurs, Ă remettre ensemble et Ă rĂ©unir, sâil se peut, tous les Français. On peut interroger les monuments, qui restent, de lâopinion qui passe. Relisons les journaux royalistes , quand ils reparurent ; car on ne sait sâils LIVRE TROISIĂME. 254 reparaissaient dĂ©jĂ . Comparons le langage quâils tenaient alors avec celui quâils parlent aujourdâhui , aprĂšs vingt mois, et gardons-nous dâune grande injustice câest de juger le passĂ© avec le calme facile du prĂ©sent; câest dâaccuser un Ă©vĂ©nement accompli et un gouvernement instituĂ© , avec la sĂ»retĂ© personnelle , la libertĂ© lĂ©gale et le repos dâesprit quâils nous, ont donnĂ©s. Si lâon veut se rendre compte des sensations dont tous les esprits Ă©taient frappĂ©s alors, il y a quelque chose de bien simple , câest de revoir le discours que M. le vicomte de Chateaubriant prononça , au sein de la Chambre des pairs, en y dĂ©fendant seul la lĂ©gitimitĂ© discours, dâune Ă©loquence si prodigue de louanges pour la victoire de Paris; si propice, par lâascendant de sa modĂ©ration, Ă la royautĂ© nouvelle quedĂ©clinait pour son compte lâillustre orateur; si Ă©crasante, par la grandeur de ses reproches , pour cette autre royautĂ©, sĂ©culaire et fugitive, dont il se dĂ©vouait Ă dĂ©fendre le principe, et que son gĂ©nie abĂźmait sans merci sous le poids de sa colĂšre,â comme avait fait le peuple, apparemment pour la secourir de plus haut! On ne saurait redire aujourdâhui, de sang- froid , ces pages Ă©crites dans le feu du combat et de la douleur. Bornons-nous Ă transcrire des paroles qui attestent bien le point de vue sous lequel sâoffrait aux Ăąmes fidĂšles lâavenir ouvert Ă la France. LA RĂVOLUTION UH l83o. 255 Loin de moi, sâĂ©criait lâillustre pair, de jeter » des semences de division dans la France; et » câest pourquoi jâai refusĂ© Ă mon discours lâac- » cent des passions. Si jâavais le droit de disposer » dâune couronne, je la mettrais volontiers aux j pieds de monseigneur le duc dâOrlĂ©ans ; mais » je ne vois de vacant quâun tombeau Ă Sairit- » Denis , et non pas un trĂŽne. » Quelles que soient les destinĂ©es qui attendent » M. le lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume , je ne se- » rai jamais son ennemi tant quâil fera le bonheur » de ma patrie. Je ne demande quâĂ conserver la » libertĂ© de ma conscience, et le droit dâaller » mourir oĂč je trouverai indĂ©pendance et re- » pos. » Quelques jours aprĂšs, un journal, qui ne fut par dĂ©menti, se dĂ©clara autorisĂ© Ă rĂ©vĂ©ler que, » loin de chercher Ă isoler, par lâinfluence de son » nom et de son exemple, un pouvoir qui sâĂ©le- » vait si heureusement pour nos destinĂ©es, lâil- » lustre pair ne se servait de cette influence que » pour prĂȘcher lâobĂ©issance et lâunion. » Quâon ne le conteste donc pas le sentiment universel, dans le principe, fut dâaccepter la royautĂ© nouvelle comme un port dans la tempĂȘte. Ce sentiment Ă©clata jusque dans le langage de ceux des serviteurs du trĂŽne qui sâĂ©loignĂšrent sans retour des nouveaux pouvoirs pour ne point passer sous de nouveaux serments il serait injuste et a56 LIVRE TROISIĂME. ingrat de nier aujourdâhui ce quâon Ă©prouvait alors. Mais aussi, si bien des dispositions personnelles ont changĂ© depuis, si les dissidences se sont grossies et exaspĂ©rĂ©es, si, contre lâusage de la puissance , la monarchie de 1830 a perdu avec le temps plutĂŽt que fait des conquĂȘtes, Ă qui la faute? AssurĂ©ment, il y a eu, de son cĂŽtĂ©, des torts; il y a eu des engagements faussĂ©s, des espoirs déçus, des intĂ©rĂȘts menacĂ©s. Quels sont- ils ? On ne peut penser que lâancienne monarchie fĂ»t tombĂ©e sans dĂ©fense, que ses amis, que ses serviteurs, que son armĂ©e , que la France mĂȘme eussent passĂ© sans condition sous des lois nouvelles. La France ne se serait pas rendue Ă merci aux combattants de FHĂŽtel-de-Ville, ni mĂȘme aux soixante lĂ©gislateurs du Palais-Bourbon. Rechercher une fois et fixer enfin la nature de la rĂ©volution de 1830, se rendre compte de la mission quâelle annonça hautement et des limites quâelle se posa elle-mĂȘme, voilĂ les questions quâil importe de rĂ©soudre, puisque lĂ rĂ©side le contrat qui a Ă©tĂ© consenti par la France, qui constitue le code des vĂ©ritables promesses de juillet, et qui nous autorise, chacun et tous, Ă rechercher si elles sont tenues. Nous disons Ă notre tour, comme le parti rĂ©volutionnaire qui invoque ce nom sans cesse les LA RĂVOLUTION DE l83o. 2$'] promesses de juillet ! Car câest un point sur lequel il Ă©tait besoin de sâexpliquer enfin. On a parlĂ© Ă©ternellement de lâHĂŽtel-de-Ville, et peu de la France ; on a parlĂ© des promesses faites aux combattants des barricades et Ă ceux qui se sont, depuis le triomphe, dĂ©clarĂ©s leurs chefs. Il est temps de parler de ces trente millions dâĂąmes qui nâauraient pas indiffĂ©remment acceptĂ© toutes les victoires. Or, leur acceptation pouvait seule donner Ă lâordre nouveau, quel quâil fĂ»t, sanction et force, paix dans le prĂ©sent et sĂ©curitĂ© dans lâavenir. 17 CHAPITRE IV. PROMESSES VĂRITABLES DE JUILLET. LâORDRE ET LA PAIX. La rĂ©volution de 1830, Ă son origine, eut le mĂ©rite de sâeffrayer dâelle-mĂȘme. Son premier sentiment fut de redouter lâinvasion de lâesprit rĂ©volutionnaire ; son premier besoin, de prendre des sĂ»retĂ©s contre les entraĂźnements subversifs ; son premier acte, de sâenchaĂźner par les liens dâun pacte fondamental qui sauvĂąt le pays, non- seulement de tout Ă©branlement, mais aussi de toute alarme. Câest lĂ son caractĂšre natif, celui qui la distingue de la plupart des rĂ©volutions passĂ©es. Le peuple armĂ©, ce peuple dont on a tant de fois usurpĂ© le nom, dont on devrait respecter les vĆux et les exemples, le peuple eut hĂąte dâabdiquer aux mains des reprĂ©sentants lĂ©gitimes du pays, comme ceux-ci aux mains du prince quâils destinaient Ă la couronne. Le 9 aoĂ»t, il fut dit que lâordre constitutionnel recommençait son cours ; on pourrait mĂȘme prĂ©tendre quâil LA IUĂVOLUTIOM' de i83o. a5g nâavait pas Ă©tĂ© interrompu car pas un acte ne sâĂ©tait accompli, si ce nâest sous la sanction des trois pouvoirs. On pourrait aller plus loin, et dire que le gouvernement nouveau nâĂ©tait, dans la pensĂ©e de tout le monde, que la restauration possible, lĂ©galement continuĂ©e. Autrement, pourquoi et de quel droit poursuivre devant la justice les ministres coupables dâavoir attaquĂ© une Charte et un gouvernement qui auraient Ă©tĂ© par 1 vous-mĂȘmes condamnĂ©s et abattus ? Le programme de lâavenir fut tout entier dans cette premiĂšre parole du lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume, si rĂ©pĂ©tĂ©e longtemps dans les discours, les adresses, les toasts, les transparents, quâelle sembla recevoir de la voix du peuple une sanction souveraine La Charte sera dĂ©sormais une vĂ©ritĂ©. » Malheureusement, le mot avait Ă©tĂ© dĂ©menti aussitĂŽt que prononcĂ©, puisquâon avait consenti Ă reviser la Charte, câest-Ă -dire Ă la mutiler, Ă lâinfirmer. Elle nâĂ©tait plus la vĂ©ritĂ© ! Relisez toutes les proclamations de toutes les autoritĂ©s dâalors, les actes signĂ©s Mauguin, Laffitte, Lafayette, les documents Ă©manĂ©s de la commission municipale aussi bien que du Palais- Bourbon vous ne verrez pas un vĆu destructeur. Au milieu de toutes les nomenclatures de changements dĂ©sirĂ©s, dans lesquelles se complaisent le gĂ©nĂ©ral Lafayette et les premiĂšres rĂ©unions de 2ĂO LIVRE TROISIEME. dĂ©putĂ©s, il est fort question de lâĂ©tablissement de lois municipales ou dâabolition de la censure, point dâabolition de la pairie. La prĂ©occupation commune, la prĂ©occupation constante qui y Ă©clate Ă toutes les lignes , est le rĂ©tablissement de la stabilitĂ© des lois. Lâordre y est plus souvent invoquĂ© que la libertĂ©. Vous y verrez partout redouter et proscrire les rĂ©volutions et la guerre ; vous ne verrez promettre nulle part ces deux flĂ©aux. Pourquoi ? parce quâil y eut deux choses qui devaient ĂȘtre et qui Ă©taient Ă©galement dĂ©sirables aux chefs de la rĂ©volution, deux choses qui pouvaient seules la propager rapidement et lâaffermir câĂ©taient lâordre et la paix. Aussi est-ce lâordre et la paix quâils ont hĂąte dâanuoncer Ă la France. La paix ! Nous en parlons dâabord, parce que ce fut dâabord Ă quoi la rĂ©volution songea. Elle nâeut garde dâaller se ruer, comme on lâa vu plus tard, sur lâhĂŽtel des ambassadeurs oubliĂ©s Ă Paris par la cour. Elle ne proclama point que la guerre des trois journĂ©es eĂ»t Ă©tĂ© faite Ă lâEurope ; que la victoire des barricades eĂ»t rompu les pactes qui nous liaient au monde ; que lâĂ©lan qui avait emportĂ© les Parisiens de lâHĂŽtel-de-Ville sur les Tuileries, eĂ»t la vertu de reporter les drapeaux de la France sur cette frontiĂšre du Rhin, si dĂ©plorable- ment perdue parle gĂ©nie dĂ©vorant de lâempire! LA RĂVOLUTION DE l83o. 2ĂI Point. Les premiers soins se tournĂšrent Ă nouer avec le corps diplomatique des relations amies, et Ă le convaincre du bon droit de la rĂ©volution. On euthĂąte dâinstruire lord Wellington 1 de ce qui se prĂ©parait, dâavoir ses promesses de reconnaissance immĂ©diate. Et tous les pouvoirs abondaient dans celte politique. La dĂ©putation qui, le vendredi 30, avait portĂ© Ă M. le duc dâOrlĂ©ans le titre de lieu- tenant-gĂ©nĂ©ral du royaume, redit Ă la Chambre que le prince lâacceptait, afin dâĂ©viter et la guerre civile et la guerre Ă©trangĂšre. Ce sont les premiers linĂ©aments du contrat dressĂ© alors. Tout le monde applaudit. Nul des chefs du parti ne sâavisa de dĂ©clarer quâil voulĂ»t, pour son compte, la guerre Ă©trangĂšre, non plus que la civile. Le dimanche matin , les journaux du gouvernement publiĂšrent que les ambassadeurs avaient donnĂ© les assurances les plus pacifiques. Cette fois encore, personne ne rĂ©clama. En ouvrant, le surlendemain 3 aoĂ»t, la session rĂ©guliĂšre et lĂ©gale des deux Chambres, telle que lâavait commandĂ©e le Roi Charles X, le lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume s exprima ainsi dans son discours du trĂŽne La France montrera, dit-il, Ă lâEurope quâelle » chĂ©rit la paix aussi bien que la libertĂ©, et no {1 . Alors chef .du cabinet Britannique. 2Ă2 LIVRE TROISIĂME. » veut que le bonheur et le repos de ses voĂź- » sins. » Ce fut en rĂ©ponse Ă ce langage que les deux Chambres, au lieu dâadresses, firent Ă Louis-Philippe la proposition de la couronne. Le jour oĂč ce prince la ceignit, il compta, parmi les espĂ©rances quâil voyait briller sur la France, la paix de plus en plus affermie. Et, cette fois encore, personne nâimagina de faire des rĂ©serves ou des objections, de revendiquer la propagande, de se dire chargĂ© dâen haut de donner notre libertĂ© et notre dĂ©mocratie Ă lâunivers, de mettre enfin en avant toutes les folies que nous avons vues et entendues depuis vingt mois. Quâon se rappelle lâaccord de toutes les autoritĂ©s Ă rĂ©pĂ©ter les dĂ©clarations pacifiques du trĂŽne ; quâon se rappelle lâapplaudissement public avec lequel le gouvernement nouveau envoya, du milieu des barricades, dâillustres citoyens dans les cours Ă©trangĂšres, apparemment afin de notifier autre chose que des hostilitĂ©s ; quâon se rappelle la joie que ressentaient nos citĂ©s, que nos journaux de toutes les opinions exprimĂšrent Ă lâenvi, au sujet de ces reconnaissances empressĂ©es des couronnes, qui apprirent Ă la France quâelle pourrait se livrer en paix au soin dâaffermir ses institutions plutĂŽt que dâavoir Ă les dĂ©fendre; quâon nâoublie pas les transports dont Ă©taient saluĂ©s, dans les LA. RĂVOLUTION DE l83Ă». 203 théùtres, les bulletins, quâon avait soin dây envoyer, de ces victoires de la sagesse sur les prĂ©ventions des cours ; et quâon dise la surprise douloureuse que tout le monde aurait Ă©prouvĂ©e, si lâEurope avait posĂ© la doctrine que les principes Ă©taient contraires, que tous les traitĂ©s Ă©taient anĂ©antis et tous les liens rompus! La rĂ©volution de 1830, comme NapolĂ©on aux Cent-Jours, entendit donc accepter, de la restauration, son plus douloureux hĂ©ritage, ces traitĂ©s quâelle nâavait fait que souscrire, que dâautres que les Bourbons avaient appesantis sur la France comme une nĂ©cessitĂ© de fer. La rĂ©volution de 1830 dĂ»t agir ainsi. Paris, en se levant en armes, avait-il entendu reconquĂ©rir des provinces, ou bien des droits ? Et si ces droits Ă©taient chers Ă la France, pense-t-on quâelle y tĂźnt, pour faire des essais nouveaux et tendre Ă un but douteux, Ă un but, suivant les thĂ©ories diverses, perdu dans des nuages ou cachĂ© sous des ruines ? Non ! non ! il nây eut dâabord quâune façon de sentir, dans les camps divers que la rĂ©volution rallia sous ses drapeaux. La nation sâĂ©tait Ă©mue uniquement pour reconquĂ©rir le gouvernement reprĂ©sentatif sur le coup dâEtat qui le renversait la preuve, câest le nom de cette Charte invoquĂ© dans le combat , invoquĂ© encore aprĂšs la victoire. Si donc, la Charte reconquise, les grands pouvoirs poussĂšrent la victoire plus loin que le peuple mĂȘme, ce LIVRE TROISIĂME. 264 11e fut que dans lâespoir dâacheter, Ă un prix toujours trĂšs-cher, celui dâune rĂ©volution, un bien, dont aprĂšs tant dâorages la France entiĂšre Ă©tait avide, câest-Ă -dire la possession tranquille dĂ©sormais et incontestĂ©e des institutions, la confiance dans leur avenir, et, pour tout exprimer en un mot, le repos dans la libertĂ©. CHAPITRE V. SUITE DES PROMESSES VĂRITABLES DE JUILLET. LA CHARTE ET LA ROYAUTĂ. Au dedans, lâordre conserva ses deux grandes garanties , la Charte et la royautĂ©. Avant tout, la royautĂ© fut maintenue au faĂźte de lâEtat; elle fut maintenue avec ses deux attributs nĂ©cessaires ; elle resta hĂ©rĂ©ditaire et inviolable ; elle le resta du moins en principe. Or, la royautĂ© est lâordre placĂ© sous la garantie des siĂšcles. La Constitution politique de la France ne fut changĂ©e quâen un point; câest quâon fit passer dans la Charte toutes les modifications secondaires que lâopposition avait accoutumĂ© les esprits Ă regarder comme des perfectionnements du systĂšme reprĂ©sentatif. Du reste, il fut entendu que la mĂȘme loi continuait Ă rĂ©gner entre les citoyens, la mĂȘme transaction entre les partis, le mĂȘme Ă©quilibre entre les pouvoirs, avec des libertĂ©s plus Ă©tendues ; et les libertĂ©s sont un patrimoine commun Ă tous les Français. Mais, dĂ©placer les bases de la libertĂ© publique, livrer la puissance Ă des classes ^66 LIVRE TROISIĂME. nouvelles, dĂ©shĂ©riter celles qui en Ă©taient investies, toutes ces entreprises de lâAssemblĂ©e constituante ne vinrent Ă lâesprit de personne. Tous les pouvoirs restĂšrent au poste oĂč la lĂ©gislation antĂ©rieure les avait fixĂ©s. La Chambre des dĂ©putĂ©s nâeut pas un moment la pensĂ©e de se croire seule investie de ce pouvoir constituant dans lequel venait sâengloutir Charles X; elle nâimagina point de ramasser cette omnipotence fatale, parmi les ruines de la monarchie, au pied des barricades; elle ne sâavisa pas de lire sur ces barricades fumantes un article 14 Ă son propre usage. Les formes lĂ©gales ne furent pas interrompues un jour non-seulement la lettre des lois, celle mĂȘme des rĂšglements, resta strictement observĂ©e. En parlant de la Charte qui le faisait roi, Louis - Philippe, au jour de son avĂšnement, marqua bien le caractĂšre de contrat que ce grand acte devait avoir, en disant a Les sages modifications que nous venons dâap- » porter Ă la Charte constitutionnelle... » Personne ne protesta. Si la Chambre supprima tout le prĂ©ambule du pacte constitutionnel, ce fut comme reposant sur une donnĂ©e politique dĂ©mentie par notre histoire, comme contraire Ă ce vieux droit national quâatteste la filiation de nos AssemblĂ©es, de nos Parlements , de nos Etats-GĂ©nĂ©raux , de nos Champs- de-Mai, noblesse publique Ă©gale en anciennetĂ© Ă celle du trĂŽne. Mais elle nâentendit pas revenir aux LA. RĂVOLUTION DE l 83 o. 267 rĂȘves anarchiques de lâAssemblĂ©e constituante. Elle refusa expressĂ©ment la proposition faite lĂ©gĂšrement par un de ses membres, lâhonorable M. Persil, de rendre au droit national le nom pĂ©rilleux de souverainetĂ© du peuple ; elle pensa que ce nom , fondant la constitution des Ătats sur deux Ă©quivoques subversives, celles du sens attachĂ© au mot de SouverainetĂ©, et au mot de Peuple, fausserait la vĂ©ritĂ© mĂȘme, et ne serait quâun non-sens, si la rĂ©volution nâavait lâart dâen faire un flĂ©au. Le sentiment public Ă©tait si formel quâun homme sâĂ©tant avisĂ© de promener, au milieu du peuple de juillet, encore Ă©mu de sa victoire, un drapeau qui portait Ă©crits ces mots SouverainetĂ© du peuple; il fut incontinent arrĂȘtĂ©! Toutes les dĂ©libĂ©rations, tous les actes de cette Ă©poque marquent nettement le point dâarrĂȘt oĂč la rĂ©volution comptait se tenir, et rien ne le marque mieux que le maintien dans la Charte de la vieille maxime que toute justice Ă©mane du roi. La rĂ©volution entendait donc quâil y eĂ»t un roi, que la royautĂ© fut rĂ©elle; que ce trĂŽne antique, qui existait depuis des siĂšcles par sa propre vertu, ne fĂ»t pas tout entier brisĂ©. Autrement, on aurait Ă©crit Toute justice Ă©mane du peuple. Mais on fit plus sagement. On suivit le conseil du cardinal de Retz , qui a dit si bien que ces droits respectifs des peuples et des rois ne sâaccordent jamais mieux que dans le silence. Y avait-il donc rĂ©volution sociale ? pas lâombre. LIVRE TROISIĂME. 268 Y avait-il mĂȘme rĂ©volution de dynastie ? ni plus ni moins quâen Angleterre. Nous nous trompons moins quâen Angleterre. Car on entendit conserver sur le trĂŽne le mĂȘme sang , comme le mĂȘme code dans le pays; seulement, on passait aussi le sceptre Ă la branche protestante , Ă celle qui avait reçu le baptĂȘme de 1789, Ă celle qui avait dĂšs longtemps donnĂ© des gages aux institutions victorieuses, etquidormaitmaintenant le plus grand, le plus dĂ©cisif de tous, celui dâaccepter la couronne. On nâexamine pas si un autre Bourbon que M. le duc dâOrlĂ©ans Ă©tait, ou non, possible alors. Mais ce quâon sait, car tous les faits et tous les actes lâassurent, câest quâil fut appelĂ© au trĂŽne capĂ©tien comme CapĂ©tien lui-mĂȘme, comme Bourbon possible. Alors , on avait la prudence de redouter les dĂ©chirements, de tenir Ă ce que lâest et lâouest, le nord et le midi, la grande et la petite propriĂ©tĂ© restassent unis dâaffection , et que le faĂŒsceau national ne fĂ»t pas brisĂ© par les dissensions civiles. On espĂ©ra quâune catastrophe, Ă©crite dĂ©jĂ dans lâhistoire, sâadapterait plus aisĂ©ment Ă nos annales. On supposa que des vertus, familiĂšres dĂ©jĂ Ă toutes la grande compagnie de France, une famille superbe et respectĂ©e , son extraction et ses alliances royales rendraient la transition plus facile aux cĆurs les plus profondĂ©ment blessĂ©s ; que les Français de toutes les classes s'accorderaient Ă sâincliner devant un choix qui donnait des gages Ă LA. RĂVOLUTION DE l83o. 269 tous les intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes du pays; que ceux-ci salueraient le prince de Jemmapes, que ceux-lĂ accepteraient cet autre reprĂ©sentant de la premiĂšre des races françaises. Tout ceci, ce nâest point nous qui le disons câest la Charte constitutionnelle, qui considĂ©rant, nous devons le rĂ©pĂ©ter, que tous les princes de la branche ainĂ©e des Bourbons sortent du territoire français, appelle au trĂŽne Son Altesse Royale le duc dâOrlĂ©ans. Avant la Charte, M, Alexandre de Laborde, motive lâavĂ©nement du chef de la branche d'OrlĂ©ans sur ce quâaprĂšs tout ce prince Ă©tait, de plusieurs degrĂ©s, plus proche que ses cousins de ce roi dont le peuple a gardĂ© la mĂ©moire, de Henri IV. AprĂšs la Charte, M. Dupont de lâEure, contresigne cette ordonnance sur la LĂ©gion-dâHonneur, oĂč, repoussant Ă lâavance lâodieuse supposition produite depuis, que, par lâacceptation du trĂŽne, il aurait rĂ©pudiĂ© ses aĂŻeux, Louis-Philippe rappelait avec une lĂ©gitime fiertĂ© son aĂŻeul , de glorieuse mĂ©moire , le Grand-Henri ; alors aussi M. le gĂ©nĂ©ral Lamarque, met son Ă©rudition Ă rechercher lequel de ses ancĂȘtres, entre les Philippe-Auguste, les Louis XII, les François I er , le prince, qui a la plus belle gĂ©nĂ©alogie de lâunivers, choisira pour modĂšles. Enfin, la voix de la France entiĂšre, dans les milliers dâadresses dĂ©posĂ©es au pied du trĂŽne nouveau , remercie la fortune de nous avoir gardĂ©, dans nos bouleversements, ce mĂ©diateur naturel LIVRE TROISIĂME. 27O entre les couronnes aussi bien quâentre les factions , apparemment parce que, si la rĂ©volution aimait Ă voir en lui un citoyen comme tous les citoyens, lâEurope pouvait y voir un roi comme tous les rois. La royautĂ© tient une telle place dans la sociĂ©tĂ© europĂ©enne quâon ne fait pas de dynastie sans aĂŻeux. NapolĂ©on mĂȘme y a Ă©cliouĂ©. Si donc la maison dâOrlĂ©ans nâobtient vos respects quâĂ la condition de renier son origine, vos respects sont des parjures. Au fond, vous 11e voulez pas de roi, ou bien vous avez en vue une autre race. Nommez votre candidat nous verrous quâil a pour ancĂȘtres dâun cĂŽtĂ© la foule des empereurs Germaniques, de lâautre les cinquante batailles rangĂ©es de son pĂšre. Etablir, comme M. Odilon-Barrot, quâon a Ă©lu le plus digne, abstraction faite de ses aĂŻeux, et sous la condition de les rĂ©pudier, câest pousser trop loin la louange personnelle; câest flatter le roi aux dĂ©pens de la royautĂ©, et cacher des pensĂ©es de tribun sous des phrases de courtisan ; câest manquer Ă la Charte, au bon sens public, aux souvenirs de la France, Ă tous les sentiments gravĂ©s dans lâĂąme de lâhomme ; câest offenser surtout ces princes dont on dĂ©vaste Ă la fois lâorgueil, le cĆur et la couronne. Dites quelle secrĂšte vertu le duc dâOrlĂ©ans sentait en lui, pour sâĂ©crier quand vous vous jetĂątes LA RĂVOLUTION DE l83o. 27 I dans ses bras Jâaccours pour vous prĂ©server » des calamitĂ©s de la guerre civile et de lâanar- » chie! » Cet engagement extraordinaire, par quel miracle de sa fortune Louis-Philippe pouvait-il le prendre ? par quel prestige la France imagina-t-elle quâil eĂ»t des chances pour le tenir ? Si le plus grand des citoyens, on veut dire M. de Lafayette, en arrivant de Lagrange, eĂ»t lancĂ© cette promesse, aurait-il rĂ©gnĂ©? La France lâaurait-elle cru sur parole ? En ne doutant pas de son bon vouloir, aurait-elle eu foi dans sa puissance ? Si le duc de Reichstadt fĂ»t arrivĂ© nous offrant le palladium de sa rovautĂ© future, le duc de Reichstadt, lâhĂ©ritier du plus grand des potentats, le fils du roi de la rĂ©volution, le fils du prince , que Pie VII a sacrĂ©, roi lui-mĂȘme Ă sa naissance, appelĂ© NapolĂ©on II par le peuple dans ses souvenirs, par le vieux soldat dans ses attendrissements, si ce jeune HĂ©raclide, qui rayonne des prodiges paternels, eĂ»t criĂ© quâil accourait pour nous sauver de lâanarchie, lâanarchie aurait-elle fui en effet Ă sa voix ? Tous les dĂ©partements seraient-ils passĂ©s docilement dâun sceptre Ă un autre ? La malle- poste, qui aurait portĂ© cette nouvelle Ă toutes nos citĂ©s, eĂ»t-elle fait et consommĂ© une rĂ©volution dans le temps de changer de chevaux ? Le sang nâeĂ»t-il coulĂ© dans aucune de nos provinces, non plus que sur aucune de nos frontiĂšres ? LIVRE TROISIĂME. 272 Personne ne le pense, personne ne lâa pensĂ© alors. Les bonapartistes nâont pas plus proposĂ© leur prince lĂ©gitime, que la rĂ©volution son patriarche. Ne serait-ce point quâil nây avait, en dehors de la succession directe, quâun Français sans Ă©gaux, quâun candidat sans compĂ©titeurs? CâĂ©tait lâhĂ©ritier aprĂšs lâhĂ©ritier. Câest que lui seul tenait Ă toutes les Frances et avait la chance de les toutes rallier. Certes, si on eĂ»t voulu rĂ©pudier pour une race nouvelle celle qui rĂ©gnait depuis dix siĂšcles sur nos pĂšres, câĂ©tait chose facile dans notre France, oĂč tant dâessais se sont multipliĂ©s, depuis quarante ans, que nous avons de tout, dans le garde-meuble de la rĂ©volution, mĂȘme des dynasties de rechange. Mais NapolĂ©on II, câeĂ»t Ă©tĂ© la monarchie des masses ; la rĂ©publique Ă©tait leur anarchie, pĂ©rorĂ©e par des Ă©coliers et exploitĂ©e par des praticiens. 11 nây a que le sang bourbon qui pĂ»t promettre aux classes pauvres le travail, enfant de la paix ; Ă la classe moyenne, la libertĂ©, fille de la propriĂ©tĂ© et des lumiĂšres; Ă toutes, lâordre, qui naĂźt des siĂšcles. Les atteintes portĂ©es Ă la monarchie comme Ă la Charte nâavaient donc dâautre but que de les affermir, lâune et lâautre, pensait-on, contre lâenvahissement des partis extrĂȘmes. Dans ce temps oĂč les diverses fractions de la gauche, on lâa dit plus haut, formaient lâimmense majoritĂ© de la Chambre des dĂ©putĂ©s, cette assemblĂ©e entendit faire LA. REVOLUTION DE l83o. 2^3 le moins de changements, le moins de rĂ©volution possible. En ne voulant pas maintenir la branche aĂźnĂ©e, en ne le croyant pas pouvoir peut-ĂȘtre, elle conserva la branche cadette, comme elle conservait les tribunaux, les cours de la restauration, tous les grands corps , ce qui est un fait immense ! La maniĂšre dont les parquets ont Ă©tĂ© trop souvent constituĂ©s sous lâautoritĂ© deM. Dupont de lâEure, nous avertit en quelles mains lâintrigue et la passion eussent jetĂ© les balances de la justice. Et la plus intolĂ©rable des misĂšres pour les peuples, ce serait la passion et la mĂ©diocritĂ©, on ne dit rien de plus, rĂ©gnant dans le sanctuaire des lois. Cet acte de sagesse fixerait seul la nature de la rĂ©volution. La rĂ©volution entendit tout autant respecter la Chambre des pairs; car briser violemment quatre- vingts pairies comme on fit, câĂ©tait trop assurĂ©ment. Mais enfin câĂ©tait une consĂ©cration nouvelle et dĂ©finitive de toutes les autres. Nous disons quâon entendit respecter la Chambre des pairs; car, en soumettant lâun des dix articles de la Charte qui la concernaient Ă un examen postĂ©rieur, on crut si peu abolir lâhĂ©rĂ©ditĂ©, quâon ne prit mĂȘme pas le soin delĂ suspendre. M. Guizot fit dĂ©cider, trois mois aprĂšs, par une loi expresse, que lâhĂ©rĂ©ditĂ© restait le droit public de la France ; et, durant seize mois, les fils ont continuĂ© de succĂ©der aux siĂšges paternels. Nous disons quâon entendit respecter la Cham- 18 LIVRE TROISIĂME. 