Parolede la chanson. 1er couplet :Papa, tape maman, mon cartable, ma tristesseMon lit superposĂ©, mes p'tits frĂšres ma jeunesseOn s'accroche au RER, la vie dĂ©file Ă  toute vitesseCourir, grandir, j'me sens libre dans l'ivresseLes . Lire l'intĂ©gralitĂ© de la parole Tous les clips de Nessbeal. 00:01. Bitume expĂ©rience. 00:01. Jeune vĂ©tĂ©ran. 03:35. À chaque jour
Paroles de la chanson À chaque jour suffit sa peine par Nessbeal Docteur .. NE2S Papa tape maman, mon cartable, ma tristesse Mon lit superposĂ©, mes pe€™tits frĂšres, ma jeunesse On s'™accroche au RER, la vie dĂ©file Ă  toute vitesse Courir, grandir, j’me sens libre dans l’ivresse Les sous, des soucis, au p’tit dĂ©j' j’en mange par centaines Devant la porte les huissiers, impossible d’fuir les problĂšmes Aujourdhui j’en rigole, Ă  chaque jour suffit sa peine Mariages, enterrements, des roses, bouquets de chrysanthĂšmes La flemme, de s’rĂ©veiller, de travailler, sĂ©cher les cours Mon destin correctionnel, Dieu seul sait c'€™que j'encours Un jour prochain, y'a plus de suspens dans mon parcours Enfant tĂȘtu, j'€™peux pas stopper le compte Ă  rebours À chaque jour suffit sa peine À chaque jour suffit sa peine À chaque jour suffit sa peine À chaque jour suffit sa peine À chaque jour suffit sa peine Ça meurt pas en silence, un homme qui se noie La traversĂ©e du miroir, nos sourires, j’étais petit, j’avais peur dans le noir Nuit blanche dans ce couloir, j’marche, interminable est ce boulevard J'Ă©cris de la main gauche, dĂ©gueulasse est mon buvard Ready to die pour Ă©crire l'histoire, une dĂ©faite, un exploit À chaque jour suffit sa peine, demain j’trouve un emploi Tomber, se relever, partir, tout le monde cherche sa voie Un regard, l’amour, rentre dans ta vie sans l’savoir Ce monde un grand mensonge, on cache les apparences Un calvaire, du caviar, ça commence par une romance Triompher, regretter, pas le temps d’souffler que ça recommence A chaque jour suffit sa peine, on sera tous rois avec d'la patience À chaque jour suffit sa peine À chaque jour suffit sa peine À chaque jour suffit sa peine À chaque jour suffit sa peine À chaque jour suffit sa peine Rien ne dure dans ce monde cruel, pas mĂȘme nos souffrances À chaque jour suffit sa peine
 Tu vas tomber, t'€™relever, jamais reculer L’essentiel c’est que t’avances À chaque jour suffit sa peine
 Grosse dĂ©dicasse, tout passe, seuls les murs restent en place À chaque jour suffit sa peine
 À chaque jour suffit sa haine On trouve pas l'bonheur dans l'€™oseille À chaque jour suffit sa peine, moi j’respire Ă  peine Les keufs et les sirĂšnes m’endorment SĂ»rement Ă  Fleury ou Ă  Fresnes, le daron fait l'adhan Et moi je traĂźne seul dehors Hai-hai-haine, oh oh oh, Ă  chaque jour suffit sa peine Hai-hai-haine, oh oh oh, Ă  chaque jour suffit sa peine À chaque jour suffit sa peine Un jour tu ris, un jour tu pleures À chaque jour suffit sa peine Avancer, tomber s'relever À chaque jour suffit sa peine
 NE2S, NE2S À chaque jour suffit sa peine Remixde Isleym en Lyrics.C'est ma 1e vidĂ©o.
[Paroles de "À chaque jour..."][Refrain]Lossa n'est pas une enflure, il a juste quelques lacunesJ'vais pas t'dĂ©crocher la lune puisque t'en as dĂ©jĂ  uneQue c'lui qui veut m'faire la peau rejoigne les autres dans la filePardonne-moi j'voulais juste entrer dans toi pas dans ta vie[Couplet 1]Que vais-je faire d'tous ces ennemis qui veulent m'stopper dans ma lutte ?Jadis frĂšre, qui aujourd'hui, dans l'ombre Ɠuvre pour ma chuteJ'fais du stup', j'fais du stud', j'reçois prods, j'reçois nudesDans la salle du temps j'me bute, car dehors les temps sont rudesJ'suis un solitaire dans l’ñme, programmĂ© pour tout cramerMieux miser sur une bonne arme plutĂŽt qu'sur une bonne armĂ©eJ'pense qu'Ă  leur ĂŽter la vie pendant que le prĂȘtre prĂȘcheC'soir je ne dors pas de la nuit j'sais oĂč tous ces traĂźtres crĂšchent[Refrain]Lossa n'est pas une enflure, il a juste quelques lacunesJ'vais pas t'dĂ©crocher la lune puisque t'en as dĂ©jĂ  uneQue c'lui qui veut m'faire la peau rejoigne les autres dans la filePardonne-moi j'voulais juste entrer dans toi pas dans ta vie hehe[Pont]À chaque jour suffit sa pute hĂ©hĂ©, Ă  chaque jour suffit sa ... ehhBĂ©bĂ© j'dois faire des lovĂ©s, y a que dans le le-sa que je sais innoverJ'suis pas venu dĂ©livrer les dĂ©sƓuvrĂ©s, car j'ai dĂ©jĂ  ma propre Ăąme Ă  sauver[Couplet 2]Reproche pas Ă  c'lui qui a froid de vouloir sauter dans le feuLes mecs s'fument vers chez moi sans qu'il y ait un euro en jeuJ'me demande c'qui est le plus important entre bien faire et faire le bienJ'ai envie d'tout mais besoin de rien sauf faire le point et faire le pleinJ'ai un blĂšme avec les lois qui s'appliquent pas Ă  qui les fixentJ'aimerais qu'la vraie vie des fois prenne exemple sur celle des filmsEt le jour d'mon enterrement, j'n'aurai que faire de tout c'biffJe veux pas vivre Ă©ternellement, je veux que ce que j'ai construis me survive[Refrain]Lossa n'est pas une enflure, il a juste quelques lacunesJ'vais pas t'dĂ©crocher la lune puisque t'en as dĂ©jĂ  uneQue c'lui qui veut m'faire la peau rejoigne les autres dans la filePardonne-moi j'voulais juste entrer dans toi pas dans ta vie hehe[Pont]À chaque jour suffit sa pute hĂ©hĂ©, Ă  chaque jour suffit sa ... ehhBĂ©bĂ© j'dois faire des lovĂ©s, y a que dans le le-sa que je sais innoverJ'suis pas venu dĂ©livrer les dĂ©sƓuvrĂ©s, car j'ai dĂ©jĂ  ma propre Ăąme Ă  sauver[Outro]J'voulais juste entrer en toi pas dans ta vieJ'voulais juste entrer en toi pas dans ta vieJ'voulais juste entrer en toi pas dans ta vieEhh Ă  chaque jour suffit sa ... skuurtJ'voulais juste entrer en toi pas dans ta vieJ'voulais juste entrer en toi pas dans ta vieJ'voulais juste entrer en toi pas dans ta vieEhh, car Ă  chaque jour suffit sa ...
LarĂ©alitĂ© sur cette phrase : Ca signifie : A chaque Jour (prise de conscience), suffit, sa peine ! (elle disparait) C'est tout. parfois, il suffit d'une virgule, et ça change tout ! 🙂 *> . H . Ăźv. ; ‱ *'‱*-ÂŁ »r AUS DER BIBLIOTHEK VON OBERSTDIVISIONAR EUGEN BIRCHER AARAU DER BIBLIOTHEK DER EIDGENÔSSISCHEN TECHNISCHEN HOCHSCHULE GESCHENKT $j-ĂŻ ĂźjĂŻĂŻy , y y mĂ©i VINGT MOIS OU LA RÉVOLUTION PARTI RÉVOLUTIONNAIRE, K. A. DE SALVASBÏ, l’on DES QUARANTE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE. NOUVELLE ÉDITION. PARIS, VICTOR MASSON, LIBRAIRE, Place' de l’École-de-MĂ©decine, 7. km MiM VINGT MOIS ou LA RÉVOLUTION ET LE PARTI REVOLUTIONNAIRE. » KTBEUX , UIFRIMKnH! PE A. RÉ R ISSEY. MOIS OU LA RÉVOLUTION KT LK PARTI RÉVOLUTIONNAIRE, PAR N- A- DE SALVANDY, 1,’UM DES QUARANTE DF. I.’aC'AOÉMIE FRANÇAISE. e 11 faut savoir tour Ă  tour prĂ©cĂ©der te Ilot populaire et rester en arriĂšre de lui. Il vous dĂ©passe , il vous rejoint il vous abandonne mais l’éternelle vĂ©ritĂ© demeure avec vous. DE STAËL, de l’Influence des LETTRES SUR LES INSTITUTIONS SOCIALES. * 4 NOUVELLE ÉDITION’» ‱T y VICTOR MASSON, LIBRAIRE, rie l’École Rc-M' ilei'ine . 1. BÏRCHER *„ *3 H *3 PRÉFACE. Novembie *849. Cet ouvrage estune rĂ©impression. Il a paru, pour la premiĂšre fois, Ă  la fin de 1831 , sous ce titre SEIZE MOIS, OU LA. RÉVOLUTION DE 1830 ET LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE, c’est-Ă -direla rĂ©volution accomplie alors, etla rĂ©volution future, la rĂ©volution imminente, inĂ©vitable, qui pesait dĂ©jĂ  de tout son poids sur nos destinĂ©es. La seconde Ă©dition suivit de prĂšs, avec des augmentations considĂ©rables, et le titre de VINGT MOIS, qui a Ă©tĂ© conservĂ© depuis. L’édition actuelle ne comprend que des changements littĂ©raires, point de politiques. Il n’a Ă©tĂ© fait aucun retranchement, de quelque nature qu’il pĂ»t ĂȘtre. Seulement çà et lĂ , au sujet d’hommes Ă©minents , placĂ©s aujourd’hui, ou du moins il y a quelques a. VI PRÉFACE. jours encore, Ă  la tĂȘte des dĂ©fenseurs de la sociĂ©tĂ©, quelques vivacitĂ©s, naturelles Ă  la polĂ©mique contemporaine, ont Ă©tĂ© restreintes, ou mĂȘme effacĂ©es quand le sujet l’a permis, de peur que le lecteur, malgrĂ© tous les avertissements, ne confondit les Ă©poques, et ne crĂ»t trouver dans nos paroles d’autrefois un ressouvenir actuel des dissentiments passĂ©s, ou de l’ingratitude envers de rĂ©els et rĂ©cents services. Nous ne justifierons pas cette nouvelle publication dans les circonstances prĂ©sentes. L’ouvrage Ă©tait Ă©puisĂ© depuis longtemps ; il Ă©tait redemandĂ©. Nous n’avions aucun motif de reculer devant cette exposition animĂ©e de nos sentiments et de nos principes. Le temps et les rĂ©volutions ont passĂ© sur nous, sans les changer. Le temps et les rĂ©volutions n’ont fait, Ă  nos yeux, que leur donner d’éclatantes consĂ©crations. S’il faut le dire, c’est lĂ  peut-ĂȘtre l’intĂ©rĂȘt, et jusqu’à un certain point l’utilitĂ© de cette publication. En reparaissant aprĂšs le bouleversement social qu’il annonçait comme le rĂ©sultat nĂ©cessaire de nos prĂ©jugĂ©s, de nos passions, de nos discordes, le livre des Vingt Mois, Ă©crit il y a tant d’annĂ©es, semble l’avoir Ă©tĂ© en prĂ©sence des Ă©vĂ©nements qui viennent de s’accomplir et de ceux qui nous environnent. Il est de circonstance encore; il semble l’ĂȘtre plus que jamais. Comme il fut composĂ© en prĂ©occupation de l’avenir, son temps est en quelque sorte venu. Il nous a fallu bien souvent, pour Ă©viter des mĂ©prises, rappeler en note que le texte Ă©tait exactement celui de 1831 ou 1832. Cela tient Ă  ce que la rĂ©volution de 18Ă»8 et celle de 1830 ne sont que PRÉFACE. VII les deux actes successifs d’un mĂȘme drame. La sociĂ©tĂ© française, en retombant des mains de la restauration et de l’empire dans la carriĂšre des rĂ©volutions, a rapidement descendu la spirale qui la mĂšnerait bientĂŽt aux derniers abĂźmes, si elle ne remontait, par un grand effort, vers un sol plus ferme, pour y asseoir ses destinĂ©es. AprĂšs un point d’arrĂȘt de dix-huit annĂ©es, qui a Ă©tĂ© l’ouvrage et qui est la gloire du parti constitutionnel, luttant Ă  force de raison et de courage contre les pentes fatales de la situation , nous sommes arrivĂ©s Ă  un palier plus bas qu’en 1830. Du reste, ce sont les mĂȘmes scĂšnes, les mĂȘmes ressorts, les mĂȘmes pĂ©ripĂ©ties, souvent les mĂȘmes hommes. Rien n’est changĂ©, sinon qu’il y a du cĂŽtĂ© de l’ordre des forces de moins et des pĂ©rils de plus... Il y a aussi des enseignements de plus, grĂące Ă  Dieu ! Ils doivent ĂȘtre la consolation du prĂ©sent et le salut de l’avenir. On ose penser que ces enseignements, si Ă©clatants dans le livre mĂȘme des Ă©vĂ©nements, ressortent aussi, d’une façon prĂ©cise, des considĂ©rations que nous nous hasardons Ă  replacer sous les regards de nos concitoyens. Comment ne pas reconnaĂźtre, dans la catastrophe Ă  laquelle la France vient d’assister, l’effet nĂ©cessaire de causes permanentes et profondes, quand on a pu la montrer Ă  l’avance, dĂšs 1830, dans un si lointain avenir? N’est-il pas Ă©vident qu’il n’y a que des principes vrais et des lois certaines qui puissent fournir des lumiĂšres sur la marche des Ă©vĂ©nements humains. Le fait devient alors l’argument et la preuve des principes, comme les vicissitudes de la mer et du VIII PRÉFACE. ciel, que tout le monde prĂ©voit avec certitude, constatent la vĂ©ritĂ© des grandes lois de l’univers. Par cela mĂȘme, il a plus d’importance, plus de grandeur, plus de moralitĂ© historique. On pourra tirer, de tous les spectacles qu’il nous a donnĂ©s , des consĂ©quences qui importent Ă©galement Ă  notre instruction prĂ©sente et Ă  notre sĂ©curitĂ© future. La premiĂšre de ces consĂ©quences est de faire sentir dans ce qui s'est passĂ©, par l’examen et l’enchaĂźnement des causes, l’action d’une sorte de fatalitĂ© providentielle, qui ne laisse place ni Ă  la responsabilitĂ© des hommes ni aux rĂ©criminations des partis ! Manifestement, la France du dernier siĂšcle, la France de 1791 , la France de toutes les rĂ©volutions passĂ©es rie pouvait manquer de faire les expĂ©riences , de rencontrer les Ă©preuves que la main de Dieu a semĂ©es sur sa route. Nous n’aurions le droit de nous accuser les uns les autres et de nous plaindre du sort ou de nous-mĂȘmes, que si nous ne savions pas mĂ©diter les leçons de l’expĂ©rience, les comprendre et en profiter. En considĂ©rant quelles avaient Ă©tĂ© nos maximes et nos passions,quelles ont Ă©tĂ© ensuite nos tentatives pour faire de ces passions et de ces maximes la loi de l’avenir, et en voyant ce qu’en a fait la Providence, quelle raison serait assez altiĂšre pour douter que, dans nos ouvrages, nous n’eussions pliĂ© bien souvent devant les erreurs profondes de l’esprit public? Les dangers qui nous pressent de toutes parts ont un langage Ă©clatant. S’ils rendent tĂ©moignage du dĂ©vouement et des lumiĂšres de ceux qui travaillĂšrent Ă  Ă©carter de nous et les maux l'HKKACIi. IX visibles de l’état prĂ©sent et les angoisses inconnues de l’avenir, ne disent-ils pas aussi Ă  tout esprit sensĂ© pie, pour sauver la France, il faut abjurer tout ce qui l’a fait arriver une premiĂšre fois si prĂšs de sa perte? Onavu un gouvcrnemenlconstitutiounelemportĂ©par une rĂ©volution de place publique, circonscrite, soudaine et absolue comme une rĂ©volution de palais; un grand prince renversĂ©du trĂŽneaprĂšs un longet grand rĂšgne, en deux heures, par un simple trouble de sa capitale, avec une de ces jeunes et fortes familles qui formaient des appuis aussi solides que brillants pour le trĂŽne et pour l’empire; des institutions, enfin, qui versaient sur la nation des trĂ©sors de sĂ©curitĂ©, de libertĂ©, de prospĂ©ritĂ© infinies, emportĂ©es par une trombe populaire ignorĂ©e du reste du royaume, et qui n’était le matin qu’un point noir Ă  l’horizon, qui Ă  midi avait tout englouti ! Avec d’immenses sujets de tristesse, il y aurait lĂ  pour tout le monde de grands sujets de dĂ©couragement, sj des rĂ©sultats salutaires ne venaient saisir et relever nos Ăąmes. C’en sera un, et immense, de reconnaĂźtre Ă  cette fragilitĂ©, si soudaine dans ses effets, des raisons d’ĂȘtre souveraines et invincibles, qu’il sera en notre puissance de ne plus attacher Ă  nos ouvrages. Il en est de plus grands. Les dix-huit annĂ©es sont loin d’avoir Ă©tĂ© perdues pour la France. De leur rude labeur, tout n’a point pĂ©ri avec leur Charte, leurs chambres et leur royautĂ©. IndĂ©pendamment des biens matĂ©riels qu’on ne conteste pas, et dont il ne faut point parler avec dĂ©dain , parce X t’KÉl’ACE. qu’ils constituent des Ă©lĂ©ments de sĂ©curitĂ©, de repos et de dignitĂ© intellectuelle pour les peuples, ces grandes annĂ©es ont laissĂ© aprĂšs elles des biens moraux sur lesquels devra se fonder le salut public. Nous allons les dire. On peut voir dans ce livre, car les jeunes gĂ©nĂ©rations ne le savent pas et l’ancienne l’a oubliĂ©, deux prĂ©jugĂ©s qui rongeaient le sein de la sociĂ©tĂ© française en 1830 ; l’un Ă©tait une haine fanatique contre la religion, ou du moins contre ses pompes, ses rites et ses ministres; l’autre, une inimitiĂ© ardente et acharnĂ©e contre toute la partie Ă©levĂ©e de la sociĂ©tĂ©, sous la foule de noms que l’esprit de pactisait inventer. Ces deux sentiments auraient rendu la rĂ©volution de 1830 terrible, si un pouvoir modĂ©rateur ne fĂ»t intervenu aussitĂŽt; car elle aurait su partout oĂč adresser ses fureurs. Tant que ces deux passions insensĂ©es existaient, reconstruire n’était pas en la puissaneedes Français. Elles n'existent plus l’ùre qui vient de finir les a Ă la lente action d’un gouvernement rĂ©parateur et Ă  celle de l’esprit public rendu Ă  lui-mĂȘme, le sentiment religieux a repris sou empire parmi nous. Cette justice est due Ă  la rĂ©vo lution de fĂ©vrier, quelle a abjurĂ©, parmi toutes ses rĂ©miniscences, l’impiĂ©tĂ©. A la diffĂ©rence des exigences opiniĂątres de 1830, elle n’a pas eu d’élans qu’elle n’ait appelĂ© la religion Ă  les bĂ©nir; elle n’a pas eu de fĂȘtes que Dieu et ses ministres n’v soient intervenus. Elle a montrĂ© dĂ©jĂ  Ă  nos places publiques , plus souvent que la restauration mĂȘme en quinze annĂ©es, le prĂȘtre s’interposant entre Dieu et les