3 7 4 bre des pairs ; car conservei la clause de la Charte, qui Ă©tablit que les pairs du royaume prennent sĂ©ance Ă vingt-cinq ans et nâont voix dĂ©libĂ©rative quâĂ trente, câĂ©tait prĂ©juger la constitution de la Chambre haute, en consacrant des distinctions qui ne sâappliquent quâĂ lâhĂ©rĂ©ditĂ©. Nous disons enfin quâon entendit respecter la Chambre des pairs ; car laisser la premiĂšre Chambre dĂ©corĂ©e de ce nom historique, ne pas prendre sur-le-champ celui de sĂ©nat que M. de Salverte a proposĂ© depuis, et quâon pouvait inventer sans y rĂ©flĂ©chir un an, câĂ©tait proclamer lâheureux dessein de perpĂ©tuer lâalliance du prĂ©sent avec le passĂ© de la patrie. Cette alliance utile, voulait-on lâaffaiblir? PrĂ©- tendait-on comprendre, dans la chute de la lĂ©gitimitĂ©, des intĂ©rĂȘts, ses contemporains, ses appuis longtemps? Point. On ne nourrissait quâune seule crainte; câĂ©tait que la sociĂ©tĂ© française se sentĂźt en butte Ă un esprit novateur qui menacerait dâaltĂ©rer ses moeurs, ses croyances, ses penchants. La religion catholique fut nommĂ©e par honneur et Ă dessein, dans la Charte revisĂ©e, comme la religion de la majoritĂ© des Français. \ dessein fut maintenu lâarticle qui reconnaĂźt les deux noblesses, et qui place sous la protection de la loi fondamentale leurs titres et leurs honneurs. On ne sâattendait pas alors aux dĂ©risions substituĂ©es, plus tard, Ă cette disposition conservatrice LA RĂVOLUTION DE l83o. 2y5 par la Chambre de 1831, docile Ă de facĂ©tieuses motions de M. de la Fayette. En aoĂ»t 1830, on craignait de froisser des sentiments de famille, et des intĂ©rĂȘts monarchiques qui mĂ©ritaient des Ă©gards. PlacardĂ©es sur tous les murs de la capitale qui Ă©tait encore agitĂ©e, ces dispositions loyales et sages ne suscitĂšrent pas un cri populaire ; il nây eut pas une ombre dâopposition dans les rues plus que dans les Chambres. Personne ne prĂ©tendit avoir bouleversĂ© la sociĂ©tĂ© en revendiquant ses droits, avoir dĂ©moli la Charte en la dĂ©fendant, avoir vaincu ce qui nâĂ©tait pas en ligne. On avait eu en face un roi ; on lâavait vaincu ; on le dĂ©possĂ©dait, et non-seulement lui, mais toute sa postĂ©ritĂ©. On sâen contentait. Aussi, la rĂ©volution, tout en relevant le drapeau tricolore, lâarbora-t-elle sur lâĂ©cusson de la vieille France. Ce fut sur un trĂŽne tendu de fleurs de lis que sâassit le lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume, et une ordonnance, rendue dans le feu mĂȘme des passions belligĂ©rantes le 13 aoĂ»t, conserva au sceau de lâEtat les trois fers de lance, les trois fleurs guerriĂšres des anciens temps. Cette ordonnance Ă©tait contresignĂ©e Dupont de lâEure. Câest que la rĂ©volution, substituĂ©e aux ordonnances, Ă©tait la restauration de la Charte voilĂ tout. Elle perpĂ©tuait la grande transaction de 1814, avec cette diffĂ©rence que le systĂšme reprĂ©sentatif nâallait plus ĂȘtre lâunique sĂ»retĂ© des intĂ©- 276 LIVRE TROISIĂME. rĂȘts nouveaux ils trouvaient maintenant des garanties et leur image jusque sur le trĂŽne. Des conditions acceptables Ă©taient faites Ă tous les partis aux uns, lâĂ©galitĂ© victorieuse; aux autres, la royautĂ© ; la libertĂ© Ă tous, une libertĂ© qui ne rĂ©pudiait ni toutes les traditions, ni tous les souvenirs, ni toutes les croyances, ni toutes les garanties, ni toutes les distinctions, ni mĂȘme toutes les ruines. La France royaliste pouvait passer sans murmure sous les trois couleurs vieilles de gloire elle leur apportait en dot ses propres gloires des quinze annĂ©es la GrĂšce affranchie, Navarin illustrĂ©, lâAtlas vaincu. Rappelons-nous les sentiments qui rĂ©gnaient alors; car ils forment, Ă cĂŽtĂ© du pacte constitutionnel , le contrat non Ă©crit qui lie dâhonneur tous les pouvoirs et tous les partis. Ceux qui prirent cette grave initiative de renverser un trĂŽne nâeurent quâune sollicitude, ce fut de rassurer et lâEurope et la France, de se concilier lâadhĂ©sion de lâune et de lâautre, dâimprimer Ă ce coup de force rapide le caractĂšre dâune soudaine et unanime conciliation. Ils criĂšrent RiennâestchangĂ©, il nây a que des libertĂ©s de plus! » Telle est la premiĂšre des promesses de juillet, celle qui les comprend toutes ; et personne ne protesta ; personne ne revendiqua ni plus de libertĂ©, ni plus de territoire, ni plus de subversions. Personne ne demanda alors, comme on le fait pourtant aujour- LA REVOLUTION DE l83o. 2 77 dâhui, comme les orateurs grands et petits le crient Ă la tribune, que le propriĂ©taire, le gentilhomme, lâecclĂ©siastique, le royaliste, sous les noms de jĂ©suites et de carlistes, fussent des parias, des ilotes, des incapables, des proscrits, des vaincus , qui, ayant leur large part des charges de lâEtat, ne pourraient avoir une parcelle de ses droits, de ses pouvoirs , de ses honneurs. Câest Ă ces conditions quâil y eut adhĂ©sion et paix universelles. La France monarchique se rappela cette parole de CazalĂšs, quâil fallait savoir penser Ă la monarchie plus quâau monarque. En ce temps-lĂ , les feuilles publiques virent autant de victoires dans les accessions Ă©clatantes des serviteurs de la royautĂ© qui arrivaient de Saint-Cloud, de Trianon, de Rambouillet. On en jouissait comme delĂ preuve que nos misĂšres Ă©taient finies. On en jouissait, quoique ce fut sans mesurer la grandeur de ces sacrifices, sans comprendre que beaucoup de nobles cĆurs auraient offert tout leur sang avec moins dâeffort que le serment quâils accordaient; mais ce que lâon comprenait bien, câest que ce serment devait avoir un long retentissement dans nos provinces, et quâil servait de sceau Ă la paix publique. Et tandis que les pĂšres portaient au Luxembourg leurs sacrifices et leurs exemples, les fils, le sac au dos dans les rangs de la garde nationale, Ă©tonnaient leurs concitoyens du spectacle de leur 2^8 LIVRE TROISIĂME. dĂ©voĂ»ment au maintien de lâordre, ce premier des intĂ©rĂȘts de la patrie. Tout le monde a vu faire patrouille dans les rues, pour garder propriĂ©taires et marchands comme autrefois iis eussent gardĂ© les rois, des Montmorency, des Richelieu, des PĂ©rigord, des MaillĂ©, des Osmond, des Chastenay, des Saint-Priest, des Sesmaisons, des Mortemart, des Larocliefoucault, des Rohan. Rien ne prouve mieux que la grande famille française nâentendait pas se diviser, et que toutes les classes ont adoptĂ© la devise quâaffectait NapolĂ©on Tout pour lu France ! Or, pense-t-ori que ce dĂ©voĂ»ment lĂ»t stĂ©rile ? Qui peut mesurer lâeffet que produisit, et au dedans , et au dehors, tel nom qui donna son accession ? Cet imposant accord dâefforts et de vĆux fut ce qui imprima sur-le-champ une direction plus calme et plus juste aux esprits, un sentiment plus vrai de tous les biens que lâordre matĂ©riel, Ă lui seul, assure aux nations, et plus de force pour triompher des passions mauvaises, pour enchaĂźner les appĂ©tits de sang, pour mettre tour Ă tour Ă lâabri des commotions, les tĂȘtes, les propriĂ©tĂ©s, les lois. Que si on prĂ©tendait maintenant Ă©branler la sociĂ©tĂ© dans ses fondements, si on brisait Ă plaisir la chaĂźne des temps, si on dĂ©truisait toutes les garanties politiques et morales de lâordre, si on trompait sans relĂąche cette soif de repos qui est LA. RĂVOLUTION DE l 83 o. 279 lâinstinct universel delĂ France, si on faisait effort pour la mettre en guerre avec elle-mĂȘme et avec lâunivers, si on violentait tous les sentiments gĂ©nĂ©reux, si on insultait Ă toutes les supĂ©rioritĂ©s et Ă tous les souvenirs , si on plaçait la puissance publique dans une rĂ©gion incapable dâen bien user, si seulement on dĂ©portait hors du pouvoir, si on poursuivait du vĆ victisl toute une classe dâhommes qui a plus quâaucune autre le dĂ©pĂŽt des traditions monarchiques, de la foi religieuse, des illustrations hĂ©rĂ©ditaires, de la propriĂ©tĂ© territoriale, si seulement on Ă©tablissait quâil y a une autre classe, fĂ»t-ce la moyenne, qui doit avoir le privilĂšge et le monopole exclusif de la puissance, de sorte quâon reconnaĂźtrait une classe supĂ©rieure, car le mot de classe moyenne la suppose, mais pour la courber, comme les masses, sous les pieds de ces maĂźtres rĂ©els, alors que lâĂ©galitĂ©, Ă tout le moins des conditions et des partis doit ĂȘtre comprise dans lâĂ©galitĂ© constitutionnelle de tous les Français devant la loi, on nâaurait pas seulement le tort de mettre tous les engagements en question ; on mettrait de plus tous les biens en pĂ©ril. M. Thiers a Ă©tabli que les partis dissidents eussent Ă©tĂ© impuissants Ă vaincre la rĂ©volution ; mais il leur reconnaĂźt le pouvoir de lâensanglanter. Pour Ă©chapper, dĂšs les premiers jours, Ă ce destin dont lâhistoire nous apprend la portĂ©e , quelle fut la vertu de la rĂ©volution de juillet? Ses promesses, ^8o LIVRE TROISIĂME. telles quâon vient de les dire. Pour sâaffermir, sans recevoir lâaffreux baptĂȘme du sang, quelle Ă©tait sa loi nĂ©cessaire ? leur strict et loyal accomplissement. CHAPITRE VI. RĂSULTATS DE LA RĂVOLUTION, SELON LES PROMESSES DE JUILLET. Nous entendons lâobjection Ă©ternelle. A ce compte, ce nâĂ©tait pas la peine de faire une rĂ©volution ; et le peuple qui lâa faite, quây aura-t-il gagnĂ© ? On pourrait nĂ©gliger cette objection. Elle ne sâadresse point Ă ceux qui nâont point fait la rĂ©volution , qui ne sont pas les truchements dâun parti victorieux, qui plaident pour la France. On veut rĂ©pondre, toutefois, afin de mettre les gens au pied du mur- On rĂ©pond, avant toute chose, que si vous prenez pour point de dĂ©part la restauration selon la Charte ,il nâest pas de systĂšme digne dâexamen qui pĂ»t gagner Ă la renverser. On ajoute que, loin de vouloir la renverser, câest prĂ©cisĂ©ment pour la reconquĂ©rir que Paris se leva comme un seul homme. On peut ajouter encore que le point de comparaison doit ĂȘtre pris, non du rĂ©gime lĂ©gal et 282 LIVRE TROISIĂME. de tous ses bienfaits. mais du rĂ©gime des coups dâEtat, mais de ia rĂ©action dont ils Ă©taient le signal, mais de lâavenir nouveau que les ordonnances ouvraient devant nous, mais enfin delĂ restauration contre la Charte. Des amis de la libertĂ© constitutionnelle ne seraient pas admissibles dĂšs lors Ă demander ce quâils ont gagnĂ©. Nous entendons sans cesse glorifier le peuple des trois millions de vies quâil a prodiguĂ©es pour opĂ©rer les conquĂȘtes de la premiĂšre rĂ©volution. Comment traiterait-on dâinutile le sacrifice des quinze cents citoyens morts pour ressaisir ces conquĂȘtes et les assurer ? Nâeussent-elles fait que remettre la France au point oĂč le coup dâEtat lâavait prise, les trois journĂ©es nâauraient donc pas Ă©tĂ© infĂ©condes, et elles lâauraient Ă©tĂ© si peu quâelles nâavaient point dâautre but câest mĂȘme lĂ leur gloire. Mais la rĂ©volution qui est survenue nâa-t-elle rien fait de plus pour les intĂ©rĂȘts qui lâont accomplie ? 11 sâen faut! Jamais, en si peu de temps et Ă si peu de frais, cause favorisĂ©e du ciel nâavait tant obtenu. Sans doute, ceux qui voulaient des rĂ©volutions, puis dc-s rĂ©volutions, toujours des rĂ©volutions, 11 e recevaient pas un complet contente- - ment ; mais les hommes de bonne foi qui cherchaient la libertĂ© ,, pour jouir, au sein dâun gouvernement constitutionnel, des conquĂȘtes de la rĂ©volution de 1789, ceux-lĂ avaient une seule T,Ă RĂVOLUTION DIĂ l83o. 283 grĂące Ă demander Ă Dieu câĂ©tait d'affermir les oeuvres de 1830. Par cette rĂ©volution de huit jours , qui renversait un droit public consacrĂ© par huit siĂšcles, la nation française, Ă tort ou Ă raison, sâĂ©tait de tous points, reconquise au dedans et au dehors. Au dedans, elle Ă©tait parvenue au but de ses longs travaux et semblait fixĂ©e. Elle possĂ©dait dĂ©sormais , sans nul trouble, sans apprĂ©hension aucune , le gouvernement reprĂ©sentatif le plus complet quâil y eĂ»t sur la terre. Il lui appartenait comme sa conquĂȘte et son ouvrage. La nouvelle Charte sâappuyait au double principe de lâĂ©galitĂ© civile et du droit national. Dites un autre peuple qui nâait rien Ă craindre pour son repos que de sa libertĂ©, ni pour sa libertĂ© que de lui-mĂȘme! Dites une immunitĂ© qui ne soit pas comprise dans le pacte Ă©crit sous le feu de la victoire populaire ! Toutes les libertĂ©s inventĂ©es chez les nations y trouvent une consĂ©cration exorbitante; les trente- deux millions dâhommes, qui vivent sous la mĂȘme loi, jouissent au mĂȘme titre, ce qui ne sâest pas vu encore sous le soleil, du bienfait de ces libertĂ©s immenses ! Le principe nouveau de la constitution , cette victoire populaire, la mise en action complĂšte et sincĂšre du rĂ©gime constitutionnel, lâentier affranchissement des Ă©lections , tout assure aux reprĂ©sentants directs du pays la haute main sur la conduite gĂ©nĂ©rale des affaires publi- LIVRE TROISIĂME. 284 ques. La carriĂšre des amĂ©liorations sâest ouverte devant vos pas, sans bornes comme sans obstacles. Et ce vaste systĂšme nâa point Ă craindre les rĂ©pugnances, les prĂ©tentions, les complots domestiques du pouvoir, toute cette contre-rĂ©volution menaçante que poursuivent encore chaque jour tant de malĂ©dictions! Il repose sous la garde dâun trĂŽne plus jeune que la libertĂ©, liĂ© Ă sa cause par ses intĂ©rĂȘts autant que par son origine , impuissant contre elle, et devant par elle vivre, grandir ou succomber. Au dehors, rĂ©gnait, depuis quinze annĂ©es, un droit public sorti du milieu de nos revers. La bataille de Waterloo , mal engagĂ©e, parce quâelle le fut entre les alarmes sincĂšres de lâEurope et lâapparition du gĂ©nie des conquĂȘtes, la bataille de Waterloo avait Ă©tĂ© perdue. Elle pesa longtemps, on ne peut le nier, sur nos destinĂ©es; car elle avait affermi lâouvrage du congrĂšs de Vienne; elle avait de plus, permis Ă lâĂ©tranger de prendre, par les traitĂ©s de 1815, sous sa double garantie, et notre Charte constitutionnelle et notre royautĂ© lĂ©gitime ! En vain, les Bourbons avaient noblement secouĂ© cette tutelle; la clause restait Ă©crite. Les traitĂ©s de 1815 contenaient donc deux parties lâune qui affectait notre puissance, lâautre notre dignitĂ©. Celle-ci fut abrogĂ©e toute entiĂšre et sans rĂ©serve par le fait des barricades, et les cabinets trouvĂšrent plus facile dây souscrire que de protester. LX RĂVOLUTION DE l83ĂŒ. ^85 Cette fois, toutes les frontiĂšres et toutes les cours sâouvrirent devant les trois couleurs. Notre position nouvelle fut si bien acceptĂ©e, quâĂ peine la rĂ©volution accomplie, le cabinet du Palais-Royal put sâinterposer dans les conseils des rois, en faveur dâune autre rĂ©volution, celle de Belgique, qui blessait les sentiments personnels de deux grands monarques et les intĂ©rĂȘts directs de tous. La France eut la gloire de faire recevoir une nation de plus dans la famille europĂ©enne, et dĂšs lors les traitĂ©s de 1815 se trouvĂšrent modifiĂ©s jusque dans leurs bases. Les stipulations dirigĂ©es contre notre puissance furent interverties. Quâon veuille bien rĂ©flĂ©chir au dĂ©placement de forces et de barriĂšres quâentraĂźnait lâindĂ©pendance de la Belgique ! Un peuple, dont la coalition avait voulu faire son avant-garde contre nous, pouvait ĂȘtre aujourdâhui notre avant-garde contre lâEurope. Les forteresses, construites ou rĂ©parĂ©es avec des frais Ă©normes pour battre la France et la tenir en bride, pourraient de nouveau compter dans nos lignes de dĂ©fense. Elles Ă©taient aujourdâhui condamnĂ©es par les cours Ă tomber. Le gĂ©nĂ©ralissime anglais perdait cette inspection europĂ©enne des places limitrophes. Trois mois nâĂ©taient pas Ă©coulĂ©s encore, et dĂ©jĂ la bataille de Waterloo se trouvait ainsi regagnĂ©e sans coup fĂ©rir. Et dâoĂč venait cette revanche de nos revers ? dâoĂč venait cette disposition des rois Ă tendre la LIVRE TROISIEME. Jl86 main Ă la France de 1830, quand ils nâavaient pas craint dâaffronter la France des Cent-Jours conduite par le gĂ©nie dâAusterlitz et dâIĂ©na? De leur foi dans nos assurances pacifiques ; de leur confiance dans la stabilitĂ© dâinstitutions conservatrices ; de leurs Ă©gards pour un trĂŽne qui avait une double consĂ©cration, royale et populaire; par-dessus tout, de ce calme imposant de la France; de ce silence universel des passions; de cet accord des partis Ă multiplier, de chaque cĂŽtĂ©, les efforts pour conserver Ă notre grande France le vieux symbole qui a fait sa puissance historique un seul roi, et une seule loi! Ces points Ă©tablis, que signifie de rĂ©clamer incessamment des destructions nouvelles , des institutions plus dĂ©mocratiques, et, comme on dit, plus rĂ©publicaines , au nom de telle ou telle classe, de tels ou tels hommes, qui ont fait la rĂ©volution de 1830? Dâabord, personne nâa le droitdedemander un bĂ©nĂ©fice pour prix de la rĂ©volution Ă laquelle il sâest dĂ©vouĂ©, attendu que personne, entre les combattants de juillet, ne crut, en prenant les armes , faire une rĂ©volution ; que peu en formaient le dĂ©sir; que moins encore auraient eu la hardiesse dâen nourrir le dessein, et que ceux-lĂ 11 âau- raient pas osĂ© sâen confesser Ă la France. Ensuite, la prĂ©tention dâavoir dĂ©terminĂ© la nature de nos institutions par la composition de lâar- LA RĂVOLUTIOĂN DE l 83 o. 287 mĂ©e qui gagna la bataille des trois journĂ©e., est une des plus brutales folies qui aient passĂ© par lâesprit des hommes. Dans toutes les guerres, il y a plus de peuple que de propriĂ©taires sous le drapeau, et les prolĂ©taires nâen concluent point, le lendemain de la victoire, quâils soient par cela mĂȘme devenus les maĂźtres de lâempire que leur courage a dĂ©fendu et sauvĂ©. ta rĂ©volution de 1830 appartient, dit-on, au peuple , parce quâil lâa faite ! Quel peuple ? Celui des campagnes ? Combien de villages se sont levĂ©s, non poiir la dĂ©fense de la Charte, mais pour la chute dit trĂŽne? Est-ce lâOuest ou le Midi? Celui des villes? Quelles villes, nommez-les; dites leur nombre; dĂ©clarez celles qui ont Ă©tĂ© ce jour-lĂ conquises par la multitude, quand la garde nationale, dans toutes , hormis ta capitale, Ă©tait seule armĂ©e. BĂątissez Ă lâusage de Paris, sâil est vrai que Paris appartienne Ă vos clients par droit de conquĂȘte , une constitution dĂ©magogique , quelque chose de pareil Ă ce dont Lyon a joui pendant huit jours. Mais Ă quel titre Ă©tendre ce privilĂšge au reste du royaume? Patriotes prĂ©tendus, tout votre argument est dâĂ©tablir que vous avez, non pas vaincu pour la patrie, mais vaincu la patrie; que vous avez conquis moins les Tuileries que la France. Lâargumentde tous ces amisdupeuple estdecroire que le peuple sâe-'t levĂ©, non pour les lois, mais confie les lois; nor contre un pouvoir Ă©garĂ©, mais a88 LIVRE TROISIĂME. contre tous les pouvoirs; non pour la libertĂ©, mais pour lâusurpation, la tyrannie, la spoliation. Par bonheur, le peuple a partout donnĂ© le dĂ©* menti Ă ces assertions et Ă ces doctrines; il lâa fait Ă Paris, en rĂ©signant la puissance, dĂšs quâil lâeut conquise, aux mains de plus hauts dĂ©positaires ; il lâa fait Ă Lyon, en sâen saisissant dâune façon criminelle, pour sâen reconnaĂźtre incapable le lendemain, et chanceler sous ce fardeau , comme lâhomme ivre, jusquâĂ ce quâil ait retrouvĂ© lâappui sauveur des lois ! Mais que fait-on en acceptant votre hypothĂšse des vĆux du peuple ? Est-il vrai quâil veuille moins de monarchie, moins dâaristocratie que nous nâen avons ? Quâen savez-vous ? En quel lieu a-t-il rĂ©pondu Ă vos Ă©lans pour la rĂ©publique, Ă vos cris contre les hautes classes, Ă vos tentatives dâabaissement perpĂ©tuel des cens Ă©lectoraux, Ă vos penchants dĂ©pravĂ©s pour les subversions? Dieu merci! il nâen est pas lĂ encore. Sa droiture et son bon sens lui crient que vos thĂ©ories nâont jamais enfantĂ© et nâenfanteront jamais que des illusions, des mĂ©comptes, la ruine. Sous la Charte, sous la restauration, le peuple travaille, Ă©conomise, s'Ă©claire, convertit son pĂ©cule en fructueux sillons. Sous votre Convention chĂ©rie, il tend la main Ă de coupables salaires, se flĂ©trit de crimes , et fait queue, morne et affamĂ©, Ă la porte du boulanger de sa section. LA. RĂVOLUTION DE l83Ă». 289 Dâailleurs, tout ceci roule sur une erreur cle fait, qui est que lâĆuvre des trois journĂ©es ait Ă©tĂ© celle dâune seule classe, quâil y ait eu ce jour-lĂ des vainqueurs et des vaincus. La Charte, câĂ©tait la France entiĂšre ; elle seule a triomphĂ©. Personne ne sâest ralliĂ© au drapeau levĂ© par le pouvoir royal pour la dĂ©truire. Et sait-on pourquoi ? Câest parce, que les classes Ă©levĂ©es, riches, Ă©clairĂ©es, Ă©taient entrĂ©es tout entiĂšres dans le mouvement du systĂšme reprĂ©sentatif; elles en avaient fait leur vie et leur gloire, elles avaient, rempli lâatmosphĂšre de ces idĂ©es, de ces sentiments de libertĂ© au milieu desquels le pouvoir absolu a pĂ©ri dĂšs son premier pas. Câest par elles que ces gĂ©nĂ©reuses notions Ă©taient descendues aux derniers rangs de la sociĂ©tĂ©; par elles que le peuple avait appris la vertu du grand nom des lois ; par elles quâil sâĂ©tait Ă©levĂ© Ă comprendre le devoir de combattre, de mourir pour les institutions de la patrie , et de les respecter aprĂšs les avoir dĂ©livrĂ©es, comme on respecte les captives dont on a brisĂ© les fers. Si vous ne voulez pas que ce soit tout le monde , câest la classe intelligente, propriĂ©taire, cultivĂ©e , qui a vaincu. A la vĂ©ritĂ©, cette classe nâa pas tout entiĂšre souhaitĂ© ou voulu lâusage qui a Ă©tĂ© fait de la victoire ; mais elle sâest tout entiĂšre soumise. Elle a entraĂźnĂ© par sa soumission lâadhĂ©sion des provinces et du monde. Sous les Bourbons, elle donna la libertĂ© 19 LIVRE TROISIĂME. 290 Ă la France. Elle lui a donnĂ© lâordre aujourdâhui ; elle lâa dotĂ©e de la paix du dedans et de celle du dehors. Les hommes qui sont au courant des choses de ce monde savent en effet que ce fut lâintervention de la Chambre des pairs qui seule dĂ©termina la reconnaissance des couronnes ; autrement, la rĂ©volution eĂ»t Ă©tĂ© mise au ban de lâunivers, et on devine dans quel abĂźme de rĂ©actions , dans quelle carriĂšre de vicissitudes sans terme nous eĂ»t jetĂ©s la guerre alors, la guerre mĂȘme avec la victoire ; car câest la seule que veuille prĂ©voir un cĆur français. Le par ti de la rĂ©volution 11 âa donc rien fondĂ© Ă lui seul, tant il y est impuissant, pas mĂȘme la monarchie bĂątie sur les barricades. Suivant sa nature, il eĂ»t pu dĂ©truire; mais Ă©difier, il ne lâa pas fait. La vie, lâordre, la paix, sont venus dâailleurs. DâoĂč je conclus que le gouvernement qui est, nâappartient Ă personne , quâil nâappartient et 11 e se doit quâĂ tous. Sacrifier aux intĂ©rĂȘts et aux passions rĂ©volutionnaires , ce serait, pour la monarchie de 1830 , manquer Ă©galement Ă ses promesses et Ă ses dettes, Ă sa politique et Ă sa dignitĂ©. CHAPITRE Vil. LES BEUX ESPRITS. â LES BEUX POLITIQUES. ALTERNATIVE 9E LA MONARCHIE BE 1830. Il nây a dans le monde que deux politiques ; lâune est la politique rĂ©guliĂšre, sensĂ©e, lĂ©gitime; elle sâappuie, non pas sur les forces vives des sociĂ©tĂ©s , comme a dit trĂšs-souvent M. Odilon-Bar- rot, mais sur leurs forces morales; en dâautres termes, elle donne le pouvoir, non pas Ă la force, mais au droit; et, pour constater le droit, elle consulte, non pas le nombre, mais les lumiĂšres, les garanties , les services, lâamour de lâordre, et, ce qui vaut mieux encore, lâintelligence des conditions par lesquelles lâordre sâaffermit chez les nations. Cette politique haute et sage respecte au dedans les lois , et au dehors le droit des gens, qui est la loi de lâunivers. Elle honore le talent, la gloire, les grands souvenirs , le passĂ© de la patrie, toutes ces puissances qui sont de droit divin. Elle croit en Dieu et le dit tout haut. Elle conduit lâes- LIVRE TROISIĂME. 292 pĂšce humaine, par une route pacifique et sĂ»re , Ă ces amĂ©liorations successives dont Dieu a fait le but de nos travaux et la compensation de nos misĂšres ; mais elle sait que la Providence a mis au progrĂšs deux conditions la patience et la justice. Semblable Ă elle-mĂȘme dans la prĂ©tendue dĂ©mocratie antique, dans les rĂ©publiques modernes, dans la monarchie puissante et sage , reposant au sein de ces rĂ©gimes divers sur les mĂȘmes bases , c'est surtout dans les pays libres quâelle sâest montrĂ©e partout, depuis lâorigine du monde, difficile en fait de garanties, paTce que de tous les rĂ©gimes, celui qui donne toute carriĂšre au gĂ©nie de lâhomme et Ă ses passions, a, plus que tout autre, besoin de soutiens, de jalons et de barriĂšres. Lâautre politique a de tout autres rĂšgles et de tout autres procĂ©dĂ©s. La force, la force brutale est son principe et sa loi ! Vous la reconnaĂźtrez Ă ceci quâentre les citoyens, les partis , les Ă©tats , partout et toujours, elle ignore la justice ; le salut du peuple, câest-Ă -dire la nĂ©cessitĂ© , telle que ses passions la lui montrent, en dâautres termes, la force lui en tient lieu. Sâagit-il du dedans ? la dissidence est un crime; le soupçon est un arrĂȘt, la peine est la mort ; câest-Ă -dire quâelle nâa quâune loi, la force, pour rĂ©gir les hommes. Sâagit-il du dehors? elle ne connaĂźt pas les traitĂ©s, le droit des neutres, lâinviolabilitĂ© de leurs territoires, LA RĂVOLUTION DE l83o. 2Ă'i Jes conditions acceptĂ©es , la foi promise sa diplomatie nâest autre chose que la guerre, câest-Ă - dire encore la force ; la guerre Ă tout propos et Ă tous risques , la guerre sauvage, la guerre avec toutes les armes. Dans son gouvernement, elle ne recourt pas Ă la discussion, aux formes protectrices, aux dĂ©libĂ©rations lentes et libres. Non ! chez elle le caprice , la colĂšre, le meurtre , câest- Ă -dire toujours la force, tranchent toutes les questions, dĂ©cident toutes les affaires, sans voir ni entendre. Chez elle, en un mot, la force pense, dĂ©libĂšre et veut, de mĂȘme quâelle exĂ©cute. Admet- elle lâautoritĂ© du temps ? Ă Dieu ne plaise ! Le passĂ© , elle le dĂ©truit ; lâavenir, elle le dĂ©vore. 11 lui faut tout envahir , tout abattre, tout essayer en un jour. Marchant Ă la tĂȘte des masses soulevĂ©es, elle fait flĂ©chir toutes les volontĂ©s, toutes les rĂ©sistances, le gĂ©nie, les grandeurs, la vertu , devant ces flots terribles oĂč il nây a dâĂ©clairĂ© que ce qui est pervers, et de probe que ce qui est ignare; câest lĂ son conseil, sa cour, son armĂ©e. Ce quâelle appelle la libertĂ© consiste Ă dicter ses caprices, tour Ă tour imbĂ©cillesou cruels, au juge sur son siĂšge, au citoyen Ă ses foyers , au lĂ©gislateur dans sa chaise curule, au roi sur son trĂŽne. Aussi, elle va , elle bouleverse , elle dĂ©truit. Mais ne lui parlez pas de bĂątir ; fonder nâest pas en sa puissance. Câest le monstre dâAsie qui tue et ne produit pas. LIVRE TROISIĂME. 294 Son origine , son nom, ne le demandez point. Elle le dira en violant, avec des cris de mort, la maison du journaliste 1, du dĂ©putĂ© 2 , du ministre 3, de lâambassadeur 4, du prince 5, de Dieu mĂȘme 6. Elle le dira, en 11 e trouvant rien de mieux, pour rendre gloire au restaurateur glorieux de lâordre dans notre patrie, que de danser, sous sa Colonne, la Carmagnole immonde. Elle le dira, en faisant Ă©clater sa justice Ă dĂ©molir le temple en haine du prĂȘtre; son Ă©conomie, Ă saccager pour un million de monuments publics en un jour ; son patriotisme , Ă piller les boutiques et ensanglanter les rangs de la garde civique Ă coups de pierre. Elle le dira, en jetant du haut de la tribune Ă ses bandes soulevĂ©es, comme du vin Ă lâhomme ivre, les calomnies grossiĂšres, les calomnies homicides avec lesquelles, dans les bons temps on faisait les 2 septembre et les 31 mai. Elle le dira, en montrant comme elle tenait en rĂ©serve des apologies pour honorer les crimes de Varsovie, et des crimes pour honorer ses malheurs. Elle le dira en dĂ©cernant des louanges au prolĂ©taire chargĂ© de sang , et des reproches au soldat mort pour la 1 La Quotidienne 2 M. Dupin. 3 M. Casimir PĂ©rier. 4 Le comte Pozzo di Borgo. 5 Les Tuileries. 6 Notre-Dame, St-Gennaiu-LâAuxerrois. LA. REVOLUTION DE l83o. 2Ăż! propriĂ©tĂ© , lâordre et les lois. Câest la politique dĂ©magogique , la politique rĂ©volutionnaire. Antisociale comme il y a quarante ans, fulminant les mĂȘmes maximes, soufflant au cĆur du pauvre la mĂȘme haine du riche qui le nourrit et lâĂ©claire ; ayant des clubs contre les pouvoirs et des prĂȘches contre la propriĂ©tĂ©, elle a inaugurĂ© tous ses grands hommes, et vous lâavez vue prodiguer Ă la fois ses dithyrambes pour glorifier ceux qui coupĂšrent la tĂȘte des rois; ses larmes, pour venger Robespierre et Saint-Just immolĂ©s; ses brigues, pour avoir Ă la Chambre BarrĂšre vivant. Par ses apothĂ©oses, elle a publiĂ© sa gĂ©nĂ©alogie et ses programmes; ses programmes, Dieu merci! car elle a les siens, et ils lâont trahie. Elle sâĂ©tait si bien reconnue dans la terreur, comme une fille dans les traits de sa mĂšre, quâelle a cru que la France y reviendrait naturellement comme elle. Elle a oubliĂ© quâil fallut cinq ans de renversements, de dĂ©moralisation, de folie, dâeffroi, pour amener lĂ nos pĂšres; et nous, elle a voulu nous y porter dâun bond, au risque de se briser contre la conscience publique. Faute de pouvoir encore suspendre Ă sa ceinture le triangle dâacier que vantent ses poĂštes, elle sâest coiffĂ©e du bonnet rouge dans Paris, dans Dijon, et a offert Ă toutes nos villes ses arbres de la libertĂ©. Un petit nombre de nos villes a acceptĂ© leur funeste ombrage. Louvain, Gand, Varsovie, ont fait voir qnâon a beau LIVRE TROISIĂME. 296 les transplanter; les lieux et les temps nây font rien ils nâont quâune sorte de fruits. LâAngleterre a deux Ă©difices voisins lâun de lâautre dans lâun se rassemble, de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, pour dĂ©fendre les droits du pays et ses libertĂ©s antiques, tout ce que les trois royaumes comptent dâillustre et de respectĂ© ; câest Westminster. LĂ ont combattu Pitt et Fox, lĂ nous avons vu aux prises Brougham, Peel, Canning; nobles luttes oĂč Ă©clate tout ce quâil y a dâĂ©levĂ© dans la nature humaine, dont le spectacle attache lâesprit et lâĂąme Ă la libertĂ© pour le reste de la vie! A quelques pas, vous trouverez lâautre enceinte, une antre arĂšne, dâautres combats, dâautres champions, enfin dâautres forces aux prises; la force brutale luttant avec la force brutale, lâhomme luttant avec lâhomme corps Ă corps, luttant sans dâautre but qu un g. n honteux, et nây employant un rayon dâintelligence que pour porter Ă soii adversaire Ăče coups mieux assĂ©nĂ©s, jusquâĂ ce quâĂ la fin tous deux roulent dans leur Ă©cume sanglante, et q elquefois pĂ©rissent lâun par lâautre. 11 y a de ce spectacle Ă celui quâon trouve dans le Parlement, prĂ©cisĂ©ment la distance qui sĂ©pare la libertĂ© constitutionnelle de la libertĂ© rĂ©volutionnaire Laquelle des deux est voulue par la France ? Ce point ne fait pas question. Laquelle des deux lui a Ă©tĂ© promise par la rĂ©volution de 1830? Ce point LA. RĂVOLUTION DE l83o. 3 97 vient dâĂȘtre Ă©clairci. Laquelle se cache au fond de nos doctrines, de nos actes, de nos lois, pour Ă©clater quelque jour terrible, insurmontable? Ce point est Ă fixer. A dĂ©faut de notre incomplĂšte sagesse, le temps le ferait pour nous. ' 'JĂŻĂźfiH âąt >*âą; !!> ouĂŒ aOugnuTri rsyi /riÂŁV - njptaop >ùß IcĂźO tttf&g * 'X 114, 25 K* LIVRE QUATRIĂME. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. Socrate. â Les dĂ©magogues sont la maladie Ă laquelle doit avoir attention tout mĂ©decin dâEtat, tout lĂ©gislateur. Les plus ardents parlent et agissent. Les autres entourent les tribunes, bourdonnent, coupent la parole Ă tout le monde, en sorte que tout se gouverne par eux. Ăcliansons dĂ©pravĂ©s, ils versent la libertĂ© sans mesure Ă un peuple altĂ©rĂ© ; quand il est enivrĂ© une fois, il ne loue et nâhonore entre les magistrats que ceux qui sâabaissent au niveau des particuliers, et entre les particuliers que ceux qui sâĂ©lĂšvent au niveau des magistrats. Les enfants sâaccoutument Ă parler aussi haut que leurs pĂšres, Ă ne plus les respecter pour ĂȘtre libres. Les pĂšres respectent leurs fils j le maĂźtre ses disciples. Les nouveaux-venus sâĂ©galent aux anciens ; les vieillards sâassimilent aux jeunes gens, pour ne pas paraĂźtre despotiques ou ridicules. Ce bouleversement sâĂ©tend Ă la famille et Ă tout. Pour maintenir le peuple dans leur dĂ©pendance et lâattirer aux assemblĂ©es, les dĂ©magogues ne manquent pas de lui promettre la dĂ©pouille des riches. Comme ce ne sont pas les hautes classes qui ont cherchĂ© Ă innover, on les accuse de conspirer contre la libertĂ© du peuple. Ce sont, dit-on, des oligarques; sâils le deviennent bon grĂ© mal grĂ© pour se dĂ©fendre, Ă qui la faute ? Le peuple alors , pour se garder dâeux et de lui-mĂȘme, se cherche un chef voilĂ la tige des tyrans ! Aussi, lâeffet uniforme de lâexcessive libertĂ© est-il de conduire Ă lâexcessive servitude. Platon, RĂ©p. , 1 . vu. LIVRE QUATRIĂME. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. CHAPITRE PREMIER. DES PARTIS VICTORIEUX. â DU PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. Monstrum immune, ingens, cui lumen ademptum ; Virgile. La France est aux prises, depuis juillet 1830, avec la difficultĂ© capitale des rĂ©volutions, celle de trouver un point dâarrĂȘt, et de sây tenir aprĂšs lâavoir trouvĂ©. Le gouvernement est, depuis juillet 1830, aux prises avec la difficultĂ© capitale de tout pouvoir issu dâune rĂ©volution, celle de choisir entre ses partisans dâorigine ou de tendance diverses, et de 3oa livbe quatbiĂšme. rompre avec les plus passionnĂ©s dâentre eux, pour ne pas flĂ©trir et compromettre sa fortune. Les premiers jours des rĂ©volutions sont des temps dâeffusion et de gĂ©nĂ©rositĂ©. Le parti vainqueur est dâabord content de tout, parce quâil lâest de lui-mĂȘme. Il sâapplaudit de son ouvrage; il mesure les obstacles quâil a surmontĂ©s; il jouit de la victoire. Le lendemain, on songe Ă l'appliquer, et on se divise, ou plutĂŽt on se ravise. Les uns continuent Ă ne vouloir que ce quâils voulaient dâabord ; ils trouvent bon et sage de se borner Ă profiter des grĂąces du ciel, et Ă sâassurer lâavenir. Ils craindraient de lasser la Providence, sâils se montraient inquiets et exigeants encore. Dâautres veulent davantage, aujourdâhui, demain et toujours. La pensĂ©e dâun point dâarrĂȘt permanent les importune comme un obstacle ennemi. Parce quâils ont beaucoup conquis, ils croient pouvoir conquĂ©rir tout ce quâils ont rĂȘvĂ©. Parce que de grandes vicissitudes se sont accomplies, ils croient avoir fait tout ce quâils ont vu. Aussi ne proposent-ils pas leurs systĂšmes ; ils les imposent comme une dette contractĂ©e envers eux par le gouvernement qui sâĂ©lĂšve. PrĂ©tention audacieuse, prĂ©tention intolĂ©rable ! Un gouvernement nâa de dettes quâenvers le pays tout entier; et un pays libre revendique ce qui lui appartient par lâorgane des pouvoirs lĂ©gaux. Heureux les peuples, quand lâautoritĂ©, pesant LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3o3 et tous les intĂ©rĂȘts et toutes les obligations, sait rompre Ă temps avec cette politique exigeante, Ă©goĂŻste, aveugle, destructive ! Le repos public et son propre salut sont Ă ce prix car, nâen dĂ©plaise aux victorieux de tous les temps, il sâest vu dans le monde plus de causes perdues pour avoir trop fait que pour nâavoir pas fait assez. Lâhistoire atteste que lĂ est lâĂ©cueil de tous les gouvernements formĂ©s au sein des orages politiques. La force qui les a Ă©levĂ©s les pousse encore, et il nây a jamais eu de partis restĂ©s maĂźtres du pouvoir que ceux qui ont su accepter des barriĂšres. 11 ne sâest jamais trouvĂ© de princes qui se soient affermis, que ceux qui ont eu, comme Henri IV et Guillaume 111, le courage de se sĂ©parer de quiconque pensait avoir acquis, en Ă©levant un trĂŽne, le droit de le dominer. Ce nâest point infidĂ©litĂ© ni ingratitude; câest devoir, câest nĂ©cessitĂ©. La restauration a pĂ©ri Ă lâĆuvre. Tant quâelle tint au point dâarrĂȘt marquĂ© par la Charte, elle triompha sans effort de tous les assauts de ses ennemis aussi eut-elle Ă lutter, pendant ces quinze annĂ©es de fidĂ©litĂ© Ă lâordre constitutionnel, contre une opposition active dâamis ardents, mais du moins sincĂšres, de loyaux serviteurs, logiciens rigides, logiciens funestes, qui lui demandaient dâappliquer au corps social tout entier le principe sur lequel elle reposait. Ils ne sâapercevaient pas que câĂ©tait rĂ©clamer une autre Charte, une autre 3o4 LIVRE QUXTEIĂME. royautĂ©, une autre France. A la fin, au 8 aciĂ»t 1829, la logique domina-, et, un an aprĂšs, jour pour jour, Louis-Philippe dâOrlĂ©ans Ă©tait roi. Tout le monde sâen souvient pendant les quinze annĂ©es, on ne cherchait pas les causes de VinquiĂ©tude vague , disait-on, mais rĂ©elle, qui en effet troubla obstinĂ©rpent les prospĂ©ritĂ©s infinies de la France, sans que des voix puissantes ne criassent, Ă la tribune, dans le Conservateur, au pavillon Marsan, que tout le mal tenait Ă ce vertige de la royautĂ© hostile pour les royalistes, de la royautĂ© vouant Ă la disgrĂące ceux qui avaient combattu pour sa cause, et par qui elle avait vaincu, sâĂ©loignant dâeux au lieu de se jeter dans leurs bras, se privant Ă plaisir de ses naturels appuis, dĂ©sertant leurs intĂ©rĂȘts et leurs principes, pour complaire Ă ses seuls ennemis, et mille autres folies Ă©loquentes dont la fortune a fait raison Ă la fin dâune maniĂšre si terrible. Poursuivait-on la conspiration du bord de lâeau, bou ien enlevait-on un commandement immense, celui des gardes nationales de France, au premier sujet du royaume, au frĂšre du monarque, au comte dâArtois, que dâaccusations formelles de trahison lancĂ©es contre le ministre qui avait, Ă©crivait-on, rompu ainsi tous les liens du roi et de la France'. Lorsque, roi Ă son tour, ce prince crut un jour Ă la nĂ©cessitĂ© de combattre, par deux ordonnances cĂ©lĂšbres, les associations du temps, les colĂšres portĂšrent jusque LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3o5 sur la royautĂ©! Un journal, qui nâest plus, alla jusquâĂ intituler un de ses articles, Julien lâApostat! Lâapostasie consistait Ă reculer, par une secrĂšte et religieuse Ă©pouvante, devant les abĂźmes. Aujourdâhui comme aux dĂ©buts de la restauration , il y a dans les opinions un malentendu terrible. La France est affamĂ©e de repos, dâordre, de libertĂ© , de cette libertĂ© vĂ©ritable qui se fonde sur lâordre et assure le repos. Ces biens lui sont si chers quâelle est incessamment prĂȘte Ă les prendre de toutes mains; quâelle se livre toute entiĂšre Ă quiconque les lui promet un jour. Et il est un parti qui entend contraindre notre patrie Ă dĂ©duire sans pitiĂ© toutes les consĂ©quences du principe auquel la rĂ©volution de 1830 se lie; comme ce principe est lâinsurrection populaire, sa consĂ©quence directe et nĂ©cessaire serait la permanence de lâanarchie logique fatale, flĂ©au vĂ©ritable qui tourmente la France depuis juillet 1830, qui lâa profondĂ©ment divisĂ©e au dedans, affaiblie et dĂ©considĂ©rĂ©e au dehors, qui lui a rendu difficiles et la paix et la guerre, qui lui a fait sentir enfin, au sein de lâordre matĂ©riel, toutes les angoisses et toutes les misĂšres de lâanarchie ! On veut que la rĂ©volution se soit accomplie sous la loi de tout recommencer et de tout refaire, tandis quâelle sâĂ©tait offerte Ă nous, quâelle nâavait rĂ©clamĂ© et obtenu la soumission des Français, que sur la promesse de tout clore et de tout affermir ! âą20 3o6 LIVRE QUATRIĂME. Le parti quâon signale demande une autre libertĂ©, une autre France; il entend que cette France prenne dâautres inclinations, et se crĂ©e dâautres intĂ©rĂȘts; il exige pour elle et dâautres lois, et dâautres frontiĂšres. Ce parti campe Ă la fois en dehors de la Charte, et en dehors 'des traitĂ©s. Il ne reconnaĂźt ni notre droit public, ni le droit des gens. En un mot, il veut une rĂ©volution dans la rĂ©volution; et, celle-ci, il sâefforce de lâĂ©tendre Ă lâunivers ! Il est triste et humiliant de voir le mĂȘme cercle dâĂ©garements se rouvrir tour-Ă -tour devant les partis contraires, dâentendre exactement les mĂȘmes colĂšres au sein de tous les partis rĂ©gnants, seulement aujourdâhui avec moins dâĂ©loquence que naguĂšre, et, il faut le dire, avec moins de prestige , avec moins de retentissement dans les cĆurs gĂ©nĂ©reux. Mais câest une loi de ce monde. La vĂ©ritĂ©, la justice, sont en hutte aux mĂȘmes assauts, quelle que soit lâopinion victorieuse. Les partis opposĂ©s battent tour-Ă -tour de leurs flots ces anges gardiens de lâhumanitĂ©, qui ressemblent au gĂ©ant debout sur le cap des TempĂȘtes. Les mers contraires viennent, des deux bouts de lâhorizon, bouillonner, mugir Ă ses pieds, et heureusement sây briser. CHAPITRE II. GUERRE CONTRE LES DEUX CHARTES ET LES DEUX ROYAUTĂS. Depuis lâavĂšnement de la rĂ©volution , la Charte populaire de 1830 a Ă©tĂ© poursuivie, au nom de la libertĂ© , de mille fois plus dâagressions que la Charte royale de 1814 ne lâavait jamais Ă©tĂ© par quelques royalistes extrĂȘmes, au nom de la monarchie. Le parti vainqueur nâa pas craint dâinvoquer tout haut la chute des lois; de susciter contre les Chambres, au milieu desquelles le trĂŽne nouveau sâest Ă©levĂ©, les fureurs populaires ; de comprendre dans les mĂȘmes menaces le corps Ă©lectoral tout entier. Nous avons eu , en un mot, la contre-partie fidĂšle de tout ce quâon avait dĂ©noncĂ© quinze ans essais publics de crĂ©er des pouvoirs et des armements illĂ©gaux ; influences cachĂ©es qui prĂ©tendaient sâĂ©lever Ă cĂŽtĂ© et au-dessus du trĂŽne ; appels Ă la force; associations, si semblables Ă celles que la polĂ©mique a tant combattues, que lâon croit rĂȘver. Caisse commune, cotisation du fa- 3o8 LIVIĂE QIIATEIĂME. meux sou par semaine , chefs mystĂ©rieux, rien nâa manquĂ© au parallĂšle, pas mĂȘme ces coquetteries rĂ©ciproques des extrĂȘmes qui nâĂ©taient empĂȘchĂ©s, disaient-ils , de sâentendre et de sâembrasser que par les opinions intermĂ©diaires qui les sĂ©paraient ; pas mĂȘmes ces agressions violentes , ces dĂ©nonciations calomnieuses contre les hommes de modĂ©ration et de prudence, vieux tĂ©moignages de la fureur quâils inspirent toujours aux factions dominantes , câest-Ă -dire la fureur du navire mouillĂ© dans le port contre le cĂąble qui lâattache au rivage. Nous avons eu jusquâĂ un rapprochement qui semblait devoir manquer, jusquâĂ ces menaces de retraite derriĂšre la Loire et de marche armĂ©e sur Paris, quâun journal rĂ©volutionnaire a rĂ©pĂ©tĂ©es Ă plusieurs reprises, du moment que Paris se fut prononcĂ© pour lâordre et les lois, et qui nous ont rappelĂ© ces temps oĂč le Conservateur menaçait Louis XVIII et ses ministres des armes de la VendĂ©e ces armes des vieux Francs , disait le publiciste illustre 1 Ă ses adversaires, trop pesantes pour vos bras ! » Nous avons vu de plus les efforts faits de toutes parts pour soulever les masses ; la garde nationale par exemple, signalĂ©e Ă lâanimadversion de la multitude, comme autrefois Ă celle du trĂŽne; les autoritĂ©s secondaires, les prĂ©fets delĂ Seine, par {' M. de Chateaubriand. LE parti rĂ©volutionnaire. 3o 9 exemple 1, sâattaquant aux pouvoirs attaquĂ©s par les factieux, et sâabstenant, avec un soin Ă©gal Ă celui de quelques prĂ©fets de la restauration , de recommander la Charte Ă lâobĂ©issance du peuple et Ă sa confiance, ou mĂȘme ne rappelant les sĂ©ditieux dans le sentier du devoir quâau nom de promesses solennelles et sacrĂ©es , comme si parler de conquĂȘtes Ă faire, et point de conquĂȘtes accomplies, ce nâĂ©tait pas proroger la sĂ©dition au lieu de la dissoudre ! Et ce nâest pas sans intention que ce nom de la Charte victorieuse fit place tout-Ă -coup Ă dâautres symboles, bien que la rĂ©volution lâeut fortifiĂ©e de garanties et de libertĂ©s nouvelles. Il y eut accord entre les chefs du parti pour dĂ©clarer tous ensemble Ă la France lâavenir nouveau quâon entendait crĂ©er pour elle. Nous avons vu que ce fut M. de la Fayette qui se chargea de formuler, sous le nom de programme de lâHĂŽtel-de-Ville, cette autre constitution, diffĂ©rente de la Charte, postĂ©rieure Ă la Charte, qui nâavait pas empĂȘchĂ© les serments Ă la Charte, et par laquelle pourtant la France se trouvait, Ă son insu, rĂ©gie et enchaĂźnĂ©e, alors quâelle croyait lâĂȘtre par cette Charte que ous avaient jurĂ©e. Dans le mĂȘme temps, M. Odilon-Barrot se mit Ă dĂ©clarer, au nom de lâopposition dynastique, 1 du sac de St-GermĂ in-l'Auxerrois et de lâArchevĂȘchĂ©. 3lO LIVRE QUATRIĂME, que ce qui lui paraissait Ă propos, câĂ©tait de reprendre les choses Ă 1789, et de refaire toutes nos destinĂ©es! LâextrĂȘme droite dâautrefois nâavait jamais Ă©tĂ© si loin. Un plagiat restait Ă tenter; celui du pouvoir constituant. Le parti nây a pas manquĂ©; et ce pouvoir illibĂ©ral Ă©tait-il un simple rĂȘve, une vaine utopie ? Non! ce fut un projet sĂ©rieux, une entreprise concertĂ©e, une conjuration enfin! Quand on ne se sentait pas en mesure de lâusurper soi-mĂȘme, Ă qui voulait-on le dĂ©fĂ©rer? Qui renouvela , six mois aprĂšs la dictature mortelle de Charles X, ces projets de dictature rĂ©volutionnaire ? Qui offrit k Louis-Philippe le coup dâEtat dĂ©magogique, comme un fleuron inattendu de sa couronne ? Qui inventa ce moyen dâen finir avec les deux Chambres, devenues importunes aux rĂ©acteurs nouveaux autant et plus quâaux rĂ©acteurs prĂ©cĂ©dents? Qui nourrit ces pensĂ©es dâordonnances nouvelles, dans les jours mĂȘme oĂč un peuple furieux demandait la tĂȘte des ministres, coupables dâavoir assistĂ© Charles X dans cette funeste entreprise ? Qui entendit faire, de lâadoption de ces plans subversifs , la consĂ©quence et le prix de ses services de juillet et de dĂ©cembre ? Lâhistoire le dira. Elle dira aussi, comment les auteurs de c/s folies rĂ©volutionnaires, quand ils les virent a^br- ter, sâen prirent de tous leurs mĂ©comptey'a la France et Ă la royautĂ©. Ils semblent avoir RĂ©solu LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3ll de les dompter, ou au moins de les punir toutes deux. TantĂŽt on essaie, sans lâombre dâun motif vrai, et le lendemain dâune commotion effroyables les dĂ©missions soudaines 1, comme si on voulait s assurer que les retraites sur le mont sacrĂ© aient cours encore, que ce soit un moyen de rĂ©duire lâautoritĂ© royale Ă merci, de lâamener repentante et soumise Ă subir les lois qui lui sont offertes. TantĂŽt on la met au dĂ©fi; on la contraint de marquer elle-mĂȘme le divorce par des destitutions Ă©clatante; et le pouvoir affronte-t-il tous ces pĂ©rils? Alors on crie que les hommes de juillet sont vus en ennemis, que la rĂ©volution est abjurĂ©e, quâelle est trahie , qu T elle est vendue. Le trĂŽne populaire est traitĂ© enfin comme la Charte mĂȘme. Tentative avouĂ©e de le rĂ©duire Ă nĂ©ant, de lâhumilier, de lâappauvrir, jutsquâĂ ne pouvoir donner du pain Ă lâindigence et du travail aux arts ; contestation de ses plus lĂ©gitimes, de ses plus nĂ©cessaires prĂ©rogatives; application journaliĂšre Ă le contrister et Ă le flĂ©trir; rĂ©cits publics de confidences intimes, appels Ă des promesses personnelles, allusions injurieuses, toutes les armes sont bonnes alors pour tirer vengeance de cette royautĂ© populaire qui prĂ©tend sortir de page. Le parti sâefforce Ă plaisir de la dĂ©pouiller de tout prestige ; il lui conteste tous les souvenirs et toutes les filiations; il lui in- b dĂ©mission du commandement, en chef des gardes nationales. 3l2 LIVRE QUATRIĂME. terdit tout reflet des gloires du passĂ©; il dit et Ă©crit ces paroles dont le bon sens sâĂ©pouvante, Dieu merci ! comme la nature que le roi citoyen a cessĂ© dâĂȘtre le fils de Henri ou quâil ne serait pas roi. On ne peut trop dĂ©sarmer le trĂŽne coupable de nâavoir pas cru quâil y eĂ»t place dans la monarchie constitutionnelle pour un maire du palais, de la façon de lâanarchie, non plus que pour des feudataires Ă la maniĂšre de ce comte de PĂ©rigord, disant Ă tout propos Qui lâa fait » roi ? » Les poĂštes cependant intitulent leurs chants le parjure ! Le duc dâOrlĂ©ans, le roi Louis-Philippe parjure, parce quâil aurait cru avoir plus dâobligations envers la France quâenvers les Ă©meutes, plus envers la Charte quâenvers le programme prĂ©tendu de lâHĂŽtel-de-Ville ! Et ils nâhĂ©sitent pas sur le chĂątiment que veut leur furie. Tout ce qui a Ă©tĂ© fait contre Louis XYI, on lâannonce , on le promet Ă cet autre roi des Français. Tout ce qui a Ă©tĂ© dit contre ces princes, les Ă©lus des siĂšcles, on le rĂ©pĂšte, et mille fois plus, contre lâĂ©lu de la grande semaine. On recourt contre lui Ă tous les monstres. Câest tantĂŽt Ă la rĂ©publique, tantĂŽt Ă lâempire, tantĂŽt Ă la lĂ©gitimitĂ©, quelquefois Ă tous trois ensemble. Lâanarchie est le GĂ©rion antique. Elle a trois tĂȘtes le bonnet rouge, la couroiyte Ă aigles, le saint chrĂȘme de Reims, consacrant tour-Ă -tour ou tout ensemble son triple Pont. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3 I 3 Pour bien marquer le mĂ©pris profond quâon fait de la France, le mĂȘme journal qui prĂȘeha dâabord la dĂ©magogie, se dĂ©clare le dĂ©fenseur de la cause . et des droits du fils de Marie-Louise ; en mĂȘme temps il emprunte au dĂ©fenseur illustre dâun autre enfant et dâune cause auguste, lâappui de ses colĂšres, comme Patrocle prenait les armes dâAchille, sans quâon puisse dire qui, dans tous ces amalgames adultĂšres, est courtisĂ© sĂ©rieusement ou raillĂ©, de la lĂ©gitimitĂ©, de la rĂ©publique , ou de lâempire ! Une manĆuvre des patriotes est de frapper de honte, pour tout flĂ©trir, pour tout saper plus sĂ»rement, et la restauration, et la maison royale toute entiĂšre. Leur langue ne se lasse pas de redire que notre patrie est tellement dâhumeur Ă souffrir la honte quâelle porte paisiblement, aujourdâhui et depuisdix-sept annĂ©es, cet horrible fardeau. Et quels sont les hommes qui tiennent ce langage? Est-ce, par exemple , ce brave gĂ©nĂ©ral Durosnel qui a enfoui dix-sept ans de sa vie dans une retraite profonde, et nâa reparu Ă la lumiĂšre, quâĂ lâheure oĂč il a vu briller, sur le clocher de lâĂ©glise prochaine, le drapeau de ses grands jours? Non, celui-lĂ nâinsulte pas an malheur; il nâinsulte pas Ă un gouvernement que lui ne reconnaissait point, mais que reconnaissait son pays. Il craindrait trop de blesser la France elle-mĂȘme dans les princes, dans les lois quâelle accepta ; et 3 r 4 LIVRE QUATRIĂME. probablement, Ă ce rĂ©veil dâEpimĂ©nide, sâĂ©tonne- t-il de toute cette dĂ©magogie de chambellans dĂ©chus, de tout ce dĂ©lire dâhommes dâEtats blanchis. Ceux qui parlent ainsi sont des hommes qui inclinaient devant les Bourbons leur rĂ©vĂ©rence assidue, qui paraient leurs collets de fleurs de lis, qui ne dĂ©niĂšrent jamais un serment, ce que dâautres ont su faire depuis juillet, quand leur conscience lâa voulu ! Pendant notre vive lutte contre M. le comte de VillĂšle, que faisait M. Laffitte ? Il trempait dans les plans financiers de M. de VillĂšle, dans la conversion des rentes courageusement dĂ©molie par la Chambre des pairs, et il contraignait son quartier, ses amis, ses journaux , Ă lui imposer la pĂ©nitence de la non-réélection ! Que faisait M. Mauguin ? Il gĂ©missait de la licence de la presse dans un procĂšs cĂ©lĂšbre, et opposait aux vindictes de la Chambre de 1828 lâĂ©ternel et mystĂ©rieux ad referendum , qui couvrit le ministĂšre des sept annĂ©es comme un talisman protecteur, comme un bill dâindemnitĂ© ! Que faisait M. le vicomte de Cormenin , tellement pointilleux Ă lâĂ©gard de la Charte et de la rojautĂ© libĂ©rales, quâil leur refuse tout, exceptĂ© un serment ? Il restait attachĂ© au service ordinaire du conseil dâEtat sous tous les ministĂšres de la restauration, câest-Ă -dire pendant les seize ans en- LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3 I 5 tiers, et obtenait de M. le comte de Peyronnet, entre autres rĂ©compenses de ses bons et fidĂšles services, la dispense des droits de sceau dus pour tous les titres nobiliaires quâil lui avait plu de se faire successivement infĂ©oder. Que faisait celui de tous les orateurs qui a le plus employĂ© son Ă©loquence Ă ressasser nos hontes des quinze annĂ©es? M. le gĂ©nĂ©ral Lamarque, par ses Ă©crits, nous obligeait dâaccuser, dans 1 e. Journal des DĂ©bats , ses dĂ©fĂ©rences pour les actes les plus contestables du loyal duc de Clermont-Tonnerre. Et si, Ă propos dâĂ©lections oĂč il avait Ă©tĂ© battu, une gazette celle des Landes se fĂ©licitait de la victoire de la lĂ©gitimitĂ©, Militaire, Ă©crivit-il le 7 dĂ©- » cembre 1827, je ne puis mâempĂȘcher de re- » lever le gant. Vous savez fort bien que je nâai » fait que cĂ©der au vĆu dâun grand nombre » dâĂ©lecteurs. Si jây ai cĂ©dĂ©, en professant liau- » tement mon dĂ©voĂ»ment au roi et Ă la patrie, » mon attachement sincĂšre , entier , sans reslric- » lion , Ă la Charte et Ă la dynastie qui nous lâa » donnĂ©e, ces sentiments animaient tous ceux » qui mâont honorĂ© de leurs suffrages. Com- » ment donc a-t-on pu dire que la victoire Ă©tait » restĂ©e Ă la lĂ©gitimitĂ© ? Le drapeau blanc ne » flotte-t-il pas sur ma tĂȘte comme sur celle de » M. le marquis du Lyon ? Ah ! plaçons, il en est » temps, le trĂŽne des Bourbons, ce trĂŽne lĂ©gitime , » autour duquel ont vĂ©cu nos pĂšres, autour du- 3l6 LIVRE QUATRIĂME. » quel doivent vivre nos enfants, au-dessus de » lâatmosphĂšre oĂč se choquent nos passions dâun » jour ! » Non, un gouvernement acceptĂ© ainsi au nom de nos pĂšres car on avait des pĂšres alors et au nom de nos enfants, acceptĂ© par les chefs du peuple et de lâarmĂ©e, acceptĂ© par eux pour le compte de tous ceux qui leur avaient donnĂ© des suffrages, ce gouvernement, que nous adulerions encore sâil avait voulu, nâimprimait pas de tache au front de la France. Non, un pavillon, qui flotta sur la tĂȘte de M. le gĂ©nĂ©ral Lamarque, nâĂ©tait pas sans honneur. Mais pourquoi lâattaque-t-on, sinon pour entretenir les haines de rang Ă rang et de parti Ă parti, pour compromettre de plus en plus dans le sentiment public, pour flĂ©trir, si on le pouvait, pour assiĂ©ger