hommes pour faire descendre PliEFaCE. XI ici-bas la bĂ©nĂ©diction el taire monter lĂ -liant la priĂšre. Des preuves, encore plus rnarcpiĂ©es peut-ĂȘtre, de l'autoritĂ© qu’ont reprise les choses de la religion , se sont succĂ©dĂ© dans la conduite des affaires et ont frappĂ© tous les yeux. En condamnant la royautĂ© de la terre, l’esprit rĂ©volutionnaire, Ă©pouvantĂ© de son Ɠuvre et de lui-mĂȘme,a semblĂ© cette fois s’incliner du moins devant la royautĂ© du ciel. En mĂȘme temps a Ă©clatĂ© un rapprochement marquĂ© entre les classes diverses et les divers partis. Il s’est trouvĂ© cpie les grandes animositĂ©s de 181 Ă  et de 1830 s’étaient Ă©vanouies; la rĂ©volution, dans ses colĂšres, a Ă©tĂ© obligĂ©e de s’attaquer Ă  la bourgeoisie , obstacle Ă  la fois si indĂ©terminĂ© et si vaste qu’elle devait s’y amortir et s’v briser. Dans ce pĂ©ril commun, les membres trop longtemps dĂ©sunis de l’opinion monarchique, ceux qui s’éßaient lepluscombattus,ontpu se saisir ensemble du timon, s’asseoir au mĂȘme banc de manƓuvre, s’associer au mĂȘme effort. Sous ces auspices salutaires, le peuple, appelĂ© par le suffrage universel Ă  dire son mot sur cette crise incomparable d’une nation qui se trouve Ă  son rĂ©veil sans gouvernement, sans institutions, sans lois, parce pie quelques hommes ont dĂ©clarĂ© tout cela mis au nĂ©ant, le peuple a donnĂ© le plus Ă©trange et le plus Ă©clatant des dĂ©mentis Ă  toutes les pages du Contrai social, Ă  toutes les doctrines de la philosophie rĂ©volutionnaire, par le premier usage qu’il a fait des armes qu’on y avait trouvĂ©es pour lui; car il a dĂ©clarĂ© et la puissance des noms et les prĂ©rogatives de la naissance et l’autoritĂ© desgloires hĂ©rĂ©ditaires, les plus intimes iuspi- XII phiĂŻFack. rations de lame humaine dans ses Ă©lans naturels et libres, les plus sĂ»rs refuses de l’ordre social dans ses naufrages. G Ă©tait la premiĂšre fois, depuis soixante ans, que la France proclamait ces maximes. C’est que, pour la premiĂšre fois aussi, on a vu toutes les classes de la sociĂ©tĂ© enfin ralliĂ©es, tous les partis de l’État comme toutes les rĂ©gions du territoire s’entendre, et par cela mĂȘme avoir complĂštement voix au chapitre, intervenir avec autoritĂ©, opposer enfin la volontĂ© de la France aux dĂ©cisions, jusqu’ici souveraines et absolues, de la mĂ©tropole des rĂ©volutions du monde. Un autre rĂ©sultat, plus considĂ©rable peut-ĂȘtre, a Ă©tĂ© acquis car il a eu sur ceux qu’on vient de dire une influence incontestable et immense ; il peut en avoir une immense sur nos destinĂ©es futures. Une volontĂ©, qui fut invariable et tutĂ©laire, a semblĂ© survivre Ă  sa propre puissance, pour imposer encore au monde la poursuite des transactions pacifiques, lerespect des traitĂ©s, la religion du droit des gens, la rĂ©pudiation de l’intervention des armes dans les questions qui soulĂšvent les nations. A cette Europe de 1830, si fortement unie, si puissamment armĂ©e; Ă  cette France frĂ©missante d’alors qui ne respirait que vengeances nationales, reprĂ©sailles glorieuses, reprise des frontiĂšres naturelles, et qui reoherchaitsurtout dans le renversement des trĂŽnes le renversement des traitĂ©s, dans les rĂ©volutions, la guerre et la conquĂȘte, le temps, ce grand maĂźtre quand il tst bien dirigĂ©, a substituĂ© une Europe qui s’agite, ou contemple et attend; et, ce qui vaut mieux, une F’rance dont le bon sens, averti par tant de catastrophes et de l'iiliEACK. XIII douleurs, s’est appropriĂ© la politique contre laquelle les jiassions avaient si longtemps luttĂ© elle l’impose Ă  ses gouvernants les plus tĂ©mĂ©raires, Ă©tonnĂ©s de leur subite sagesse. Elle ne professe d’autre ambition que le repos, elle ne craint qu’elle-mĂȘme, elle n’a maintenu debout dans ses bouleversements d’autre loi que la loi des nations. Tranquille ainsi au dehors, et dĂšs lors plus tranquille au dedans, elle n’est poussĂ©e hors de ses voies par aucune colĂšre; elle n’est prĂ©cipitĂ©e vers les dĂ©noĂ»- ments nĂ©cessaires par aucune apprĂ©hension. Par lĂ  est obtenu ce grand bienfait, que la nation ne sent aucune pression peser sur elle il suffira qu’elle sache et veuille. Dieu lui laisse le champ ouvert. Il prend soin d’écarter de nos pensĂ©es, pour la facilitĂ© et l’indĂ©pendance de nos solutions , la main de l’étranger. De cette situation imposante et nouvelle il est arrivĂ©, par un Ă©trange et heureux contraste, qu’alors mĂȘme que le gouvernement descendait aux plus bas fonds des factions anarchiques, la sociĂ©tĂ© se relevait, d’une façon inespĂ©rĂ©e qui a surpris le monde et qui la surprend elle-mĂȘme. Aujourd’hui , on peut se demander si cette rĂ©volution derniĂšre , qui semblait dĂ©chaĂźnĂ©e pour nous prĂ©cipiter dans toutes les subversions, ne nous aura pas fait toucher un moment le fond de l’abĂźme, pour marquer le dernier terme de nos entraĂźnements, le dernier aussi des vindictes du ciel! L’ordre, l’ordre vrai, celui qui s’appuie Ă  la loi divine et aux grands intĂ©rĂȘts humains, a survĂ©cu par ses seules forces, par celles qu’un rĂ©gime de paix, de justice et de sĂ©curitĂ© lui avait rendues en XIV I'HÉFACE. dĂ©pit de tous les envahissements des idĂ©es subversives; l’ordre, disons-nous, a surnagĂ©, il remonte ses pentes fatales au milieu du plus grand dĂ©sordre social qui se soit vu jamais chez un peuple. Quel que doive ĂȘtre l’avenir, ce sont lĂ  des biens rĂ©els; ce sont aussi des prĂ©sages favorables. On a besoin d’y attacher sa pensĂ©e pour discerner les voies de la Providence et y marcher d’un pas assurĂ©. Ces biens ont eu pour principe, et doivent avoir de plus en plus pour consĂ©quence, le besoin d’union qui s’est fait jour enfin parmi nous. C’était, dĂšs 1830,1a pensĂ©e fondamentale du livre des Vingt Mois, pensĂ©e alors solitaire et devenue dĂ©sormais celle de tout le monde. C’est que ce livre fut Ă©crit avec le sentiment des pĂ©rils intimes et immenses qui menaçaient l’ordre social. En voyant une royautĂ© battue aux deux cĂŽtĂ©s de son horizon des assauts contraires d’une opposition monarchique et d’uneopposition dynastique tout ensemble, divisĂ©e dans ce qui lui restait d’élĂ©ments d’action, et en butte cependant au plus grand dĂ©chaĂźnement de toutes les libertĂ©s qui se fĂ»t vu dans le monde, tandis qu’un travail tout Ă  la fois souterrain et Ă  ciel ouvert, incessant, impuni, insaisissable, minait la sociĂ©tĂ© mĂȘme de l’effort de toutes les passions et de toutes les thĂ©ories subversives, nous ue pouvions penser que ce travail ne devĂźnt Ă  la longue formidable. Le salut de l’avenir nous semblait attachĂ© Ă  la formation d’un grand parti, d’une grande armĂ©e de l’ordre Int., p. 29, ralliĂ©s Ă  la mĂȘme foi et Ă  la mĂȘme loi par le sentiment des dangers publics et des devoirs communs. Ce livre n’eut pas l'UKFACli. XV d’autre but, d’autre pensĂ©e que d’exposer devant les partis aux prises l’obligation et la nĂ©cessitĂ© de la concorde entre tout ce qui avait des doctrines et des intĂ©rĂȘts semblables. C’est la consolation de l’auteur de penser que, fidĂšle Ă  ces vues, il n’a pas contribuĂ©, par un seul de ses actes dans ces dix-huit annĂ©es, Ă  mettre des barriĂšres de plus entre les Français. Il avait vu les classes Ă©levĂ©esimpuissantesĂ soutenir seules la royautĂ© lĂ©gitime! Il prĂ©voyait, toutes les pages de ce livre l’attestent, pour les classes moyennes et la royautĂ© nouvelle, la mĂȘme fortune. En prĂ©sence d’un ennemi funeste, infatigable, il demandait l’accord des principes et l’union des forces. Ce miracle a passĂ© la puissance des institutions et de l’époque. L’époque et les institutions n’ont pu que le prĂ©parer. Il fallait la main de la rĂ©volution pour l'accomplir. Cette main terrible est intervenue; elle a donnĂ© , elle a imposĂ© d’autoritĂ© la concorde. Malheur Ă  qui ne travaillerait pas Ă  conserver ce bienfait, Ă  l’étendre , Ă  lui faire porter tous ses fruits ! Nous bornons lĂ  ce qu’il nous convenait de dire, Ă  cette place, sur la situation prĂ©sente du pays. Le vƓu que nous venons d’écrire est le complĂ©ment naturel de notre sujet, le couronnement et en quelque sorte la moralitĂ© du tableau que nous tracions des pĂ©rils de l’établissement de 1830 , il y a dix-huit ans, c’est-Ă -dire au temps mĂȘme et au dĂ©but de ses prospĂ©ritĂ©s. Les pĂ©rils se sont rĂ©alisĂ©s. Ils ont Ă©clatĂ© comme la tempĂȘte qui emporte tout devant soi, en nous laissant Ă  tous de grandes conclusions Ă  mĂ©diter. Ces conclusions , XVI l'lire au. heureusement, sont de nature Ă  rendre pins facile, Ă  forcer en quelque sorte l’union des Français. [/Ă©tablissement clu 9 aoĂ»t 1830 avait Ă©tĂ© instituĂ© dans un jour d’orage qui n’était pas le fait de la nation ; c’est lĂ  sa gloire. Il avait Ă©tĂ© Ă©tabli pour rendre le repos Ă  la France en conciliant l’ordre avec la libertĂ©; il s’est employĂ© sans repos Ă  cette grande mission. Il a prouvĂ© que le gĂ©nie des hommes, la libĂ©ralitĂ© des institutions et le bonheur des peuples ne suffisent pas Ă  fonder un gouvernement sur des bases solides. Il a prouvĂ© encore que la sociĂ©tĂ© française, telle que l’ont faite la rĂ©volution et le temps , n’est pas constituĂ©e de maniĂšre Ă  supplĂ©er par elle mĂȘme aux Ă©lĂ©ments de force et de stabilitĂ© qui manquaient Ă  son gouvernement. Il a prouvĂ© enfin que l’esprit français, que le caractĂšre, Je gĂ©nie national n’a pas en soi, avec tant de puissance pour crĂ©er et pour dĂ©truire, ce qu’il fallait pour rĂ©sister par ses propres forces aux entraĂźnements de la libertĂ© dĂ©mocratique, et soutenir Ă  lui seul la double faiblesse des institutions et de la sociĂ©tĂ©. D’un autre cĂŽtĂ©, il a fait voir aussi, par les maux dĂ©chaĂźnĂ©s aprĂšs sa chute, par les pĂ©rils qui, aujourd’hui eut ore, font de l’avenir un sujet d’alarme pour toute Ăąme française, quels services rendaient ceux qui travaillĂšrent Ă  faire vivre ce rĂ©gime si puissant, pensait-on, et en rĂ©alitĂ© si menacĂ©. Leurs efforts, longtemps heureux , ont produit ce retour rĂ©el Ă  la foi, ce retour rĂ©el Ă  la conciliation, ce retour enfin Ă  quelques grands principes sociaux, que nous saluons de nos 1M1 EF ACE. XVH hommages. Ce sont les nncies Ăźle salut. Que ceux Ă  Ces lignes, malheureusement trop prophĂ©tiques, Ă©taient Ă©crites trente mois avant la rĂ©volution de 1830. Ce qu’on disait alors, on le rĂ©pĂšte aujourd'hui. Si alors quelqu’un voyait des concessions dans ce langage conservateur et monarchique, quoique opposant, c’était une erreur! Nous ne faisons pas de concessions. Si ou l’acceptait comme de l’habiletĂ©, on avait tort; nous ne sommes pas habile. Mais on nous crie que la France a marchĂ©; c’est le mot d’ordre de ce temps-ci. En effet, la rĂ©volution a marchĂ©, ou plutĂŽt couru, comme on fait quand on va sans rĂšgle et sans sagesse; mais nous xxiv PltUFACE. 11e saurions croire que les intĂ©rĂȘts generaux des peuples, non plus que les rĂšgles Ă©ternelles sur lesquelles roule ce monde, puissent changer d’un cĂŽtĂ© Ă  l’autre d’une barricade. I est des esprits Ă©tranges qui ne comprennent pas que plus on sacrifia aux libertĂ©s publiques, plus on a la rougeur au front Ă  l’aspect de tout ce qui les profane; plus aussi par cela mĂȘme on Ă©prouve le besoin de protester contre tout ce qui les fausse et les compromet. VoilĂ  les motifs et les sentiments de l'Ă©crivain, puisqu’on a voulu pĂ©nĂ©trer au delĂ  du livre. CondamnĂ© Ă  parler de nous contre notre usage, que ce mot nous soit permis nos contradicteurs seront bien habiles si, en interrogeant notre cƓur, ils trouvent que la politique l ait jamais Ă©mu pour d’autres intĂ©rĂȘts que la grandeur, la libertĂ© et l’honneur de la France. VINGT MOIS LA RÉVOLUTION ET LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. INTRODUCTION. Étal politique et social de la France. — Sujet de cet Ouvrage. DÉCEMBRE 1831 Cecy est un livre de bonne foy. » Montaigne. Cu livre est destinĂ© Ă  Ă©tablir les vĂ©ritables principes de l’ordre social, et Ă  rappeler les conditions nĂ©cessaires d’un gouvernement libre. Nous avons foi aux bonnes maximes. Nous croyons au devoir de les professer, quels que soient les temps. L’esprit de dĂ©sorganisation plane sur la France. Il a tout envahi, la politique et la littĂ©rature, les journaux et les théùtres, les rues et les pouvoirs. Il entraĂźne, il domine trop souvent les hommes P 2 INTRODUCTION. de bien qui luttent contre le torrent avec courage, et qui croient lui rĂ©sister avec succĂšs, parce que c’est Ă  reculons qu’ils descendent vers les abĂźmes ! On ne sait si l’Ɠuvre de la dĂ©molition par les lois fut poussĂ©e plus vivement, aux dĂ©buts de la premiĂšre RĂ©volution. RoyautĂ©, Charte, Chambres, collĂšges Ă©lectoraux, jury, municipalitĂ©s, conseils-gĂ©nĂ©raux, conseil d’Etat, gardes nationales, organisation militaire, administration, finances, rapports de l’État et de l’Église, instruction publique , rĂ©gime colonial, Code pĂ©nal, Code civil la nomenclature Ă©pouvante ! , tout a Ă©tĂ© repris Ă  la fois en sous-Ɠuvre. Le tour de la pairie est venu. Ce dernier rempart de l’ordre, ce dernier tronçon de la monarchie devait tomber en poussiĂšre. L’avenir dira qu’il fut un temps et un pays , oĂč l’enfant qui comptait dix-huit mois Ă  peine Ă©tait plus vieux que l’édifice entier des institutions de la patrie ! Encore, le gouvernement nouveau n’est-il pas achevĂ©, que dĂ©jĂ  les entrepreneurs de destruction brandissent de nouveau la hache et la torche. Il leur faut table rase une seconde fois. A l’exemple de la rĂ©volution de 1789 qui ne tarda pas Ă  voir surgir dans son sein une seconde gĂ©nĂ©ration de rĂ©formateurs auxquels la Constitution de 91 ne pouvait suffire, la rĂ©volution de 1830 est dĂ©sormais aux prises avec un arriĂšre-ban rĂ©volutionnaire impatient de se remettre Ă  l’Ɠuvre. Ce n’est plus seulement l’état politique tout entier, INTRODUCTION. 3 c’est l’état social mĂȘme que ceux-lĂ  sapent dans les fondements. Il ne reste debout parmi nous qu’un trĂŽne qui s’élĂšve sans Ă©tais, et la propriĂ©tĂ© qui demeure sans boulevards. Us veulent balayer le trĂŽne, dĂ©truire la propriĂ©tĂ©. Elle est la royautĂ© domestique, la pairie Ă©ternelle qu’ils entendent abattre. Pourquoi non ? Quelle est la puissance qui a commandĂ© l’abandon de la pairie ? Le pouvoir, par l’organe de M. Casimir PĂ©rier, s’est chargĂ© de rĂ©pondre. C’est au prĂ©jugĂ©, Ă  la passion populaires , Ă  Xivresse dĂ©magogique , Ă  la haine aveugle de toutes les supĂ©rioritĂ©s , a-t-il dit hardiment, qu’aura Ă©tĂ© fait cet immense holocauste ! Eh bien ! qu’on le sache une nation, dont les lĂ©gislateurs auraient reçu d’elle en effet le mandat de sacrifier sur de semblables autels, cette nation se serait dĂ©clarĂ©e, Ă  la face du monde, ignorante encore et incapable de la libertĂ©. Un pays, au sein duquel le dĂ©sordre marche ainsi officiellement le front levĂ© et la sape Ă  la main, ce pays malheureux n’a pas rĂ©glĂ© tous ses comptes avec la colĂšre du ciel. Or, ceci Ă©tait la grande bataille de la politique rĂ©volutionnaire. Elle l’a gagnĂ©e ! Ce n’est plus par nos institutions que nous pouvons ĂȘtre dĂ©fendus contre les entreprises de la faction anarchique, et contre ses folies. A dater de ce jour, le bon sens public est notre seule sauvegarde. Qu’il fĂźt dĂ©faut un jour, tout croulerait. Il faut dĂ©sormais, dans toute la suite des temps, qu’à chaque soleil INTRODUCTION. 