de mĂ©pris stupides et de haines sauvages, toutes les fractions de la France qui eut foi aux trĂŽnes et aux autels, pour renverser enfin la promesse fondamentale de juillet, la transaction dĂ©finitive de la sociĂ©tĂ© française, cette transaction quâil faut trouver, quâil faut accomplir ou que la fortune cherchera pour nous dans des Ă©preuves nouvelles, et accomplira malgrĂ© nous mĂȘme, Ă moins que Dieu nâeut condamnĂ© la France Ă pĂ©rir ! Et comme cette transaction est la mission, le devoir et le salut de lâĂ©tablissement de 1830, on voit, dĂšs lors, pourquoi on sappe et le trĂŽne et la LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3l 'j Charte, qui sont les garants nouveaux de cette grande transaction , comme on sapa la Charte et le trĂŽne sĂ©culaire qui lâavait créée. On veut reprendre la guerre domestique de 1789; on veut, comme dâautres Ă un point de vue contraire lâont voulu quinze ans, refaire la sociĂ©tĂ© mĂȘme. Et, comme eux aussi, pour arriver lĂ , on est contraint de renverser toutes les institutions et tous les pouvoirs. De lĂ vient que M. le gĂ©nĂ©ral Lamarqueest allĂ© jusquâĂ dĂ©clarer que câest d e hontes, que le trĂŽne de juillet est cimentĂ©. On ne peut mieux dĂ©noncer des catastrophes prochaines; et M. Mauguin a soin dâajouter ces paroles faciles Ă comprendre que ce sont les amis de la restauration qui se trouvent ĂȘtre ceux de la royautĂ© de 1830. Hommes dâinapplicables thĂ©ories, vous ne voyez pas une chose câest que vos maximes vous rendent incompatibles avec tout gouvernement rĂ©gulier ; câest que vous ĂȘtes vouĂ©s Ă Popposition sous tous les rĂ©gimes ; câest que vous ne pouvez arriver au timon quâen un jour de tempĂȘte , et vous ne sauriez y rester dans le calme , quand les nations sont dans leur bon sens. Le talent, la vertu mĂȘme quand elle se rencontre, sont chez vous de funestes parures et des armes funestes. Ce sont des moyens de mal faire, et voilĂ tout ! Vous nâĂȘtes propres quâĂ renverser. BĂątir nâest pas dans votre puissance. Si le pouvoir vous Ă©tait livrĂ©, comme les dra- 3i8 LIVRE QUATRIĂME. gons de la fable, vous ne sauriez non plus que vous entre-dĂ©truire. Pourquoi ? parce que vous poursuivez des chimĂšres anti-sociales ; que vous ĂȘtes antipathiques Ă la libertĂ© comme Ă la monarchie ; que ce que vous nommez libertĂ© par une mĂ©prise fatale est dĂ©magogie , et que ce que vous nommez pouvoir est, un jour plus tĂŽt, un jour plus tard , le rĂ©gime du comitĂ© de salut public. Lâadmirable est que ces mĂȘmes hommes qui foulent aux pieds la royautĂ©, qui vont criant avec M. de Lafayette Le concitoyen que nous avons fait roi, » qui rĂ©cusent la Charte et appellent Ă une autoritĂ© plus haute, assurent hardiment que le roi leur avait promis des institutions rĂ©publicaines. Et en quel nom lâeĂ»t-il fait? En vertu de quel droit ? Leur roi est lâhomme de Pope ils en font tour Ă tour un ver et un dieu. Quoi ! il dĂ©pendait de lui ou bien de vous de nous condamner Ă la rĂ©publique ? Et la France ! la France!... Disposez-vous dâelle comme les prĂ©toriens faisaient de lâempire ? Pensez-vous que vous pussiez, Ă leur instar , marchander le prix du diadĂšme ; et, parce que vous avez une thĂ©orie qui vous est chĂšre , dites-vous, vous la faire assurer par le prince, comme un salaire pris aux dĂ©pends du peuple brocantĂ© ! Ces hommes ont une forfanterie bizarre. Ils rĂ©pĂštent Ă satiĂ©tĂ© au princequâeux seuls lâont fait roi, LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 3l9 et que, par consĂ©quent, il est leur vassal, leur dĂ©biteur , obligĂ© par corps envers eux ; puis ils se retournent vers le pays, et se glorifient de ne nous avoir pas fait rĂ©publique, de nous avoir laissĂ©s provisoirement monarchie quand nos destinĂ©es dĂ©pendaient de leur bon plaisir ! Mais de deux choses lâune. Si vous jugez la rĂ©publique mauvaise, ou bien si vous reconnaissez quâelle Ă©tait impossible, et par rapport Ă la France, et par rapport Ă lâEurope qui vous prĂ©occupait alors, de quoi vous vantez-vous? Si, au contraire, la rĂ©publique est si belle Ă vos yeux, et que vous ayez pu , Ă votre fantaisie, en doter votre heureux pays, pourquoi nous en avez-vous sevrĂ©s ? Vous ne lâavez pas pu vous avez compris la volontĂ© de la France ; vous avez reculĂ© dâĂ©pouvante devant la tentative de lui rendre ouvertement cette fois et tout Ă coup, sans prĂ©paration, un rĂ©gime qui lâa baignĂ©e de sang, et qui, aujourdâhui, dans lâĂ©tat actuel des esprits et du monde, aurait encore noyĂ© dans le sang vous et elle. Mais ce que vous nâavez pas compris , câest quâen restant attachĂ©e Ă la monarchie, elle la voulait de bonne foi, sĂ©rieusement, sans alliage destructeur; ce que vous nâavez pas compris non plus, câest quâen demandant un roi, elle nâen voulait pas deux, M. de Lafayette en mĂȘme temps que Louis-Philippe, parce quâelle sait bien que 320 LIVRE QUATRIĂME. ce nâest pas le gouvernement de LacĂ©dĂ©mone quâon appellera jamais la meilleure des rĂ©publiques. CHAPITRE III. LE PAVILLON MARSAN 1 DU PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. Nous avons commencĂ© un parallĂšle que nous sommes contraint dâachever entre les accusations activement Ă©levĂ©es contre lâextrĂȘme droite sous la restauration, et celles que lâextrĂȘme gauche mĂ©rite si manifestement aujourdâhui. Les dĂ©molisseurs actuels ont leur centre dâaction, leur diplomatie particuliĂšre, leurs notes secrĂštes , leur congrĂ©gation active, leur gouvernement occulte , en un mot un pavillon Marsan tout entier ! LĂ aussi rĂšgne un chef de parti, noble de sang et charmant de maniĂšres, spirituel, bienveillant, cher Ă tout ce qui lâentoure; couvrant la vivacitĂ© de ses opinions par la bonne grĂące de son air et de ses paroles ; traitant dâaffaires avec cette 1 Le pavillon Marsan, au palais des Tuileries, Ă©tait habitĂ© par S. A. R. Monsieur, comte dâArtois, depuis Charles X. On avait Ă©tabli, dans lâopinion, sous le rĂšgne de Louis XVIII, particuliĂšrement Ă lâĂ©poque delĂ prĂ©tendue conspiration royaliste du bord de lâeau, que ce prince , objet de toutes les espĂ©rances de lâextrĂȘme droite, Ă©tait le chef de ce centre dâaction particulier que la polĂ©mique nommait le Gouvernement Occulte, et dâoĂč Ă©tait Ă©manĂ© la fameuse Note secrĂšte de \ 8 '16. 21 322 LIVRE QUATRIĂME. amĂ©nitĂ© dâun homme qui aurait soupe, la veille, chez la reine Marie-Antoinette; portant dans lâĂ©tude et la poursuite des rĂ©volutions la confiance lĂ©gĂšre des cours, et oubliant trop, par habitude de grand seigneur, de tenir compte, dans ses plans dâinsurrection armĂ©e en Pologne, en Allemagne, en Suisse, en Savoye, en Italie, du sang des peuples et de la paix du monde; plus gĂ©nĂ©reux, du reste, que son parti tout entier, voulant pour son parti la victoire, en souhaitant du fond de lâĂąme quâelle fĂ»t douce et agrĂ©able Ă lâunivers; ayant dans ses opinions une foi qui sert dâexcuse aux Ă©carts par sa sincĂ©ritĂ©, mais ne sâapercevant pas dâune bien simple vĂ©ritĂ©, câest quâil ne serait pas plus facile dâarrĂȘter la rĂ©volution aujourdâhui quâil y a quarante ans, et que vouloir faire rĂ©trograder la France vers un Ăąge dâor placĂ© en lâan de grĂące 1791 sans lui laisser redescendre le cours du temps jusquâaux annĂ©es terribles qui suivirent, est une entreprise non-seulement surhumaine, ce qui est un inconvĂ©nient, mais fausse, mauvaise, Ă©goĂŻste, ce qui est un tort. EgoĂŻste, disons-nous car câest nourrir la prĂ©tention de ramener le monde Ă des temps qui risquent fort de ne nous sembler enchantĂ©s, sâil faut en croire lâauteur des Lettres persanes , que parce quâon avait des succĂšs alors et quâon nâavait pas la goutte. Lâancien rĂ©gime de 1791 est aussi de lâancien rĂ©gime; il y a Ă©galement violence Ă vouloir lâim- LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 323 poser Ă dâautres mĆurs, Ă dâautres opinions, Ă une autre sagesse. Mais câest le malheur de tous les camps dâavoir leurs demeurants dâun autre Ăąge, comme M. de Chateaubriand lâa dit si spirituellement Ă une autre Ă©poque, lesquels ne rĂȘvent que de passĂ©, mĂȘme quand ils parlent sans cesse dâordonner lâavenir. Peut-ĂȘtre, au fait, tous les hommes sont-ils comme le dieu au double visage. En marchant dans la vie, les yeux qui regardaient en avant sâĂ©teignent et se ferment; ceux qui voient en arriĂšre restent seuls ouverts ils nâĂ©clairent que le lointain quâon a traversĂ© dĂ©jĂ . Ce sont, en politique, des flambeaux trompeurs. Les souvenirs des Etats-Unis sont aussi des souvenirs dâĂ©migration. Il y a de plus lâinconsĂ©quence de patriotes , reconnaissant pour leur chef un citoyen avouĂ© des Deux Mondes. Du reste, le Co- blentz rĂ©volutionnaire se nourrissait autant que lâautre de prĂ©occupations opiniĂątres, de comparaisons fausses, de folles illusions, de prĂ©jugĂ©s funestes, dâentreprises subversives. On ne sait oĂč serait mieux marquĂ© le lit de Procuste, Ă vouloir enserrer la nouvelle sociĂ©tĂ© française dans les re- grets de lâarmĂ©e de CondĂ©, ou la monarchie constitutionnelle de France dans les rĂšglements des plantations de Lafayette-Ville. Un gouvernement par association nationale 1 1. Association fameuse des membres de lâopposition qui fut dĂ©fĂ©rĂ©e aux deux Chambres et aux tribunaux. LIVRE QUATRIĂME. 3a4 est aussi un gouvernement. Pour ĂȘtre ministres in partibus , les hommes dâEtat qui le composent ne nourrissent ni des prĂ©tentions moins hautes, ni une moins active ambition. Ajoutons quâil y a deux ministres de la guerre, trois ou quatre grands- juges, on ne sait combien de chefs de lâintĂ©rieur ou des finances ; et comme ils sont tous irresponsables, que leur gestion est secrĂšte, ils jouissent de tous les avantages quâavaient les ministres de lâempire. Câest de leur citadelle imprenable quâils tirent Ă boulets rouges sur chaque ministre patent, lequel combat Ă dĂ©couvert, agit au grand jour, et rĂ©pond Ă©galement de ce quâil fait ou de ce quâil ne fait pas. La France se trouve ainsi possĂ©der, comme au temps de madame de Pompadour , deux ministĂšres rivaux, dont lâun est nĂ©cessairement le plus occupĂ©, puisquâil nâa dâautres attributions que des intrigues, et dâautres limites que son zĂšle. Il arrive mĂȘme quelquefois, comme alors, aux puissances Ă©trangĂšres, dâaccrĂ©diter, apparemment par Ă©conomie, les mĂȘmes plĂ©nipotentiaires auprĂšs des deux cabinets. Câest ainsi que dans une discussion mĂ©morable , quand le gouvernement croyait devoir garder le silence sur des nĂ©gociations pendantes, on a vu le ministĂšre occulte tout Ă©bruiter au moyen de dĂ©pĂȘches Ă lui adressĂ©es officiellement par les nĂ©gociateurs, qui voulaient aussi , de leur cĂŽtĂ©, donner du fil Ă retordre au ministĂšre ostensible. Le parti nâa du LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. reste que pour la forme des secrĂ©taires-dâEtat au dĂ©partement des affaires Ă©trangĂšres. La direction spĂ©ciale de ce dĂ©partement est placĂ©e plus haut. Gâest encore une tradition dâancien rĂ©gime. On sait lâamour de Louis XV pour la diplomatie. Charles X y avait aussi un goĂ»t particulier; ce prince possĂ©dait mĂȘme une connaissance approfondie des rapports des Etats ; il aimait Ă revoir, Ă corriger lui-mĂȘme toutes les notes, et portait dans ce travail une haute intelligence des intĂ©rĂȘts extĂ©rieurs de son royaume. La grande diffĂ©rence est quâil avait sur son Ă©chiquier des Ă©tats tous faits. Son illustre Sosie nâadmet sur le sien que des Etats Ă faire. Une cour libĂ©rale est aussi une cour. Le maĂźtre est exposĂ©, comme sous les lambris du Louvre , Ă se voir entourĂ© de serviteurs passionnĂ©s qui sâabusent avec lui, et de flatteurs impitoyables qui lâĂ©garent. Dans ces levers, royaux pour lâaffluence des assistants comme pour lâaffabilitĂ© du maĂźtre , lorsquâon a caressĂ© ceux-ci du regard, ceux-lĂ de la main , et tous du sourire , on croit avoir payĂ© la dette de son rang. Mais point ! U en est une autre quâil faut acquitter , celle de se laisser imprĂ©gner de folles louanges et de plans plus fous encore. Tant de fidĂšles nâaccourent pas en vain de tous les coins du pays et du monde, comme des musulmans qui se pressent sur les avenues du saint tombeau. Chacun est arrivĂ© avec son grief, chacun ! 3a6 LIVRE QUATRIĂME. avec son utopie. Tous ces architectes en lâair ont en poche un devis de quelques combinaisons insurrectionnelles, de quelques rĂ©volutions dĂ©mocratiques, quâil faut peser, mĂ»rir, mettre en cours dâexĂ©cution , sous peine de dĂ©chĂ©ance. On vous crie de toutes parts que vous fĂ»tes le prĂ©curseur delĂ rĂ©volution de 1830, que vous seul avez tout fait, que vous vous devez Ă vous-mĂȘmes de veiller sur votre ouvrage et dâavoir soin quâil soit menĂ© Ă bien. On vous somme de poussera bout lâexpĂ©rience de vos thĂ©ories, pour justifier cette louange de Charles X, disant Ă M. Royer- Collard quâil ne reconnaissait quâun homme qui fĂ»t aussi consĂ©quent que lui-mĂȘme, et que cet homme câĂ©tait vous. On vous montre lâĂ©tablissement des bons principes dans le monde entier , comme faisant aussi partie de votre mission et de votre gloire. On exige de vous dâautres guerres dâEspagne, destinĂ©es Ă relever des tribunes comme celle de 1823 Ă en renverser. On vous engage, on vous lie , ainsi que font les princes entre eux , par lâenvoi de leurs ordres au lieu de plaques et de cordons, se sont des uniformes de gardes nationales quâon Ă©change; et vous parez votre front chenu de la coiffure martiale du grenadier polonais , comme un autre roi, pour complaire Ă son voisin , porterait en sautoir le mouton illustre de la Toison-dâOr. Vous devenez ainsi par degrĂ©s un centre europĂ©en , que disons-nous ? Universel ! LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 'i'Z'] Toutes les rĂ©actions , toutes les tentatives subversives du monde entier, vous nomment dans leurs espĂ©rances. 11 y a des Ă©missaires de tous les peuples ; il vous faut des envoyĂ©s auprĂšs de toutes les insurrections. On croit dâune main , Ă©branler le Midi; de lâautre, soulever tout le Nord. En effet, le sang coule Ă flots, il coule en Pologne, en Italie, en Allemagne, en Savoye, en Espagne ; et, au milieu de ces douloureux spectacles , on songe avec bĂ©atitude Ă tout le bien quâon souhaite aux hommes, Ă tout celui quâon leur fera, si jamais la France, lâEurope et le temps voulaient se rendre Ă discrĂ©tion , et, comme des mĂ©taux qui ont besoin dâune refonte, passer docilement au creuset. Que ce soit la pierre philosophale de la rĂ©publique quâon croie avoir trouvĂ©e, ou bien le grand arcanum de la monarchie, toujours est-il quâun noble caractĂšre, de hautes vertus, une Ăąme, un esprit, une imagination de vingt-cinq ans, enfin toute une jeunesse septuagĂ©naire se perd sans profit dans cette alchimie dĂ©sastreuse , oĂč lâon dĂ©pense, sans y prendre garde, comme des ingrĂ©dients vulgaires, le repos de son pays et lâavenir de lâhumanitĂ©. Comment ces incendies de peuple Ă peuple peuvent-ils ne sembler Ă un cĆur pieux et bienveillant ni plus ni moins que des expĂ©riences in anima vili? Câest que les courtisans populaires sont bien autrement funestes, et, on est fĂąchĂ© de le dire, bien autrement passion- 328 LIVRE QUATRIĂME. nĂ©s, ignorants, serviles, que ceux qui foulent lâaire dorĂ©e des palais. LâĂ©tourdissement de leurs louanges suffit Ă Ă©touffer les plaintes de nations entiĂšres, gratuitement bouleversĂ©es par lâintervention universelle des apĂŽtres de la non-intervention. Un historiographe de cette cour populaire vient prĂ©cisĂ©ment de tracer ! un tableau animĂ© qui atteste, contre sa pensĂ©e, ce malheur inĂ©vitable des existences princiĂšres. Plus lâadmiration du narrateur est profonde, plus elle rĂ©vĂšle les dangers auxquels est en butte un mortel, traitĂ©, non pas comme les princes de leur vivant, mais comme les CĂ©sars aprĂšs leur mort, câest-Ă -dire en quasi- dieu. LâĂ©crivain M. Luchet parle ainsi des levers Câest un salon public, une intimitĂ© universelle, » oĂč les amis amĂšnent leurs amis, les fils leurs » pĂšres, les voyageurs leurs camarades. Autour » du vieillard, fier de Xenthousiasme quâil inspire, 4 Voir le Livre des Cent-et-un , au tome II, que rendent si remarquable de nouvelles esquisses de M. Bazin, des pages oĂč M. Janin sâest Ă©levĂ© Ă la plus haute Ă©loquence, et celles oĂč M. le comte Alexis de Saint-Priest a tracĂ©, du monde le plus brillant, le plus spirituel et le plus Ă©levĂ© , un tableau parlant. Le morceau que lâon va citer nâa pas fait naĂźtre nos rĂ©flexions, car elles Ă©taient Ă©crites et avaient Ă©tĂ© publiĂ©es dĂ©jĂ auparavant il est venu les justifier, dâune façon merveilleuse t comme ont fait les Ă©vĂ©nements pour tant dâautres assertions. Notre chapitre a une date certaine la Revue de Paris lâa publiĂ© dĂ©jĂ en octobre 4834. Note de la 4re Ă©dition Seize Mois. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 329 » voyez courir celte multitude qui rit, Ă©clate, se » fĂąche, se raccommode devant lui. Voyez toutes » les illustrations politiques, scientifiques , littĂ©- » raires, populaires, battre pĂȘle-mĂȘle ce parquet » bruyant, en bottes crottĂ©es, en bas de soie, en » uniformes, en redingote boutonnĂ©e, en habit » Ă revers qui sâenvolent. Au milieu de la cham- » bre est un groupe serrĂ© ceux qui le compo- » sent sâamincissent et sâallongent, les bras collĂ©s » au corps. Tout autour on se hausse sur la pointe » des pieds , et les mots c'est lui! circulent. » M. Luchet croit-il quâon sâamincisse davantage dans le palais des rois ? La plus grande diffĂ©rence est assurĂ©ment que, chez les rois, ce sont encore les pĂšres qui prĂ©sentent leurs fils. Nous parlions dâun corps diplomatique, de reprĂ©sentants de lâunivers. LĂ , continue M. Lu- » chet, tous les pays, toutes les classes, toutes » les espĂšces se trouvent, se mĂȘlent, sâembras- » sent; lĂ toute la France, toute lâEurope, toute » lâAmĂ©rique ont envoyĂ© leurs dĂ©putations. » Cette cour, oĂč se mĂȘlent toutes les espĂšces , Ă©tait-elle du moins plus morale quâune autre ? HĂ©las ! notre auteur la juge, comme a fait M. Armand Marrast au sujet de l'HĂŽtel-de-Ville. AprĂšs la nomenclature des figures historiques, des gloires nationales, des grands caractĂšres, de MM. Odilon-Barrot, Godefroy Cavaignac, Audry de Puyraveau. Jâaperçois, dit-il, tant de figures 33o LIVRE QUATRIĂME. » ternes, louches, dĂ©goĂ»tantes Ă voir , hideux re- » poussoirs sur ce noble tabieau ! elles sâagitent » autour du bon vieillard qui leur sourit, inof- » fensif et confiant ; elles le trahissent et se mo- » quent de lui ; elles lui volent, ses poignĂ©es de » main. Intrigants de tous les ordres, ils ont toute » honte bue; et les signaler aujourd'hui ne les » empĂȘcherait pas de revenir demain. » Ici le Dangeau de la rĂ©publique en devient le duc de Saint-Simon; mais Saint-Simon ne raconte pas que les flatteurs de Louis XIV se moquassent de lui. Maintenant, veut-on savoir quelles passions et quels hommes attisent le feu de ces rĂ©volutions qui ensanglantent ou menacent le monde, attristent les populations, dĂ©truisent le travail, troublent enfin le repos et suspendent les progrĂšs des nations? Voyez tourbillonner cette nuĂ©e de » jeunes gens Ă moustaches, rĂ©publicains dâesta- » minets, avocats sans procĂšs et mĂ©decins sans » malades , qui font de la rĂ©volution par dĂ©soeu- » vrement, ambitieux de se lire inscrits sur les » registres de la cour dâassises, ou bien Ă lâĂ©crou » de Sainte-PĂ©lagie. » â Et câest pour de telles ambitions peut-ĂȘtre que le sang a coulĂ© en Italie, en Pologne, Ă Lyon ! Celles des princes ont-elles jamais fait plus de ravages, et quâimporte que le sang des peuples coule pour une place en cour d'assises, ou bien au temple de mĂ©moire ? LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 331 A quels destins sera rĂ©servĂ© le monde , si jamais ces ambitieux prennent crĂ©dit, si leurs conseils sont Ă©coutĂ©s, si, Ă dĂ©faut de leurs conseils, leurs louanges seulement sont entendues ? Et les leurs ne le fussent-elles pas, il en est de plus redoutables, celles que dicte un zĂšle sincĂšre et pur comme celui de M. Luchet, alors quâil sâĂ©crie Son image, » le soir, vient me visiter! Je mâen empare, je » l'embrasse , je la caresse ! je lâappelle honneur, » patrie , libertĂ©, gloire! Je la vois incarnĂ©e, faite » homme, majestueuse, au front serein, calme et » belle, semblant me bĂ©nir... Attendrissante bĂ©- » nĂ©diction que je croyais ĂȘtre celle de Dieu, un » jour que je la reçus en effet, et que, se pen- » chant sur moi, il me dit dâune voix altĂ©rĂ©e » Au revoir , mon ami! » Puis lâĂ©crivain ajoute quâil nây a que deux noms dans lâhistoire lâautre est NapolĂ©on ! Faut-il admirer ou plaindre davantage la vertu qui est en butte Ă ces tempĂȘtes dâencens? NapolĂ©on et Jacques II se sont perdus Ă beaucoup moins. A la vĂ©ritĂ©, on nous criera que les courtisans de la rĂ©publique nâobĂ©issent du moins quâĂ des convictions, que lâambition leur est Ă©trangĂšre, quâils nâadulent que la disgrĂące et la vertu , que ce sont enfin des courtisans modĂšles , des courtisans dĂ©sintĂ©ressĂ©s. Il y a un malheur, câest que, dans les cartons des huit ministĂšres, se sont accumulĂ©es, depuis juillet 1830, pour lâobtention de prĂ©fec- 33a LIVRE QUATRIĂME. tures, dâambassades ou de bureaux de tabac soixante-dix mille apostilles de placets, signĂ©s... Lafayette ! CHAPITRE IV. naĂźtre du parti rĂ©volutionnaire. Le parti ne veut point de la royautĂ© de 1830, plus que de la royautĂ© lĂ©gitime. Il ne veut pas de la Charte populaire, plus que de la Charte octroyĂ©e. Ilne veut pas de la transaction qui rallia , en 1814, la grande famille française et rĂ©tablit lâĂ©galitĂ© entre les classes et entre les partis, en rendant Ă tous selon leur droit. Que veut-il ? Ce parti actif, puissant, subversif, quâon appelle tantĂŽt bonapartiste , tantĂŽt rĂ©publicain , parce quâil est composĂ© dâĂ©lĂ©ments trĂšs-divers, passe pour nâavoir point de tendance uniforme , point de dessein commun grave erreur! on peut facilement dĂ©couvrir une mĂȘme pensĂ©e Ă travers des emblĂšmes opposĂ©s. Cette pensĂ©e, il faut la signaler en distinguant le but des moyens pervers et destructeurs, mais en montrant que ce qui condamne le but, câest que les moyens en sont les conditions nĂ©cessaires. Il faut les subir ou sâabjurer. 334 LIVRE QUATRIĂME. Le but est-il dâavoir des rĂ©volutions pour des rĂ©volutions ? Personne ne le pense , ou bien câest la passion de ce ramas qui sâattache Ă la fortune des pai'tis. Sâagit-il pour les uns de rĂ©publique, pour les autres de bonapartisme, ce qui ne serait encore quâune question de forme ou de personnes? Pas davantage. Voyez si vous pouvez reconnaĂźtre lâĂ©cole impĂ©riale dans ces orgies de carrefour quâon croirait bien plutĂŽt inventĂ©es pour outrager le gĂ©nie qui nous rendit un trĂŽne et des autels, que pour rendre hommage Ă sa gloire ? Câest un bonapartisme subalterne et corrompu; ou plutĂŽt ce nâest quâune amorce Ă des souvenirs quâon voudrait exploiter, une levĂ©e lâombre dâun nom hĂ©roĂŻque pour enrĂŽler plus de soldats. Et quant aux rĂ©publicains, le moyen de prendre au sĂ©rieux, comme gens de thĂ©orie, les bandes employĂ©es, durant vingt mois, Ă montrer par nos villes une rĂ©publique flottante comme celle dâAngleterre ; car elle tient le pied dans le ruisseau ! Il nây a dans tout cela que des besoins de dĂ©sordre, qui, par le choix des cris de ralliement trahissent seulement une prĂ©dilection pour lâanarchie ou bien le despotisme. Et quâimporte la diffĂ©rence! Sous ces deux noms, câest mĂȘme flĂ©au lâun ne se distingue de lâautre quâen ce que le premier met plus de passion , lâautre plus dâordre dans le dĂ©sordre. Non, non, l'entreprise est plus sĂ©rieuse, parce LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 335 que les complices abondent, et quâil se rencontre des hommes dâaction, des hommes de talent, des hommes de bien, parmi les chefs. Il ne sâagit de rien moins que du dĂ©placement de la puissance publique. Chez les uns, philanthrophie, et ceux-lĂ sont les bĂ©ats delĂ faction; chez dâautres, prĂ©jugĂ©s; chez la plupart, passion, haine, cupiditĂ©, partout la tendance est de porter la puissance publique au sein de ce que les chefs du parti appellent les forces vices de la sociĂ©tĂ©. HĂ© bien ! lĂ est le vice fondamental du parti, ce qui le rend impie et funeste; car les forces vives sont des forces matĂ©rielles, des forces brutales, et câest par les forces morales que lâhumanitĂ© doit ĂȘtre rĂ©gie , ou bien la sociĂ©tĂ© ment Ă son auteur. Ce systĂšme , pourtant, on peut le respecter tant quâil ne sera quâune utopie, quâune vue abstraite et fausse des intĂ©rĂȘts et des destinĂ©es de lâhumanitĂ©. Mais si des entreprises inconstitutionnelles font cortĂšge Ă lâutopie, si une tourbe aveugle la traduit en clubs , en Ă©meutes , en attentats qui rĂ©voltent les nations civilisĂ©es ; si lâintention est de faire sortir un gouvernement du milieu de ces thĂ©ories dĂ©vorantes et de ces criminelles passions, si le nom delĂ libertĂ© colore et relĂšve ces tentatives, nous en prendrons de lâĂ©pouvante dans lâintĂ©rĂȘt de notre patrie compromise, dans lâintĂ©rĂȘt de la libertĂ© profanĂ©e. Or , le propre de se systĂšme est, par sa nature mĂȘme, de passer bientĂŽt de la thĂ©o- 336 LIVRE QUATRIĂME. rie Ă lâaction. Et lâaction , câest, de toute nĂ©cessitĂ©, le drame quâon a vu , il y a quarante ans. Câest pourquoi nous appelons franchement le parti de son nom; nous lâappelons rĂ©volutionnaire , lui et tous ceux qui se font ses desservants par niaiserie, ou ses complices par lĂąchetĂ©. Nous lâappelons rĂ©volutionnaire, parce que la multitude est son instrument, la rĂ©volte son moyen, le nivellement son but; parce quâanti-social dans ses doctrines , il ne peut sâempĂȘcher de lâĂȘtre dans ses actes. Les mauvais penchants de la rĂ©volution de 1789 sont ceux quâil est dans sa fatalitĂ© de raviver pour sâen faire des appuis ; et il ne pourrait y rĂ©ussir quâen prĂ©cipitant de nouveau la France dans les mĂȘmes misĂšres et dans les mĂȘmes attentats. Ce nâest pas que nous confondions, on le voit assez, et tous les hommes, et tous les rĂȘves, et toutes les opinions ; que nous mettions sur la mĂȘme ligne la gauche et lâextrĂȘme gauche, les dynastiques qui au fond voudraient conserver le trĂŽne quâils sapent, et les dĂ©molisseurs Ă bon escient qui veulent tout dĂ©truire, la sociĂ©tĂ©, le trĂŽne et les lois. On sait trĂšs-bien que la faction est comme les nuĂ©es grosses de tempĂȘtes. En Ă©clatant, elle crĂšverait. Mais vous tous, pilotes Ă contre-courant qui voguez ensemble Ă pleines voiles, les uns seulement vers les systĂšmes de 90, ou bien de 91, les autres vers ceux de 92 , ou bien encore du 21 LE PARTI RĂVOLUTIOJXN AIRE- 337 janvier et du 31 mai 93, quâimportent les diffĂ©rences entre vous, si vous vous prĂȘtez un mutuel appui, si vous marchez ensemble au combat, sauf Ă ne vous diviser quâaprĂšs la victoire, si vous montez Ă lâassaut du mĂȘme Ă©lan, prĂȘts Ă livrer toujours, comme vos devanciers , les dĂ©bris de la premiĂšre ligne pour marche-pieds Ă la seconde ? Dieu pourra distinguer dans son Ă©quitĂ© ou dans sa misĂ©ricorde. Mais lâestime des contemporains et celle de la postĂ©ritĂ© nâont quâĂ voir, si sur cette pente glissante dâune rĂ©volution populaire, on accepte lâunique point dâarrĂȘt oĂč il y ait des chances de salut, si on lâaccepte loyalement, avec des conditions de force et de stabilitĂ©. Quiconque se place en dehors de ce point dâarrĂȘt, ou cherche Ă le mettre au nĂ©ant, est, Ă bonnes ou mauvaises intentions, un rĂ©volutionnaire. Les plus aveugles sont ceux, qui veulent les moyens sans vouloir le but ; les plus coupables, ceux qui, ne voulant ni du but ni des moyens, ferment les yeux , et, tels que des bĂȘtes de somme dociles, mĂšnent leur patrie oĂč les pousse le fouet insolent de la faction. Nous savons quâune objection nous attend. Si nous ne consentons pas Ă distinguer les nuances diverses qui sâĂ©tendent de la gauche et de lâextrĂȘme gauche, jusquâau communisme, au Saint- Simonisme, on ne sait Ă quoi encore, les hommes Ă©minents, qui dĂ©corent tout cet amalgame de leur talent ou de leur renommĂ©e , entendent quâau 338 LIVRE QUATRIĂME. moins on les distingue des bandes quâils conduisent. Câest le propre des chefs de tout parti, de se scandaliser que, dans ses rangs, on voie autre chose quâeux-mĂȘmes. Câest leur prĂ©tention constante, quâon juge de la faction par eux , et non pas dâeux par la faction. En mĂȘme temps quâils repoussent avec hauteur la responsabilitĂ© de ses mĂ©faits de chaque jour, ils veulent ĂȘtre acceptĂ©s comme des garants contre ses entraĂźnements du lendemain. De ce quâils en sont la gloire, ils croient en ĂȘtre lâĂąme et la pensĂ©e. lisse prennent pour le parti tout entier illusion fatale contre laquelle crie lâhistoire de lâunivers ! Câest le dragon reniant sa queue. Mais le monstre ne fait quâun on ne peut le scinder pour leur complaire. LâexpĂ©rience des siĂšcles nous apprend en effet quâil ne faut pas regarder le front des camps politiques, mais percer les avant-gardes , arriver aux derniĂšres lignes , pour savoir tout ce quâils renferment, pour pressentir tout ce quâils prĂ©parent. LĂ bouillonnent les opinions qui constituent le fond du systĂšme et en sont le lien ; lĂ sâagitent des hommes obscurs, encore mĂ©prisĂ©s de tout ce qui marche avec eux, mais destinĂ©s Ă un grand avenir. Une fois quâon se met en marche, le premier rang tombe, puis le second, puis enfin le pouvoir arrive a ces dĂ©- clamateurs jeunes ou dĂ©daignĂ©s, quâon appelait naguĂšre insignifiants, Ă©tourdis, mĂ©diocres, compromettants , et qui ont un moyen de se grandir, câest de mettre le pied sur le billot. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 339 Mais, que disons-nous ? Est-ce seulement dans la victoire que les derniers rangs rĂ©gneront ? Ils rĂ©gnent dans le combat mĂȘme. Les chefs sont comme ces princes qui nâont derriĂšre eux cpie des Condottieri-, ils sont obligĂ©s , pour les conserver sous le drapeau, de leur prodiguer des caresses , de les mener oĂč ils veulent aller. Voyez si les dĂ©clarations loyales en faveur de la royautĂ©, dont la tribune retentit parfois, trouvent des Ă©chos? Voyez, au contraire, si le parti, voulant avoir la joie dâĂ©crire encore une fois, Ă cĂŽtĂ© lâun de lâautre, les mots de Bourbons et dâĂ©chafaud, de voter Ă©ventuellement le rĂ©gicide 1, les chefs et le corps tout entier ne se sont pas levĂ©s dâune façon mĂ©canique ! Les journaux ont nommĂ© mĂȘme ce vieillard qui a honorĂ© sa vie par sa constance Ă rĂ©clamer dans tous les temps lâabolition de la peine de mort. M. de Lafayette, votant lâexpectative du meurtre de Charles X, commandait-il? Non, il obĂ©issait. Cependant, câest une autre prĂ©tention commune de croire quâon sera toujours Ă temps de calmer la tempĂȘte. On croit ĂȘtre plus fort que ses devanciers, plus fort quâon ne lâa Ă©tĂ© soi-mĂȘme en dâautres temps. Leçon vivante, on proteste contre les leçons du passĂ©. Que le prĂ©sent en serve du moins ! 1 Loi de bannissement. Disposition pour le cas de retour sur le sol français. 3/0 LIVRE QUATRIĂME. Ouâon regarde autour de soi ! M. Odilon-Barrot a la gloire de chercher Ă secouer le joug. On voit clairement que les destins de Canning lui plairaient mieux que ceux de PĂ©tion. Quâarrive-t-il ? On patiente avec lui, car on pĂšse cette voix qui a du talent pour les cent cinquante muets du partie mais on le suit, comme les rĂ©publicains suivaient Dumouriez, parce quâil fallait vaincre. INây eĂ»t-il que ses procĂ©dĂ©s honorables avec Charles X captif, on lui sentirait dâautres inclinations, dâautres destinĂ©es aussi nâa-t-il pas mĂȘme lâautoritĂ© dâobtenir Ă ses opinions sur lâorganisation de la pairie le facile honneur dâĂȘtre formulĂ©es en proposition dâamendement. On garde cette gloire pour des inconnus. Quâon examine quelque chose de plus marquĂ© encore dans la semaine de dĂ©cembre 1830, lors du procĂšs des ministres, quel nom nâavons-nous pas entendu outrager, quel buste briser Ă coups de pierre? Ceux de princes, de rois peut-ĂȘtre ? Bien plus que cela! Celui de M. de Lafayette ! M. de Lafayette doit reconnaĂźtre que le peuple soulevĂ© est capable de tout. Que ces hommes voient seulement de quelle maniĂšre eux-mĂȘmes traitent chaque jour ceux qui ont fait la rĂ©volution de 1830 avec eux ; ceux quâils reconnaissaient pour des guides ou des Ă©mules, mais qui prĂ©tendent imposer aujourdâhui le frein de leurs propres lois; les Casimir PĂ©rier, les SĂ©- LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 34 T bastiani, lesGuizot, les Tliiers mĂȘmes ? Journaux, Ă©crits, discours , les accusent Ă lâenvi du crime de trahison. Ce sont des ennemis de la nation qui conspirent avec lâĂ©tranger, qui sont les agents dâun autre Coblentz, les affidĂ©s dâautres Pitt et Cobourg! ! Que faisait-on de plus il y a quarante ans ? Ce quâon faisait de plus, nous le savons bien. Mais sâil nây a encore de pareil que le langage , la faute nâen est pas au parti rĂ©volutionnaire. Tout ce quâil tente atteste tout ce quâil ferait, sâil triomphait dans les circonstances oĂč nous sommes ayant les mĂȘmes maximes, les mĂȘmes procĂ©dĂ©s, souvent les mĂȘmes chefs que dans sa jeunesse, il fournirait la mĂȘme carriĂšre âą, car il nâa rien oubliĂ©, ni rien appris. Cependant, on se rĂ©crie sur ces rapprochements. M. de Tracy nous interdit les lumiĂšres de lâhistoire ; il ne veut pas que Ton compare des Ă©poques oĂč tout est divers, dit-il, et il nous cite en tĂ©moignage lâamour que la France porte Ă son roi. Quel temps choisi, au milieu de tous les procĂšs effroyables qui nous agitent, pour lancer un tel argument ! Quel roi plus que Louis XVI a Ă©tĂ© environnĂ© de tĂ©moignages dâamour ? Les trois premiĂšres annĂ©es de la rĂ©volution nâont-elles pas Ă©tĂ© un long concert de bĂ©nĂ©dictions et de louanges ? Nây avait- il pas rivalitĂ© entre les pouvoirs, les classes, les Ă©crivains pour adoucir les plaies de son cĆur par 342 LIVRE QUATRIĂME. le baume consolant de lâamour public ? Quelques jours avant le 10 aoĂ»t, lâAssemblĂ©e lĂ©gislative ne consignait-elle pas dans ses procĂšs-verbaux des expressions de confiance et de dĂ©voĂ»ment sans bornes? Nous ne pouvons accepter ce gage de sĂ©curitĂ©, quand nous avons vu le parti rĂ©volutionnaire tout tenter pour substituer lâinsurrection aux pou voirs lĂ©gaux, et la force au bon droit ; quand nous avons entendu, comme il y a quarante ans, un dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©reux,habile, loyal comme Barnave, cĂ©der Ă cet entraĂźnement funeste des partis, au point de sâĂ©tonner, Ă lâexemple de Barnave, lorsque des assassinats populaires venaient dâensanglanter la Belgique, quâon se prĂ©occupĂąt de lĂ©gers excĂšs ! tout le sang de Barnave a coulĂ© pour effacer une parole fatale. Nous savons du reste que le loyal orateur serait des premiers Ă donner le mĂȘme dĂ©saveu ; mais nous avons le droit dâen repousser les occasions dans lâintĂ©rĂȘt de la patrie, et câest ce que nous faisons en dĂ©nonçant Ă la France, et au besoin Ă lui-mĂȘme , le parti aveugle ou coupable qui joue avec la force, comme le chasseur avec lâarme toujours prĂȘte Ă Ă©clater dans ses mains. Ne pas accepter le point dâarrĂȘt des lois , câest se condamnera ne faire halte un jour, quâacculĂ©s de toutes parts Ă des rĂ©volutions, et peut- ĂȘtre Ă des Ă©chafauds. Le parti proteste en vain contre cette destinĂ©e , en trouvant lâappui Ă©trange dâutopistes dâune autre LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 343 nature, qui ne doutent pas que cette fois lâanarchie ne se montrĂąt bienveillante et pacifique; que, de plus, elle ne nous ramenĂąt Ă la lĂ©gitimitĂ©, et ne le fit par des sentiers fleuris. Câest une des plus dĂ©plorables imaginations de ce temps d'entraĂźnements irrĂ©flĂ©chis oĂč nous sommes ! Non pas que nous croyons, dans le cas de rĂ©volutions nouvelles, Ă une rĂ©pĂ©tition exacte des mĂȘmes scĂšnes, Ă un comitĂ© de salut public tenant dâun seul bras la France entiĂšre assujettie , et de ce bras de fer promenant la mort sur cette malheureuse France. Sans doute, on ne reverrait pas cette centralisation abominable de la terreur, cette rĂ©gularisation et cette discipline de la furie populaire. M ais ce quâon verrait bien certainement aujourdâhui, avec lâexaltation des haines qui rĂ©gnent contre toute la partie monarchique, religieuse et riche de la nation, ce serait une terreur Ă domicile, dans chaquebour- gade et prĂšs chaque chĂąteau, probablement trĂšs- courte, mais peut-ĂȘtre aussi atroce, aussi destructive que la premiĂšre fois, parce quâelle aurait plus de passions, plus de caprices, plus dâamorces, parce quâelle aurait une vue plus prochaine de la proie et du butin. Ce qui en sortirait, avec la rĂ©sistance des mĆurs publiques ? Peut-ĂȘtre rien de ce que rĂȘvent les partis. Dieu seul le sait! Mais nous disons que, maĂźtre de la France, sâil doit lâĂȘtre , le parti rĂ©volutionnaire voudra tuer et spolier , comme il a tuĂ© et spoliĂ© ; quâil vou- 344 LIVRE QUATRIĂME, dra dĂ©cimer les classes Ă©levĂ©es, comme il les a dĂ©cimĂ©es dĂ©jĂ , en tentant de les dĂ©truire ; que ceux de ses chefs qui rĂ©sisteraient Ă cette horrible pente, tomberaient les premiers sous les roues du char follement lancĂ© par eux. Et ce nâest pas lâhistoire qui dĂ©couvre ces chances certaines; c'est la nĂ©cessitĂ©. La terreur est pour le parti une loi de sa nature, une condition de son existence, son principe, sa vertu enfin, son odieuse vertu. Sâil prĂ©tendait rĂ©gner sans la terreur, ou sâil y Ă©tait contraint, son empire ne durerait pas un jour. Nâexistant que par les masses, nâayant de puissance que par leur concours, il nâa de gĂ©nie, sous peine dâĂȘtre abandonnĂ© par elles, que leur gĂ©nie. Il est dĂšs lors condamnĂ©, pour vivre et rĂ©gner, Ă se modeler sur la multitude, Ă vivre et rĂ©gner Ă son image. Et la multitude, M. Odilon- Barrot lâa dit dans un de ses rares moments dâabandon, la multitude est empreinte de barbarie par toute la terre ! Câest aussi, par malheur, M. Barrot qui a dit, en parlant des lĂ©gitimistes, quâore sait dans quelles mains est la propriĂ©tĂ©. Eh bien! nous dĂ©clarons, et quelque jour lui-mĂȘme le reconnaĂźtra 1, quâun systĂšme qui avoue la propriĂ©tĂ© pour ennemie, et qui veut le principe barbare pour alliĂ©, que ce systĂšme coupable ne peut manquer, sâil 1 Ecrit en 1831. V. la Ire Ă©dition, Seize Mois. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 345 triomphe, de se prĂ©cipiter dans dâeffroyables voies. Une rĂ©volution ainsi conduite aurait cessĂ© dâĂȘtre politique; elle serait sociale, ou avorterait. Elle deviendrait sociale de deux maniĂšres soit par la funeste tendance des rĂ©volutions populaires Ă surmonter toujours la rĂ©sistance Ă lâaide dâun effort plus grand et de plus terribles vindictes ; soit par la fermentation croissante des esprits, par la dĂ©sorganisation de la sociĂ©tĂ©, par lâhabitude de rĂȘver de brutales utopies, de recourir Ă des voies brutales pour les mettre en honneur... Depuis que ces lignes furent jetĂ©es sur le papier, la Providence a semblĂ© vouloir, par la catastrophe de Lyon, justifier nos doctrines 1. Malheur Ă qui ne comprend pas la leçon que donne Ă tous cette citĂ© infortunĂ©e! Câest une loi Ă©ternelle de ce monde, quâon ne dĂ©place point le siĂšge de la puissance publique sans arriver forcĂ©ment Ă dĂ©placer aussi la propriĂ©tĂ©. Pour battre en brĂšche lâĂ©difice qui est debout, la citadelle qui se dĂ©fend, la classe qui rĂšgne, force est aux novateurs dâappeler le peuple Ă leur aide. Cet ouvrier terrible ne peut avoir quâun salaire, câest la propriĂ©tĂ©. Aussi, on la lui montre dans le lointain comme le prix qui lâattend; on la lui prĂ©sente comme lâobstacle qui le sĂ©pare du bien-ĂȘtre et de la libertĂ©, cette libertĂ© indĂ©finie dont on caresse 1 Insurrection de Lyon de 4 LIVRE QUATRIĂME. parte. Vint lâempire. Nous avons repoussĂ© de la restauration, qui nâest plus, le mĂȘme outrage. Nous le repoussons du gouvernement de 1830, de- vantlequel la France ne plierait dĂ©jĂ plus sâil nâavait montrĂ© Ă lâEurope un front digne dâelle. La vĂ©ritĂ© est qu'il a remportĂ© des victoires dans toutes les cours; et sâil a maintenu, en les amendant chaque jour, ces traitĂ©s de 1815, tristes fruits du systĂšme belligĂ©rant quâon invoque, câest que lâhonneur nâexigeait pas quâaprĂšs dix-septans, aprĂšs des victoires, aprĂšs une rĂ©volution, la France courĂ»t Ă ses armes pour donner Ă lâEurope un autre droit public , et se donner Ă elle-mĂȘme dâautres frontiĂšres. La honte serait aujourdâhui Ă trahir la foi jurĂ©e, Ă bouleverser les nations par ambition ou par gloriole, Ă prĂ©cipiter de gaĂźtĂ© de coeur la patrie dans les calamitĂ©s de la dĂ©faite, ou mĂȘme dans celles de la victoire, Ă mĂ©riter que lâopinion du genre humain flĂ©trĂźt les triomphes du nom de brigandages, ou les revers du nom de chĂątiments. De ces deux chances, malheur Ă qui est prĂšs dâaccepter la premiĂšre! malheur Ă qui appelle la seconde ! Si vĂ©ritablement on veut de la gloire pour la rĂ©volution de 1830, quâon lui donne la plus belle, celle de plaider la cause de la libertĂ© par ses exemples auprĂšs des peuples et auprĂšs des rois. Quâon ne la fasse intervenir dans les affaires europĂ©ennes que pour ce qui est Ă la fois possible et LE PARTI REVOLUTIONNAIRE. 4°5 juste. Alors le respect dĂ» Ă sa puissance se fortifiera du respect conciliĂ© Ă sa sagesse. Si on veut pour la rĂ©volution des conquĂȘtes, il en est de sĂ©rieuses, de vastes, dâimportantes Ă faire. On peut sans effusion de sang lui donner des sujets de plus, sans perturbation ruineuse rendre des Français Ă la France. Quâon rappelle au giron de la grande famille, en les ralliant au nouveau pouvoir et aux institutions nouvelles, toutes les classes aliĂ©nĂ©es par les fautes de la rĂ©volution, et sĂ©parĂ©es de la patrie, dans son sein mĂȘme, par de croissants abĂźmes ! Si on veut bien tenir compte du nombre, et plus encore de lâinfluence, des lumiĂšres, des richesses, on verra quâil y a lĂ lâĂ©quivalent dâune belle province Ă recouvrer; on ose promettre Ă ceux de nos Ă©loquents gĂ©nĂ©raux qui sauront faire ce prĂ©sent Ă la patrie, quâelle leur en saura grĂ© comme de la plus utile et de la plus glorieuse de leurs victoires. Si toute la prĂ©occupation se fixe sur la grandeur extĂ©rieure du pays, on ne craint pas dâavancer que le cĂŽtĂ© gauche, avec tous ses grands hommes de guerre, ne fera jamais autant pour la France quâil fait depuis longtemps contre la France avec ses grands orateurs. Ce que deux ou trois dâentre eux lui ont coĂ»tĂ© Ă©quivaut assurĂ©ment Ă plus dâune bataille perdue. Nous en appelons Ă nos adversaires eux-mĂȘmes une causerie vraie ou fausse du marĂ©chal DiĂ©bitch leur parut un motif suffisant 4otĂŽ livre quatriĂšme. de dĂ©claration de guerre contre la Russie ! Quel effet pensent-ils que produisent leurs conversations de tribune, bien authentiques, bien retentissantes, bien ennemies, sur les cabinets attentifs et sur les princes qui les Ă©coutent ? Croient-ils quâil y ait ensuite plus de confiance dans les rapports, plus dâindulgence pour les rĂ©volutions nos protĂ©gĂ©es, plus de chances de diviser les hauts alliĂ©s, plus dâouverture Ă souffrir notre agrandissement, plus dâĂ©lĂ©ments dâautoritĂ© pour le roi des Français entre toutes les tĂȘtes couronnĂ©es ? On ne le pense pas; et rien de plus simple car ce nâest point ce quâon a voulu. Pour ne parler que de la France, quels rĂ©sultats ont produit parmi nous ces hostilitĂ©s effrĂ©nĂ©es de la tribune? Elles nous ont placĂ©s dans la situation la plus mauvaise oĂč nation puisse ĂȘtre. On ne traite bien, soit de la paix, soit de la guerre, que lorsquâon ne craint pas la guerre. HĂ© bien, le gouvernement et la France ont eu peur de la guerre, en ont eu peur forcĂ©ment; car tous deux se sont vus en prĂ©sence dâun pĂ©ril plus imminent que lâĂ©tranger ; tous deux ont senti dans leur propre sein un ennemi quâil fallait avant tout combattre; tous deux ont vu que la guerre ne pouvait ĂȘtre dĂ©sirĂ©e avec tant de passion et de tĂ©mĂ©ritĂ© sans un intĂ©rĂȘt puissant; tous deux ont reconnu que ce nâĂ©tait point le Rhin quâon voulait ressaisir, que câĂ©tait la France mĂȘme qui devait ĂȘtre la premiĂšre conquise. LE PARTI REVOLUTIONNAIRE. 407 Il y a eu ainsi une diversion fatale. Et le miracle est tout ce qui a Ă©tĂ© fait de bien dans la situation la plus difficile qui fĂ»t jamais. Mais tout le mal qui a Ă©tĂ© fait, et tout le bien qui ne lâa pas Ă©tĂ©, sont la faute, sont le crime de lâopinion rĂ©volutionnaire. Une tĂąche resterait Ă remplir, celle de rechercher le mobile de ce goĂ»t pour une loterie terrible oĂč nous pouvions gagner la libertĂ© de ModĂšne ou de Bologne, et perdre la libertĂ©, lâhonneur, lâindĂ©pendance de la France. M. de Lafayette nous lâa Ă©vitĂ©e. 11 a rĂ©pĂ©tĂ© deux fois Nous voulons lâalliance des peuples, moins lâaristocratie bien entendu ! » Un grand orateur a commentĂ© cette grave parole en dĂ©clarant que tout Etat dont le principe est aristocratique nous Ă©tait nĂ©cessairement ennemi. On le voit il ne sâagissait de rien autre chcse que dâun 29 juillet europĂ©en. CâĂ©tait plus qie les rois quâon voulait dĂ©truire; câĂ©tait, non pas la Charte de 1830, mais le programme de lâHĂŽtd- de-Ville quâon prĂ©tendait Ă©tendre ou plutĂŽt imjro- ser au genre humain. Moins lâaristocratie! Mais ne savez-vous pis quelle est la constitution sociale de lâEurope ei- tiĂšre, quelles sont les mĆurs et les traditions le tousses peuples, quelle est la classe qui appelĂ© la libertĂ© en Espagne et en Italie; quels rĂȘves le moyen-Ăąge caresse la jeunesse allemande ; quds prĂ©jugĂ©s hiĂ©rarchiques nourrit la multitude sir 4o8 LIVRE QUATRIĂME. presque toute la face du continent! Moins lâaristocratie, grand Dieu ! Mais cette Pologne pour qui vous avez, dites-vous, tant dâentrailles, oubliez- vous qui marchait Ă sa tĂȘte naguĂšre, qui a su si bien y combattre et y mourir pour la patrie? Ne savez-vous pas que, pour exproprier cette belliqueuse noblesse, il faudrait la dĂ©truire, ou plutĂŽt dĂ©truire la Pologne mĂȘme? Auriez-vous voulu lancer Ă cette malheureuse Pologne , comme gage de votre sympathie, un flĂ©au exterminateur de plus ? Et vous comptez sur lâalliance des peuples ! Voyez ce qui se passe dans le monde. LâEspagne, qui faisait une rĂ©volution en 1820, qui la faisait seule, qui la faisait quand il nây avait pas de ce cĂŽtĂ© des PyrĂ©nĂ©es une rĂ©volution qui lui tendĂźt la main , lâEspagne vous voit Ă lâĆuvre, et elle prĂ©fĂšre le sceptre de Ferdinand VII au vĂŽtre. LâAllemagne rĂ©trograde dans la carriĂšre des institutions libres. LâAngleterre se dĂ©sintĂ©resse ou sâĂ©pouvante de la rĂ©forme. Tous les peuples savent ce que vous ne savez pas vous-mĂȘmes, câest que vous les conviez Ă lâorgie sanglante de la terreur. Câest quâau fond de votre systĂšme, il y a, bon grĂ© mal grĂ©, une jacquerie pour tout lâunivers. CHAPITRE IX. TYRANNIE DĂŒ PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. Le caractĂšre du parti rĂ©volutionnaire est la tyrannie, tyrannie dans le fond, tyrannie dans la forme. Ce parti a une thĂ©orie bonne ou mauvaise, nâimporte ! il entend lâappliquer Ă lâinstant mĂȘme, sans souci des intĂ©rĂȘts, des prĂ©jugĂ©s, des mĆurs contraires, sans transaction avec les vieilles mĆurs, avec les opinions opposĂ©es, avec les intĂ©rĂȘts dissidents; câest la tyrannie. Les rĂ©sistances nĂ©es ou Ă naĂźtre, comment en- tend-il quâon les surmonte? par la conciliation des esprits, par la mansuĂ©tude, par le temps ? il sâen indigne. Pour exercer le pouvoir comme pour le conquĂ©rir, il ne comprend que la force. AprĂšs avoir demandĂ© quâon lui donnĂąt dans la VendĂ©e des exĂ©cutions Ă©clatantes, il rĂȘve les lois dâexception ; toujours la tyrannie. La tyrannie croit se lĂ©gitimer, Ă la vĂ©ritĂ©, en sâautorisant du droit, de lâintĂ©rĂȘt et du nom du peuple. Mais ce peuple, quel est-il? 4lO LIVRE QUATRIĂME. On nây comprend pas les trente mille Ă©lecteurs qui se sont abstenus des colleges Ă©lectoraux pour ne pas prĂȘter serment, ni leurs familles. On nây comprend pas les quarante mille membres de la milice des autels, ni leurs familles. On nây comprend pas la foule des gĂ©nĂ©raux, des fonctionnaires de la restauration frappĂ©s de disgrĂąces volontaires ou forcĂ©es, ni leurs familles. On nây comprend pas les paysans des dix dĂ©partements de lâOuest, si nombreux apparemment quâon ne croit pas pouvoir les vaincre avec les seules armes de la loi. On nây comprend pas les cultivateurs, les marchands, les propriĂ©taires de tout ordre des provinces de lâEst et du Midi, qui pensent comme ceux de lâOuest. Tous ceux-lĂ sont ennemis de la rĂ©volution de juillet. Voyons parmi ceux qui ont fait ou acceptĂ© loyalement la rĂ©volution. Le parti ne compte pas les cent mille Ă©lecteurs qui ont Ă©lu la majoritĂ© de la Chambre actuelle, ni leurs familles. Il ne compte pas la masse des cent mille fonctionnaires de divers degrĂ©s menacĂ©s de destitution, comme coupables de dĂ©tenir des places que des intrigants subalternes envient, ni leurs familles. U ne compte pas les quatre cent mille ci- LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 4n toyens enrĂŽlĂ©s sous les drapeaux et engagĂ©s Ă la cause de lâordre par la religion du serment militaire. Il ne compte pas la masse des paysans de France attachĂ©s au culte de leurs pĂšres et inquiets quâon lâoutrage, sans acception de foi politique, gens qui suivent les processions, portent un suaire et plient le genou devant la Vierge et son Christ. Il ne compte pas les manufacturiers, les nĂ©gociants dont les affaires sont en souffrance, qui imputent leurs maux Ă la soif de la guerre et Ă lâaudace de lâĂ©meute, ni la foule de leurs correspondants , associĂ©s, contre-maĂźtres , ouvriers et leurs familles. Il ne compte pas lâimmense majoritĂ© de la garde nationale qui salue de malĂ©dictions les gardes du- corps du parti, les fiers-Ă -bras de lâĂ©meute, partout oĂč elle les rencontre ; et les gardes nationales, avec femmes et enfants, font, dâun lot, plus de quinze millions dâĂąmes. On voit ce quâest le peuple souverain. Le dĂ©nombrement fait, que reste-t-il ? Les gens du suffrage universel auraient-ils le suffrage universel pour eux? Les apĂŽtres du nombre auraient-ils avec eux la majoritĂ© ? Sans la terreur, non assurĂ©ment. Quelle est donc leur armĂ©e? DâoĂč leur vient lâaudace de recourir sans cesse Ă la force, en la lĂ©gitimant du nom et de lâautoritĂ© du peuple ? 