4 qui se lĂšvera, la raison et la conscience nationales restituent, par leur assistance, Ă  l’ordre dĂ©sarmĂ© la force que, chez les sociĂ©tĂ©s bien faites, il doit trouver dans les pouvoirs et dans les lois. Tous les principes sont donc intervertis parmi nous. Car c’est prĂ©cisĂ©ment pour supplĂ©er aux dĂ©faillances de la conscience et de la raison mobiles des peuples, qu’il y a des lois parmi les hommes. Il faut le dire Ă  la France vainement l’ordre attaquĂ©, battu en brĂšche de toutes parts, gagne- ra-t-il dans les rues des batailles par les armes, s’il doit continuer Ă  les reperdre, s’il les a reperdues Ă  l’avance irrĂ©parablement, dans les institutions. Un jour, Mirabeau s’écria Silence aux Trente ! Les Trente se turent. Le commandement du prince de la tribune Ă©tait si bien l’expression de la pensĂ©e nationale, qu’on le vit d’abord obĂ©i de ces Trente, inconnus et dĂ©daignĂ©s, Ă  la tĂȘte desquels figurait obscurĂ©ment, avec une certaine renommĂ©e de philanthropie et de vertu , un orateur mĂ©diocre qui s’appelait Robespierre. Un jour devait venir oĂč ces Trente, qu’on mĂ©prisait, rempliraient les assemblĂ©es, les tribunaux, les pouvoirs, les armĂ©es, et seraient toute la France. Sur le penchant de cet abĂźme, le gĂ©nĂ©ral La- fayette sembla un moment arrĂȘter le cours de la rĂ©volution, comme il travaille aujourd’hui Ă  la prĂ©cipiter. On le vit courageusement mitrailler les Ă©meutes rĂ©publicaines dans le Chainp-de-Mars. Au INTRODUCTION. 5 spectacle de ce combat livrĂ© pour la cause de la monarchie et pourle triomphe delĂ  Constitution, la France respira elle se crut sauvĂ©e. Les espĂ©rances et les travaux se ranimĂšrent ; l’avenir sourit Ă  toutes les imaginations; tous les rĂȘves de 1789, rĂȘves de paix, de concorde, de libertĂ©, rentrĂšrent dans les cƓurs ; on crut Ă  un avenir immense d’ordre et de prospĂ©ritĂ©. Au bout d'une halte pacifique, apparurent le 10 aoĂ»t et le G septembre, le papier-monnaie et l’anarchie, la banqueroute et la terreur ! D’oĂč vint ce changement ? Le voici. Les cahiers des Etats-GĂ©nĂ©raux, en 1789, attestent que la France voulait uniquement la monarchie constitutionnelle ; admirable, mais difficile systĂšme, qui rĂ©sout seul pour les grands empires le problĂšme d’unir la libertĂ© Ă  l’ordre et Ă  la puissance. Cependant la volontĂ© publique fut intervertie et violentĂ©e par le plus grand, par le plus effroyable des mensonges. C’est que Mirabeau, c’est que le gĂ©nĂ©ral Lafayette, c’est que l’AssemblĂ©e constituante avaient fait passer dans les lois les vƓux des Trente et leurs doctrines. Les Trente rĂ©gnĂšrent. Ce n’est pas en effet la volontĂ© des peuples qui fait leurs destinĂ©es ce sont leurs institutions, ce sont les principes sur lesquels ils les ont fondĂ©es. Quand c’est prĂ©cisĂ©ment lĂ  que le mal rĂ©side, quand il a pĂ©nĂ©trĂ© ainsi dans les boulevards créés pour dĂ©fendre la sociĂ©tĂ© de ses atteintes, nulle 6 INTRODUCTION. force ne peut plus prĂ©valoir contre lui. Un peu plus tĂŽt, un peu plus tard, toutes les tentatives, toutes les luttes ont, Ă  un jour donnĂ©, une issue fatale. C’est Ă©crit. De 1789 Ă  1792, trois ans avaient passĂ© dans la perpĂ©tuelle illusion des gens de bien, qui faisaient faire chaque jour Ă  la monarchie constitutionnelle un pas de plus vers la rĂ©publique et la dĂ©magogie, sans vouloir ni de la dĂ©magogie, ni de la rĂ©publique. Ce systĂšme fit ses ravages nĂ©cessaires. La dissolution politique et sociale alla croissant. BientĂŽt les factions elles-mĂȘmes tremblĂšrent de l’avenir qu’elles commençaient Ă  voir ouvert devant elles. Les Girondins n’étaient pas encore maĂźtres pleinement de la France, et ils s’effrayaient dĂ©jĂ  de trouver des maĂźtres, Ă  leur tour, dans les furieux qui les dĂ©bordaient. Un jour l’évĂȘque Lamourette monte Ă  la tribune. Il expose que ce qui fait tout le mal de la patrie, ce sont les dissensions civiles ; c’est le vƓu des uns pour l’établissement des deux chambres, l’inclination des autres pour l’abolition de la royautĂ©. Il dĂ©montre que si chacun renonçait Ă  sa chimĂšre, c’en serait fait de toutes les discordes , et que l’on aurait l’ñge d’or. Il propose, en consĂ©quence, de dĂ©crĂ©ter l’anathĂšme, Ă  l’unanimitĂ©, contre la rĂ©publique Ă  la fois et contre le systĂšme des deux chambres. C’était l’idĂ©al du juste-milieu. La proposition, faite avec onction, est accueillie INTRODUCTION. H avec enthousiasme. Le cĂŽtĂ© droit et le cĂŽtĂ© gauche, les Girondins et les Feuillants se jettent dans les bras les uns des autres, en mĂȘlant des pleurs de tendresse et de joie. On dĂ©crĂšte que l’acte de rĂ©conciliation sera envoyĂ© aux quatre-vingt-trois dĂ©partements du royaume. Louis, en apprenant ces fortunĂ©s transports, accourt avec la reine, pour consacrer le pacte d’alliance entre tous les enfants de la grande famille. Le cri de vive le roi! jaillit de tous les coeurs, comme aux plus beaux jours de la monarchie toute la France le rĂ©pĂ©ta. Et, prĂ©cisĂ©ment un mois aprĂšs, le plus bienveillant des rois, la plus noble des reines et des femmes , tombaient du palais de leurs ancĂȘtres dans un cachot, d’oĂč le couple auguste ne devait sortir que par un attentat plus grand ! Pourquoi ce rapide retour? Parce que l’AssemblĂ©e , dans son dĂ©cret de rĂ©conciliation, et la France, dans son allĂ©gresse, n’avaient oubliĂ© qu’une chose, c’est qu’il n’était pas au pouvoir des hommes de repousser Ă  la fois et la rĂ©publique et les deux chambres. Des deux systĂšmes, dĂ©nier l’un, c’était de toute nĂ©cessitĂ© se vouer Ă  l’autre. On ne vit pas qu’il fallait choisir. La Providence chĂątia l’aveuglement de nos pĂšres en choisissant pour eux. La Constitution de 91, cette Constitution caduque en naissant, n’a point pĂ©ri seulement, comme on le suppose d’ordinaire, par un Ă©qui- 8 INTRODUCTION. libre imparfait des pouvoirs, par une dĂ©limitation mauvaise de la prĂ©rogative, par l’impuissance enfin de la royautĂ©, toutes choses qui auraient pu en effet tuer la royautĂ© la plus populaire, la plus bienveillante, la plus habile. Non ! Plus profond Ă©tait le mal. Le vice ne rĂ©sidait pas uniquement Ă  la tĂȘte de l’Etat ; il Ă©tait aussi dans les entrailles de la sociĂ©tĂ©, il Ă©tait dans l’esprit qui avait dictĂ© les lois de toute cette dĂ©mocratie royale. La vieille couronne d’Angleterre, Ă  tout prendre, ne s’enorgueillit pas de beaucoup plus de fleurons que la couronne remaniĂ©e de Louis XVI, roi des Français. Mais la couronne d’Angleterre possĂšde, dans l’état social des Anglais, des boulevards puissants, et la nĂŽtre n’en trouvait nulle part. Une royautĂ©, qui n’avait point de garanties, reposa sur une sociĂ©tĂ© qui n’en avait plus elle-mĂȘme, qui allait ĂȘtre aussi mobile que les sables d’Afrique, aussi friable sous le souffle des ouragans. La rĂ©volution, qui fonda cette sociĂ©tĂ© orageuse, eut le tort de l’asseoir sur des principes subversifs. Elle appela les masses, non Ă  l’égalitĂ©, mais Ă  la suprĂ©matie ; non Ă  la libertĂ©, mais Ă  la domination. C’est par lĂ  que l’édifice s’écroula. Nul moyen ne s’offrait dĂšs lors pour donner Ă  cette domination terrible ni contre-poids, ni barriĂšre. C’était vouloir un torrent sans digues, un ocĂ©an sans rivages. Par une loi de sa nature, il devait ĂȘtre furieux, indomptable, destructeur, INTRODUCTION. g et en mĂȘme ternes changeant, fantasque, inhabile Ă  rien laisser debout, hormis tout au plus les Ă©chafauds. Aussi, la royautĂ© et l’illustration, le talent et la vertu vinrent-ils expier lĂ  leur long rĂšgne, jusqu’à ce qu’enfin le peuple, fatiguĂ© de lui- mĂȘme et dĂ©senchantĂ© de son ivresse fatale, abdiquĂąt sa fausse et funeste souverainetĂ© aux mains d’un grand homme. Tel il a Ă©tĂ©, tel il sera toujours mĂȘmes vices , mĂȘmes flĂ©aux, mĂȘmes chĂątiments. De tous les spectacles de cette triste Ă©poque, je ne sais lequel est le plus douloureux, de ses crimes ou de ses faiblesses. M. rie Serre avait raison de le dire Toujours la majoritĂ© fut saine ! » Saine d’esprit, mais faible de cƓur, et c’est ce qui perdit tout. Sauf l’AssemblĂ©e constituante, oĂč les esprits Ă©taient fascinĂ©s, oĂč rĂ©gnaient un Ă©blouissement universel et une sorte de sublime dĂ©lire, toutes les lĂ©gislatures firent le mal, comme les nĂŽtres, Ă  contre-cƓur, mais Ă  bon escient. L’abolition de la monarchie fut une concession de la LĂ©gislative. La tĂȘte de Louis XVI fut une concession de la Convention. Mais la Gironde, dans la LĂ©gislative, en livrant la monarchie, croyait sauver l’ordre, incapable qu’elle Ă©tait, avec tout son gĂ©nie, de comprendre que l’ordre n’était dĂ©jĂ  plus, et l’ombre qui en restait s’évanouit en effet avec la royautĂ©. Mais la Gironde et la Plaine unies, dans la Convention, en livrant Louis aux bourreaux, croyaient IO INTRODUCTION. rassasier avec ce noble sang la furie populaire ; et il fallut qu’elles donnassent le leur, puis, avec le leur , celui de la France. C’est que la justice divine a une maniĂšre sĂ»re et facile de punir les exigences, les passions, les faiblesses subversives elle laisse les pouvoirs qui servent d’instrument Ă  ces flĂ©aux, s’enfoncer dans leurs voies fatales. Ils vont alors, sans s’inquiĂ©ter de la carriĂšre qu’ils ont dĂ©jĂ  fournie, n’attacliant d’importance qu’au pas qu’ils s’apprĂȘtent Ă  faire, comptant toujours que celui-lĂ  sera le dernier, et disant Ă  leur raison qui s’épouvante, comme Louis XI Ă  sa vierge de plomb Encore un ! » Mais le poids des fautes commises vous pousse, vous entraĂźne, et on pĂ©rit Ă©crasĂ© sous ce rocher de Sysyphe. Nous savons l’éternelle rĂ©ponse. On nous crie que la rĂ©volution de 1830 ne ressemblera pas Ă  la rĂ©volution de 1791, que le volcan est Ă©teint. Mais c’est prĂ©cisĂ©ment la question qui est posĂ©e; et nous accepterons toutes les espĂ©rances, si vous n’ùtes pas aussi tĂ©mĂ©raires que vos devanciers, aussi prompts Ă  dĂ©truire, aussi disposĂ©s Ă  cĂ©der aux fantaisies populaires, c’est-Ă -dire Ă  la volontĂ© des tribuns qui s’y appuyent ou s’en prĂ©valent. Mais il sera trop permis de craindre qu’un peuple puisse, deux fois en quarante ans, fournir la mĂȘme carriĂšre de fautes et de malheurs, quand vous, qui parlez, vous recommencez toutes les fautes de vos INTRODUCTION. I 1 pĂšres. On sera bien forcĂ© de dire que la rĂ©volution de 1830, courra, tĂŽt ou tard, aux mĂȘmes dĂ©sastres que son aĂźnĂ©e, si la France lance son char sur le penchant des mĂȘmes prĂ©cipices. La marche sera plus ou moins lente, selon qu’on aura laissĂ© subsister plus ou moins de points d’arrĂȘts ; mais elle sera Ă©galement inĂ©vitable. On arrivera Ă©galement au terme fatal. Partout et toujours, l’esprit de 91 portera les mĂȘmes fruits. Au ciel, il enfanterait l’anarchie, comme sur la terre. Quand on n’entend pas marcher Ă  un abĂźme, il ne faut pas prendre le chemin qui y mĂšne. Quand on condamne un principe, il faut avoir le courage de repousser les prĂ©misses, sous peine de voir et la logique inexorable des partis, et la logique austĂšre de la fortune dĂ©duire toutes les consĂ©quences. Autrement, ce serait planter un arbre en ne voulant pas de ses fruits ; ce serait bĂątir sur le cratĂšre fumant, avec la prĂ©tention de dormir en paix. Nous le croyons fermement. AprĂšs un demi- siĂšcle de rĂ©volutions, la France aujourd’hui n’aspire Ă  rien de plus, Ă  rien de moins qu’au dĂ©but de cette Ăšre d’essais et de mĂ©comptes. Tout a changĂ© sans cesse parmi nous, hormis la volontĂ© nationale, restĂ©e immuable sous les ruines de tout ce qui y a Ă©tĂ© substituĂ© par les factions. Cependant, une fois encore, la France se laisse, Ă  son insu, entraĂźner loin du but. Quelque jour, elle 12 INTRODUCTION. s’étonnera de voir qu’il a fui loin d’elle, parce qu’elle va Ă  la dĂ©rive sans se rendre compte du chemin qu’elle parcourt. Il faudrait, aux peuples emportĂ©s par les rĂ©actions, qu’on pĂ»t dresser de ces colonnes, oĂč , dans les pays de montagnes et de prĂ©cipices, on marque, pour l’instruction et le salut des voyageurs, le passage des avalanches ou le progrĂšs des flots. C’est la tĂąche Ă  laquelle nous nous dĂ©vouons. Ce livre n’a pas d’autre but. Qu’on nous permette de le dire. Il nous appartenait d’entreprendre cette mission. La monarchie reprĂ©sentative, avec toutes ses conditions d’ordre et de libertĂ© , a Ă©tĂ© la passion, le travail, l’étude de notre vie. Elle s’offrit Ă  nos regards quand tout ce rĂ©gime de gloire, premiĂšre illusion de quiconque Ă©tait jeune alors et portait un cƓur français, venait de s’écrouler sous le poids de l’Europe soulevĂ©e. En fuyant, de victoire en victoire, devant les peuples qui poursuivaient les armĂ©es de la France au cri de libertĂ©, en entendant ce cri rĂ©pĂ©tĂ© par les villes et les hameaux Ă  mesure que les aigles attristĂ©es repliaient leur vol, comment ne pas comprendre qu’il existait quelque chose de plus grand que la force, mĂȘme rehaussĂ©e par le gĂ©nie et parĂ©e par la victoire ? C’était le droit, c’était la libertĂ©. Ces deux grandes choses reparurent ensemble. La royautĂ© antique frappait Ă  la porte de nos citĂ©s dĂ©solĂ©es, en criant Ouvrez ! c’est la fortune de la France. La LibertĂ© se rĂ©veilla pour ou- INTRODUCTION. l3 vrir elles se donnĂšrent la main. C’était le droit sous toutes ses formes, avec tous ses prestiges, et toute sa puissance. La libertĂ© se montrait liĂ©e Ă  tous les souvenirs de la patrie, pure des crimes qui avaient profanĂ© son nom, dĂ©fendue par sa Constitution monarchique contre tout entraĂźnement Ă  des excĂšs nouveaux, fĂ©conde cependant et en biens sans nombre, et en progrĂšs sans terme. S’il fallait acheter, au prix de combats opiniĂątres, le dĂ©veloppement des institutions promises, comment ne pas aimer ces combats oĂč se dĂ©ployait le gĂ©nie d’un grand peuple, oĂč tous les talents marchaient Ă  la tĂšte des camps divers, oĂč chaque assaut affermissait les franchises de la patrie ; combats gĂ©nĂ©reux qui, ajant une arĂšne fixĂ©e par les lois, et venant se conclure nĂ©cessairement au pied d’un trĂŽne respectĂ©, ne nous laissaient jamais craindre l’intervention de l’anarchie, et n’admettaient, la violence ni comme ennemie, ni comme alliĂ©e ! C’est ce que l’orateur romain appelle Gertamen honestum et disputatio splendida. Que la France garde, de ces jours de luttes glorieuses et de discussions magnifiques, bonne mĂ©moire! Ils lui ont appris tout ce qu’elle sait de libertĂ©. Maintenant qu’ils sont loin de nous, on aime Ă  proclamer les biens qu’ils ont versĂ©s sur la France, surtout aprĂšs leur avoir tant demandĂ© d’en verser davantage encore, afin qu’ils fussent Ă©ternels. Ce sont les plus calmes, les plus prospĂšres, et les plus libres que la France, jusqu’à ce jour, ait comptĂ©s ! INTRODUCTION. l4 Au terme de cette carriĂšre close par un abĂźme, il est deux choses dont nous sommes heureux, c’est de n’avoir dĂ©sertĂ© jamais, ni les droits, ni les devoirs de la libertĂ© constitutionnelle. Depuis la douloureuse Ă©poque de l’occupation Ă©trangĂšre, on ne citera point une faute de la restauration que nous ayons laissĂ© passer sans la combattre; et, certes, il n’y avait Ă  cela nul mĂ©rite; Il est des natures malheureuses qui sont facilement en contrariĂ©tĂ© avec la fortune. Quand on voit une opinion victorieuse, quel que soit son nom, mĂ©connaĂźtre ce qu’on croit la justice et la sagesse, on court Ă  leur aide sans rĂ©flexion et malgrĂ© soi-mĂȘme, comme si on voyait un ami se dĂ©battant dans les flots et emportĂ© par le courant. Mais aussi nous sommes-nous abstenus, dans une longue opposition, de toute alliance et de toute doctrine qu’il aurait fallu dĂ©savouer un jour en approchant du pouvoir. Ce fut dans le feu mĂȘme de la polĂ©mique la plus animĂ©e, et en prĂ©voyance de retours inĂ©vitables, que fut tracĂ©e l’histoire de la Pologne, pour frapper le public français des exemples terribles de cette malheureuse nation, qui, se relevant dix fois avec courage sous les coups de la Providence, a pĂ©ri, parce que le corps Ă©lectoral, sorte de bourgeoisie guerriĂšre sous le nom d’ordre Ă©questre, crut ĂȘtre plus libre en gouvernant sans partage, et assurer mieux son Ă©galitĂ© jalouse en dĂ©niant aux deux autres pou- INTRODUCTION. i5 voirs la prĂ©rogative tutĂ©laire de l’hĂ©rĂ©ditĂ© ! Le » moment, disait la PrĂ©face1, peut paraĂźtre » mal choisi pour signaler les pĂ©rils de la libertĂ© » et de l’égalitĂ© extrĂȘmes. Mais quand on a devant » soi une montagne, on doit songer qu’on aura » bientĂŽt Ă  descendre. » C’était le temps oĂč nous Ă©crivions dans un journal cĂ©lĂšbre En visitant » naguĂšre, Ă  Edimbourg , dans le sombre manoir » d’Holy-Rood, toutes fleurdelysĂ©es encore et » toutes prĂ©parĂ©es, les salles oĂč S. A. R. Mon- » sieur, comte d’Artois , aujourd’hui S. M. Cliar- » les X, tenait les levers de l’exil, une doulou- » reuse sensation nous a saisis... Mais non ! les » Bourbons proscrits auront trouvĂ© des conseils » de modĂ©ration et de sagesse sur la couche des » Stuarts 2 ! » Et Holy-Rood a retrouvĂ© ses hĂŽtes augustes ! Les Bourbons , ce qui ne s’était pas vu encore , sont tombĂ©s du trĂŽne le lendemain et dans l’éblouissement d’une victoire. Ils sont lombĂ©s du premier trĂŽne de l’univers, aprĂšs l’avoir relevĂ© par les lois, honorĂ© par les sciences et les lettres, agrandi par les armes. Ils trouvĂšrent la France Ă©puisĂ©e d’argent, d’hommes, de courage ils l’ont laissĂ©e populeuse, prospĂšre, passionnĂ©e pour 1 Histoire de Pologne, avant et sous le roi Jean Sobieski. PremiĂšre Ă©dition. — Paris , 4 827. 