4l2 livre quatriĂšme. Dâun fait et dâun Ă©quivoque. Le fait, câest quâils ont gĂ©nĂ©ralement pour eux la multitude des villes, milice facile Ă assembler, naturellement compacte, encore barbare selon M. Odilon-Barrot. Ce sont les strĂ©litz du parti. Quand cette orageuse milice se montre, elle impose; quand elle veut, sa volontĂ© est loi; car elle est rĂ©volution, et la France courbe la tĂȘte. LâĂ©quivoque est que ce peuple soit le peuple. Il nâest du peuple français que la partie la plus mobile, la plus passionnĂ©e, la plus terrible, la plus grossiĂšre avant les miracles de ces derniers mois, on aurait ajoutĂ© la plus corrompue. Câest sur cet Ă©quivoque que se fonde lâautoritĂ© du parti; son droit est un jeu de mots. Il parle au nom du peuple. On nâa quâĂ lui demander lequel ? Si lâon compte encore pour quelque chose, nous ne disons pas les illustrations, les rangs, les services, les talents, mais seulement les richesses et les lumiĂšres, la portion la plus considĂ©rable et la plus nombreuse du peuple est tout entiĂšre en dehors du parti et contraire Ă ses maximes. Plus vous ĂȘtes enfoncĂ© avant dans la faction , plus vous laissez derriĂšre vous dâintĂ©rĂȘts et de sentiments froissĂ©s, et dĂšs lors plus sâagrandit la France dissidente plus est manifeste la tyrannie. Ainsi, ce quâon encense et ce quâon prĂ©tend couronner, câest le peuple, moins la tĂȘte pour LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. / I 3 tous ; pour beaucoup, moins la tĂȘte, le cĆur, les bras*, pour quelques-uns, moins le torse tout entier. Lâutopie que NĂ©ron convoitait, les plus modĂ©rĂ©s la rĂ©alisent. Une prmiĂšre fois ce systĂšme a Ă©tĂ© appliquĂ© Ă la France. On appela peuple ce qui nâĂ©tait pas le peuple, libertĂ© ce qui nâĂ©tait pas la libertĂ©, et on tint les Ă©chafauds en permanence pour la plus grande gloire de ce faux peuple et de cette libertĂ© mensongĂšre. Ceci, nos adversaires mĂȘmes ne le nieront point. Ils sont bien obligĂ©s de convenir quâil y avait alors mensonge et tyrannie, une tyrannie abominable, puisquâelle prĂ©tendait cimenter un mensonge par le sang. Us y sont obligĂ©s , car ils accordent tous en ce moment que la France ne veut pas la rĂ©publique et ne la voulut jamais. Us le reconnaissent si bien que, maĂźtres de la patrie Ă ce quâils prĂ©tendent, ils lui ont donnĂ© un roi. Et cependant la rĂ©publique ou la mort Ă©tait le programme de la rĂ©volution du 10 aoĂ»t! la rĂ©alitĂ© Ă©tait la rĂ©publique et la mort. AprĂšs quarante ans, le mĂȘme systĂšme se renouvelle, avec lâunique diffĂ©rence que les chefs veulent, disent-ils, asseoir sur la pique populaire une couronne. La preuve que cette fois, comme alors, ils se sentent dĂ©laissĂ©s du peuple vĂ©ritable, quâils se jugent en opposition avec les intĂ©rĂȘts de ce qui a des intĂ©rĂȘts, avec les pensĂ©es de ce qui a des pensĂ©es, câest que, comme leurs devanciers, ils ne 4 r 4 LIVRE QUATRIĂME. se fient pas au temps, Ă la discussion paisible, Ă la raison publique, pour le succĂšs de leurs doctrines. Comme alors, ils veulent lâemploi de la force; la force sous toutes ses formes, Ă©meute, dictature, lois dâexception. Le talent sâĂ©loigne dâeux comme les richesses; les nouvelles gloires comme les anciennes. La Bourse les condamne comme lâĂ©lection. Ce sont des indices assurĂ©s, des votes positifs. INâimporte! il leur faut la victoire de leur mensonge. On le rĂ©pĂšte, câest la tyrannie. CHAPITRE X. PREUVE DE TOUT CE QUI PRĂCĂDE. â PAMPHLET CABET. Nous avons de tristes bonnes fortunes. Depuis que nous Ă©crivons le tableau des mauvaises prĂ©tentions fit des mauvaises doctrines du parti rĂ©volutionnaire, voilĂ quâun des nouveaux lĂ©gislateurs semble sâattacher Ă justifier une aune, par un curieux Ă©crit, toutes nos accusations. Il nây a quâune chose que nous nâeussions pas prĂ©vue câest que le parti ressusciterait jusquâaux formes de langage des beaux jours de la rĂ©volution. Lâhonorable M. Cabet y prĂ©lude ; Ă la maniĂšre dont il dit Casimir PĂ©rier, Wellington, Martignac, on voit bien que, si câĂ©taient des patriotes, il les tutoierait. Mais nous avons dit que le parti rĂ©volutionnaire, sâil assujettissait jamais la France, parcourrait la mĂȘme carriĂšre quâil y a quarante ans ; et voici quâun homme grave, sâil en fut, un magistrat, un ex-procureur-gĂ©nĂ©ral, celui qui gouvernait le mi- 4l6 LIVRE QUATRIĂME. nistĂšre de la justice sous M. Dupont de lâEure, celui qui a enfantĂ© la magistrature de juillet, dĂ©clare coupables de complot ourdi avec lâĂ©tranger pour amener une invasion, un dĂ©membrement, ou une restauration 1° Les aristocrates ; car le parti, qui assure que nous nâavons plus dâaristocratie depuis 1789, sait trĂšs-bien dĂ©couvrir des aristocrates pour les proscrire comme en 1793 ; 2° Les doctrinaires, autrement dit, le centre gauche ; 3° La camarilla, dĂ©signation qui comprend le Palais-Royal, maintenant les Tuileries ; 4° Enfin, les ministres, les ambassadeurs, les fonctionnaires publics, et notamment Talleyrand, sic PĂ©rier, SĂ©bastiani, tous les hommes dâEtat de la rĂ©volution, MM. Dupont de lâEure et Lafayette exceptĂ©s. A cĂŽtĂ© des traĂźtres, il y a les suspects ce sont les industriels, les marchands et la garde nationale ! Encore lâhonorable membre Ă©crit-il Le 26 juillet 1830, le peuple sâĂ©meut. Si la » garde natonale avait existĂ©, lâĂ©meute serait » peut-ĂȘtre Ă©touffĂ©e au profit de lâordre et du » despotisme. » DâoĂč il suit que le peuple et la garde nationale sont choses parfaitement distinctes. La garde nationale est, comme les Suisses, un corps en dehors du peuple. Il sâensuit aussi que la garde nationale est, LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 4 r 7 comme les Suisses, ennemie de la rĂ©volution de juillet et amie du despotisme. De quel parti est lâiionorable M. Cabet? Nous le prenons pour patriote, et nous cherchons comment il entend quâon doive procĂ©der envers les traĂźtres. Mais M. Cabet pense sur la peine de mort comme M. de Salverte. Tous deux sont dâavis que lâarrĂȘt secourable de la Cour des pairs dans le procĂšs des ministres aurait dĂ» ĂȘtre inscrit sur Cairain. Sâils sâindignent du salut de quatre vaincus qui avaient cessĂ© dâĂȘtre dangereux, et par lĂ dâĂȘtre criminels, quâespĂ©rer pour tous ces grands coupables quâon dĂ©clare en Ă©tat de conspiration permanente avec les successeurs actuels de Pitt et Cobourg ? Quand lâhonorable M. Cabet sâĂ©crie en finissant Que chacun pense Ă sa famille, » Ă sa femme, Ă ses enfants , Ă sa propre tĂȘte! » lâavis paraĂźt bon. M. Cabet justifie toutes les Ă©meutes lâune aprĂšs lâautre. Toutes ont Ă©tĂ© les effets de lâirritation populaire, toutes ont Ă©tĂ© les marques de la juste colĂšre du peuple. Celle de dĂ©cembre notam- » ment, lors du procĂšs des ministres, atteste un » entraĂźnement irrĂ©sistible. Le bon sens du peu- » pie lui a fait voir dans cette prĂ©tention hypo- » crite dâhumanitĂ© une attaque contre la rĂ©volu- » tiou de juillet et un gage donnĂ© Ă la lĂ©gitimitĂ©. » Pouvait-il donc rester impassible ? » Ceci range M. de Lafayette parmi les doctri- 27 4 I 8 LIVRE QUATRIĂME. naires et les traĂźtres, heureusement pour la gloire de M. de Lafayette. Mais avions-nous lort de croire et de dire que les Ă©meutes faisaient partie intĂ©grante du camp rĂ©volutionnaire ? Avions-nous tort davantage dĂ©penser que, si jamais un coup de main de bandits et dâĂ©- meutiers dans Paris livrait la France Ă la faction, cette politique trouverait et des ministres et des apologistes? Lâhonorable dĂ©putĂ© sâĂ©crie dĂ©jĂ Si » la colĂšre du peuple avait tout brisĂ©, croit-on que » câest le peuple que lâhistoire eĂ»t condamnĂ© ? >5 Tout brisĂ©! ce mot se comprend. Le pĂ©ril, en effet, sera toujours, constituĂ©e comme lâest la France, quâun beau matin , Ă son rĂ©veil, elle trouve tout brisĂ© ! Nous avons dit que le systĂšme rĂ©volutionnaire consiste Ă se jeter dans des excĂšs qui provoquent, parmi les intĂ©rĂȘts conservateurs, des rĂ©sistances lĂ©gitimes, et Ă dompter les rĂ©sistances par des excĂšs nouveaux, en appelant toujours le dissentiment, crime; la vengeance, justice; la terreur, reprĂ©sailles. Lâhonorable M. Cabet est du mĂȘme avis. Nous avons dit que le fond de la politique du parti est la force. M. Cabet raille trĂšs-joliment la lĂ©galitĂ© ; il demande si les lois, libĂ©rales ou non, doivent ĂȘtre Ă©galement respectĂ©es; et, le prĂ©tendre, dit-il, câest lâabsurditĂ©, câest la servitude ! ! ! Nous avons dit que la libertĂ© du parti, câest le LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. 4 [ 9 gouvernement rĂ©volutionnaire. M. Cabet raconte que le parti aurait voulu Ă©tablir un gouvernement dictatorial , apparemment pour doter la France de plus de libertĂ©. VoilĂ la France bien avertie de ce quâon lui prĂ©pare. Elle sait quel est ce gouvernement souterrain, car on ne peut pas dire occulte, qui reste posĂ© en face du gouvernement constitutionnel , dans lâattente dâune surprise heureuse, dâune bataille toujours prĂ©parĂ©e? Lâhonorable dĂ©putĂ© nous avertit que la Charte est essentiellement provisoire autrement il nây verrait, comme M. de Cormenin , quâune usurpation flagrante des droits nationaux. Nous avons dit que tout est tyrannie dans le parti ; quâil veut rĂ©duire les classes, propriĂ©taires et Ă©clairĂ©es, Ă lâĂ©tat dâilotisme, dĂ©placer la puissance publique, renverser lâĂ©difice social, et asseoir la pyramide sur le faĂźte. Or voici quâun membre des grands pouvoirs dĂ©clare que nous ne serons tranquilles que lorsque les rois, les aristocrates et les doctrinaires seront vaincus ; il comprend expressĂ©ment les capitalistes en masse, les industriels , les marchands dans sa proscription. Nous avons dit quâune des infirmitĂ©s du parti est la nĂ©cessitĂ© dâoffrir toujours un appĂąt aux passions populaires, et lâhonorable M. Cabet sâĂ©crie La cause de la misĂšre du peuple est dans la » conspiration des carlistes, qui seuls possĂšdent » presque tous les capitaux, qui les ont retirĂ©s de LIVRE QUATRIEME. /j20 » la circulation , qui ont fait dâ Ă©normes emprunts » hypothĂ©caires pour accaparer l'argent , comme » ils accaparent les armes et les grains , qui ont » supprimĂ© toutes leurs dĂ©penses pour Ă©conomi- » ser, et qui conservent leurs trĂ©sors, soit pour » ruiner leurs adversaires , soit pour soudoyer » leurs agents et lâĂ©tranger, soit pour les empor- » ter en Ă©migrant de nouveau. » Et un loyal dĂ©putĂ© ne veut pas que nous nous rappellions le temps oĂč on disait au peuple que les riches Ă©taient ses ennemis, les amis de lâĂ©tranger, quâils accaparaient les armes, les grains, lâargent ; quâils Ă©taient coupables de la disette et de la guerre; le temps oĂč la justice du peuple chĂątiait tous ces crimes et ce dĂ©putĂ© siĂšge aux cĂŽtĂ©s de lâhonorable M. Gabet ! Maintenant, on demandera ce que lâhonorable dĂ©putĂ© de la CĂŽte-dâOr comprend dans ce grand mot de peuple dont on a si cruellement abusĂ© depuis quarante ans ; ce quâest ce peuple, auquel il immole, .Ă lâexemple de ses devanciers, comme conspirateurs et traĂźtres, tout ce qui a les propriĂ©tĂ©s sous le nom dâaristocrates, les lumiĂšres sous le nom de doctrinaires, les capitaux sous le nom de carlistes, en un mot, les propriĂ©taires, les industriels, les marchands, et, pour parler franchement, la garde nationale en masse ? On ne peut pas bien le dire. Mais M. Cabet revient sur le peuple chargĂ©, mitraillĂ©, sabrĂ© dans les Ă©meutes. LE PARTI RĂVOLUTIONNAIRE. /J 2 I Ce sont donc dâabord les gens des Ă©meutes. 11 ajoute que le peuple dut ĂȘtre irritĂ© quâon hĂ©sitĂąt Ă condamner Polignac , quand il est lui-mĂȘme si souvent impitoyablement condamnĂ© le peuple! pour un morceau de pain que sa misĂšre lui fait dĂ©rober .Cette fois, il nous faut espĂ©rer que les Ă©lecteurs de lâhonorable M. Cabet sont rangĂ©s en masse en dehors du peuple. Se rĂ©crierait-on, comme on lâa fait quand un ministre interpella lâhonorable membre sur son factum , que lâouvrage dâunseul nâest pas la pensĂ©e de tous ? Mais dix journaux de lâopposition ont cĂ©lĂ©brĂ© le courageux opuscule. Les hommes qui le dĂ©savouent voudraient-ils renoncer Ă lâencens de ces dix journaux ? Si la grande Ă©meute qui faisait alors lâoraison funĂšbre de la Pologne, au lieu de se dissoudre devant la conspiration des citoyens et de lâarmĂ©e, avait gouvernĂ© Paris trois jours comme en fĂ©vrier 1, ceux de ses amis, qui le fĂ©licitent tout bas sur son courage, ne le fĂ©liciteraient- ils pas tout haut sur sa prochaine entrĂ©e au ministĂšre ? Comment oublier que M. de Salverte est notoirement le ministre de lâinstruction publique du parti, depuis quâil a Ă©loquemment brodĂ© le fameux thĂšme quâil nây a que les morts qui ne reviennent jamais. Dâailleurs, M. Cabet aurait lieu de sâĂ©tonner l FĂ©vrier 1831. 422 LIVRE QUATRIĂME. de ces dĂ©saveux ; il pourrait dĂ©montrer, et nous sommes prĂȘts Ă lây aider, quâil nâest pas une des phrases de son pamphlet que lâinflexible Moniteur nâait dĂ©jĂ Ă©crite dans ses colonnes, en retraçant les discussions des Chambres, Il nâest pas un de ses vĆux, pas un de ses principes que les orateurs les plus considĂ©rables de lâopposition nâaient accrĂ©ditĂ©s. Le parti est dâaccord sur tous les points, hormis un la nouvelle zone sociale qui sera investie dĂ©sormais delĂ puissance. Tous veulent le peuple souverain Ă hauteur dâappui, et en consĂ©quence Ă leur propre niveau. En appelant du nom de peuple Ă peu prĂšs exclusivement les gens de lâĂ©meute et ceux de la police correctionnelle, lâhonorable reprĂ©sentant de la CĂŽte-dâOr est allĂ© un peu plus loin que le reste de lâopposition parlementaire. VoilĂ tout le dĂ©bat est tout entier dans une question de limites. Ce nâest quâune affaire de mur mitoyen. Mais il faut le dire câest M. Cabet qui est dans le vrai. Quand on met les pouvoirs hors de leur base naturelle, le levier ne peut sâappuyer au penchant de lâabĂźme ; il va forcĂ©ment chercher le fond. CHAPITRE XI. RĂSUMĂ. Si le parti rĂ©volutionnaire eĂ»t triomphĂ©, lâĂ©tat oĂč serait la France est facile Ă juger. L'Europe, cette Europe monarchique, si calme , si forte, et si unie, attaquĂ©e dans ses institutions et dans ses maximes, blessĂ©e dans les sentiments religieux et moraux des peuples comme dans les droits des couronnes, serait prĂȘte Ă peser de tout son poids sur nos frontiĂšres et sut nos rivages. En destinant aux frontiĂšres menacĂ©es les soldats qui combattent, les patriotes qui vocifĂšrent seraient restĂ©s Ă lâintĂ©rieur pour veiller sur le salut de la patrie ; de nombreux Ă©chos des accents que nous avons redits dĂ©signeraient aux passions populaires, comme traĂźtres, accapareurs et complices de lâĂ©tranger, les propriĂ©taires, les fabricants, les capitalistes. Ou ceux qui possĂšdent se laisseraient Ă©craser, ou ils se dĂ©fendraient. Dans le premier cas, partout la terre serait pressurĂ©e pour donner de lâor, et la nation pour donner du sang ; dans Je second, cette 4^4 LIVRE QUATRIĂME. malheureuse nation, suspendue sur un abĂźme et toujours prĂšs dây rouler, se sentirait sans sĂ©curitĂ©, sans stabilitĂ©, sans lendemain. Nous oublions de dire quâil y aurait longtemps dĂ©jĂ que tous les chefs de lâopposition parlementaire, Ă lâexception peut-ĂȘtre de M. de Cormenin et de M. Cabet, auraient Ă©tĂ© brisĂ©s ou Ă tout le moins rejetĂ©s, premiĂšres victimes de toutes les calamitĂ©s dont lâhistoire les dirait les premiers coupables. Nous sommes loin de lĂ , grĂące Ă Dieu, parce que câest le parti constitutionnel qui gouverne. Mais la fausse libertĂ© lutte contre la vĂ©ritable, les maximes subversives contre les principes conservateurs, la sociĂ©tĂ© naturelle et lĂ©gitime contre la dĂ©magogie, parce que le parti constitutionnel ne gouverne quâappuyĂ© Ă des bases rĂ©volutionnaires. RepoussĂ©e quand elle se montrait toute nue Ă la France, lâanarchie a trouvĂ© asile dans les assemblĂ©es nationales. Plus elle Ă©tait vaincue dans les rues, plus elle semblait prĂ©sider, comme une fatalitĂ© invincible, Ă toutes les grandes rĂ©formes. ChassĂ©e des carrefours, elle entrait dans les lois. Les pouvoirs publics lâont traitĂ©e comme lâIndien fait de son idole, quâil flagelle pour venger ses maux passĂ©s, et devant laquelle il sâagenouille aussitĂŽt, pour conjurer les maux Ă venir. VoilĂ ce quâil nous reste Ă constater ; aprĂšs quoi, chacun pourra rĂ©pondre Ă cette question que doit-il advenir? LIVRE CINQUIĂME. INFRACTIONS ĂĂX VĂRITABLES PROMESSES DE JUILLET, ou LE DĂSORDRE PAR LES POUVOIRS ET PAR LES LOIS. r Les rĂ©volutions se font quelquefois par progrĂšs insensible. On est tout Ă©tonnĂ© de voir les mĆurs et les lois changĂ©es sans quâon ait fait attention aux causes lĂ©gĂšres et sourdes qui ont menĂ© lĂ ; comme Ă Ambracie, oĂč, aprĂšs avoir pris des magistrats de mince fortune, on en reçut peu Ă peu qui nâavaient rien. Il nây a point en effet, ou presque point de diffĂ©rence entre rien et peu. Arisiote, Politique, liv. V, chap. 3. LIVRE CINQUIEME INFRACTIONS AUX VĂRITABLES PROMESSES DE JUILLET, ou LE E PIE IBS PDDVOIES EĂŻ PIE LES LOIS. CHAPITRE PREMIER. QUE LES PROMESSES DE LIBERTĂ ONT ĂTĂ DĂPASSĂES. âąSupposons que le peuple nous donnĂąt mission dâĂ©tablir , au lieu de cette monarchie constitutionnelle , qui fait lâenvie de lâunivers, une forme dĂ©mocratique de gouvernement, agirions-nous en amis de notre pays si nous accĂ©dions Ă ce vĆu ? Fox, 2b mars 1771. Le gouvernement de 1830 inscrivit sue ses banniĂšres les deux plus grands noms que Dieu ait faits lâordre et la libertĂ©. La question est de 428 LIVRE CINQUIĂME. savoir sâil sera en sa puissance de rĂ©aliser ce programme. Mais quâil dĂ»t le Venter, ce point ne peul pas faire question. Il est bien Ă©tabli que ce sont lĂ les promesses de juillet ; etil ne pouvait pas nâen ĂȘtre point ainsi car, faite pour la libertĂ©, la rĂ©volution de 1830, en voulant fonder un Ă©tablissement loyal, devait Ă lâordre ses premiers soins et ses premiĂšres garanties; faite par une victoire populaire, elle devait au pouvoir tout son appui, afin de lui donner par les lois la force nĂ©cessaire quâun trĂŽne ne peut trouver sur la base mouvante des barricades. Recherchons comment ces grandes promesses ont Ă©tĂ© tenues. Parlons dâabord de la libertĂ©. En constatant tout ce quâon a fait ou cru faire pour elle, nous dĂ©clarons que nous acceptons comme bonnes et utiles, comme favorables en effet Ă la libertĂ© vĂ©ritable, quel que pĂ»t ĂȘtre au fond notre jugement personnel, toutes les innovations Ă©tablies par la Charte revisĂ©e. Quand nous demandons que le parti victorieux se tienne au point dâarrĂȘt que lui-mĂȘme a posĂ©, nous ne donnerons pas lâexemple dâinfirmer les engagements pris. Dans la Charte, telle quâelle a Ă©tĂ© transcrite Ă la hĂąte, M. de Cormenin dit bĂąclĂ©e , sur un pieu des barricades, nous respectons deux choses lâacceptation de la France et notre serment. Mais nous avions droit Ă notre tour dâexiger quâelle fĂ»t fidĂšlement gardĂ©e; nous avons droit de INFRACTIONS AUX PROMESSES DE JUILLET. /j 2 9 lâexiger, au nom de cette France qui lâaccepta ; et plus le nouveau texte du pacte fondamental a Ă©tĂ© prodigue de concessions aux ombrages, aux dĂ©fiances, aux ambitions dĂ©mocratiques, plus on a ainsi dĂ©mantelĂ© et affaibli les pouvoirs nouveaux quâil fallait au contraire fortifier, et plus il importait dâassujettir toutes les lois nouvelles Ă lâesprit conservateur qui dĂ©termina le maintien de la forme de gouvernement monarchique. Lâa-t-on fait ? non ; et il nâest que trop permis de craindre que la libertĂ© vĂ©ritable ne manque de garanties, par les efforts meme qui ont Ă©tĂ© tentĂ©s pour agrandir son domaine. Le droit national dâĂŽter et de confĂ©rer la couronne a Ă©tĂ© proclamĂ© le principe de nos lois, par lâabolition du prĂ©ambule de la Charte et la suppression de lâarticle 14, qui avait besoin dâune explication , et câĂ©tait tout. En crĂ©ant un roi, le droit national ne sâest condamnĂ© ni Ă lâabdication ni au repos. Ce droit illimitĂ© reste en permanence , confiĂ© Ă la garde de la citĂ© armĂ©e. Le pacte fondamental est remis en dĂ©pĂŽt, par une de ses dispositions expresses, aux gardes nationales du royaume; câest lâarticle 14 du pays, mais positif, souverain, joignant la force au principe. La garde nationale peut toujours ainsi, constitutionnellement, laisser tomber Ă terre la constitution et le gouvernement, ou les renverser. Elle est le summum Jus, le pouvoir souverain et suprĂȘme. 43 O LIVRE CINQUIĂME. Le pouvoir royal, si fort abaissĂ© par ces dispositions, a Ă©tĂ© en mĂȘme temps affaibli. A tort ou Ă raison, nous ne lâexaminons sur aucun des points, il a perdu la prĂ©rogative de proposer seul les lois; celle dâinterdire lâentrĂ©e de la Chambre haute aux princes du sang, et dâenlever ainsi Ă lâopposition des chefs puissants et illustres; celle de donner un prĂ©sident Ă la Chambre des dĂ©putĂ©s; celle de rĂ©gler la prĂ©sidence des collĂšges Ă©lectoraux , et de consacrer de la sorte ses candidatures; celle dâappeler sans contrĂŽle les dĂ©putĂ©s Ă des fonctions publiques ; celle dâintroduire des troupes Ă©trangĂšres dans le royaume ; celle de fixer lâĂ©tendue des cadres de lâarmĂ©e ; celle de disposer du grade des officiers en mĂȘme temps que de leur emploi ; enfin , la facultĂ© de rĂ©gir les colonies par des ordonnances, et dâadministrer souverainement lâinstruction publique. Encore la royautĂ© sâest-elle vue bien moins dĂ©sarmĂ©e, par lâeffet de son origine et par la rĂ©duction de ses prĂ©rogatives, cpie par la diminution de ses moyens dâinfluence, par lâabaissement de tous les salaires, par Ja suppression de toutes les charges honorifiques, par lâabolition des dignitĂ©s qui liaient encore au trĂŽne les citoyens considĂ©rables sortis de ses conseils, par le retranchement dâune garde royale qui enchaĂźnait de plus prĂšs lâarmĂ©e, par les restrictions imposĂ©es Ă la nomination des magistrats municipaux, qui sont les premiers instru- INFRACTIONS AUX PROMESSES DE JUILLET. 43 1 ments, les ressorts les plus directs de lâautoritĂ© royale, plus que tout par la mise Ă nĂ©ant de tous les prestiges , de toutes les consĂ©crations, qui, crĂ©ant lâautoritĂ© morale , constituent la vĂ©ritable force des trĂŽnes. La puissance parlementaire sâest fortifiĂ©e de tout ce que la puissance royale a perdu ; elle sâest fortifiĂ©e en outre par lâattribution de lâinitiative des lois Ă lâune et lâautre Chambre. La Chambre Ă©lective a surtout pris des dĂ©veloppements immenses ; car, des deux AssemblĂ©es, il en est une qui a Ă©tĂ© frappĂ©e seize mois de provisoire, celle-lĂ mĂȘme qui devait attacher Ă nos institutions le sceau de la durĂ©e ; mutilĂ©e violemment par les exclusions de juillet 1, ainsi que par les nombreuses dĂ©missions, la Chambre des pairs a Ă©tĂ©, en outre, rĂ©duite Ă nĂ©ant systĂ©matiquement par le pouvoir, qui nâa osĂ©, sous aucun ministĂšre, faire usage dâaucune des prĂ©rogatives du trĂŽne pour la complĂ©ter, la soutenir, la relever. Le pouvoir Ă©lectif sâest donc enrichi de lâappauvrissement du trĂŽne et de la pairie. Affranchi avec raison par la Charte nouvelle de la dĂ©pendance oĂč la Charte royale tenait naguĂšre la Chambre des dĂ©putĂ©s pour le choix de son prĂ©sident et la formation de son bureau , le vote annuel de 1 Exclusion prononcĂ©e par la Charte mĂȘme des pairs nommĂ©s par Charles X. Parmi eux se trouvait le marĂ©chal duc de Dalmatie. 432 LIVRE CINQUIĂME. lâarmĂ©e lui a Ă©tĂ© donnĂ© comme celui des impĂŽts ; et la responsabilitĂ© ministĂ©rielle, vis-Ă -vis des reprĂ©sentants du pays, a cessĂ© dâĂȘtre une menace stĂ©rile la loi Ă faire est Ă©crite sur les crĂ©neaux du chĂąteau de Ham. Peu sâen faut que cette Chambre, qui a en main toute la puissance publique, se prĂ©tende hĂ©ritiĂšre du pouvoir constituant que la monarchie rĂ©clamait naguĂšre, et qui lâa menĂ©e oĂč nous savons. Ce quâelle ne fait pas aujourdâhui, elle pourra toujours le faire demain. En mĂȘme temps, le pouvoir politique a Ă©tĂ© Ă©tendu Ă trois cent mille Français; dâun autre cĂŽtĂ©, les grands collĂšges ont Ă©tĂ© abolis; le cens dâĂ©ligibilitĂ© a Ă©tĂ© abaissĂ© de moitiĂ© comme le cens dâĂ©lection ; les fermiers se sont vus substituĂ©s aux grands propriĂ©taires dans le privilĂšge du double vote. Le pouvoir dĂ©partemental sera dĂ©volu Ă huit cent mille citoyens. Deux millions et plus ĂŽnt Ă©tĂ© investis du pouvoir municipal. Par les gardes nationales, la force publique a Ă©tĂ© livrĂ©e Ă tous. Le peuple entier a des armes, et tandis que les gardes nationales devaient simplement, aux termes du pacte fondamental, intervenir dans le choix de leurs chefs, la loi leur a confĂ©rĂ© le droit de nominations de leurs officiers et sous-officiers sans restriction. La puissance populaire a trouvĂ© un profit direct dans chacun de ces changements de lâordre politique. Et ce nâest pas tout la publicitĂ© de la INFRACTIONS ADN PROMESSES DE JUILLET. 433 Chambre des pairs a subordonnĂ© ce grand corps au contrĂŽle et Ă lâaction de lâopinion publique; la nĂ©cessitĂ© de la réélection des dĂ©putĂ©s promus Ă des fonctions publiques ajoute Ă la dĂ©pendance des commettants vis-Ă -vis de leurs mandataires; lâaugmentation numĂ©rique de la Chambre la tient tout entiĂšre ^placĂ©e de plus prĂšs sous lâautoritĂ© et sous lâĆil des localitĂ©s. Enfin, affranchie du long interdit que prononçait sur elle la Charte royale, la jeunesse française a Ă©tĂ© mise en possession de tous les droits politiques ; les gĂ©nĂ©rations nouvelles ont pris place parmi les lĂ©gislateurs de la patrie. Toutes les libertĂ©s ont reçu la mĂȘme extension que tous les pouvoirs populaires. La libertĂ© de conscience a renversĂ© lâombre de suprĂ©matie que le titre de religion de lâĂtat donnait au culte qui est celui de lâimmense majoritĂ©'des Français; un salaire public a Ă©tĂ© attribuĂ© aux prĂȘtres juifs, simplement pour bien marquer lâĂ©galitĂ© des croyances devant la loi. La libertĂ© dâenseignement a Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ©e. La libertĂ© personnelle a reçu des garanties. multipliĂ©es et nouvelles par lâextension de la juridiction du jury Ă tous les crimes ou dĂ©lits politiques, et par les dĂ©finitions plus prĂ©cises qui ont Ă©tĂ© portĂ©es de ces dĂ©lits et de ces crimes. Le pacte fondamental a proscrit le retour de toute juridiction exceptionnelle, de tout tribunal extraordinaire. LâarmĂ©e a participĂ© au bĂ©nĂ©fice des franchises 28 434 LIVRE CINQUIĂME. civiques; un jugement seul peut ravir au militaire son Ă©tat et ses honneurs. La garantie de la publicitĂ© a Ă©tĂ© appliquĂ©e Ă la juridiction administrative. La Charte a rendu impossible aux lĂ©gislateurs Ă venir le rĂ©tablissement de la censure. La loi a rĂ©pudiĂ©, au contraire, la plupart des cautions quâelle avait exigĂ©es jusquâalors de lâimprimeur, du journaliste, du libraire. La libertĂ© de la presse rĂšgne sans contre-poids, grĂąces Ă toutes ces dispositions qui assurent lâimmunitĂ© des Ă©crivains elle est illimitĂ©e de fait, sinon de droit; enfin, la libĂ©ralitĂ© infinie du pouvoir ou de la loi a compris dans ses prĂ©rogatives deux autres libertĂ©s auxquelles les combattants de juillet ne pensaient pas celle des crieurs publics, et celle des théùtres. VoilĂ la part de la libertĂ©! elle est grande; si grande, que le parti qui exige davantage veut Ă©videmment une rĂ©volution sociale. Car, dans lâordre politique, il nâest rien, absolument rien au- delĂ du point oĂč nous sommes. Au-delĂ , il nây a que lâanarchie, et dĂ©jĂ nous nâavons que trop empiĂ©tĂ© sur son domaine. CHAPITRE II. COMMENT LES PROMESSES DâORDRE ONT ĂTĂ TENUES. Lâordre a-t-il Ă©tĂ© aussi bien traitĂ© que la libertĂ©? Quâont fait les lois, quâa fait lâautoritĂ© suprĂȘme, pour ce premier, ce plus pressant des intĂ©rĂȘts des peuples ? 3 la libertĂ© ! 33 Aujourdâhui lâesprit dâopposition sâaggrave de lâesprit de caste. Avec notre rĂ©gime partial et exclusif, il en sera toujours ainsi. Les gouvernements mixtes , dans lesquels lâesprit aristocratique a une part, savent seuls, comme lâAngleterre, concilier la prĂ©voyance avec la grandeur. Dans les conditions oĂč nous Ă©tablissons le pouvoir, nous manquerons tour Ă tour de lâune et de lâautre. LivrĂ©s Ă tous les vents, sous lâempire des intĂ©rĂȘts ou des sentiments qui rĂ©gneront, nous passerons delĂ parcimonie Ă la prodigalitĂ©, celle-ci qui sera lâeffet des passions Ă©goĂŻstes, celle-lĂ des passions jalouses. Aujourdâhui, câest le tour de lâenvie. Elle se croit Ă©conome, et nâest que destructive. On voit le gĂ©nie de la partie infĂ©rieure des deux cents francs dâimpĂŽt faisant les affaires de la France; il rĂšgle, comme le sien propre, le mĂ©nage de lâune des premiĂšres nations de lâunivers, surpris que lâon veuille des peintures dans un palais, quand on vit fort bien sans peintures; iudi- 37 MVRE SIXIĂME. que lâon demande pour nos reprĂ©sentants auprĂšs de lâĂ©tranger un Ă©tat, une maison, et de la grandeur, tandis que les Ă©lecteurs se font reprĂ©senter, Ă Paris, par tel honorable citoyen qui se contente dâun pĂ©cule de dix francs par jour et fait, dit-on, des Ă©pargnes. Aussi a-t-il fallu voir les services, les arts, la gloire, mis Ă la portion congrue. LâObservatoire a seul trouvĂ© faveur, parce quâun savant illustre siĂšge Ă gauche, heureusement pour lâastronomie ; ce qui prouve quâon peut voir trĂšs-bien dans le ciel et moins bien sur la terre. La Fontaine lâavait dit. Ces lĂ©gislateurs ne savent pas que, des professions , la premiĂšre est de servir lâĂtat ; quâil importe Ă lâĂtat que les talents se vouent Ă lui par prĂ©fĂ©rence; que la politique exige quâil nây ait pas dâexistence assez haute pour dĂ©daigner de servir la chose publique et quel avocat de mĂ©rite voudra dĂ©sormais ĂȘtre juge, quel riche propriĂ©taire administrer, quel guerrier illustre, quel citoyen considĂ©rable affronter la pompe des cours Ă©trangĂšres, quand lâunique avantage des situations officielles sera une existence prĂ©caire, lâimminence des destitutions, la perspective des Ă©meutes, des charivaris, des mascarades, des assassinats Ă coups de pierres, et lâobligation de dĂ©mĂ©nager Ă chaque terme, de supprimer un plat de sa table Ă chaque session, sur un assis et levĂ© de M. Cabet. Ă la vĂ©ritĂ©, ces Spartiates nouveaux, en offrant PM ANARCHIE MORALE. O79 le bronetaux serviteurs de lâEtat, leur promettent aussi la gloire la gloire de ne pouvoir mettre un fils au college et dâaller en omnibus Ă la cour ; la gloire de vivre en prĂ©sence de vingt journaux qui vous guettent pour vous outrager, et quâau besoin la tribune supplĂ©era... La gloire ! vous parlez de la gloire! Quand un capitaine chargĂ© de batailles se prĂ©sente Ă vous, Ă vous, citoyens stĂ©riles que votre patrie ignore quoi que vous la gouverniez, comment le traitez-vous? Quels sont vos respects pour cette Ă©pĂ©e que respecte le monde ? Vous nâĂȘtes occupĂ©s quâĂ voir ce quâelle pĂšse Ă la trĂ©sorerie; et ce quâelle pĂšse dans les conseils des rois, ce quâelle pĂšserait sur les champs dâhonneur, vous en inquiĂ©tez-vous? Ney, de qui vous parlez toujours, que feriez-vous pour lui sâil Ă©tait vivant! Ministre , dĂ©putĂ©, dĂ©fenseur de ses camarades , Ă tous ces titres , vous Ă©toufferiez, sous vos trĂ©pignements et vos injures, cette voix qui remplissait la Moskowie. Vous lui parleriez de ses cumuls et non pas de ses victoires. Vous lui demanderiez compte de chaque obole. Vous disputeriez des douceurs Ă sa vieillesse, de lâaisance Ă sa famille, des convives Ă sa table, des auditeurs Ă ses rĂ©cits, des Ă©mules Ă sa grandeur, aussi bien que des honneurs Ă son nom et la pairie Ă son sang. Gardez vos dĂ©risions de gloire! la gloire est lâunique Ă©conomie quâassure Ă notre pays un rĂ©gime tel que le vĂŽtre; on ne la verra point figurer dans vos bud- ĂŻ 58 o LIVRE SIXIĂME. gets; elle ne chargera pas vos comptes. Si cette politique mortelle pouvait vivre,bornĂ©s et stĂ©riles, prolixes et impuissants, nous serions la petite Provence de l'univers. Lâun des plus curieux symptĂŽmes de la maladie morale qui nous travaille, câest lâĂ©trange, lâinconcevable Ă©chauffourĂ©e dâun orateur puissant et sage contre le budget de lâarmĂ©e. Les Ă©conomies brutales faites sur la magistrature lâont rĂ©voltĂ© Ă juste titre-, son indignation Ă©clate dans toutes ses paroles. Il ne tarit pas sur cette mesquinerie envieuse et grossiĂšre; son Ă©loquence intermittente est fixe sur ce point, comme le pendule mobile sur son immobile pivot. Sans doute, il dĂ©fendra les autres services contre les Tarquins de bas-Ă©tage qui courbent tout ce qui sâĂ©lĂšve sous un mĂȘme niveau, afin de pouvoir encore tout dominer ? Point! puisquâon a rabaissĂ© la magistrature, il faut rabaisser lâarmĂ©e; et voilĂ ce ferme esprit qui lance un rĂ©quisitoire contre la gloire des armes ! il se met Ă compter sou Ă sou les profits des tenants dâAusterlitz, des survivants dâHĂ©liopolis ou de la Moskowa ; il place le lĂ©giste en parallĂšle avec le capitaine; il oppose les veilles fructueuses et volontaires aux bivacs forcĂ©s, lâĂ©tude intĂ©ressĂ©e au courage, la pierre sic ! Ă la mitraille, les combats du barreau Ă ceux de la BĂ©rĂ©sina, de Leipsik, du DĂ©sert, oubliant que lâavocat, qui dĂ©fend devant la justice nos marĂ©chaux de France menacĂ©s, se ANARCHIE MORALE. 58 I fait payer Ă beaux deniers son Ă©loquence glorieuse, tandis que le capitaine illustre ou le soldat inconnu donnent leur vie sans savoir de quel prix les payera la patrie ! Et quand nous disons quâils donnent leur vie, est-ce de ce souffle passager que nous parlons, de cette existence que le plomb, le fer, le froid, la faim, lâair des pontons, celui de la SibĂ©rie peuvent trancher ? Non câest de cette vie de lâĂąme et du cĆur, de cette vie de tous les jours que le militaire livre Ă son pays et que nous recommandons^ vos respects, que nul dĂ©dommagement ne peut payer ; câest enfin de sa libertĂ©, de ses affections, de ses goĂ»ts, de ses jouissances de mari et de pĂšre, de lâhonime entier qui se donne corps et biens Ă la patrie, partant quand elle veut quâon parte, restant quand elle veut quâon reste, courant au bout du monde quand elle veut quâon y coure, mourant quand elle veut quâon meure ! Vous , si la pierre vous tue , comme vous dites, ce sera plein de jours, au milieu de vos neveux qui vous environnent, et que vous laissez opulents. Le militaire, câest seul, derriĂšre une haie, jeune et pauvre, pensant Ă sa femme qui restera sans pain, et Ă son fils qui restera sans avenir, quâil entend KlĂ©ber lui dire Commandant, vous vous ferez tuer lĂ ! et il sây fait tuer. Ah! jurisconsulte illustre, ne comparez pas une existence tissue de sacrifices Ă lâindĂ©pendance de vos travaux, de vos succĂšs, de votre fortune! 58 2 LIVRE SIXIĂME. nâenviez pas la parcelle dâor , dont la patrie orne quelques chefs blanchis pour essayer de couvrir tant de misĂšres aux yeux du soldat dont ils sont tout lâorgueil. Songez quâen venant, votre balance Ă la main , peser exactement Ă lâarmĂ©e les mĂȘmes rigueurs que vous avez subies, vous disputez au parti que vous-mĂȘme combattez son sceptre grossier; vous lui dĂ©robez le niveau pour lâimposer aux autres comme il lâimpose Ă vous-mĂȘme. Vous vous inoculez, de gaĂźtĂ© de cĆur, la maladie qui le travaille, et qui est la vĂ©ritable, la grande infirmitĂ© de la France ! Et câest un personnage officiel, Ă©minent, qui sâexprime ainsi dans ce royaume continental , dĂ©mocratique et libre, dont lâunique force consistante est sa belle armĂ©e. Le mĂȘme orateur avait dit Ă©loquemment une autre fois, que la France ne sera pas toujours en dĂ©lire. HĂ©las, elle y est encore. On a tant accusĂ© la restauration de ne pas aimer assez nos gloires! et voilĂ les gĂ©nĂ©raux illustres rĂ©duits, dans leur mĂ©nage, Ă ne plus savoir comment ils joindront les deux bouts! La Chambre semble avoir peur que lâarmĂ©e sâattache trop vivement au gouvernement reprĂ©sentatif. Elle peut ĂȘtre rassurĂ©e. Il y a quarante ans que les rivalitĂ©s parlementaires font le dĂ©sespoir des camps. Par lĂ a pĂ©ri le Directoire ; les CortĂšs espagnoles ont pĂ©ri par lĂ un dĂ©putĂ©, qui sâavisa dâappeler les ANARCHIE MORALE. 583 soldats des assassins payĂ©s , glaça lâarmĂ©e libĂ©rale et insurrectionnelle de lâĂźle de LĂ©on. Nous, nous appelons les nĂŽtres des Ă©gorgeurs. Les mĂȘmes folies ne peuvent manquer dâenfanter toujours les mĂȘmes coups de la fortune; car câest une loi funeste de ce monde, que les dĂ©portements de la dĂ©mocratie tournent toujours Ă la perte de la libertĂ©! Cependant, Ă travers les petites Ă©conomies sont venus les grands hommes. La rĂ©volution voulait faire, de par la loi, de grands hommes et les pan- thĂ©oniser. Qui lâaurait dit? Desquatre noms agitĂ©s dans la proposition soumise Ă la Chambre, deux seulement lâĂ©taient sĂ©rieusement. Le duc de Liancourt nâavait Ă©tĂ© conservĂ© sur la liste que par respect humain ; lâillustre citoyen a jouĂ© de malheur dans son cercueil. QuantĂ Foy, l'opposition sait bien que, sâil vivait , il siĂ©gerait sur le banc du ministĂšre, aux cĂŽtĂ©s des PĂ©rier et des SĂ©bastian!; quâil serait, comme eux, dĂ©vouĂ© Ă la tĂąche de ressusciter, sâil se peut, lâordre dĂ©faillant, comme eux impopulaire, comme eux chargĂ© dâoutrages. Ce qui importait au cĂŽtĂ© gauche, câĂ©tait lâapothĂ©ose de M. Manuel et celle de M. Benjamin de Constant lĂ le succĂšs prĂ©sent, les perspectives futures, tout souriait. Câest quelque chose dâavoir la chance dâĂȘtre un jour de grands hommes en vertu dâun vote officieux de ses amis du Parlement. Le curieux a Ă©tĂ© de voir, dans ce dĂ©bat, le dĂ©- LIVRE SIXIĂME. 584 faut de toutes croyances, le vide moral, le dĂ©sordre de sentiments et dâidĂ©es dĂ©plorĂ©, en beaux termes, il faut lâavouer, par un parti qui outrage chaque jour toutes les croyances privĂ©es et publiques ! Ce parti trouve tout simple de se grouper autour dâun homme 1 qui, conformant son langage Ă sa pensĂ©e, a dit, du haut de la tribune nationale, en parlant delĂ religion desespĂšres, de la religion de son pays, dâune religion qui remplit lâunivers et qui lâa civilisĂ© Je nâen use pas ! Et ils veulent que nous usions de leurs demi- dieux ! ils nous donnent leurs saints pour remplir le ciel dĂ©sert ! chacun apporte le sien Ă son tour celui-ci Berton, celui-lĂ les sous-officiers de la Rochelle, un autre les constituants, un autre Ney. Ney, volontiers, si câest la gloire; point, si câest la haine et la vengeance ! Pour repeupler le monde moral dont Ă la fin le vide Ă©pouvante, un honorable marĂ©chal M. le marĂ©chal Clausel croit avoir assez fait, en demandant quâun vote au scrutin pare le PanthĂ©on du nom de temple. Temple dĂ©diĂ© Ă qui ? Au dieu inconnu? on le comprendrait, il y aurait de la ferveur dans cette dĂ©dicase Deo ignoto, qui cherche le dieu absent et lâadore. Mais prenez garde un temple au Dieu quâon repousse, au Dieu quâon nie, au Dieu qui nâest pas ! Le parti 1 M. Ăudry de Puyraveau. ANARCHIE MORALE. 585 veut une religion comme il veut une monarchie, lâune sans trĂŽne et sans roi, lâautre sans autels et sans dieu. Nous avons dit de ce parti quâil est nĂ©cessairement impuissant et stĂ©rile ; nous avions tort. On avait bien parlĂ© jusquâĂ prĂ©sent de lâathĂ©isme dans les mĆurs, dans les opinions, dans les lois ; les lois athĂ©es sont cĂ©lĂšbres. Mais un temple athĂ©e, ce serait une crĂ©ation. Imaginez quel temple, quel saint Denis populaire ils nous auraient donnĂ© ! En arriĂšre, rien ; tout commence Ă 1791. En avant, rien ; tout finit Ă la mort. Des sĂ©pultures sans passĂ©, un temple sans avenir ! une pierre entre deux abĂźmes ! un cĂ©notaphe, un sĂ©pulcre vide, bĂąti sur le nĂ©ant! Pour remplir le monument et payer une dette Ă la gloire, la mort seule, partout la mort ! Câest bien la religion, câest bien la philosophie, câest bien la politique des rĂ©volutionnaires ; mais ils ne sont pas toujours aussi naĂŻfs. Ăh! nous aimons, nous malgrĂ© toutes ces folies, osons encore le dĂ©clarer, nous aimons la pensĂ©e dâun panthĂ©on pour les demi-dieux de la patrie; nous aimions, enfant, cette inscription qui fait vibrer le cĆur Aux grands hommes , la patrie reconnaissante ! Nous concevrions tous les grands citoyens venant trouver, dans ce prytanĂ©e suprĂȘme, un dernier et glorieux asile, Nous verrions, avec Ă©motion, leurs tombeaux sĂ©parĂ©s, ou plutĂŽt 581 LIVRE SIXIĂME. rĂ©unis par les statues de tous les hĂ©ros qui ont fait la grandeur du nom de France dans lâunivers, depuis ce Clovis qui nous donna des ancĂȘtres, depuis ce saint RĂ©mi qui leur donna un Dieu ! Mais ce Dieu de saint RĂ©mi et de Clovis, nous voudrions quâil fĂ»t lĂ encore, pour ne pas nous trouver seuls face Ă face avec la mort dans son temple. Mais nous voudrions que ce temple, cette Ă©glise, pour dire le mot simple et vrai, eĂ»t des pontifes, des pompes, sâanimĂąt de fĂȘtes, sâagrandĂźt dâespĂ©rances, et appuyĂąt au ciel les gloires de la terre ! Mais ces gloires, nous voudrions que ce ne fut point lâesprit de faction qui les intronisĂąt, que les partis nâimposassent point Ă la France des immortalitĂ©s de sociĂ©tĂ©s secrĂštes et des vertus de tapis vert ; nous voudrions que la royautĂ©, car nous avons foi Ă la royautĂ©, comptĂąt, comme un de ses attributs nĂ©cessaires, ce fleuron de plus dans sa couronne; enfin, nous voudrions par-dessus tout que ces hommages ne fussent pas une dĂ©rision ; que la patrie reconnaissante honorĂąt les grands hommes, non pas seulement dans leur dĂ©pouille morte, mais dans leur race vivante; que les institutions Ă©tablissent que, si des restes inanimĂ©s sont quelque chose encore, un nom est davantage ; en un mot que les grandes rĂ©compenses survĂ©cussent aux pĂšres dans leurs fils, et que, pour prix dâun dĂ©voĂ»ment illustre, on eĂ»t la chance, dans cette France qui sait la ANARCHIE MORALE. 587 gloire, dâarriver Ă quelque chose de plus quâĂ un tombeau, de fonder quelque chose de mieux quâune fortune ! Mais non ! ce sont lĂ des pensĂ©es et des passions surannĂ©es parmi nous. Le principe social qui soutient le monde politique depuis six mille ans, est mort. Le principe religieux , qui soutient le genre humain depuis la crĂ©ation, est mort. Le principe monarchique, qui soutient lâEurope chrĂ©tienne depuis quinze siĂšcles , est mort. Que reste-t-il ?... Ce qui reste une vĂ©ritĂ© ! Câest que ces principes, mis en Ćuvre dans la mesure et la forme que comporte le progrĂšs des temps, sont immortels; quâils reprendront leur empire dâune maniĂšre appropriĂ©e Ă nos mĆurs et Ă nos intĂ©rĂȘts, ou que câen sera fait Ă la longue de lâordre social, de lâindĂ©pendance extĂ©rieure, de la civilisation française. Ăvant tout, le gouvernement reprĂ©sentatif, notre rĂȘve de quarante ans, disparaĂźtra, quelque jour, Ă©touffĂ© sous nos dĂ©combres. La France a Ă©tĂ© vue, renversant les autels en haine du prĂȘtre, les trĂŽnes en reprĂ©sailles contre un roi. Elle pourrait bien renier la libertĂ© constitutionnelle, en dĂ©goĂ»t de ses tendances anarchiques, par fatigue de cette basse dĂ©mocratie qui lâenvahit, qui la corrompt, qui en viendra Ă froisser toutes les Ăąmes, Ă soulever tous les intĂ©rĂȘts, Ă contrister et blesser ceux mĂȘme qui ne se rendraient pas compte des motifs de leur Ă©pou- 588 LIVRE SIXIĂME. vante, et verraient enfin la vie manquer Ă tout ce systĂšme impossible, sans savoir pourquoi. Les dieux ne sâen vont jamais ; mais lâexpĂ©rience nous apprend que parfois les institutions sâen vont. Câest quand elles sont mal fondĂ©es, mal assises. Pour fixer les nĂŽtres, il fallait savoir rĂ©soudre deux grands problĂšmes celui dâaccorder le systĂšme reprĂ©sentatif avec les conditions de la monarchie, en accordant avec les conditions de lâordre notre ombrageuse Ă©galitĂ©. Ce problĂšme, sâil nâest pas mieux posĂ©, mieux compris et mieux rĂ©solu, pourra user bien des gouvernements Ă la peine. CONCLUSION. Mes conseils , ĂŽ AthĂ©niens , sont tels , que moi, il mâest presque toujours mauvais de vous les donner, et que, vous, il vous eĂ»t Ă©tĂ© presque toujours bon de les suivre. DĂ©mosthĂšnes. Avril 1832. Nous assistons Ă la plus grande expĂ©rience qui ait Ă©tĂ© faite a-u sein dâun peuple. Il nâest pas parmi nous un pouvoir qui ne soit dâhier, que la sociĂ©tĂ© nâait vu naĂźtre, quâelle nâait pĂ©tri de ses mains , et ne se sente en droit et en puissance de dĂ©truire, autant quâelle le fut de les crĂ©er. Il nâest pas une croyance qui puisse prĂȘter des forces Ă lâEtat renouvelĂ©. La sociĂ©tĂ©, dĂ©mantelĂ©e comme lâĂtat, nâa pas une institution conservatrice qui lie entre eux et enchaĂźne ces trente-quatre millions dâhommes Ă©gaux et libres. La famille nâest pas constituĂ©e plus solidement que tout le reste. La France enfin ne CONCLUSION. 5gO se tient ensemble, ne marche ; ne vit que par sa propre sagesse. Dans celte situation extraordinaire oĂč, depuis lâorigine du monde , jamais encore nation ne sâĂ©tait trouvĂ©e, quelles seront les destinĂ©es de notre patrie ? Pourra-t-elle fonder un gouvernement ? Celui quâelle vient de se donnera-t-il des Ă©lĂ©ments suffisants de force et de succĂšs ? Ou bien est-elle condamnĂ©e Ă des bouleversements sans terme, tant quâelle ne se sera pas Ă©nergiquement rĂ©formĂ©e elle-mĂȘme, rĂ©formĂ©e dans ses moeurs, dans ses opinions, dans ses institutions civiles, dans ses institutions politiques , dans ses sentiments Ă lâĂ©gard de la religion comme Ă lâĂ©gard de tout le reste. LĂ est le problĂšme fondamental posĂ© Ă la France par la fortune. Nous aimons Ă le reconnaĂźtre parmi tous les orages, dans ces derniers temps, un rĂ©el miracle sâest accompli. Au milieu de toutes les concessions Ă lâesprit rĂ©volutionnaire, concessions dâhommes et de choses, dâinstitutions et de pouvoirs, de lois et de principes, des victoires ont Ă©tĂ© remportĂ©es sur le dĂ©sordre, quelques-unes grandes et signalĂ©es. Par elles , la paix publique subsiste ; par elles, une halte est faite, dont Dieu fixera la durĂ©e, sur la pente des rĂ©volutions; par elles, la Providence semble nous laisser maĂźtres encore de sauver lâordre matĂ©riel, et de lâasseoir sur des bases solides. On peut compter cinq de ces vie- CONCLUSION.. toires publiques la clĂŽture des clubs, le salut des ministres accusĂ©s, le renversement de l'association nationale , le maintien de la paix extĂ©rieure , lâissue enfin de la guerre sociale de Lyon. La premiĂšre fut lâouvrage du ministĂšre de coalition qui eut la rude tĂąche de gouverner dâabord la rĂ©volution. M. Guizot y mit sa rĂ©solution courageuse , et les gardes nationaux de la rue Montmartre leurs baĂŻonnettes câĂ©tait une bataille dĂ©cisive. Si la faction lâavait gagnĂ©e, le gouvernement rĂ©volutionnaire rĂ©gnait. La seconde est la gloire dâun ministĂšre qui a Ă©tĂ©, du reste, le dĂ©sordre mĂȘme, et dans la vie duquel on est heureux de rencontrer une bonne page. On aime Ă estimer ses adversaires, Ă louer les concitoyens que lâon combat. Ne recherchons pas si les gĂ©nĂ©reuses dispositions du premier ministĂšre nâenchaĂźnĂšrent pas le second ; si la dĂ©termination annoncĂ©e trĂšs-haut par le roi Louis-Philippe de jeter sa vie et sa couronne dans la mĂȘlĂ©e, plutĂŽt que de laisser flĂ©trir lâavĂ©nement de sa monarchie par des vindictes sanglantes , ne fit pas la rĂ©solution unanime de ses ministres et de ses lieutenants ; si mĂȘme quelques-uns ne pensĂšrent pas acquĂ©rir , par un grand service , le droit de rançonner de nouveau la couronne que la rĂ©volution avait donnĂ©e Ă trop bas prix. En prenant les faitspour ce quâils furent, on doitreconnaĂźtre quâune des belles paroles de lâhistoire est ce mot du gĂ©nĂ©- 5ç2 conclusion. val Lafayette, dans des circonstances Ă©minemment pĂ©rilleuses que sa popularitĂ© lui Ă©tait plus chĂšre que la vie , mais quâil saurait la sacrifier Ă son devoir et Ă son honneur. On doit reconnaĂźtre aussi, parmi les bonnes actions faites pour couvrir bien des torts, la vive Ă©motion de joie que tout le monde a pu voir Ă M. Laffitte, racontant tout haut, dans la salle des confĂ©rences de la Chambre des dĂ©putĂ©s, une allocution de M. le prince de Polignac, qui avait fait assez dâimpression sur lâauditoire pour promettre un retentissement favorable dans le public. Cette justice est duc Ă M. le comte de Montalivet quâil eut, toutes les fois quâil le fallait, de lâesprit et du cĆur, et il le fallut souvent. Les captifs de Ham peuvent aujourdâhui frapper lâopinion calmĂ©e, des vices dĂš forme et des nullitĂ©s lĂ©gales ou constitutionnelles qui se sont rencontrĂ©es dans leur procĂšs âą, ils ne mĂ©connaissent pas, assurĂ©ment, que ce procĂšs sauva leurs tĂȘtes. Ceux qui, dans ces terribles jours, faisaient face, le fusil sur lâĂ©paule, aux flots dâun peuple en furie, avec des compagnons de veille et de pĂ©ril qui ne diffĂ©raient de la multitude quâen voulant la mort par la loi au lieu de la vouloir contre la loi, ceux-lĂ , savent que pour arriver Ă une solution gĂ©nĂ©reuse, il fallait des prodiges de courage et dâhabiletĂ©. Ces prodiges furent faits; tout le monde fit son devoir. La garde nationale sut plier ses passions au joug de la sagesse et de la CONCLUSION. 5 9 3 loi. Cent soixante-onze pairs du royaume, guerriers, magistrats, grands seigneurs, vieillards, demeurĂšrent impassibles sur leur chaise curule, quand la tempĂȘte de juillet se reprenait Ă gronder de toutes parts sur leurs tĂȘtes. Le chef de ce grand corps M. le baron Pasquier fut habile, comme de coutume, quand lâhabiletĂ© exigeait dâabord dĂ©voĂ»ment et courage. Les dĂ©fenseurs furent admirables. 11 y en eut un... Lâappellerons-nous un dĂ©fenseur ? Comment vous dĂ©signer, vous, homme dâEtat cher Ă la France, lâhonneur de la tribune, qui accourez, malade, dĂ©bile.... tout-puissant de talent et dâĂąme, pour couvrir du bouclier de votre parole magnifique, contre la furie de tout un peuple, ce rival heureux un jour, ce rival Ă©crasĂ©, dont la courte victoire vous coĂ»ta la puissance, et nous coĂ»te une monarchie? Ces journĂ©es sont les belles pages de la rĂ©volution de 1830; la France doit ĂȘtre Ă©ternellement fiĂšre dâelle-mĂšme. Mais aussi ne faut-il pas se dissimuler que nous avons couru peu de pĂ©rils plus grands si le sang avait coulĂ© une fois, il aurait pu couler Ă flots. Car on peut dire du peuple ce que les anciens disaient des sectateurs de ce temple , oĂč on nâavait pas plutĂŽt goĂ»tĂ© aux entrailles des victimes humaines, quâon Ă©tait changĂ© en loup dĂ©vorant. La troisiĂšme victoire a Ă©tĂ© lâouvrage du ministĂšre du 13 mars. Il sâagissait de savoir si le parti 38 CONCLUSION. 594 rĂ©volutionnaire, non content de ses trophĂ©es de la semaine de fĂ©vrier 1831, aurait son gouvernement, son trĂ©sor, sa police, son armĂ©e, ses land- wers, Ă cĂŽtĂ© et bientĂŽt au-dessus du gouvernement public. M. Casimir PĂ©rier a voulu, il a voulu avec toute la dignitĂ© de son caractĂšre et de son auto- ritĂ© l 'association nationale , qui Ă©tait, sous une autre forme, la rĂ©publique de lâHĂŽtel-de-Ville, a disparu pour cette fois sous le ridicule. Il faut que sa caisse ait pĂ©ri avec elle, car on ne sait ce quâest devenu le sou par semaine qui Ă©tait imposĂ© aux associĂ©s. Les ministres des finances de ce gouvernement souterrain ne rendent pas de comptes. La quatriĂšme Ă©tait la plus pressante. Une politique furibonde et insensĂ©e demandait la guerre pour la guerre, et encore elle mentait elle voulait la guerre pour avoir lâanarchie. Il Ă©tait difficile quâelle obtint gain de cause dans les conseils dâun roi. Aussi les trois ministĂšres de la rĂ©volution ont- ils unanimement dĂ©sirĂ© la paix. Mais le ministĂšre actuel a eu la gloire de la vouloir et de lâavouer, de repousser la propagande rĂ©volutionnaire et de la flĂ©trir, de rester dans le droit des gens et de dire pourquoi. Il ne sâagit pas de savoir si ou approuve exactement tout ce qui a Ă©tĂ© dit et fait. Notre cĆur français aurait voulu que de toutes les grandes complications qui se sont multipliĂ©es autour de nous, sortissent des Ă©vĂ©nements plus favorables Ă la splendeur de la France. Peut- CONCLUSION. %5 ĂȘtre cette gloire nous aurait-elle Ă©tĂ© rĂ©servĂ©e au dehors, si nous avions eu au dedans moins de passions et de pĂ©rils. Mais quâon fasse la part des difficultĂ©s, quâon mesure la grandeur des obstacles que crĂ©aient Ă notre politique toutes ces vocifĂ©rations indiscrĂštes, irritantes, perfides, criminelles; on verra le service immense qui a Ă©tĂ© rendu Ă la France et au monde par les maux quâon a Ă©vitĂ©s en Ă©vitant une guerre sauvage, et par le bien quâon a fait en proclamant les maximes sur lesquelles la sociĂ©tĂ© universelle des nations repose. Rendons grĂące Ă qui de droit de rĂ©sultats si grands. La guerre , telle que le monde nous lâeĂ»t faite, devait nous livrer Ă la merci de la politique rĂ©volutionnaire; car elle se retranche derriĂšre toutes les perturbations. Nous ne pouvions en effet nous dĂ©fendre contre lâEurope que par lâincendie, et la premiĂšre condition Ă©tait de nous laisser nous-mĂȘme dĂ©vorer. Reste enfin la conclusion prompte et heureuse de la catastrophe de Lyon , comme de toutes ces rĂ©bellions renaissantes qui, menaçant toujours de jeter lâEtat et la sociĂ©tĂ© dans la confusion , nâont pas empĂȘchĂ© les esprits de se rasseoir et la sĂ©curitĂ© de renaĂźtre. Reconnaissons que lâhonneur de la victoire de lâordre, Ă Lyon et partout, appartient Ă notre civilisation, qui, attaquĂ©e de toutes parts, se dĂ©fend par sa propre vertu, et rĂ©siste, comme ces places envahies qui se referment sur les assail- 5c6 CONCLUSION. lants et les accablent. Cette pensĂ©e est un motif dâespoir. Elle prouve quâil y a en nous des moyens de salut; tous les gens de bien doivent se dĂ©vouer Ă les mettre en Ćuvre. Mais la grandeur de la brĂšche atteste la grandeur de nos pĂ©rils. Les victoires remportĂ©es sont de celles dont il faut sâapplaudir , en sachant quâelles ressemblent aux victoires de Pyrrhus. Si elles devaient se renouveler, trĂšs-probablement lâĂtat et la sociĂ©tĂ© y pĂ©riraient. On a vu Ă Grenoble, Ă Lyon, partout, deux choses dont il faut se bien rendre compte câest, dâune part, la faiblesse de nos institutions politiques et sociales, que le moindre incident perce Ă jour, qui semblent incapables de se dĂ©fendre contre un premier choc si ces premiers coups de main de lâanarchie nâont fait que tout Ă©branler, câest quâils ont eu lieu uniquement Ă Perpignan, Ă Grenoble, Ă Lyon. Le jour oĂč les victoires du dĂ©sordre Ă©clateraient Ă Paris, comme dit M. Cabet, tout serait brisĂ©. Dâautre part, a Ă©clatĂ© lâimpuissance du dĂ©sordre Ă rien fonder, que disons-nous, Ă saisir mĂȘme le gouvernail, Ă nous rĂ©gir, Ă se rĂ©gir lui-mĂȘme, et enfin Ă oser. Ce double point de vue marque le caractĂšre exact du temps oĂč nous sommes ; il indique la tĂąche prĂ©cise que la politique doit se proposer. En effet, il est manifeste que la sĂ©curitĂ© renaissante manque de garanties, quâelle nâa point les conclusion. 097 Ă©lĂ©ments essentiels de stabilitĂ© quâexigent le repos et la prospĂ©ritĂ© dâun grand empire. 