2 Les DĂ©bats 182G. i6 INTRODUCTION. toutes les entreprises et prĂȘte pour toutes les gloires. Nos finances Ă©taient anĂ©anties ils ont laissĂ© le trĂ©sor le plus riche et le crĂ©dit le plus haut du continent. Les mers avaient oubliĂ© notre pavillon ; ni le commerce , ni la guerre ne le leur montraient plus depuis vingt ans ils ont laissĂ© une marine puissante et victorieuse qui couvrit de ses voiles tous les ocĂ©ans, humilia Rio-Janeiro, emporta Cadix, illustra Navarin. En un mot, quand ils parurent, l’Europe tenait captifs Paris et nos provinces, l’Europe amenĂ©e au cƓur de la France par l’étoile fatale de l’esprit de conquĂȘte ! ils ont laissĂ© la France redoutable Ă  l’univers, libĂ©ratrice en Orient, conquĂ©rante en afrique, portant ses frontiĂšres jusqu’aux pieds de l’Atlas, et embrassant dĂ©sormais les deux rives de la MĂ©diterranĂ©e dans son domaine !... Cependant, ils sont tombĂ©s ! Innocent de leur chute, nous prions le ciel qu’une catastrophe si grande et si haute ne soit pas, du moins comme une leçon terrible, perdue pour notre pays. Puisse- t-elle enseigner qu’il y a pour tous les pouvoirs des conditions vitales qu’aucuns d’eux ne peuvent mĂ©connaĂźtre impunĂ©ment, quelque soit leur titre ou quelle que semble leur puissance ! Les partis, dans leurs triomphes et quelquefois mĂȘme dans leurs adversitĂ©s, ne savent qu’obĂ©ir Ă  d’aveugles instincts. Une voix fatale leur crie toujours Marche ! marche ! Puis vient le jour oĂč la mesure INTRODUCTION. '7 de la bontĂ© du ciel est comblĂ©e, et tout Ă  coup la terre manque sous leurs pas ! Ces choses, nous les avons dites cent fois Ă  la monarchie qui a passĂ© sans les entendre. Nous les redisons Ă  la libertĂ© serons-nous mieux entendu? La restauration ne se rendait pas compte qu’ellĂ© portait dans son sein un ennemi public contre les envahissements duquel elle devait de perpĂ©tuelles sĂ»retĂ©s Ă  la France. Cet ennemi Ă©tait l’esprit contre, rĂ©volutionnaire, c’est-Ă -dire le penchant Ă  dĂ©duire sans rĂ©serve toutes les consĂ©quences extrĂȘmes du principe de la lĂ©gitimitĂ©; l’empressement Ă  renverser, au profit des intĂ©rĂȘts anciens, l’état social et politique, créé par la rĂ©volution et consacrĂ© par le temps, par la Charte, par mille serments. C’était le cancer qui la rongeait. On le lui a criĂ© quinze ans, et il l’a dĂ©vorĂ©e. La royautĂ© nouvelle nourrit dans ses flancs un autre flĂ©au c’est l’esprit rĂ©volutionnaire , Ă©voquĂ© du chaos sanglant de notre premiĂšre anarchie au bruit de la rapide victoire des masses sur la royautĂ©. Cet esprit funeste pĂšse sur les destins de la France de 1830 comme son mauvais ange. Nous Ă©crivons pour signaler toutes ses Ɠuvres c’est prendre l’engagement de combattre Ă  peu prĂšs tous les actes du parti dominant et toutes ses doctrines. La contre-rĂ©volution ne semblait redoutable que grĂące Ă  d’inĂ©vitables intelligences avec la 2 18 INTRODUCTION. royautĂ©, qui encourageait involontairement les plans de rĂ©action par son indulgence, et qui, tout en leur refusant longtemps ses armes, leur prĂȘta trop souvent son manteau. L’esprit rĂ©volutionnaire, de son cĂŽtĂ©, a une alliĂ©e puissante, qui fait sa force par sa propre force, et lui donne l’autoritĂ© d’une sorte de droit par son propre droit. Cette alliĂ©e, c’est la dĂ©mocratie qui rĂšgne sur la France en despote , c’est-Ă -dire sans modĂ©ration , sans sagesse, et ne s’apercevant pas qu’elle rĂšgne au profit de l’esprit de dĂ©sordre , qui la flatte et la caresse pour mieux la dominer. Il est temps de lui parler un sincĂšre langage, de rappeler enfin des principes vieux comme le monde, qui n’ont jamais Ă©tĂ© violĂ©s impunĂ©ment par les nations, et qui disparaissent successivement du milieu de nous, Ă©touffĂ©s sous le poids d’instincts grossiers, de passions tĂ©mĂ©raires, de concessions pusillanimes, de lois subservives. Les choses en sont venues Ă  ce point qu’il faut du courage pour exposer , pour dĂ©fendre ces principes sacrĂ©s ; et cependant il y va de toutes les fins de l’état social, du progrĂšs vĂ©ritable des nations, de la dignitĂ© rĂ©elle de la nature humaine, de la libertĂ© enfin ; car cette libertĂ©, dont le nom brille au frontispice de tous nos monuments, Ă  la porte de toutes nos citĂ©s, Ă  la flamme de tous nos drapeaux, ne sera qu’un Ă©clatant mensonge, si l’air que nous respirons est chargĂ© d’anarchie, comme d’une conta- INTRODUCTION. iq gion inĂ©vitable, si le flĂ©au marque chaque jour de sa croix fatale une de nos maximes, une de nos lois, un de nos pouvoirs, en attendant qu’il puisse, dans un jour d’audace et de fortune , dĂ©vorer la sociĂ©tĂ© entiĂšre. Comment et pourquoi le taire ? L’état moral de cette sociĂ©tĂ©, si confiante et si menacĂ©e, est ce qui nous Ă©pouvante bien plus encore que son Ă©tat politique. Contemplez-vous ces populations d’ordinaire calmes, laborieuses, avides de jouir en paix des biens que la main de Dieu a versĂ©s sur le sein de notre riche et belle France, vous prendrez espoir, vous envisagerez d’un Ɠil rassurĂ© l’avenir. Mais scrutez le fond de ces masses qu’aucune pensĂ©e religieuse ne soutientetn’enchaĂźne, qu’aucune foi ne console dans leurs douleurs et n’arrĂȘte dans leurs colĂšres, qui frĂ©missent Ă  l’idĂ©e de toute hiĂ©rarchie, qui ne comprennent et ne tolĂšrent aucune supĂ©rioritĂ© , qu’un esprit fatal instruit Ă  confondre , dans une haine sauvage, Dieu et le prĂȘtre, le magistrat et l’autoritĂ©, les grands et les rois ! Reportez vos regards sur la rĂ©gion oĂč grondent les partis ; voyez ces tentatives opiniĂątres de soulever, dans la multitude, toutes ces mauvaises passions qui minent l’ordre social, de les rĂ©veiller lorsqu’elles sont assoupies, de les enrĂ©gimenter lorsqu’elles sont flottantes, d’en faire, quelquefois au profit des banniĂšres opposĂ©es, une mĂȘme milice, pour marcher comme ces chevaliers de l’Arioste, sur 20 INTRODUCTION. un seul coursier, Ă  la conquĂȘte d’une proie qu’on se disputera ensuite clans le sang! Assistez Ă  ces clubs clandestins qui dĂ©libĂšrent, de sang-froid la mort des princes, des administrateurs, de dix mille citoyens , pour mettre en appĂ©tit la furie populaire ; ou bien Ă  ces prĂȘches Saint-Simoniens qui font de la prostitution un sacerdoce, et du renversement de la propriĂ©tĂ© une religion, quand toute autre religion semble proscrite! Voyez cette jeunesse enrĂ©gimentĂ©e de nos Ă©coles qui porte Ă  la boutonniĂšre le triangle d’acier-, bĂȘlas ! qui y porte mĂȘme des spĂ©cimens de la guillotine infĂąme; car ce sont lĂ  les hochets de notre temps, malheureux enfants qui se vantent des crimes qu’ils n’ont pas commis, et placent leur vie innocente encore, sous l’invocation des Marat, des Saint-Just, des monstres qui Ă©gorgeaient leurs pĂšres ! Comment s’empĂȘcher de reconnaĂźtre, dans ce dĂ©lire des passions destructives, bien moins les signes funestes qui suivent les secousses violentes, que ceux qui prĂ©cĂšdent et annoncent les secousses nouvelles?.. .. Tandis que nous hĂ©sitions sur ces lignes, nous demandant si elles ne formeraient pas un contraste trop grand avec la sĂ©curitĂ© publique, si nous ne devrions pas faire flĂ©chir l’expression animĂ©e de notre profonde conviction devant le sentiment gĂ©nĂ©ral du pays et du temps, voilĂ  que la colĂšre du ciel a Ă©clatĂ© sur cette France fascinĂ©e ! La rĂ©volte, INTRODUCTION. 2 I l’assassinat, la guerre civile ont ensanglantĂ© la seconde de nos citĂ©s 1, et il y aurait folie Ă  s’en Ă©tonner. On sĂšme l'anarchie Ă  pleines mains ; c’est une moisson qui ne manque jamais. Aujourd’hui, comme il y a quarante ans, trois sortes d’hommes conspirent au triomphe de cette anarchie dĂ©testable. Les uns l’aiment pour elle- mĂȘme ; ils la veulent, ils l’attendent des souffrances publiques, de la disette, de la guerre, de tous les flĂ©aux par lesquels l’inclĂ©mence du ciel caresse leur espoir. Ce sont les rĂ©volutionnaires avouĂ©s, c’est l’extrĂȘme gauche. Ceux-lĂ  ne sont pas les plus dangereux Ă  notre sens; nous ne savons pas mĂȘme s’ils sont les plus coupables. D’autr ‱es dĂ©testent les saturnales de la terreur, sans oser le dire. Au fond, ils en redoutent le souvenir ; ils n’en souhaitent pas le retour. Voulant la libertĂ©, ils mesurent tous les pĂ©rils de la libertĂ© extrĂȘme. La dĂ©mocratie, dans ses dĂ©bordements, les inquiĂšte et mĂȘme les afflige. Et cependant, c’est tantĂŽt par leur complicitĂ© irrĂ©flĂ©chie, tantĂŽt par leurs condescendances calculĂ©es, que le dĂ©sordre a fait ses conquĂȘtes ; c’est par eux que nous avons vu toutes nos destinĂ©es remises en question , par eux cpie nous restons suspendus sur l’abĂźme , par eux que les partis espĂšrent obtenir de leur Ă©toile la restauration de la puissance populaire. Ils sont 1 RĂ©volte de Lyon, 483L 22 INTRODUCTION. toujours prĂȘts Ă  gorger le monstre pour l’endormir, au risque de s’en faire dĂ©vorer. Ils dĂ©pouilleront piĂšce Ă  piĂšce, ils laisseront cheoir la monarchie constitutionnelle qu’ils veulent, ils ia briseront plutĂŽt que de se sĂ©parer de l’anarchie qu'ils jugent et qu’ils redoutent. Ce camp funeste est la gauche proprement dite. On sait ses programmes, ses passions, ses peurs, son chef. D’autres vont plus loin encore ils poussent droit aux bouleversements comme les premiers, tout en les dĂ©testant autant et plus que les seconds. Parcequ’un Ă©lĂ©ment d’ordre a pĂ©ri, ils demandent au dĂ©sordre de se montrer logique, c’est-Ă -dire d’ĂȘtre complet et absolu ; ils somment la rĂ©volution de se perdre, comme la lĂ©gitimitĂ©, en s’épuisant politique extraordinaire qui se croit le droit de jeter la patrie dans des voies impĂ©nĂ©trables et terribles pour avoir raison contre la fortune, et attendre des rĂ©parations de l’excĂšs des maux ! Mais ces calculs ont Ă©tĂ© faits dĂ©jĂ  ne sait-on pas ce qu’ils ont produit? Qu’on se rappelle, Ă  l’aurore de nos tourmentes, ce camp oĂč les journĂ©es de 1793 Ă©taient comptĂ©es comme autant d’échelons par lesquels l’ancien rĂ©gime remonterait Ă  la puissance ! L’ancien rĂ©gime resta dĂ©trĂŽnĂ©. À l’intĂ©rieur, ses partisans, vrais ou supposĂ©s, hommes, femmes, jeunes filles, furent guillotinĂ©s, fusillĂ©s, noyĂ©s, mitraillĂ©s les nobles comptant pour des royalistes, les propriĂ©taires pour des nobles, les INTRODUCTION. a3 fermiers pour des propriĂ©taires, et Ă  la fin, les marchands, les victimes du maximum comptant pour tous. Au dehors, l’émigration se vit dispersĂ©e par toute la terre; et, quand elle rentra enfin, ce fut pour voir le dernier des CondĂ©s tomber, de la mort des Bourbons au siĂšcle oĂč nous sommes, dans les fossĂ©s de Yincennes, et le chef de l’Eglise effacer ce sang, aux yeux des peuples, sous les onctions qui consacrent les rois! Il fallut quinze ans pour que la monarchie impĂ©riale s’écroulĂąt sous le long suicide de sa gloire. Un cri de vive le roi ! put alors s’échapper de dessous les dĂ©combres, et les princes de Coblentz parurent avec l’habit de gardes nationaux, en criant que rien n’était changĂ©, qu’il n’y avait que des Français de plus! Louis XVIII fit son entrĂ©e dans Paris, ayant les marĂ©chaux de l’empire, les gĂ©nĂ©raux de la rĂ©publique pour tout cortĂšge. Il venait promulguer une Charte dont le premier article stipula l’égalitĂ© devant la loi. Charles X, Ă  son tour, est restĂ© longtemps assujetti Ă  ce grand contrat; et quand, aprĂšs seize annĂ©es passĂ©es Ă  prendre position , la restauration s’est dĂ©cidĂ©e Ă  tenter enfin les aventures, Ă  faire une entreprise , comme la plus malheureuse des femmes et la plus auguste l’a dit si bien I, voilĂ  que la foudre tombe du ciel, et tout disparaĂźt dans l’abĂźme ! f C’est une entreprise, dit madame la Dauphine, en apprenant les ordonnances de juillet 1830. Cela ne nous a jamais rĂ©ussi, » 2l\ INTRODUCTION. Maintenant, beaucoup de ceux qui demandaient Ă  l’autoritĂ© d’essayer Ă  tous risques de se fixer sans partage au faite de l’Etat, font cause commune avec le parti qui travaille Ă  l'asseoir aux derniers rangs des masses sans lumiĂšres. Etrange tĂ©mĂ©ritĂ© ! dĂ©plorable mĂ©pris de l’ordre matĂ©riel qui n’est pas tout, mais qui est quelque chose! Oubli funeste des conditions auxquelles l’ordre vĂ©ritable s'Ă©tablit chez les nations ! Nous nous abusons fort, ou dĂ©montrer hautement la vanitĂ© des tentatives de notre dĂ©mocratie, lui dĂ©montrer, s’il se peut, Ă  elle-mĂȘme, son impuissance Ă  constituer des libertĂ©s solides sur la base des intĂ©rĂȘts et des prĂ©jugĂ©s rĂ©volutionnaires, c’est faire un acte meilleur que d’offrir Ă  cette dĂ©mocratie, ivre dĂ©jĂ  d’assez d’encens et de passions, la consĂ©cration antique de ses utopies, et en quelque sorte le sacre de sa rĂ©publique , dans les anathĂšmes du prĂȘtre Samuel contre les rois, et dans les commandements du Dieu qui l’inspirait 1. AssurĂ©ment, un semblable emploi du gĂ©nie du christianisme est aussi pĂ©rilleux qu’inattendu, et il n’est pas nouveau. Le livre de Sidney s’appuie aux mĂȘmes fondements. S’il faut tout dire, nous ne saurions entendre que le grand Ă©crivain auquel nous faisons allusion promette aux Français la royautĂ© abaissant sous Henri V ce que la monarchie avait encore de trop 1 Brochure de M. de Chateaubriand 1834. INTRODUCTION. 25 haut sous la restauration , et se convertissant en une espĂšce de prĂ©sidence royale , pour mener , dans trente ou quarante ans, la France et l’Europe Ă  un avenir rĂ©publicain ! A. ces conditions, que devient la perpĂ©tuitĂ© des trĂŽnes, dogme qui repose sur la stabilitĂ© de l’avenir autant et plus peut-ĂȘtre que sur la durĂ©e du passĂ©? Comment douter qu’avec une prĂ©rogative rĂ©elle et des institutions conservatrices, la pire des usurpations ne fĂ»t meilleure Ă  la France et Ă  l’Europe que cette quasi-royautĂ© provisoire, ce quasi-trĂŽne rĂ©publicain, juste-milieu entre quelque chose et le nĂ©ant? C’est une cote mal taillĂ©e entre d’inconciliables extrĂȘmes ; c’est le jugement de Salomon pris au sĂ©rieux. De cet enfant que se disputent l’exil et la royautĂ©, une moitiĂ© Ă  Y ami de Washington , Ă  la jeune France , aux hommes gĂ©nĂ©reux, aux dĂ©mocrates, un mot, car ce sont lĂ  les noms qu’on leur dĂ©fĂšre ; l’autre moitiĂ© aux royalistes ! Tout cela ne fait pas un roi. Et c’est un roi qu’il faut instruire la France Ă  vouloir et Ă  comprendre. Il faut lui crier que, dĂ©mocratique, continentale, libre et prĂ©tendant le rester, elle a besoin de royautĂ©, d’une royautĂ© rĂ©elle, c’est-Ă -dire forte et respectĂ©e, pour lui ĂȘtre ce que fut Ă  l’Angleterre, durant des siĂšcles, son aristocratie au dedans, ce que lui est au dehors son ocĂ©an. VoilĂ  comment les passions contraires vont Ă©garant de concert l’esprit public, et frappant Ă  2Ô INTRODUCTION. plaisir de vertige cette France qui n’a que trop souffert depuis quarante ans , qui a plus souffert qu’elle n’a failli. Car ce n’est pas elle qui siĂ©gait il y a quarante ans dans le ComitĂ© de salut public ; ce n’est pas elle non plus qui a prĂ©sentĂ© Ă  la signature de son roi, en juillet 1830, les ordonnances fatales. Et elle a payĂ© pour toutes les factions auxquelles il a plu de jouer l’empire Ă  quitte ou double, et qui toutes ont perdu Ă  ce coupable jeu. Pour nous, au milieu de toutes les tĂ©mĂ©ritĂ©s et de toutes les dĂ©raisons, nous poursuivrons jusqu’au bout la route que nous nous sommes tracĂ©e nous dirons la vĂ©ritĂ© quand mĂȘme, en prĂ©sence de tous les pouvoirs. Sous tous les rĂ©gimes, nous tirerons, Ă  nos risques et pĂ©rils , l’horoscope des mauvais actes et des mauvaises doctrines ; convaincus que nous sommes qu’il est deux choses que nul n’a le droit de sacrifier, dans les troubles politiques, pas plus Ă  la haine qu’à la peur ce sont la justice et la vĂ©ritĂ©. L’holocauste est trop grand pour de tels dieux. Les devoirs du citoyen , dans les grandes conjonctures telles que cellesci, sont, Ă  nos yeux, semblables Ă  ce que les relations d’un naufrage, cĂ©lĂšbre il y a quelques annĂ©es, disaient d’un jeune officier, marchant, sur une frĂȘle embarcation, au secours d’un navire incendiĂ©, que ballottait la mer en furie. La main sur la barre, l’oreille fermĂ©e JKTRODDCXIOiN . 