11 nâest pas moins Ă©vident que lâanarchie des institutions et des esprits reste notre plus pressant pĂ©ril. Lâanarchie des rues est provisoirement domptĂ©e; le torrent rentre peu Ă peu dans son lit ; avec le raffermissement de lâautoritĂ© publique, et lâappui assurĂ© de la paix du monde, il y a dans la situation un point dâarrĂȘt marquĂ© ; on peut prĂ©dire Ă coup sur pour le moment , que nous ne ferons point, du moins par lâintervention de la force brutale, des pas de plus dans la voie rĂ©volutionnaire. Enfin nous ferons une halte, avant de toucher le fond du gouffre qui sâentrouvait sous nos pas. DĂšs-lors, nous devons dĂ©sormais remonter vers lâordre par de pacifiques degrĂ©s ; car les biens sâengendrent, et dâordre naĂźt de lâordre, comme lâanarchie de lâ bien nous serions condamnĂ©s du Ciel ! Nous sommes perdus, si la dĂ©faite des sĂ©ditions armĂ©es ne prĂ©pare pas la chute de cette sĂ©dition morale contre Dieu, lâautoritĂ©, les supĂ©rioritĂ©s naturelles et les influences lĂ©gitimes, qui a trop longtemps dominĂ© les pouvoirs et les lois. Si donc aujourdâhui lâanarchie nâa plus la chance de conquĂ©rir la France, dâun jour Ă lâautre, dans les carrefours, câest dans les arĂšnes Ă©lectorales, dans lâarĂšne parlementaire, dans celle de la presse, dans les directions du pouvoir, que 5c8 CONCLUSION. doit ĂȘtre complĂ©tĂ©e sa dĂ©faite. Or, lĂ prĂ©cisĂ©ment est notre faiblesse. Pour la premiĂšre fois, le pou- voir, ce pasteur et ce pontife - roi des nations, apparaĂźt au monde, ayant contre lui lâaristocratie territoriale sans avoir avec lui les masses ; ayant en dehors de lui, une part considĂ©rable des influences actives, des notabilitĂ©s sĂ©culaires, des talents et des renommĂ©es illustres, sans sâappuyer sur les forces vives; ayant loin de lui, le sentiment religieux, les croyances antiques et leurs ministres, sans que pour cela lâĂ©cume des nations Ă laquelle seule cet Ă©tat de choses peut complaire, dorme calmĂ©e Ă ses pieds. Pour la premiĂšre fois, un gouvernement Ă pouvoirs Ă©lectifs et Ă presse libre, prĂ©tend vivre et fleurir avec lâhostilitĂ© ouverte, et presque dĂ©sirĂ©e, dâune partie notable du public Ă©clairĂ©, lettrĂ©, agissant, influent; et câest la partie de ce public qui possĂšde au plus haut degrĂ© lâesprit de gouvernement, le culte de la monarchie, le dĂ©pĂŽt des traditions, les loisirs nĂ©cessaires Ă la conduite des affaires, lâindĂ©pendance de situation et de fortune plus nĂ©cessaire encore, enfin tout ce quâil faut pour avoir un rĂŽle considĂ©rable, tout ce qui rend impossible de nâen avoir aucun, malfaisant et destructeur, si ce nâest utile et salutaire. Les questions posĂ©es sont celle-ci La royautĂ© de 1830, avec son origine, son esprit propre, celui de ses princes, a-t-elle en elle-mĂȘme ce quâil CONCLUSION. %9 faut pour mettre un terme Ă cette situation, ou pour y supplĂ©er? Pourra-t-elle Ă©largir ses bases, ou sâaffermir sur la base restreinte que les Ă©vĂ©nements lui ont donnĂ©e ? Ayant hors du cercle de son action , les autels , les chĂąteaux , quelquefois les chaumiĂšres, saura-t-elle ressaisir ces points dâappui naturels de tout ce quâil y a eu de gouvernements dans le monde, sans aliĂ©ner de soi les forces qui lâont inaugurĂ©e ; ou bien ces forces suffiront-elles Ă lui rendre possible sa tĂąche dâordre et de libertĂ©, par le concours rĂ©solu dâun corps Ă©lectoral dĂ©vouĂ© au trĂŽne nouveau et puissant sui- le pays ? Cette question revient Ă celle-ci la classe moyenne suffira-t-elle toujours Ă cette mission ? Lâadministration, qui est son unique lien, aura-t- elle la puissance de la tenir unie pour faire face Ă des pĂ©rils qui lâassiĂ©geront au-dessus, Ă cĂŽtĂ©, au-dessous dâelle ? Dans un pays tel que le nĂŽtre, toujours sĂ©vĂšre pour les pouvoirs qui ne sont pas absolus et redoutĂ©s, cette classe active, mĂȘme en restant unie, sera-t-elle toujours plus forte que tout ce quâelle prĂ©tend combattre et gouverner ? Enfin, eĂ»t-elle les forces que ce rĂŽle exige, aura-t-elle, comme lâaristocratie anglaise, le gĂ©nie, la passion , la persĂ©vĂ©rance qui y sont indispensables ? PrĂȘtera-t-elle main-forte au pouvoir partout et toujours, dans le jury, dans les Ă©lections, dans les conseils locaux, dans les assemblĂ©es na- 6oo CONCLUSION. tionales, dans la presse, dans le monde, dans le barreau, sur la place publique enfin, les armes Ă la main? Et cela sera nĂ©cessaire tous les jours, en tous lieux, en tous temps. On a vu quâune dĂ©faillance Ă Lyon ou Grenoble est la guerre civile. Ailleurs, ce peut ĂȘtre une rĂ©volution. VoilĂ les questions posĂ©es par la fortune. A notre avis, il nây a quâune alternative et quâune solution les rĂ©volutions en effet, les rĂ©volutions sans terme, Ă la maniĂšre des rĂ©publiques espagnoles, ou bien la rĂ©conciliation active, le concours sincĂšre, dĂ©vouĂ©, incessant de toutes les forces conservatrices que la sociĂ©tĂ© porte dans son sein. Nous disons la rĂ©conciliation des forces; car celle des personnes ne suffirait pas; câest celle des idĂ©es qui importe. Celle-lĂ seule, si jamais elle sâaccomplissait, serait solide et dĂ©cisive. 11 faut que le dĂ©chirement produit dâune part par les systĂšmes et les luttes de la restauration , de lâautre par les entraĂźnements et les passions de 1830, se terminent. Il faut que lâancien parti royaliste et celui des royalistes nouveaux , lesquels, frappant tĂ©moignage de lâinconsistance de nos idĂ©es et de la faiblesse de nos crĂ©ations, nâacceptent pas ce nom, tout en voulant la chose, en la voulant tant bien que mal, abjurent, Ă Paris, dans les provinces, partout, les prĂ©jugĂ©s contraires, les inimitiĂ©s, les envies rĂ©ciproques qui les divisent. Il le faut car aucun des deux partis, aucune des COfĂźCMJSION. 601 deux classes ne peut, au milieu de nos incessantes tempĂȘtes, seule tenir en main le gouvernail contre le grĂ© du reste de la nation. Les royalistes de 1814 viennent dâen faire lâĂ©preuve. Lâautre Ă©preuve commence; elle est dĂ©jĂ laborieuse ; elle le sera de plus en plus. Il nây a donc quâune ressource le rapprochement, lâunion , le bon accord ; les sacrifices communs dâopinion et de passion. Que les uns soient moins absolus et moins exclusifs; que les autres soient plus monarchiques , plus religieux, moins dĂ©mocratiques , moins ombrageux, moins partiaux. Les intĂ©rĂȘts rĂ©els et lĂ©gitimes sont identiques. Il nây a de divers que les prĂ©tentions. La propriĂ©tĂ©, la prospĂ©ritĂ©, la sĂ©curitĂ©, la libertĂ© , sont des biens communs Ă tous les ^Français. Ils existent aux mĂȘmes conditions pour tous , et il faut bien le savoir , la premiĂšre fois que la tempĂȘte sera dĂ©chaĂźnĂ©e, elle sĂ©vira contre tous en mĂȘme temps. Les comptoirs ne seront pas mieux traitĂ©s que les chĂąteaux. On nie quâil y ait encore une aristocratie parmi nous; les rĂ©volutionnaires sauront bien en trouver deux la bourgeoisie, si on en juge par leurs livres prĂ©sents, sera la premiĂšre quâils introniseront dans leurs proscriptions, ce qui nâempĂȘchera pas lâautre dâavoir son tour. Toutes les deux sont coupables des mĂȘmes crimes elles possĂšdent, elles ont des lumiĂšres; elles veulent lâordre. Pourquoi la communautĂ© inĂ©vitable de destinĂ©e dans 002 CONCLUSION. le danger ne peut-elle pas ĂȘtre un lien dans le calme et servir Ă former dâavance un seul faisceau ! La maxime tout ou rien, est toujours condamnĂ©e par le bon sens. En politique , elle lâest de plus par la justice. Aussi lâest-elle toujours dans lâhistoire par la Providence. Que ce soit la classe moyenne qui sây attache, câest-Ă -dire le parti dominant, ou bien lâancien parti royaliste, lâaristocratie dĂ©possĂ©dĂ©e, elle ne prĂ©parera Ă tous que de stĂ©riles regrets et un tardif repentir. En effet, lâesprit rĂ©volutionnaire nâaurait Ă©videmment quâun seul moyen de tirer parti des tempĂȘtes quâil rĂ©ussirait Ă soulever ce serait de renverser lâordre social que la rĂ©volution de 1 789 a laissĂ© aprĂšs soi. Tout le monde conçoit quâappeler les masses, une fois quâelles sont agitĂ©es, effervescentes et armĂ©es, au pillage des richesses publiques et privĂ©es, soit une maniĂšre de les dominer. Malheureusement, dans les temps calmes, quand les destinĂ©es publiques se dĂ©battent pacifiquement au-dessus de la multitude , quand lâanarchie serait obligĂ©e de plaider sa cause devant une nation laborieuse, paisible, propriĂ©taire, on se confie dans la puissance de la raison et de la justice. On a tort. Si la puissance des institutions et lâesprit mĂȘme de la sociĂ©tĂ© ne leur servent de boulevards, la raison et la justice elles-mĂȘmes flĂ©chiront Ă la longue, par la corruption des institutions et de la sociĂ©tĂ©, sous le joug de la force. CONCLUSION. 6o3 Certes, si la raison et la justice, ces divinitĂ©s protectrices des peuples fermes et sages, dĂ©cidaient seules des choses humaines, la sociĂ©tĂ© française , dans ce conflit avec les mauvaises passions , serait fondĂ©e mille fois Ă persister dans sa sĂ©curitĂ©. Lâordre social que la rĂ©volution nous a laissĂ©, nâest-il pas le plus propice au grand nombre qui se soit vu dans lâunivers ? Le droit seul le domine; lâĂ©galitĂ© y rĂšgne; cette Ă©galitĂ© sincĂšre et fĂ©conde y fait de tous les biens de la civilisation une loterie entre tous les hommes ; le travail, lâhonneur, le talent, y sont toujours sĂ»rs du gain. Que demandera-t-on dĂ©plus pour les masses? La domination et la propriĂ©tĂ©; car il nây a rien de plus. Câest forcĂ©ment sur ces deux points que portera tout lâeffort public ou occulte des factions. La domination, le pouvoir public ? Qui lâoserait? Elles nâaccepteraient pas ce funeste prĂ©sent. Lyon nous a fait voir que cpiand il leur est Ă©chu en chĂątiment de leur rĂ©volte, elles ne savent dĂ©sirer pour toute amnistie cpiâune seule grĂące, celle dâĂȘtre gouvernĂ©es. Reste la propriĂ©tĂ© câest une bien autre sĂ©duction. Mais elles peuvent obtenir la propriĂ©tĂ© par lâordre et le travail ! On voudra la leur faire acquĂ©rir parla force. Ce nâest rien de nouveau câest la loi agraire, mais universelle, furieuse, insensĂ©e, accusant bruyamment le dĂ©lire de ceux qui feront ce rĂȘve exĂ©crable. CONCLUSION. Go4 Quâest-ce quâattaquer la propriĂ©tĂ© dans un pays constituĂ© sur lâĂ©galitĂ© des partages ? câest non pas la rĂ©partir dâune façon nouvelle, mais lâabolir. Car, * ferez-vous des lots Ă©gaux entre tous ? aussitĂŽt le hasard des naissances, le mouvement de la population aura tout changĂ©. Il nâest pas de combinaison qui vous fasse Ă©chapper pour le lendemain Ă cette nĂ©cessitĂ© de compter encore des riches et des pauvres, de recommencer toujours ce tirage au sort du sol entier de la patrie. En dehors de lâordre social sur lequel tout repose aujourdâhui, il nây a donc que le saint-simonisme ou le babouvisme ; et, la propriĂ©tĂ© anĂ©antie , ce nâest pas seulement lâesprit de conservation qui sâĂ©vanouit; lâesprit de progrĂšs Ă©teint son flambeau; le travail cesse; la civilisation, la justice, Dieu mĂȘme se retire du milieu des hommes. Au sein de lâunivers sauvage et dĂ©sert, crĂ©ature dĂ©chue, lâhomme se sent orphelin. En dâautres termes, la rĂ©volution de 1789 est achevĂ©e; la pousser plus loin ne se peut. Plus loin, il nây a que des abĂźmes sans fond et sans retour. Câest Ă ces abĂźmes que lâesprit rĂ©volutionnaire nous pousse. La France y veut-elle aller ? Si elle ne le veut pas , ce nâest pas trop du concours de tous les hommes et de toutes les idĂ©es dâordre pour en prĂ©server lâavenir. Car, en terminant ce livre, on est obligĂ© de le redire. La rĂ©volution de 1830 nous a fait faire CONCLUSION. 6o5 dans la voie du bouleversement social des pas formidables. On parle dâaller plus loin. Plus loin, il nây a que lâanarchie, la subversion, le bas- empire, la ruinejpar nous-mĂȘmes ou peut-ĂȘtre par lâĂ©tranger. Non! non ! Il nâest plus cpiâune Ćuvre possible; mais celle-lĂ est lĂ©gitime, elle est nĂ©cessaire câest une rĂ©action contre les impossibilitĂ©s de la rĂ©volution prĂ©sente. La rĂ©volution de 1789 a voulu de plein saut, sans transition, en un jour, per fus et nef as, proclamer et accomplir lâĂ©galitĂ© civile, lâĂ©galitĂ© des hommes, des frĂšres, des citoyens, des classes; elle lâa fait au prix dâune gĂ©nĂ©ration dĂ©cimĂ©e. Elle lâa fait par la force dâabord, plus tard par le crime , et de lĂ vient qu'elle a Ă©tĂ© tout dâabord emportĂ©e au-delĂ de la carriĂšre quâelle entendait fournir, pour se voir ramenĂ©e dans de plus sages limites par une main et une intelligence puissantes. Aujourdâhui, de lâĂ©galitĂ© de droit, nous voulons conclure lâĂ©galitĂ© de fait; de lâĂ©galitĂ© civile, lâĂ©galitĂ© politique; du droit de chacun Ă la puissance, dans la mesure de ses droits et de ses lumiĂšres, lâappel dâuue seule classe Ă la puissance. AprĂšs lâabolition Ă perpĂ©tuitĂ© du vieux principe nobiliaire qui reposait sur lâimmobilisation des fortunes, des rangs et des honneurs, nous avons entendu Ă©tablir la mise Ă nĂ©ant du principe social rĂ©duit Ă ses prĂ©rogatives lĂ©gitimes, câest-Ă -dire au simple droit des lumiĂšres, des illus- 6o6 CONCLUSION. trations, des services, de tout ce qui est lâaliment des progrĂšs de la civilisation, de tout ce qui fait la nature, le besoin, la gloire de l'humanitĂ©. Câest ainsi encore quâaprĂšs le renversement irrĂ©vocable de la royautĂ© absolue, nous entendons prononcer lâabolition de toutes les pompes, de tous les privilĂšges de la royautĂ©. HĂ©las, aprĂšs la chute du systĂšme universel de la domination de lâEtat en fait de croyances, nâentendons-nous pas fonder, non point la libertĂ© des croyances, mais leur destruction et lâabandon de cette ancre tutĂ©laire qui rattache la sociĂ©tĂ© Ă son auteur, les lois humaines Ă la loi divine, la terre au ciel ! Tout cela est insensĂ© ; tout cela appelle les mĂ©diations des gens de bien ; tout cela demande un sĂ©rieux retour de la France sur elle-mĂȘme. Il sâaccomplira, fĂ»t-ce au prix des plus douloureuses expĂ©riences ; fĂ»t-ce au prix de dix rĂ©volutions ou câen serait fait, non pas seulement de lâordre, non pas seulement de la libertĂ©, mais de la France mĂȘme. Maintenant, par quels instruments, cette heureuse rĂ©sipiscence de lâesprit public et de toutes les tendances de nos lois sâaccomplira-t-elle ? Des hommes dâordre Ă©minents, dans leurs alarmes, des autoritĂ©s imposantes entre toutes, se rattachent chaque jour davantage Ă la classe moyenne comme Ă la planche de salut. Nous persistons Ă penser que, seule, elle nâest point de force Ă corccLUSicm. 607 soutenir lâĂ©difice qui doit comprendre tous les Français et s'appuyer sur tous. Nous nâhĂ©sitons pas Ă le lui dire Ă elle - mĂȘme pour le salut de lâavenir. Le flot, en bouillonnant, sâĂ©lĂšverait sans effort jusquâĂ elle pour lâentraĂźner elle-mĂȘme ou la dĂ©border. Ce livre nâa pas dâautre but que dâannoncer ce rĂ©sultat et de le conjurer. Pour le prĂ©venir, nous ne consentons pas Ă fixer notre champ de bataille sur cette pente rapide. Nous voudrions planter notre tente oĂč nous voyons la justice et la vĂ©ritĂ©. Ayons foi Ă ces gĂ©nies protecteurs du genre humain, et ne craignons pas, quels que soient les temps, de combattre Ă leur ombre. Tel de leurs champions peut ĂȘtre vaincu, mais eux en dĂ©finitive, ils ne le seront pas. Voyez si depuis vingt mois la classe moyenne, qui rĂšgne sans partage, a pu nous gouverner, a pu mĂȘme se dĂ©fendre. Les attaques incessantes Ă la propriĂ©tĂ© aussi bien quâĂ tous les intĂ©rĂȘts, Ă toutes les doctrines et Ă tous les sentiments qui constituent lâordre social, attestent deux choses Dâabord le facile entraĂźnement des passions mauvaises Ă se faire une arme des conquĂȘtes lĂ©gitimes pour en poursuivre dâiniques et de coupables ; Ensuite, la nĂ©cessitĂ© oĂč nous sommes de retrouver, au sein de notre Ă©galitĂ© dĂ©mocratique, des contre-poids qui rendent lâĂ©tat social inĂ©branlable Ă tous les assauts. 6o8 CONCLUSION. Lâentreprise nâest point surhumaine. Une fois, ces contre-poids nous ont Ă©tĂ© offerts , mais offerts moins le premier des biens, moins la libertĂ©. Discernant, avec son regard d'aigle, ce qui devait ĂȘtre ressaisi dans le naufrage du passĂ© pour donner Ă ce peuple innombrable un lien commun, une assiette solide , NapolĂ©on fit refleurir les maximes sans lesquelles il nây a rien de stable chez les hommes; il les fit refleurir, appropriĂ©es Ă notre sol nouveau. Ce quâil a fait, par le despotisme, nous avons Ă le faire par la libertĂ©, par la discussion , par le travail des esprits. La mission est plus difficile; elle est plus grande; puisse-t-elle ne passer ni le courage de nos hommes dâEtat prĂ©sents et Ă venir, ni la fortune de la France? Que fit NapolĂ©on ? U inaugura toute cette restauration sociale qui a fait sa grandeur, qui a fait sa popularitĂ© immense et profonde, en plaçant Dieu au faĂźte de lâordre reconstruit, en sâhonorant dâunir les pompes de la religion Ă celles de sa couronne, en osant avouer pour son sceptre et son Ă©pĂ©e le concours de la croix Ă©vangĂ©lique qui calme les passions des hommes, facilite et anno- blit leur obĂ©issance, donne au pouvoir son caractĂšre moral, auguste et sacrĂ©. Cependant, il nâavait pas affaire seulement, comme nous, Ă des esprits forts de collĂšge et dâarriĂšre-boutique que les Ă©ditions - Touquet de Voltaire et de Rousseau ont CONCLUSION. 609 formĂ©s, mais Ă des esprits et Ă des coeurs robustes que toute la philosophie du xvm e siĂšcle avait imprĂ©gnĂ©s et trempĂ©s, qui avaient hardiment combattu et Ă©crasĂ© XinfĂąme, qui nâavaient pas reculĂ© devant le sang des prĂȘtres plus que devant celui des rois; qui enfin avaient mis la barriĂšre de leurs fureurs entre eux et les autels, comme entre eux et la royautĂ© ! Il ne sâen inquiĂ©ta pas. Il courba ces hommes dâairain sous les bĂ©nĂ©dictions du vicaire de JĂ©sus-Christ. Il les conduisit Ă genoux sous les voĂ»tes de Notre-Dame. Il leur fit promener dans les rues de Paris la croix et la mule papales, tandis que notre gouvernement constitutionnel se voit contraint par la rĂ©volution Ă glorifier ses morts avec les choeurs de lâOpĂ©ra pour tout cortĂšge, et Ă cacher Dieu dans lâombre des sanctuaires, sans aller lui-mĂȘme lây honorer. VoilĂ pour le ciel. Sur la terre, NapolĂ©on prit la propriĂ©tĂ© pour la hase de son gouvernement. Elle est le point dâappui nĂ©cessaire des trĂŽnes; elle est le point dâappui, plus nĂ©cessaire encore, des institutions libres. Ă la propriĂ©tĂ©, il joignit hardiment ces autres pierres fondamentales de lâĂ©difice social le respect des traditions, le culte du passĂ©, qui font des gĂ©nĂ©rations Ă©coulĂ©es les gardiennes perpĂ©tuelles des gĂ©nĂ©rations prĂ©sentes ; le respect des noms et des souvenirs, sentiment populaire que le xvm e siĂšcle essaya de nier ou de dĂ©truire, que la 39 6io CONCLUSION. nature humaine maintiendra en dĂ©pit des folles thĂ©ories, parce que les noms sont aux yeux des hommes une gloire, une force et souvent un droit ; lâesprit de famille, et, avec ce levier puissant, un autre levier plus puissant encore, le droit de fonder une famille, droit auguste et sacrĂ©, qui satisfait les plus intimes besoins de lâĂąme humaine, Ă©pure les ambitions tout en les Ă©levant, et fortifient lâun par Vautre ces deux grands intĂ©rĂȘts sociaux , le prĂ©sent et lâavenir; enfin tous les ressorts qui tiennent Ă la nature morale de lâhomme, et sont pour ses institutions des principes conservateurs plus durables que lui-mĂȘme. En consĂ©quence, NapolĂ©on associa Ă lâempire le talent et lâillustration , ces gĂ©nies tutĂ©laires qui veillent Ă la garde des Ătats, un flambeau Ă la main. Il sut mener de front la sollicitude pour les supĂ©rioritĂ©s lĂ©gitimes avec ce mouvement ascendant, qui est lâhonneur, le besoin des temps prĂ©sents, et qui a créé le souvenir profond que le peuple garde de sa mĂ©moire. Sachons faire comme lui ! Le talent et la gloire appartiennent Ă moins de titres au despotisme quâĂ la libertĂ© ; la libertĂ© aime dâune Ă©gale passion et les renommĂ©es nouvelles, et les gloires antiques, tĂ©moin Rome et lâAngleterre. On peut faire avec tous les Français des soldats et mĂȘme des hĂ©ros. Il faut la grandeur des traditions et des exemples, les Ă©tudes de lâenfance et CONCLUSION. 6 I I de la jeunesse, lâapprentissage souvent des gĂ©nĂ©rations successives , pour donnera un grand peuple tout ce quâil doit consommer, Ă lâĂ©tat libre, de Pitts et de Foxs. NapolĂ©on joignit la pratique aux maximes. Il ne connut plus de bleus et de VendĂ©ens. Câest Ă Sainte-HĂ©lĂšne quâil en retrouva. Aux Tuileries, il nâen connaissait point. Dans ses conseils, dans ses tribunaux, dans ses armĂ©es, dans sa cour, il rapprocha , confondit, ressuscita les deux Frances. Toute sa politique consista dans ce mot de place de la Concorde substituĂ© Ă celui de place de la RĂ©volution, en disant que sa vraie gloire Ă©tait dâavoir rĂ©tabli la concorde entre les Français, et que tant quâelle subsisterait, nous serions le grand peuple. Ce quâil ne disait pas, câest quâil nâĂ©tait donnĂ© Ă son pouvoir glorieux, mais prĂ©caire, de fonder et de maintenir la concorde quâĂ lâaide de deux ministres terribles, lâesprit de conquĂȘte et le pouvoir despotique qui devaient tout perdre. La Charte de 1814 vint qui institua la conciliation des intĂ©rĂȘts etjdes esprits sur sa base rĂ©guliĂšre et lĂ©gitime, câest-Ă -dire sur le droit partout, dans la nation, par la libertĂ© publique, comme sur le trĂŽne par le retour au service des rois. Maintenant, elle est rompue. Elle a Ă©tĂ© violemment rompue par la rĂ©volution de 1830, plus violemment peut-ĂȘtre par la maniĂšre dont cette rĂ©volution, depuis quâelle est accomplie , a Ă©tĂ© comprise et dirigĂ©e. CONCLUSION. GI -2 Il faut la rĂ©tablir. Si le gouvernement de 1830 Ă©tait incapable de se proposer cette tĂąche ou de la rĂ©aliser, il pĂ©rirait Ă la peine ; car la stabilitĂ© de lâordre constitutionnel, de lâautoritĂ© royale et du repos public sont Ă ce prix. Nous savons bien la rĂ©ponse qui nous attend. NapolĂ©on , dont nous invoquons les exemples, pouvait tout! Français, nous ne serons dignes et capables dâinstitutions libres , que quand le bon sens pourra parmi nous tout ce quâa pu le pouvoir absolu. Nous serons sauvĂ©s quand lâesprit de NapolĂ©on au dedans sera lâesprit de la France. Nous nâavons par malheur que son esprit au dehors, deux raisons pour courir Ă notre ruine. Mais, sachons-le bien nos prĂ©jugĂ©s, nos haines dĂ©mocratiques passeront sous lâĂ©preuve des sĂ©vĂ©ritĂ©s du ciel, si ce nâest pas sous lâaction rĂ©paratrice des bonnes pensĂ©es du pays et des bons exemples du pouvoir. Car il faut que nous cessions de dĂ©molir, que nous veuillons enfin le otiurn cum dignitate nĂ©cessaire aussi aux nations ; pour cela, que nous revenions Ă lâĂ©quitĂ©, Ă lâautoritĂ©, au respect, Ă la foi. LâĂ©difice que nous Ă©tablirons, alors, sera plus fort que celui de NapolĂ©on ; car la place quâoccupait la force sera remplie par la justice et par la libertĂ©. La concorde alors sera rĂ©elle et stable car elle naĂźtra, non de la contrainte, mais de lâunion; de lâĂ©gale satisfaction de tous les intĂ©rĂȘts et de tous les droits, non de leur Ă©gale CONCLUSION. G I 3 servitude. Alors seulement, il sera manifeste que les rĂ©volutions de la France sont finies. Loin de nous de dĂ©sespĂ©rer de notre pays! Ce quâil a fait une fois par le bras dâun homme, il lĂ© fera quand lâheure sera venue, par la raison et la volontĂ© de tous. En traçant le tableau que nous prĂ©sentons Ă nos concitoyens ivres de fausse Ă©galitĂ©, de fausse libertĂ© , de fausse et mauvaise philosophie, ce qui est une ivresse comme une autre, mais plus fatale, nous avons voulu appeler de leurs passions Ă leur sagesse; leur faire voir quel torrent les pousse ; leur signaler lâabĂźme oĂč le courant les entraĂźne. Nous demandons Ă notre patrie de mĂ©diter sur ce qui a Ă©tĂ© fait depuis vingt mois ; de peser tous les principes dâordre qui ont Ă©tĂ© mĂ©connus; et on ne peut croire que la conscience nationale nâeti soit point frappĂ©e tĂŽt ou tard, quand on voit, dans le nombre de ces principes, ce quâil y a de plus français au monde lâattachement, Ă la foi civilisatrice qui a fondĂ© la France; la place rĂ©clamĂ©e, au foyer de la patrie , pour les supĂ©rioritĂ©s, filles du mĂ©rite, filles du travail, filles des services, filles du gĂ©nie ; les droits de la propriĂ©tĂ©; ceux des lumiĂšres, ceux de la gloire, et par-dessus tout ce besoin de rapprochement et dâunion entre tous les enfants de la grande famille française, que le sentiment des dangers publics, intĂ©rieurs tout ensemble et extĂ©rieurs , doit nourrir ou rĂ©veiller au cĆur de quiconque aime et honore la France. conclusion. 61 4 II y a longues annĂ©es, vers nos vingt ans, au lendemain des grandes adversitĂ©s de cette France bien aimĂ©e, quand la douleur nous instruisit Ă dire tout haut notre pensĂ©e, quand nous dĂ©fendions contre les coups de lâinvasion Ă©trangĂšre ou des rĂ©actions domestiques nos drapeaux insultĂ©s, la gloire nationale mĂ©connue, lâindĂ©pendance du pays compromise, nous plaçùmes notre pĂ©rilleux Ă©crit sous la protection dâune devise des vieux siĂšcles qui nous est chĂšre. Car elle comprend lâexact et touchant rĂ©sumĂ© de la tĂąche assignĂ©e , dans cette vie, Ă quiconque met au-dessus de tous les biens lâestime des hommes, et au- dessus de celui-lĂ sa propre estime. CâĂ©tait y ĂȘtre fidĂšle ,J que de plaider, pendant le cours entier de la restauration, contre un pouvoir aimĂ© et respectĂ©, la cause des seules maximes qui pussent lâaffermir; et on peut le dire aujourdâhui câĂ©tait un devoir douloureux que nous accomplissions. Nous lâaccomplissions, au pĂ©ril dâinjustices qui nous Ă©taient une affliction de chaque jour. Ce pouvoir est tombĂ© sous le poids des rĂ©sultats que nous avions redoutĂ©s. Nous voyons maintenant profaner les dieux de nos jeunes annĂ©es, la libertĂ© , la publicitĂ©, le systĂšme reprĂ©sentatif, le rĂšgne des lois ; nous voyons le dĂ©sordre frapper Ă toutes les portes , et envahir la sociĂ©tĂ© française par toutes les avenues. Depuis vingt mois, les pouvoirs nouveaux, que nous nâavons CONCLUSION. 615 pas faits, que nous avons acceptĂ©s comme des planches de salut, et que nous servirons loyalement dans le sens de nos maximes, nâont encore su faire que des ruines. Nous disons les fautes commises, les engagements mĂ©connus, les grands principes violĂ©s, la route Ă prendre, si on veut lâordre, et quâon ait foi Ă la libertĂ©. Nous dĂ©ployons enfin la vĂ©ritĂ© tout entiĂšre , telle quâelle nous apparaĂźt, aux regards de notre pays, comme nous avons fait, quinze ans, Ă ceux des rois* La seule diffĂ©rence est que maintenant il ne nous faut plus dâefforts ; nous sommes aguerri Ă la devise Fais ce que dois , advienne que pourba ! FIN. y, L'.;âą, . ' hv* Ăż.^'.i, g^rni' j a{h! - ;i->'I ' âą. t$4ĂčWâ J i*n ^ '> ĂšS''. 'v^.C' ' ' â ' â ĂŻfef,-. Wf, Mr JT mĂŻ' a tĂ©s-K Pour paraĂźtre prochainement Ă la mĂȘme Librairie VIE DE NAPOLĂON, par de Salvandy, 3 vol. in-8°. HISTOIRE DE LA RĂVOLUTION DâANGLETERRE DEPUIS LâAVĂNEMENT DE CHARLES 1er JUSQUâA SA MORT, par M, Guizot, 4e Ă©dit, prĂ©cĂ©dĂ©e dâun discours sur lâHistoire de la RĂ©volution dâAngleterre , 2 beaux volumes in-8. Prix. POURQUOI LA RĂVOLUTION DâANGLETERRE A- T-ELLE RĂUSSI? Discours sur lâHistoire de la RĂ©volution dâAngleterre, par M. Guizot, 1 volume in-S». Prix... En vente QUESTIONS CONSTITUTIONNELLES, par M. ou Barante , 1 vol. in-8o. LE RĂGNE ANIMAL DE CUVIER, nouvelle Ă©dition publiĂ©e en 262 livraisons et accompagnĂ©e de 1,000 planches reprĂ©sentant plus de 5,000 espĂšces dâanimaux, dessinĂ©es dâaprĂšs nature et gravĂ©es v en taille-douce. Prix de lâouvrage complet.,â avec les planches eu noir. avec les planches retouchĂ©es au pinceau.... 1 DE LA DĂMOCRATIE EN FRANCE, par M. Guizot Janvier 1849, 1 vol. in-8°. Eyreux, lmp. de A. UkrissĂŻy. Buchbinderei = 2ĂRICH = '. * ' &*-, _ V 1 *, mâ , /r S»! tĂźjĂ !;^ I .^ â 1 "'. s *-âąâ'! â' 1 ^-'^._< ^ l_-S ~ â'ÂŁ*»*r '**' . v*' ,c '*^ "* ~ ^ C/
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a chaque jour suffit sa peine parole