2? aux cris de ses compagnons, inĂ©branlable sous l’assaut des vagues, oubliant tout hormis le devoir, il passa la nuit entiĂšre, le regard attachĂ© Ă  une Ă©toile qui seule dirigeait sa course. Nous tous, pilotes volontaires qui nous offrons Ă  conduire la nef de notre cher pays au milieu des orages, ne devons-nous pas ainsi regarder, non Ă  nos pieds, non autour de nous, mais plus haut? 11 est aussi des Ă©toiles qui nous dirigent; il est des principes Ă©ternels qui sont nos flambeaux. Les prĂ©dilections les plus chĂšre, les intĂ©rĂȘts les plus saints, les questions les plus augustes doivent disparaĂźtre devant ces guides immuables. Les dĂ©laisser pour se jeter dans la tourmente par un coup de dĂ©sespoir, et attendre de l’aveugle furie des flots le retour au port ; apostasier en faveur de l’anarchie ; pactiser avec ses doctrines, soit ouvertes, soit cachĂ©es ; encenser ses grands hommes ; caresser leurs colĂšres , exalter leurs espĂ©rances , prĂȘter des armes Ă  leurs passions, risquer de compromettre la France pour complaire Ă  leur furie , saluer au passage leurs thĂ©ories contraires, baisser le fer devant leur rĂ©publique caduque ; tremper enfin dans la corruption et l'anarchie croissantes des esprits, avec l’espoir d’appliquer un jour la lance d’Achille on ne sait quel jour ! aux blessures profondes qu’on aura faites ainsi au corps social tout entier, nous disons qu’il n’est point de cause si sainte qu’elle lĂ©gitimĂąt de tels actes, ou si impĂ©rieuse 28 INTRODUCTION. t^ÜSnvw qu’elle puisse les commander. Il faudrait douter du Dieu qui ordonnerait d’apprĂȘter des malheurs Ă  la patrie. La main doit se sĂ©cher plutĂŽt que de consentir Ă  carasser l'anarchie, mĂȘme pour la trahir. Ah ! ne semons pas les tempĂȘtes ! Laissons ce soin au ciel et au temps. La responsabilitĂ© serait trop pesante pour de simples hommes ! On comprend Guillaume Tell maudissant la barque hors laquelle il s’est jetĂ©, et du pied la chassant vers la tempĂȘte. Mais, lui dehors, elle n’avait plus rien de commun avec la patrie et sa fortune; elle ne portait Ă  la tempĂȘte que l’étranger. Nous pouvons montrer notre pensĂ©e sans rĂ©serve. TĂ©moin d’une rĂ©volution que nos vƓux n’appelaient pas , mais que notre pays a reconnue sans coup fĂ©rir, nous nous sentons incapables de renier ce qui a Ă©tĂ©; nous nous Ă©pouvanterions de nous-mĂȘmes, si nous pensions Ă  Ă©branler ce qui est, car c’est encore un refuge; Ă  contester une planche de salut Ă  la France, car c’est la derniĂšre. On ne nous verra pas traverser les efforts tentĂ©s pour donner des digues au torrent. Nous ne nous attacherons pas Ă  des personnes, Ă  un parti, Ă  une cause. Nous nous attacherons Ă  ces grands intĂ©rĂȘts qui ne tombent et n’abdiquent jamais l’ordre et la libertĂ© ; la patrie , son indĂ©pendance et sa gloire. Quoi qu’il advienne , une Ăšre nouvelle s’est ouverte; de nouvelles combinaisons seront essayĂ©es INTRODUCTION. 2y par les sociĂ©tĂ©s pour trouver le repos et la grandeur sur ces bases dĂ©sormais indestructibles, mais mouvantes et pĂ©rilleuses, la libertĂ© civile, l’examen universel, l’universelle controverse, la publicitĂ©. Dans l’attente d’un avenir inconnu qui peut renfermer en ses flancs tant de chances extraordinaires, et donner une face inattendue Ă  toute notre vieille Europe , la sagesse nous trace une loi impĂ©rieuse, qui pourra ĂȘtre mĂ©connue, mais Ă  laquelle il faudra, sous peine de pĂ©rir, revenir tĂŽt ou tard c’est d’abjurer les anciennes divisions, de ne plus connaĂźtre dĂ©sormais que deux partis, l’un pour l'adopter et le dĂ©fendre, l’antre pour le combattre ; l’un comprenant quiconque, par ses intĂ©rĂȘts, ses opinions, son intelligence de la liante nature de l’ordre , est nĂ©cessairement dĂ©vouĂ© Ă  sa cause ; l’autre qui, par des utopies de boue et de sang, est le dĂ©sordre mĂȘme. Dans le premier, nous ne demanderons pas Ă  tel ou tel quelles sont ses affections dans le second, Ă  celui-ci s’il diffĂšre de celui-lĂ  par des arriĂšres- pensĂ©es. Nous ne voyons que les thĂ©ories qu’on propage, que les maux prĂ©sents qu’on fait. 11 est des doctrines conservatrices , fĂ©condes, les seules vraiment favorables aux progrĂšs de l’humanitĂ©; nous les embrassons. Il en est d’anti-sociales, nous les rĂ©pudions ; et nous flĂ©trissons leurs dĂ©fenseurs volontaires, nous combattons leurs opiniĂątres champions, nous essayerons d’éclairer leurs pro- 3o INTRODUCTION . sĂ©lytes Ă©garĂ©s. Ensuite, plus habile que nous, le temps rĂ©soudra le grand problĂšme d'un assemblage de trente-deux millions d’hommes qui ont renversĂ© tous les principes sur lesquels le monde a roulĂ© six mille ans , et qui entendent rester paisibles et prospĂšres, grands et libres. Mais ce que le temps ne fera pas, c’est qu’il y ait un pacte possible entre la dĂ©magogie, l’athĂ©isme, tous ces montres, et la civilisation, le repos, la libertĂ©. La Providence mĂȘme a marquĂ© la barriĂšre; sachons la reconnaĂźtre et la respecter. C’est Ă  faire sentir la nĂ©cessitĂ© de constituer, dĂšs Ă  prĂ©sent, dans l’état social de la France, sans se souvenir des dĂ©chirements passĂ©s, sans attendre des malheurs nouveaux, le grand parti, la grande armĂ©e de l’ordre, que ce livre est consacrĂ©. Il s’adresse donc aux hommes de bien de tous les partis; Ă  ceux qui sont rĂ©solus Ă  tenir tĂȘte Ă  l’anarchie, quelles que soient ses promesses, quelles que soient ses menaces ; Ă  ceux qui, en courant au-devant d’elle, craindraient de lui livrer l’empire , et de rĂ©pondre devant Dieu et devant les hommes, du sort inconnu de la France. On s’adresse Ă  eux, rĂ©solu de dĂ©voiler aux regards de notre pays toutes ses plaies , de poursuivre jusque dans leurs causes les maladies profondes qui nous tourmentent. Les causes en dĂ©finitive peuvent se rĂ©duire Ă  une seule, Ă  une grande mĂ©prise, celle prĂ©cisĂ©ment qui a une premiĂšre fois scindĂ© en INTRODUCTION. deux la patrie et conduit ce grand corps sur le penchant de sa ruine. Les Français parlent depuis cinquante ans de libertĂ©, et c’est le gouvernement par les masses qu’ils travaillent Ă  fonder. L’égalitĂ© est leur passion, et ils la confondent avec le nivellement. On peut l'affirmer sans crainte tant que ce double prĂ©jugĂ© rĂ©gnera parmi nous , nous ne trouverons l’ordre que dans le despotisme , et ne trouverons nulle part la libertĂ© libertĂ©, ordre, dernier terme de la civilisation, les deux plus belles des conquĂȘtes de l’homme, celles qui assurent tontes les autres et sans lesquelles toutes les autres sont incomplĂštes et fragiles! Mais Dieu attache des conditions Ă  ces biens. Puisse notre pays savoir les comprendre enfin et les remplir ! >'! A oiĂź/ Un-'h I Ăź n,i; A o '' fi iĂźfi'Oi S'il *nOf> D'5-UfiKK? fl r Ăź LIVRE PREMIER. PRINCIPES GÉNÉRAUX. On qualifiera ce systĂšme d’aristocratie ! Mais la nature a-t-elle donnĂ© h tous les citoyens Ă©galement en partage la force, le courage, l’activitĂ©, l’industrie, la patience ? PossĂšdent-ils par portions Ă©gales la richesse, les connaissances, la rĂ©putation, l’esprit, la sagesse? Tout le genre humain rĂ©pondra Non. Eh bien ! la propriĂ©tĂ©, la naissance et le mĂ©rite doivent avoir leurs poids dans l’opinion et les dĂ©libĂ©rations publiques, et l’auront toujours. Un grand service Ă  rendre Ă  l’humanitĂ© est de fixer au juste quel doit ĂȘtre ce poids. John Adams prĂ©sident des Etats-Unis, DĂ©fense des Constitutions amĂ©ricaines. LIVRE PREMIER PRINCIPES GÉNÉRAUX. CHAPITRE PREMIER. LA LIBERTE. Quel que soit le prix do cette noble libertĂ©, il faut la payer aux dieux. Montesquieu , Dialogue d'Eucrate. Il est des hommes qui aiment la libertĂ© de passion ; nous avons toujours Ă©tĂ© de ces hommes. Il est des hommes qui, sous tous les rĂ©gimes, la dĂ©fendront envers et contre tous; nous sommes encore de ces hommes. Mais il en est qui commettent une perpĂ©tuelle mĂ©prise, qui parlent de la libertĂ©, croient l'aimer, croient la vouloir, et c’est avec la dĂ©magogie qu’ils la confondent. Comme firent, nos pĂšres depuis la journĂ©e du Jeu de Paume jusqu’au 9 thermidor, ils disent fort sincĂšrement, toutes les fois que le pouvoir se fixe Ă  un degrĂ© plus bas de l’échelle sociale, que la libertĂ© est en progrĂšs, 36 LIVRE PREMIER. qu’elle s’étend et s’affermit nous n’avons pas cette façon de voir. Ceux-lĂ  pensent aussi que la libertĂ© est le rĂ©gime le plus aisĂ© Ă  conquĂ©rir, qu’il s’agit simplement de descendre dans la rue, de mettre en dĂ©route la force publique et de crier Vive la libertĂ© ! Ils sont tout prĂȘts Ă  prendre la libertĂ© pour une Ă©meute. Nous, qui la rĂ©vĂ©rons, nous en avons une tout autre idĂ©e. Ils imaginent encore que rien n’est plus facile que de la conserver; qu’il suffit, pour rester libres, de le vouloir; que, s’il y a lutte, tout consiste Ă  ĂȘtre les plus forts; qu’en ayant pour soi le nombre, on possĂšde la libertĂ© la plus solide de la terre. Ce sont, Ă  notre sens, autant d’hĂ©rĂ©sies grossiĂšres et fatales. Suivant eux, renverser de fond en comble les institutions de la patrie ; tenir Ă  fleur de terre tous les pouvoirs ; saper principalement les puissances morales ; avoir en dĂ©dain les souvenirs et les croyances, niveler tous les rangs, encourager dans le citoyen la dĂ©sobĂ©issance au magistrat, dans le soldat le mĂ©pris du capitaine, dans l’avocat ou l’accusĂ© l’insulte au juge, dans le pauvre la haine du riche, dans le fils la dĂ©rision des opinions et des volontĂ©s du pĂšre, dans les masses la jalousie contre les supĂ©rioritĂ©s et la colĂšre contre les illustrations; extirper enfin du cƓur des peuples tout sentiment de respect, Ă©nerver dans leur sein toute notion PRINCIPES GÉNÉRAUX. 3 7 de devoir, proscrire de leurs pensĂ©es, comme de leurs lois, le nom du LĂ©gislateur souverain de la race humaine, tout cela s’appelle travailler pour la libertĂ©. Or, nous avons des doutes Ă  ce sujet, et une autoritĂ© imposante nous appuie la Convention pensait comme nous. Elle ne se contenta point de donner par dĂ©cret Ă  l’homme une Ăąme immortelle, et Ă  l’univers un Être suprĂȘme elle comprit dans la dĂ©dicace de ses fĂȘtes les AncĂȘtres, la Vieillesse, la Gloire, aussi bien que la Raison et la Vertu. Il n’y avait qu’un malheur, c’est qu’elle n’avait plus le droit de consacrer de semblables hommages Ă  Dieu, aux ancĂȘtres, au passĂ© de la patrie. C’était le parricide Ă©levant un autel, de ses mains sanglantes, Ă  la mĂ©moire de son pĂšre. Dans l’histoire, il fait beau voir les Romains, quand ils veulent changer les lois qu’ils ont hĂ©ritĂ©es des siĂšcles prĂ©cĂ©dents, et qui ont assurĂ© leur libertĂ© comme leur grandeur, appareiller patiemment une flotte pour envoyer d’illustres citoyens en cours de dĂ©couverte dans la GrĂšce, avec la mission de consulter les dieux, de presser les oracles, de recueillir, comme les oracles de la sagesse antique, les institutions de Solon ou de Lycurgue, et les leçons d’un plus grand maĂźtre encore, celles du temps. De nos jours, on ne regarde pas de si prĂšs Ă  reprendre aux fondements la Constitution de tout un peuple. On commence par dĂ©crĂ©ter l’abo- 38 LIVRE PREMIER. lition des Ă©tablissements qui importunent, sauf Ă  voir ensuite ce qui devra ĂȘtre assis sur les dĂ©blais. L ’instinct de la foule 1 est le seul gĂ©nie que l’on reconnaisse pour guide, le seul oracle que l’on consulte ; et il s’agit de constituer la libertĂ© d’un empire populeux et vaste deux cents fois comme la rĂ©publique de Sparte ou d’AthĂšnes ! On ne peut penser que des lois, ainsi faites, soient destinĂ©es Ă  durer autant que celles qui fleurirent Ă  l’ombre du Capitole et mĂȘme du ParthĂ©non. Nous avons toujours cru que les gouvernements libres Ă©taient les plus compliquĂ©s de tous, les plus difficiles Ă  instituer, ceux qui doivent rĂ©unir le plus d’élĂ©ments d’ordre pour s’établir, le plus de ressorts pour se mouvoir, le plus de garanties morales pour s’affermir. Ces conditions, ces ressorts, ces garanties, on les exposera rapidement, tels que l’auteur de ce livre les conçoit, tels qu’il les a conçus toujours. Le grand et saint nom de libertĂ© comprend deux choses , qui sont entiĂšrement diffĂ©rentes , et que l’on confond sans cesse des droits individuels et des pouvoirs publics. Les pouvoirs sont des garanties instituĂ©es pour la dĂ©fense et le maintien des droits. Les droits appartiennent au citoyen ; ils constituent les libertĂ©s privĂ©es. Les pouvoirs spĂ©ciaux prĂ©posĂ©s Ă  leur garde, et qu’on ! Discours de M. PĂ©rier sur la pairie PRINCIPES GÉNÉRAUX. 3 9 nomme en consĂ©quence des garanties, appartiennent Ă  la nation; ils constituent la libertĂ© publique. Ainsi, la libertĂ© individuelle; la libertĂ© de conscience; la libertĂ© d’enseignement, en ce qui touche le droit sacrĂ© du pĂšre de famille Ă  la direction spirituelle, morale, intellectuelle de son enfant; la libertĂ© de la pensĂ©e, en tant que facultĂ© reconnue Ă  chacun de publier sa plainte, son opinion, son vƓu par la voie de la presse; enfin, toutes les libertĂ©s civiles sont des droits. Les fonctions Ă©lectorales, au contraire, sont un pouvoir puisqu’elles constituent la participation Ă  la puissance lĂ©gislative par l’unique moyen qu’ait un grand peuple de l’exercer, par la reprĂ©sentation. Un citoyen est libre quand il jouit des immunitĂ©s nĂ©cessaires Ă  son indĂ©pendance et Ă  sa sĂ©curitĂ©, en vertu des lois. Une nation est libre quand elle participe Ă  la puissance souveraine par des corps et des procĂ©dĂ©s qui sont les gardiens de toutes les immunitĂ©s lĂ©gales. Dans la monarchie prussienne, les sujets ont des franchises Ă©tendues 1; mais elles sont garanties par les institutions moins que par les mƓurs, elles n’ont pas pour sauvegarde l’intervention du pays dans la conduite des affaires publiques lĂ , les citoyens sont libres, d’une libertĂ© incomplĂšte et prĂ©caire ; la nation ne l’est pas. Dans la monarchie anglaise, l’aristocratie {{ Ceci est Ă©crit en 1834. LIVRE PREMIER. 40 fait contre-poids au pouvoir royal par les deux Chambres elle met ainsi Ă  l’abri des empiĂštements de la couronne les droits de tous. LĂ , les deux libertĂ©s fleurissent. Or, nous prĂ©tendons que la perfection de l’ordre politique consiste en ce que les libertĂ©s privĂ©es, solidement garanties, soient Ă  titre Ă©gal le patrimoine de tous les citoyens. Cette situation est, Dieu merci, celle de la France; elle l’est, sans exception, Ă  un degrĂ© de rĂ©alitĂ© et de gĂ©nĂ©ralitĂ© inconnu Ă  l’Angleterre et aux Etats-Unis, mĂȘme sans parler de l’Irlande Ă  propos de l’Angleterre, ni de l’esclavage Ă  propos des Etats-Unis. La perfection de l’ordre social consiste en ce que les pouvoirs constitutionnels dans lesquels rĂ©side la libertĂ© publique soient attribuĂ©s par les lois ou par les mƓurs Ă  la partie Ă©clairĂ©e des nations. Ils doivent s’appuyer tous Ă  la propriĂ©tĂ©, comme au roc qui brave les tempĂȘtes. Encore l’État chancelle-t-il, battu par tous les courants de l’opinion, si, parmi les pouvoirs constitutionnels, il n’en est pas qui soient permanents, pour ĂȘtre plus sĂ»rement conservateurs ; ceux-lĂ , en ayant leurs racines dans la nation plus profondĂ©ment encore que la pairie, trop artificielle et trop Ă  fleur de terre, de la restauration, doivent s’appuyer Ă  l’illustration comme Ă  une garantie de plus haute nature que la richesse, comme Ă  la plus noble et Ă  la plus inviolable des propriĂ©tĂ©s. L’illustration, PRINCIPES GÉNÉRAUX. 4l en effet, a pour fondement et pour sanction, autant que la propriĂ©tĂ© mĂȘme, les plus saintes des lois divines et les plus profonds des sentiments populaires. Car le peuple, lorsqu’il est livrĂ© Ă  lui- mĂȘme, ne manque jamais de la rechercher, de l’honorer, de la couronner. Par un juste et noble orgueil, c’est devant elle qu’il aime Ă  incliner la tĂȘte 1. Plus la sociĂ©tĂ© sera dĂ©mocratique par ses mƓurs, par ses prĂ©jugĂ©s, par ses lois civiles, plus il faudra demander Ă  son gouvernement de ne pas l’ĂȘtre par les lois politiques, pour qu’il ait la puissance de rĂ©sister Ă  ce flux et reflux de trente-deux millions d’hommes Ă©gaux et libres. Le temps des vieilles aristocraties, des aristocraties immobilisĂ©es et exclusives, est passĂ©. Le gĂ©nie français n’en saurait admettre que d’accessibles Ă  tous. Mais dans notre pays, tous peuvent parvenir Ă  l’illustration ; car les routes qui y mĂšnent sont ouvertes. Tous, par l'effet de nos lois, peuvent parvenir Ă  la propriĂ©tĂ© ; car la propriĂ©tĂ© est Ă  une enchĂšre permanente oĂč le mĂ©rite le plus simple est toujours assurĂ© du succĂšs. Dans un tel Ă©tat social, est-ce crime de demander que le pouvoir soit dĂ©fĂ©rĂ© Ă  ceux qui ont usĂ© du droit universel et sont parvenus Ă  la gloire ou Ă  la propriĂ©tĂ©, Ă  1 La rĂ©volution do FĂ©vrier, par ses Ă©lections les plus Ă©clatantes, est venue rendre tĂ©moignage de la vĂ©ritĂ© de cette apprĂ©ciation. LIVRE PREMIER. 42 ceux qui ont pris place Ă  la tĂȘte de l’échelle relative de la commune, du dĂ©partement, de l’État tout entier! Non, ce n’est pas crime; car, l’Ɠil sur l’histoire du monde, on est bien assurĂ© qu’il n’y a de civilisation, qu’il n’y a de grandeur, qu’il n’y a de libertĂ© qu’à ce prix. La libertĂ©, en effet, s’est alliĂ©e Ă  l’aristocratie rĂ©guliĂšre et sensĂ©e, dans tous les siĂšcles. La plupart des États aristocratiques, depuis l’antiquitĂ© jusqu’à nos jours, ont joint la gloire de la libertĂ© Ă  toutes les gloires. Enfants, on nous allaite avec la libertĂ© de Rome ; citoyens, la libertĂ© anglaise faisait autrefois notre envie. Il est Ă  remarquer, au contraire, que la libertĂ© ne s’est pas montrĂ©e encore aux cĂŽtĂ©s de la dĂ©mocratie dans l’ancien monde. Il y a dĂ©mocratie - Ă  Constantinople ; il y eut dĂ©mocratie sous le comitĂ© de salut public ; point libertĂ©. Aux Etats-Unis, la lĂšpre de l’esclavage couvre les deux tiers du sol amĂ©ricain ; et en outre, c’est de l’esprit, des prĂ©cĂ©dents, des croyances, des lois civiles de la sociĂ©tĂ© anglaise, que vit cette vieille sociĂ©tĂ© transplantĂ©e qu’on appelle faussement nouvelle, parce qu’elle est toute entiĂšre appliquĂ©e Ă  dĂ©fricher un sol nouveau. Cette dĂ©mocratie incomplette, contenue et tempĂ©rĂ©e par son travail de conquĂȘte sur tout un monde, par ses traditions et ses principes d’autoritĂ© paternelle , par ses religions d’Etat, par son systĂšme fĂ©dĂ©ratif, par son bon sens hĂ©rĂ©ditaire, PRINCIPES GÉNÉRAUX. 43 doit Ă  ces contre-poids tout Ă  fait exceptionnels , la glorieuse exception qui montre unies sous son empire la dĂ©mocratie et la libertĂ©. Partout ailleurs , ce sont choses essentiellement distinctes, pour ne pas dire contraires. Les institutions peuvent devenir plus dĂ©mocratiques sans devenir plus libres. On a beaucoup dit, et avec raison, que la monarchie fĂ©odale se rapprocha par degrĂ©s de l’égalitĂ© sous Richelieu et sous Louis XIV; assurĂ©ment, elle ne se rapprochait pas de la libertĂ©. Quand la rĂ©volution danoise triomphe, elle dĂ©crĂšte le pouvoir absolu et en investit la royautĂ©. Quand la rĂ©volution française rĂšgne, elle se substitue le soldat du 13 vendĂ©miaire ; elle lui met au front une couronne, le remercie d’encliaĂźner des rois en mĂȘme temps que sa patrie, et elle s’enorgueillira de pĂšre en fils d’une sujĂ©tion que la France calmĂ©e et l’univers vaincu ont fait baptiser du nom de gloire. Quel est le principe de cette pente fatale qui mĂšne inĂ©vitablement la dĂ©mocratie au despotisme ? Serait-ce que les esprits qui sont incomplĂštement Ă©clairĂ©s n’ont ni le gĂ©nie, ni l’indĂ©pendance, ni les goĂ»ts d’ordre indispensables pour constituer un gouvernement libre ? serait-ce que la libertĂ© n’est pas leur premiĂšre passion, mais bien le nivellement ; que le despotisme leur donne satisfaction comme la dĂ©magogie, mais Ă  moins de frais et LIVRE PREMIER. kk avec moins d’efforts ; que si le despotisme institue l’égalitĂ© de la servitude, il fait cependant peser de prĂ©fĂ©rence son joug de fer sur les plus hautes tĂȘtes, et procure aux nations la plupart des biens de l’ordre, en Ă©vitant Ă  la multitude cette domination des classes Ă©clairĂ©es qui est l’épouvantail Ă©ternel des masses, tout en Ă©tant l’une des conditions les plus constantes de la libertĂ© ? Chose certaine , l’aristocratie a souvent maintenu, dans la rĂ©publique l’ordre, et dans la monarchie la libertĂ©. La partie dĂ©mocratique des nations a toujours livrĂ© la monarchie au despotisme , la rĂ©publique Ă  l’anarchie, chacun de ces gouvernements Ă  son excĂšs, Ă  sa corruption, Ă  son flĂ©au. CHAPITRE II LE POUVOIR. La libertĂ© n’est pas le premier besoin des peuples ; elle n’est que le second. Le pouvoir est le premier de tous. C’est le pouvoir qui veille aux cĂŽtĂ©s du citoyen, sur sa vie, sur ses biens, sur son honneur, qui garde la borne des hĂ©ritages et le seuil du domicile, qui rĂšgle et assure les transactions, qui protĂšge le travail, qui prend sous sa garde les capitaux, qui Ă©tablit la paix, crĂ©e la sĂ©curitĂ©, donne et conserve, par la stabilitĂ© des lois et des frontiĂšres, ces loisirs intelligents et fĂ©conds d’oĂč naissent les pompes des arts, les dĂ©couvertes des sciences, les crĂ©ations des lettres, les spĂ©culations de la philosophie, les conquĂȘtes pacifiques et les institutions bienfaisantes de la Religion, toute cette noble part enfin des destinĂ©es et des grandeurs humaines; c’estlui qui assure ainsi Ă  l’existence sociale tous ses dĂ©veloppements et toutes ses douceurs. C’est par le pouvoir que la sociĂ©tĂ© subsiste; c’est en lui qu’elle rĂ©side tout entiĂšre. Il lui sert Ă  la fois de lien et de rempart il dĂ©fend au dedans ses mƓurs, ses intĂ©rĂȘts, ses LIVRE PREMIER. 46 lois ; au dehors, ses droits et sa puissance. En un mot, l’indĂ©pendance et l’ordre, tels sont les bienfaits du pouvoir. Qu’il disparĂ»t un jour, la sociĂ©tĂ© serait dissoute. C’est la civilisation , par ses progrĂšs, la civilisation, crĂ©ation du pouvoir et son honneur, qui mĂšne l’homme Ă  la libertĂ©. Elle dĂ©veloppe en lui une seconde nature ; elle suscite en lui des besoins nouveaux, ceux de l’ordre moral. La sĂ©curitĂ© matĂ©rielle ne lui suffit plus il n’avait que des intĂ©rĂȘts d’abord ; il sent en soi quelque chose de plus prĂ©cieux, de plus haut, de plus sacrĂ©; ce sont des droits. Il veut la sĂ©curitĂ© politique. Alors, sa vie extĂ©rieure le prĂ©occupe moins que cetle vie intime qui bouillonne en lui. Il s’indigne des barriĂšres, et veut s’élancer sans entraves vers les thĂ©ories qui l’attirent, vers les dĂ©couvertes qui l’agrandissent, vers le Dieu intime qu’il conçoit et qu’il rĂ©vĂšre. Le champ qu’il fĂ©conde de ses sueurs , la maison qu’il a hĂ©ritĂ©e de ses pĂšres, le tombeau qu’il a Ă©levĂ© Ă  leurs cendres, le trĂ©sor qu'il entend lĂ©guer Ă  ses fils, ne sont plus les propriĂ©tĂ©s uniques dont il soit jaloux. Il a enfin d’autres richesses qui le touchent davantage ses convictions et sa fiertĂ©, le nom et la gloire de ses ancĂȘtres, l’indĂ©pendance de ses fils et leur dignitĂ©. Il n’avait conçu dans le commencement qu’un besoin , celui de se prĂ©munir contre ses semblables, et le pouvoir avait Ă©tĂ© armĂ© par lui pour Ă©chap- PRINCIPES GÉNÉRAUX. [fj per aux tentatives et aux assauts de forces ennemies , en y opposant l’action tutĂ©laire de la force publique; maintenant, c’est contre le pouvoir mĂȘme, tel qu’il Ă©tait instituĂ© jusqu’alors, que la sociĂ©tĂ© se prĂ©munit. Elle craint l’usage qu’il peut faire des forces dont elle l’avait armĂ© pour sa dĂ©fense ; elle veut des sĂ»retĂ©s contre lui, comme il lui en donnait contre elle-mĂȘme. En un mot, comme la sociĂ©tĂ© enfanta le pouvoir pour sa sauvegarde, la civilisation, pour la sienne , enfante la libertĂ©. Mais cette libertĂ© intelligente et sensĂ©e, n’entendra pas mettre Ă  nĂ©ant ce pouvoir sans lequel elle n’eut jamais pris naissance, sans lequel elle ne vivrait pas un jour. Elle veut le partager, le diviser, lui crĂ©er des contre-poids, sans lui retrancher des forces, instituer des ressorts nouveaux plus que briser les anciens ressorts. Elle 11e dĂ©truit pas le pouvoir; elle l’élĂšve, elle le consacre, elle le complette. Tels sont les gouvernements libres, rĂ©publiques, ou monarchies constitutionnelles, peu importe! Tous consistent surtout en ce que la responsabilitĂ© est instituĂ©e auprĂšs de l’autoritĂ©, les moyens de contrĂŽle auprĂšs des moyens d’action, la pondĂ©ration auprĂšs de l’initiative et de l’unitĂ© rĂ©elles du pouvoir soigneusement maintenues. C’est pour cela que, prĂšs le trĂŽne du prince ou la chaise curule du consul, s’élĂšvent ces trĂŽnes populaires qui, sous le nom de tribunes, lui serviront, selon les LIVJIE PREMIER. 48 temps, de barriĂšres ou de remparts. On conçoit que si tout gouvernement est une machine difficile, celui-lĂ  est plus difficile et plus compliquĂ© qu’aucun autre sa nature est de compter autant de contre-poids que d’instruments. Cependant, le pouvoir doit y rester fort, autant et plus qu’ailleurs ; car il a exactement Ă  remplir la mĂȘme mission conservatrice et tutĂ©laire que dans les autres gouvernements , avec plus d’entraves et plus de rouages, plus d'obstacles et plus de pĂ©rils. Les pĂ©rils naissent du soulĂšvement opiniĂątre des passions; les obstacles, du contrĂŽle malveillant et des rĂ©sistances actives de la foule ; les entraves , de la division et de la lutte intĂ©rieure des diverses branches de la puissance souveraine. Dans ces conflits, la tribune domine-t-elle ? l’État tombe dans l’anarchie. Qu’elle plie et s’abaisse, il retourne au despotisme. Dans tous les cas, l’équilibre entre le pouvoir et la libertĂ© est renversĂ© ; la Constitution de l’État pĂ©rit. Et ce n’est pas tout la constitution mĂȘme de la sociĂ©tĂ© court aussi des hasards. Toutes les dĂ©clamations philosophiques, qui commencĂšrent dans le dernier siĂšcle par des sophismes et finirent par des crimes, ces dĂ©clamations , qui ressortent aujourd’hui de dessous les crimes avec les mĂȘmes sophismes et le mĂȘme cortĂšge, n’empĂȘcheront pas un fait Ă©ternel qui est toute la nature de l’homme c’est qu’il y a dans PRINCIPES GÉNÉRAUX. 49 la sociĂ©tĂ© deux intĂ©rĂȘts, deux forces, deux passions aux prises. Vous les rencontreriez, quand vous rĂ©duiriez la sociĂ©tĂ© Ă  deux hommes. D’une part est l’esprit de conservation, le premier-nĂ© de la propriĂ©tĂ©, le gardien jaloux de l’ordre social, le gĂ©nie familier des classes Ă©levĂ©es, le dieu des sociĂ©tĂ©s antiques. Il est tellement inhĂ©rent aux rĂ©gions supĂ©rieures, que, si on lui laissait pleine carriĂšre, il irait jusqu’à immobiliser la puissance aux mains d’ordres privilĂ©giĂ©s, pour concentrer et immobiliser plus sĂ»rement la propriĂ©tĂ© elle- mĂȘme. D’autre part est le besoin de changement, l’esprit novateur, la recherche des amĂ©liorations indĂ©finies, l’ardeur d’acquĂ©rir par toute voie et Ă  tout prix, instinct fĂ©cond Ă  la fois et redoutable, qui est surtout propre aux couches secondaires de la sociĂ©tĂ©, qui les porte sans cesse Ă  envahir l’État tout entier. C’est pour mener les masses violemment Ă  la propriĂ©tĂ© qu’il les pousse Ă  la puissance. Eh bien ! que le pouvoir populaire, que les tribunes qui le reprĂ©sentent et le rĂ©sument, appartiennent sans partage Ă  ce gĂ©nie entreprenant le voilĂ  qui sape, mine, ronge toutes les institutions et tous les droits ! Il ne s’arrĂȘtera que lorsque la sociĂ©tĂ© bouleversĂ©e sera, aussi bien que l’Etat, reprise aux fondements. Certes, ce n’est pas pour dĂ©truire que la libertĂ© 4 LIVRE PREMIER. 5 O fut inventĂ©e ; c’est pour conserver tout ensemble et amĂ©liorer les sociĂ©tĂ©s, pour agrandir, pour dĂ©fendre, pour glorifier les Etats. Ellen’a mission que d’astreindre le pouvoir Ă  parfaire sa tĂąche bienfaisante, et Ă  s’y renfermer. Elle est mise au monde pour le rĂ©gler, point pour le renverser. Toute tribune doit donc, non pas le battre en brĂšche, mais rassurer, en le dĂ©fendant de lui-mĂȘme, de ses Ă©garements , de ses excĂšs. A qui livrer dĂšs-lors cette citadelle redoutable, ce capitole politique, sinon Ă  une Ă©lite des citoyens, Ă  ceux qui sont intĂ©ressĂ©s Ă  maintenir la Constitution rĂ©gnante, et qui sauraient au besoin la fortifier? Aussi divise-t-on d’ordinaire cette puissance vraiment tribunitienne en deux chambres, prĂ©cisĂ©ment pour pouvoir Ă©tendre ses bases sans danger. Qu’on l’attribuĂąt Ă  des classes qui risquent toujours d’ĂȘtre ennemies du pouvoir Ă  un double titre, et parce que c’est surtout pour les tenir en bride qu’il a Ă©tĂ© inventĂ© , et parce qu’elles sont Ă©galement inhabiles ou Ă  comprendre toute sa mission ou Ă  la remplir elles-mĂȘmes, il est manifeste que la libertĂ© ainsi pratiquĂ©e, loin d’amĂ©liorer le sort des hommes, ne fera que le corrompre et l’aggraver. Au lieu de leur assurer des trĂ©sors nouveaux, elle renversera les barriĂšres qui gardaient leurs richesses Ă©ternelles. L’ordre, le bien- ĂȘtre , la prospĂ©ritĂ© publique disparaĂźtront, entraĂźnant h la longue la civilisation dans leur chute ; PRINCIPES GÉNÉRAUX. car les nations perdent tout dans l’anarchie; et, avant tout, elles y perdent la libertĂ©. A moins de refaire la nature humaine, il faut se soumettre Ă  une observation cpie voici c’est cjuetout pĂ©riclite aux mains de classes qui ne parviennent jamais Ă  l’empire que parla violence; depuis que le monde existe, les jacqueries n’ont jamais su rĂ©gner, et il est trop Ă©vident que c’est la violence seule, l’effet seul de coups de main heureux qui peut çà et lĂ  leur livrer l’Etat pour un jour. Nous disons pour un jour. Car, pour bien manier le pouvoir, comme pour bien concevoir et bien dĂ©fendre la libertĂ©, il faut un apprentissage qui saisisse l’homme au berceau. A la situation sociale se rattachent deux choses sans lesquelles on ne fait pas de gouvernemenis libres les lumiĂšres et l’indĂ©pendance. Otez ces deux biens , vous ferez des esclaves ou des tyrans ; mais des citoyens et des magistrats, jamais. C’est donc Ă  trouver le difficile et nĂ©cessaire Ă©quilibre entre le progrĂšs et la conservation, Ă  Ă©tablir dans les pouvoirs divers de l’Etat et dans les forces actives de la sociĂ©tĂ©, que tous les fondateurs de gouvernements pondĂ©rĂ©s doivent appliquer leur gĂ©nie. Aujourd’hui tout le monde met la main hardiment Ă  des rĂ©volutions, c’est-Ă -dire Ă  des renversements d’institutions et de rĂ©gimes ; et personne ne pense Ă  mĂ©diter sur ces vastes questions 32 LIVRE PREMIER. qui renferment toutes les destinĂ©es du genre humain ' Pourtant chacun a sur ses tablettes des constitutions toutes faites, des en cas de libertĂ© pour tous les peuples de l’univers! L’antiquitĂ©, plus circonspecte, reconnaissait dans les grands hommes qui avaient rĂ©solu l’immense problĂšme des sociĂ©tĂ©s humaines, l’inspiration des dieux. Voyez aussi, chez les anciens, combien de prĂ©cautions et d’ombrages! La libertĂ© reposait sur quatre fondements la force du patriciat, l’influence du sacerdoce, la division des classes , l’odieux, mais commode nĂ©ant du grand nombre esclave. Encore, avec tous ces secours, les lĂ©gislateurs ne se croyaient-ils pas assez forts contre les orages du Forum et de l’Agora. Ils avaient senti le besoin de constituer, au sein delĂ  sociĂ©tĂ©, un principe conservateur placĂ© au-dessus de toute contestation , partout prĂ©sent, opposant une digue Ă  chaque flot, tenant en bride toute cette fougue des jeunes gĂ©nĂ©rations avides de nouveautĂ©s et dĂ©daigneuses de l’expĂ©rience et de la sagesse ; enfin un contre-poids de la mĂȘme nature que la lĂ©gitimitĂ© dans les monarchies modernes. C’était la puissance paternelle. Dans la GrĂšce, le pĂšre disposait du sol ; Ă  Rome, il avait droit de vie et de mort. On pensait que ce n’était pas trop d’une royautĂ© absolue par famille pour rĂ©sister aux Ă©branlements inĂ©vitables des Ă©tats libres. On PRINCIPES GÉNÉRAUX- 53 avait outrĂ© un principe saint, pour avoir une utile barriĂšre. L’Angleterre repose exactement sur les mĂȘmes maximes. Il y a une monarchie absolue par foyer, pour porter le poids de la libertĂ© politique du peuple anglais. Le chef de famille est pour tous les siens, pour sa femme, pour ses enfants, un maĂźtre souverain; les fils dĂ©pendent Ă©ternellement du pĂšre, et les frĂšres du frĂšre aĂźnĂ©. Nous ne disons pas que ce soit un bien , nous disons que c’est un fait. Nous disons que le caractĂšre de cette sociĂ©tĂ© si libre, et prĂ©cisĂ©ment pour qu’elle puisse ĂȘtre libre, c’est que le principe d’autoritĂ© y est partout. Ces barriĂšres n’existent point parmi nous, non plus qu’aucune autre. Il rĂ©sulte de l’égalitĂ© des partages un bien immense l’égalitĂ© des frĂšres. Il en rĂ©sulte, ainsi que de tout l’ensemble de nos lois civiles, un immense pĂ©ril le relĂąchement et presque la suppression du premier chaĂźnon de l’autoritĂ© parmi les hommes, la puissance du pĂšre de famille. Par cette cause, et par beaucoup d’autres, cette puissance salutaire n’existe pas parmi nous, non plus qu’une autre qui s’y rattache et qui est une des colonnes de l’Angleterre, l’esprit de famille. Le sentiment de la subordination, celui mĂȘme de la coliĂ©tion et de la stabilitĂ©, ne se rencontrent nulle part, ni dans la famille, ni dans la sociĂ©tĂ©, ni dans l’Etat. Aussi avons-nous vu na- LIVRE PREMIER. 54 guĂšres cent jeunes gens, dont aucun n’éfait majeur selon la loi civile elle-mĂȘme, gourmander en termes altiers nos Chambres lĂ©gislatives 1 sur ce que les pouvoirs leur marchandaient , disaient-ils, la libertĂ©! En Angleterre, cette folie, en mille ans, ne leur serait pas passĂ©e par l’esprit. A Rome, le tribunal domestique leur eĂ»t appris, d’une façon terrible, Ă  ne pas usurper ce nom de libertĂ© , dans un Ăąge oĂč il ne leur Ă©tait permis que de mourir pour les lois, et oĂč, loin de pouvoir les outrager en tribuns, iis n’auraient mĂȘme pas Ă©tĂ© admis Ă  les invoquer en suppliants. Le gouvernement que la sociĂ©tĂ© française institue pour veiller Ă  sa dĂ©fense, est donc dĂ©pourvu du secours que lui prĂȘtait chez les anciens, que lui prĂȘte chez les Anglais, pour contenir la libertĂ© publique, un gouvernement antĂ©rieur Ă  tout autre, celui du toit domestique. En France, les Ă©tudiants trouvent tout simple de nous bĂątir desgouver* nements, d’imposer des rĂ©volutions Ă  leurs pĂšres ! En mĂȘme temps, le gouvernement est dĂ©pourvu parmi nous de l’appui que lui donnent partout ailleurs les hiĂ©rarchies sociales, toutes Ă©galement intĂ©ressĂ©es Ă  payer d’un retour entier d’obĂ©issance l’assistance que chacune d’elles attend du pouvoir suprĂȘme pour tenir les rangs infĂ©rieurs subordonnĂ©s. 1 PĂ©tition des Ă©coles de MĂ©decine et de Droit aux deux chanx- lires, 1 831. PRINCIPES GÉNÉRAUX. LĂ , non plus, nous ne disons pas que ce soit un bien, mais que c’est un fait. Parmi nous, la sociĂ©tĂ© plus bienveillante que nulle part ailleurs pour les situations infĂ©rieures, les voit dĂ©jĂ , les verra toujours de plus en plus s’agiter et se soulever contre elle, sans qu’il existe une force morale ou positive pour les dominer. Par lĂ  mĂȘme, l’état de la sociĂ©tĂ© française est le moins disposĂ© qui se soit vu dans le monde Ă  l’organisation et Ă  la durĂ©e d’un gouvernement libre. Si donc la libertĂ©, dans notre gouvernement, ne se subordonnait pas elle-mĂȘme aux principes qui ont toujours rĂ©gi les nations, si elle ne se mettait pas, par un effort permanent de sa propre sagesse, hors des atteintes de ces trois conjurĂ©s infatigables l’esprit brouillon, l’esprit rĂ©volutionnaire, l’esprit anti-social, cette libertĂ©, tant cherchĂ©e, disparaĂźtrait inĂ©vitablement quelque jour, perdue par ses fautes, et dĂ©laissĂ©e par les Français. Qu’elle se montre Ă  la longue incompatible, par l’effet du vice des lois , avec tout gouvernement durable et fort le jour viendra oĂč elle pĂ©rira; car les peuples renoncent Ă  tout, hormis au pouvoir, leur protecteur nĂ©cessaire. On les verra bien le mĂ©connaĂźtre et l’outrager dans les jours de repos et de bien-ĂȘtre ; on les verra le dĂ©truire mĂȘme dans une heure de dĂ©lire, mais pour revenir bientĂŽt sur leurs pas, honteux et 56 LIVRE PREMIER. repentants jusques Ă  la servitude. La raison en est simple avant de vouloir ĂȘtre libres, les nations veulent ĂȘtre. Les principes que nous posons sont donc ceci Le pouvoir est la vie et la force des nations. Toutes les institutions doivent ĂȘtre tournĂ©es Ă  cette fin raffermir, en le rĂ©glant. En consĂ©quence, Faction doit toujours ĂȘtre dĂ©volue au pouvoir, sans partage et sans entrave. VoilĂ  le gouvernement. Les droits, soit privĂ©s, soit publics, ont pour appui et pour dĂ©fenses des garanties constitutionnelles, qui se rĂ©sument toutes dans le contrĂŽle constant et rĂ©gulier des actes du pouvoir ; d’oĂč il rĂ©sulte que partout oĂč il y a action, il doit y avoir contrĂŽle contrĂŽle, par exemple, au milieu de nous, des corps municipaux auprĂšs des maires ; des conseils, auprĂšs des prĂ©fets ; des chambres, auprĂšs du gouvernement mĂȘme. VoilĂ  la libertĂ©. L’exercice du droit de contrĂŽle, Ă  ces divers degrĂ©s, doit ĂȘtre soumis Ă  des pouvoirs Ă©lectifs, et l’élection, quelles que soient ses formes, directe ou indirecte, plus restreinte dans le premier cas, plus Ă©tendue dans le second , doit ĂȘtre conçue de maniĂšre Ă  fixer gĂ©nĂ©ralement la puissance publique dans la rĂ©gion des garanties et des lumiĂšres relatives, soit par l’effet des mƓurs, soit Ă  leur dĂ©faut, par l’effet des lois. VoilĂ  l’ordre. PRINCIPES GÉNÉRAUX. D 7 Car Dieu a voulu que les sociĂ©tĂ©s et les nations marchassent comme les simples hommes que ce fĂ»t la tĂȘte qui menĂąt tout. Alors seulement, c’est la puissance intelligente, ce sont les forces morales qui dominent, et de toutes les combinaisons politiques, celle qui a besoin d’ĂȘtre la plus intelligente et la plus morale, c’est la libertĂ©. Car elle est l’ordre Ă  sa plus haute puissance. En effet, qu’est-ce que l’ordre ? CHAPITRE III. l’ordre. L’ordre est la conformitĂ© des choses de ce monde avec les lois qui les rĂ©gissent. Dans son expression la plus Ă©levĂ©e, il est la conformitĂ© des choses humaines avec la loi divine, de laquelle tout Ă©mane. C’est l’ordre moral. Dans son acception commune, il est la conformitĂ© des faits sociaux avec les lois positives, soit qu’il s’agisse de ces lois secondaires qui changent avec les lieux ou les temps , soit qu’il s’agisse aussi de celles qui ont leur principe et leur sanction plus haut que nous et qui forment le code Ă©ternel tracĂ© par la main divine dans la conscience humaine. C’est l’ordre positif, l’ordre matĂ©riel, ou comme on dit, l’ordre public. C’est pour assurer l’ordre dans leur sein que les peuples ont instituĂ© le pouvoir. Nous disons que la libertĂ© est l’ordre Ă  sa plus haute puissance, parce qu’elle est la jouissance de tous les droits que le pouvoir, dans sa perfection absolue, doit garantir et dĂ©fendre Ă  l’égal de tous les autres intĂ©rĂȘts sociaux. Dans notre premier Ă©crit, avant PRINCIPES GÉNÉRAUX. vingt ans, nous la dĂ©finissions l’ordre parles lois. Cette dĂ©finition nous parait bonne encore nous la maintenons. L’état social, en effet, ne se compose pas seulement d’intĂ©rĂȘts matĂ©riels il se compose aussi, il se compose surtout d'intĂ©rĂȘts moraux. C’est pour les mieux assurer que les hommes les ont placĂ©s, les uns et les autres, sous une commune Ă©gide, celle des gouvernements constituĂ©s. Les intĂ©rĂȘts matĂ©riels se rĂ©sument tous dans la propriĂ©tĂ©. La propriĂ©tĂ© est, selon Rousseau mĂȘme, le fondement de la sociĂ©tĂ© civile. L’ébranler sous les pas de l’homme, c’est commettre le plus grand crime qui puisse ĂȘtre conçu par la pensĂ©e envers l'homme et envers son auteur ; c’est nous dĂ©pouiller de ce besoin de conservation, de cet intĂ©rĂȘt au progrĂšs, de cet Ă©lĂ©ment de perpĂ©tuitĂ©, de ce prix du labeur et de l’économie, de ce moyen de loisir et de mĂ©ditation, source de tous les travaux, de toutes les dĂ©couvertes de la pensĂ©e, et, par suite, principe de tous les dĂ©veloppements de l’ñme et de la conscience. C’est renverser tout ce qui fait la puissance de l’humanitĂ©, tout ce qui atteste la bienveillance de Dieu envers la crĂ©ature faite Ă  son image. Est-il besoin de dire que les intĂ©rĂȘts moraux ne sont pas moins chers, ni moins sacrĂ©s ? Tels sont, par exemple, le respect gĂ©nĂ©ral du juste et du bon en toutes choses ; le respect de la sĂ»retĂ© % 6o LIVRE PREMIER. de la libertĂ© personnelles, celui des droits de la pensĂ©e, celui des droits de la conscience ; le respect des croyances intimes, et par consĂ©quent du culte qui les rĂ©vĂšle ; le respect des sentiments, des jouissances et des droits de la famille ; le respect de l’autoritĂ© paternelle ; le respect des supĂ©rioritĂ©s naturelles fondĂ©es sur les mĂȘmes titres, sur l’expĂ©rience acquise et les services rendus ; le respect des souvenirs, des illustrations, ces lĂ©gitimitĂ©s premiĂšres , qui sont les plus vieilles de ce monde, et tiennent Ă  ce qu’il y a de plus Ă©levĂ© dans notre nature, c’est-Ă -dire au soin du passĂ© et Ă  la soif de l’avenir ! Ces intĂ©rĂȘts sacrĂ©s se rattachent d’anneau en anneau au trĂŽne de la grandeur divine. Plus nous considĂ©rerons de prĂšs les sociĂ©tĂ©s humaines, plus nous reconnaĂźtrons qu’en elles tout vient aboutir Ă  ces deux termes Dieu et la propriĂ©tĂ©, le ciel et la terre. Pesez un Ă  un ces intĂ©rĂȘts augustes, puis avisez- vous de les retrancher au genre humain ! Vous croirez que la main qui le crĂ©a se retire de lui il ne sera plus que l’enfant maudit, dĂ©shĂ©ritĂ© par son pĂšre. D’oĂč il suit que ces Ă©lĂ©ments essentiels de la famille et de la sociĂ©tĂ© sont des principes supĂ©rieurs Ă  toutes nos institutions; qu’ils dominent toutes nos lois, qu’ils constituent un droit suprĂȘme, et en quelque sorte une charte Ă©ternelle et inaliĂ©nable des nations. AprĂšs toutes les folies dont une Ă©cole fatale a, depuis cent ans, empoisonnĂ© PRINCIPES GÉNÉRAUX. 61 l’esprit des peuples, il est temps de rĂ©tablir les bases du contrat social vĂ©ritable; on le tentera ailleurs on fera voir que ce contrat saint fut Ă©crit de la main qui traça les tables du Thabor ; qu’il stipule pour nous contre nous-mĂȘmes, c’est-Ă -dire pour nos droits nĂ©cessaires, nos sentiments intimes, nos grandes destinĂ©es, contre nos passions brutales ; qu’il forme le patrimoine immuable des sociĂ©tĂ©s; que le peuple, ou plutĂŽt les factions qui parlent pour lui, n’ont pas plus que les rois le droit de le dĂ©serter et de l’abolir; que toute autoritĂ© qui l’enfreint, prince, Ă©meute, sĂ©nat ou convention, viole la loi divine, et vient tĂŽt ou tard s’y briser ; qu’il est enfin la condition universelle de l’ordre vĂ©ritable, et par consĂ©quent la vraie mission du pouvoir, la vraie fin des gouvernements et de la libertĂ© parmi les hommes. C’est pour veiller au maintien de ces droits de tous les temps, qu’il y a une puissance publique cbez les nations ; c’est pour rendre inviolables ces fondements de l’état social, que l’état politique est instituĂ© ; enfin, c’est en dehors de ce contrat immortel, mais en s’y appuyant, que s’établit, au sein de chaque sociĂ©tĂ©, un contrat particulier qui comprend les conditions spĂ©ciales sous lesquelles elle s’est formĂ©e ses lois civiles, ses mƓurs nationales, ses croyances religieuses, son gouvernement, ses libertĂ©s, tout ce qui fait son caractĂšre, son gĂ©nie, sa fortune. Ce contrat a passĂ© dans le sang 6a LIVRE PREMIER. mĂȘme de la sociĂ©tĂ©, sous la sanction des siĂšcles. Il n’a qu’un rĂ©formateur lĂ©gitime, c’est le lĂ©gislateur qui le fonda ; c’est le temps. Car le temps seul assure aux modifications qu’il opĂšre l’assentiment successif des gĂ©nĂ©rations intĂ©ressĂ©es. Il ne fait passer dans les lois que les changements accomplis dans les mƓurs , et il n’accomplit pas dans les mƓurs et les esprits une rĂ©volution qu’il ne manifeste et ne rĂ©alise bientĂŽt dans le gouvernement tout entier. Il fait ainsi, d’une longue suite de transactions successives entre tous les intĂ©rĂȘts et entre tous les Ăąges, le pacte permanent des peuples. LĂ  est le droit. L’ordre politique roule sur un principe fondamental c’est que la force matĂ©rielle, par le fait mĂȘme de l’établissement de la sociĂ©tĂ© , a Ă©tĂ© solennellement abdiquĂ©e. L’Etat, qui est la sociĂ©tĂ© constituĂ©e, ne se conserve que par cette abdication irrĂ©vocable, par le besoin de plier uniquement devant une autoritĂ© lĂ©gitime, devant des transactions rĂ©guliĂšres, devant un droit public, image plus ou moins imparfaite du droit absolu que la sociĂ©tĂ© conçoit et rĂ©vĂšre. Toute conjuration qui tente de substituer ses fantaisies particuliĂšres Ă  la loi commune, quels que soient du reste ses attributs et ses mobiles, ne fait autre chose que lever l’étendard de la rĂ©bellion contre la condition essentielle de l’ordre politique, contre la garantie PRINCIPES GÉNÉRAUX. 63 premiĂšre de l’ordre social, qui est le rĂšgne du droit et l’abjuration de la force. Ce qui est vrai pour le corps entier du peuple, le sera, Ă  plus forte raison, pour les partis. La minoritĂ© peut rĂ©clamer le maintien du droit public, comme la majoritĂ© mĂȘme. Il lie Ă©galement le fort et le faible ; il appartient Ă©galement Ă  tous. Peu importent les formes, plus ou moins spĂ©cieuses, plus ou moins mensongĂšres, au nom desquelles il serait violĂ©. C’est violer la conscience humaine. Que ce soit le fait du prince, ou du peuple, il y a toujours tyrannie. L’intervention et la volontĂ© actives du grand nombre ne seraient pas une excuse. Car le nombre serait la force encore elle n’est point le droit. Elle n’est point la souverainetĂ©. Il n’y a point de souverainetĂ© contre ce droit suprĂȘme que nous avons dit. Il est la souverainetĂ© mĂȘme. Ce qui revient Ă  dire qu’il n’y a d’autoritĂ© lĂ©gitime, ni dans les majoritĂ©s, ni dans le glaive, mais dans le droit, dans la justice d’oĂč il suit que les dĂ©bats, qui divisent trop souvent les grandes familles politiques, n’ont qu’une conclusion Ă©quitable, les transactions. Maintenant, croiriez-vous assurer le contrat social et ses rĂšgles souveraines, le droit, la justice, les transactions, en concentrant le pouvoir lĂ©gal aux mains des classes qui ne savent que la livre premier. 64 force, et qui sont toujours prĂȘtes, dans les dĂ©bats soit privĂ©s, soit publics, Ă  faire intervenir cet arbitre sauvage, pour vider leurs diffĂ©rends? Donnerez-vous exclusivement Ă  garder le dĂ©pĂŽt des intĂ©rĂȘts moraux, celui des souvenirs, des renommĂ©es, des croyances, aux classes qui en sont encore Ă  vivre sans passĂ© et sans lendemain, Ă  celles qui n’ont pas rĂ©ussi Ă  se donner par elles-mĂȘmes, ni quelquefois Ă  accepter des bienfaits de l’Etat, la prĂ©voyance et les lumiĂšres, Ă  celles que des instincts Ă©troits dominent trop souvent, Ă  celles qui vivent aujourd’hui, la plupart du temps, dans nos citĂ©s, Ă©trangĂšres Ă  la foi et au culte de la patrie ? PrĂ©poserez-vous exclusivement au soin de conserver les richesses matĂ©rielles des nations et avant tout la propriĂ©tĂ©, les classes qui n’ont pas Ă  conserver, celles dans le sein desquelles s’agitent, sous Faction de tant de ferments ennemis, des passions envieuses et destructives ? Non, non ! l’ordre ne peut pas fleurir Ă  ces conditions. Le gouvernement des nations, quelles que soient les formes adoptĂ©es fut-ce celle du suffrage universel, doit appartenir dĂ©finitivement Ă  la propriĂ©tĂ© et au savoir, Ă  l’illustration, aux talents, aux services, derniĂšres noblesses incontestĂ©es de l’ñge indĂ©pendant oĂč nous sommes. La rĂ©gion cjui comprend ces biens, peut seule exercer le pouvoir, parce qu’elle en fera un usage utile PRINCIPES GÉNÉRAUX. 65 Ă  tous ; elle comprendra et maintiendra les lois Ă©ternelles du monde social. Ailleurs, on n’a droit qu’aux libertĂ©s privĂ©es et Ă  l’égalitĂ© civile. L ''ordre tout entier rĂ©side dans cette distinction. Car Montesquieu l’a dit Autant que le ciel est Ă©loignĂ© de la terre, autant le vĂ©ritable esprit d’égalitĂ© l’est-il de l’esprit d’égalitĂ© extrĂȘme ; » et il fait voir que le dernier n’a jamais menĂ© les peuples qu’à la tyrannie d’un seul par la tyrannie de tous. L’égalitĂ© vĂ©ritable est celle que nous possĂ©dons, et que l’univers ignore. U y a Ă©galitĂ© parmi nous, entre tous les frĂšres, entre tous les hommes, entre tous les Français. Tous sont, au mĂȘme titre et Ă  des conditions pareilles, les sujets de la loi, et ne le sont que de la loi seule. Il n’y a point de forts ni de faibles ; nul n’est le dĂ©pendant obligĂ© d’un autre; nul n’a au-dessus de sa tĂȘte une hiĂ©rarchie qui arrĂȘte sa croissance et l’empĂȘche de grandir; tous peuvent atteindre Ă  tout. Le pouvoir n’a pas la main si forte ni si habile qu’il lui fut possible de frapper impunĂ©ment la tĂȘte du plus inconnu ou du plus indigent d’entre nous. C’est lĂ  la plus noble et la plus belle des conquĂȘtes; c’est lĂ  une crĂ©ation immense, incomparable. Onpeutaccuser d’ingratitude ceux qui, parlant toujours de conquĂȘtes nouvelles Ă  poursuivre, oublient que la plus difficile et la plus grande de 5 G6 LIVItF toutes s’achĂšve, se consacre sous nos yeux. Il faudrait la bien reconnaĂźtre, se bien pĂ©nĂ©trer des devoirs qu’elle nous impose , avant de passer outre. Serait-ce que, pourvues de l’égalitĂ©, en jouissant Ă  l’ombre des lois, les masses sont dĂ©shĂ©ritĂ©es de la libertĂ© ? Non, sans doute. Les droits dont la libertĂ© se compose , nous disons les droits , ces droits augustes et sacrĂ©s, sont le patrimoine de tous. Telle est la libertĂ© de conscience; la libertĂ© des cultes; la libertĂ© individuelle ; la libertĂ© de la pensĂ©e; la facultĂ© donnĂ©e Ă  chacun d’intervenir par la presse, par lespĂ©titions, par tous les moyens individuels, sans avoir rien Ă  craindre des hommes, sans rencontrer nul empĂȘchement de la part des lois, dans les affaires de l’État. Ces droits dans notre France appartiennent, ce qui ne s’est vu nulle part sous le soleil, aux trente-deux millions d’hommes qui vivent sous la mĂȘme loi. M. de Constant avait donc raison de proclamer, l’une des derniĂšres fois qu’il ait tenu la tribune , que le mendiant mĂȘme a des droits, et non pas seulement, comme il le disait, des droits privĂ©s. 11 a les droits civils de tous les Français ; il a leurs droits politiques. Mais il n’a pas le pouvoir politique; il n’a pas celui de l’élection; il n’a pas celui de l’éligibilitĂ©, voilĂ  le vrai! Ajoutons que la France est le seul pays de la terre oĂč la loi n’enchaĂźne par aucun lien le PRINCIPES GÉNÉRAUX. 67 vice Ă  la fortune, et le talent Ă  la pauvretĂ©; le seul oĂč la propriĂ©tĂ© ne soit substituĂ©e dans les mains de personne, oĂč personne ne trouve au- dessus de soi des obstacles qui arrĂȘtent son essor vers la richesse, vers le pouvoir, vers la grandeur. Sous de telles lois, il n’y a pas de privilĂšge; car il n’est pas de situations si hautes qu’elles ne soient accessibles Ă  tous. PĂ©rissable au grĂ© des Ă©vĂ©nements dans les mains de chacun, la propriĂ©tĂ© n’est point la noblesse, ni rien qui y ressemble. Elle est le droit dans toute sa simplicitĂ©, puisque les avantages se proportionnent Ă  trois choses que la propriĂ©tĂ© comprend, et que la raison proclame les charges, la capacitĂ©, les services. On a pu aisĂ©ment enlever aux classes Ă©clairĂ©es tous les privilĂšges. On peut, et avec injustice, leur contester tous les droits. Une prĂ©rogative leur restera ; celle d’ĂȘtre les dĂ©positaires de tous les Ă©lĂ©ments de l’amĂ©lioration sociale et politique des nations. La pratique des arts, l’application des dĂ©couvertes des sciences, l’amour des lettres, la culture de toutes les branches de la civilisation forment le patrimoine de cette partie riche, polie, industrieuse des sociĂ©tĂ©s humaines vers laquelle gravite la sociĂ©tĂ© entiĂšre. Ce qu’on s'est mis rĂ©cemment Ă  proscrire sous le nom d’ oisivetĂ©, est ce travail intellectuel et moral qui consiste Ă  rĂ©pandre toutes les vĂ©ritĂ©s utiles, Ă  faire 68 LIVRE PREMIER. passer la philosophie dans les lois, Ă  fonder des hĂŽpitaux et des Ă©coles, Ă  mĂ©diter, Ă  mĂ»rir, Ă  former les grandes entreprises, Ă  appeler les niasses courbĂ©es sous le joug de l’indigence, Ă  l’instruction qui les relĂšve, Ă  l’ordre qui les enrichit et les Ă©pure. Quel pouvoir dĂ©magogique nous versera ces biens ? Ah ! si nous voulonsvoir le termede nos misĂšres, gardons-nous d’étendre Ă  la France moderne les sentiments qu’excitĂšrent les hiĂ©rarchies exclusives et dĂ©faillantes du dernier siĂšcle ! Reconnaissons que nul pays dans le monde ne voit dans les classes Ă©clairĂ©es autant de sacrifices et d’efforts pour provoquer des progrĂšs au sein des masses, sans autre but, sans autre salaire que les satisfactions de la conscience. S’il vous plaĂźt de trier des noms, de faire des distinctions dans l’élite de notre patrie, de sĂ©parer l’ancienne aristocratie de la classe moyenne, voyez s’il est une catĂ©gorie qui n’apporte pas son contingent Ă  toutes nos gloires ; si les dĂ©bris de cette aristocratie dĂ©truite ne se recommandent pas par des services et des talents nouveaux ; si la littĂ©rature, la politique, la guerre ne s’honorent pas chaque jour de noms dĂ©jĂ  inscrits depuis des siĂšcles dans nos annales ! La classe Ă©clairĂ©e, ou, si l’on veut, l’aristocratie actuelle, mobile et ouverte Ă  tous, est une dans ses Ă©lĂ©ments divers ; elle marche toute entiĂšre Ă  la tĂȘte de PRINCIPES GÉNÉRAUX. Q notre civilisation ; toute entiĂšre, elle fait les grandeurs prĂ©sentes de notre patrie ; et, si on ne tient compte que des services rendus Ă  la cause des institutions libres, qu’on veuille bien rĂ©pondre Ă  ceci Qui, durant les seize annĂ©es de la restauration, plaida pour le peuple et en son nom, la cause de la lĂ©galitĂ©, la cause des lois? La foule sait admirablement combattre pour la libertĂ© ; mais ce sont les classes Ă©clairĂ©es qui la conçoivent, la dĂ©veloppent, en font descendre les notions et les bienfaits au sein des masses ; et c’est lĂ  encore un de leurs titres au respect des gens de bien. La libertĂ© est, de tous les progrĂšs du gĂ©nie de l’homme, le plus noble, le plus Ă©levĂ©; c’est en mĂȘme temps le plus fragile. Elle n’est venue au monde, dans la GrĂšce , que deux mille ans aprĂšs le despotisme. Aujourd’hui encore, elle n’est acclimatĂ©e que dans quelques rares rĂ©gions favorisĂ©esdu quelles mains remettra-t-on cesaintdĂ©pĂŽt, sinon Ă  celles qui en possĂšdent dĂ©jĂ  un autre, plus grand et antĂ©rieur, celui de la science et des lumiĂšres , celui de la civilisation mĂȘme ? Celles-lĂ  seules sauront le gĂ©rer. Fille des hauts lieux, la libertĂ© dĂ©pĂ©rit et succombe partout ailleurs. Ensuite, quand vous aurez assis vos institutions sur leurs lĂ©gitimes fondements, vous en confierez les destinĂ©es Ă  la monarchie, ou Ă  la rĂ©publique ; peu importera. Deux consuls peuvent faire d’un peuple le maĂźtre du monde on le sait. 7 ° LIVRE PREMIER. Dix archontes, un doge , un landammam , peuvent abriter sous leur toge Tordre et les lois. On le voit depuis trois mille ans dans l’histoire. La seule chose qui ne se soit pas vue sous le soleil, c’est un peuple menĂ© par en bas et bien conduit ; menĂ© par en bas, et libre ! Ce serait une pyramide renversĂ©e sur le faĂźte. Il n’est pas de miracles qui pussent la tenir debout. La rĂ©publique n’est si mal famĂ©e parmi nous , que parce que le parti qui la professe n’a point d’autre maniĂšre de la comprendre, que dĂ©magogique d’oĂč il suit que ceux qui la redoutent la voient toujours coiffĂ©e du bonnet rouge , les bras nus, subversive enfin , et par consĂ©quent abominable, absurde, impossible. Ils ont raison, dĂšs lors. La dĂ©mocratie, sans des contre-poids puissants, arrive de toute nĂ©cessitĂ© Ă  l’anarchie populaire. Elle n’a qu’un moyen d’échapper Ă  sa destinĂ©e, qu’un moyen de sauver l’ordre , c’est le despotisme ; et de lĂ  vient qu’elle finit toujours par aller, lasse et sanglante, se reposer Ă  son ombre. C’est pourquoi la monarchie constitutionnelle est considĂ©rĂ©e comme prĂ©fĂ©rable Ă  la rĂ©publique la mieux ordonnĂ©e elle donne un arbitre aux diverses classes ; elle oppose un contre-poids aux forces diverses. Le prince, qui tient en main la balance, Ă©quilibre , par son propre poids, les bassins. D’un autre cĂŽtĂ©, il ne peut rien entre- PRINCIPES GÉNÉRAUX. 7 1 prendre contre la loi du pays ; ou bien si, dans un moment dĂ©colĂ©rĂ©, d’emportement, de crainte peut-ĂȘtre, il le tente jamais, toutes les forces se retirent de lui, et, dans cet impuissant effort, il tombe. Ceci ne nous ramĂšne que trop Ă  notre France. CHAPITRE IV. LA. LÉGITIMITÉ. La lĂ©gitimitĂ© est l’ordre dans la monarchie r l’ordre entendu de la question fondamentale des Ă©tats monarchiques, qui est la transmission de la couronne. Il peut ĂȘtre violĂ©, interverti, renversĂ©. Cela s’est vu. Il ne s’est pas vu que ce fut sans les plus extrĂȘmes calamitĂ©s. Sous ce rapport, la monarchie reprĂ©sentative n’a point de maximes, point de conditions, point de destinĂ©es Ă  part. Toute la diffĂ©rence avec les autres monarchies est qu’elle place la lĂ©gitimitĂ© sous la garantie de deux grands principes constitutionnels qui sont les corollaires nĂ©cessaires l’un de l’autre la responsabilitĂ© ministĂ©rielle et l’inviolabilitĂ© royale. LĂ , les rois ne pouvant mal faire, ne peuvent pas tomber. Il y a autant de cas de responsabilitĂ© que la nation le veut. 11 n’y a point, il ne peut jamais y avoir de cas de rĂ©volution j ou, si on en fait Ă  plaisir, si on en invente, que ce soit le prince ou la nation , on peut dire avec certitude malheureux roi ! malheureuse nation! HĂ©las ! oui, nous en avons fait l’épreuve. On a inventĂ© des cas de rĂ©volution pour la France ! Les PRINCIPES GÉNÉRAUX. 73 bouleversements ont recommencĂ© pour elle ! On a vu ce que coĂ»te aux princes le renversement des lois! La loi de'l’inviolabilitĂ© royale peut alors cesser de les dĂ©fendre. Par eux Ă©lait remis en question l’ordre constitutionnel ! L’ordre monarchique pĂ©rit en eux. On voit aussi ce que coĂ»te aux nations le renversement du principe de la monarchie, mĂȘme quand on le justifie par le droit de la guerre, par l’intĂ©rĂȘt de la dĂ©fense, par l’élan de la victoire. L’État Ă©branlĂ© ne se rassied pas au prix des plus longs efforts. Les imaginations Ă©mues, les passions dĂ©chaĂźnĂ©es ne savent plus se plier au joug des pouvoirs constituĂ©s et de la libertĂ© lĂ©gale. Cette libertĂ© patiente, sage, rĂ©guliĂšre , gĂȘne et irrite, comme un obstacle, ceux qui, ayant vaincu par le glaive, n’imaginent plus d’arbitre meilleur que le glaive pour la conduite des choses humaines. A l’insurrection pour les lois succĂšde sans cesse et partout l’insurrection contre les lois. De toutes parts, on veut des conquĂȘtes nouvelles, un avenir nouveau et cette inquiĂ©tude dĂ©vorante ne connaĂźt plus de barriĂšre devant laquelle s’arrĂȘtent les ambitions et les haines , les thĂ©ories et les destructions. Yoyez s’il ne semble pas que tous les droits aient pĂ©ri dans un seul. Il n’est pas d’institution qui ne soit attaquĂ©e, pas d’intĂ©rĂȘts qui ne se sentent compromis c’est un dĂ©sordre d’idĂ©es universel; universelle est aussi l’anxiĂ©tĂ© des esprits. La citĂ©, avec cent mille hommes sous les armes dans LIVRE PREMIER. 74 ses rues, ne se croit pas en sĂ»retĂ©. Si parfois l’esprit public se relĂšve, c’est pour retomber bientĂŽt, aprĂšs quelques trĂȘves dĂ©cevantes, sous le poids d’excĂšs et de pĂ©rils plus grands. Il y a une impuissance indĂ©finissable et partout prĂ©sente de rendre au corps politique sa paix, sa sĂ©curitĂ© , sa foi en lui-mĂȘme. Que s’est-il donc passĂ©? Simplement ce fait. La force, la force populaire, fatalement provoquĂ©e, est intervenue dans la dĂ©cision des destinĂ©es publiques; une fois intervenue, elle a tranchĂ© des questions sur lesquelles il y avait un vieux droit national, solennel et consacrĂ©. Elle les a tranchĂ©es , nonobstant les clauses d’un autre droit national, nouveau et auguste, celui de la Charte, qui servait au premier de sanction et de dĂ©fense. Et l’apparition de la force, mĂȘme quand elle s’est produite pour la dĂ©fense et au nom des lois, est une atteinte si profonde Ă  l’ordre rĂ©gulier des sociĂ©tĂ©s humaines, que toutes les existences ont Ă©tĂ© mises par cela seul en pĂ©ril ; tous les principes, en question. La force est intervenue pour combattre un roi dont l’autoritĂ© avait fait appel Ă  la force ; et non contente de le combattre, de le vaincre, elle l’a renversĂ©, et avec lui toute une lignĂ©e de rois. Les fils aĂźnĂ©s d’une race royale, qui brillait sur la scĂšne du monde avant que le monde moderne fĂ»t sorti des tĂ©nĂšbres de son enfance barbare, ont disparu en un jour du milieu de nous; ils ont dis- PRINCIPES GÉNÉRAUX. 75 paru, emportant des siĂšcles avec eux, mais emportant aussi le dogme politique qui est l’arc-boutant des trĂŽnes, et avec lui, on l’oublie trop, les deux autres dogmes de l’inviolabilitĂ© royale et de la responsabilitĂ© ministĂ©rielle, sur lesquels prĂ©tend s’asseoir la nouvelle monarchie constitutionelle qu’on travaille Ă  fonder, c’est-Ă -dire tout ce qui devait servir Ă  notre libertĂ© dĂ©mocratique de digue Ă  la fois et de support. Il n’en a pas fallu davantage pour susciter dans la sociĂ©tĂ© toutes les audaces , dans l’état toutes les subversions. La terre tremble parce qu’a Ă©tĂ© arrachĂ© le principe mĂȘme qui a pour mission d’affermir le sol sous les pas des nations. Serait-ce que cet Ă©lĂ©ment auguste et sĂ©culaire de l’ordre politique est Ă  nos yeux l’ordre tout entier ? Sommes-nous de ceux qui jugent son inviolable maintien, une condition nĂ©cessaire de la vie des empires, la pierre angulaire des sociĂ©tĂ©s, celle sans laquelle tout pĂ©rit, tout tombe fatalement jusqu’à ce que l’empire, battu des orages , vienne s’y rasseoir, ou qu’il se perde dans la guerre civile et la conquĂȘte ? RĂšgle si inviolable que si une atteinte y a Ă©tĂ© portĂ©e, le citoyen doit dĂ©sespĂ©rer sans retour de sa patrie , comme le Troyen quand EnĂ©e eut emportĂ© ses dieux , et que rien ne resta d’Ilion, hormis des cendres et des ruines ! Nous expliquerons notre pensĂ©e, dans les termes mĂȘmes dont nous faisions usage, au sein LIVRE PREMIER. 76 de la monarchie triomphante, pour enlever Ă  ses conseils l’aveugle confiance qui, en dĂ©finitive, a tout perdu. Le temps des superstitions politi- » ques est passĂ©, disions-nous; ne nous fions pas » sans bornes au simple appui d’un dogme, appui » trompeur qui manquerait sous le premier des » pas que nous ferions en dehors des lois. Les » peuples connaissent Ă©galement aujourd’hui et » leurs immunitĂ©s, et leurs annales. Le trĂŽne le » plus ancien de la chrĂ©tientĂ© ne l’est pas telle- » ment que nous ne l'ayons tous vu s’élever » dans l’histoire, que nous n’ayons en quelque » sorte entendu tous ce seigneur plus ancien que » la royautĂ© qui disait du chef des CapĂ©tiens » Qui l’a fait roi ? » De quelle source Ă©mane donc la lĂ©gitimitĂ© ? » D’un contrat antique, Ă©crit dans le consente- » ment des gĂ©nĂ©rations qui se sont succĂ©dĂ©es; » contrat auguste et saint, prĂ©cisĂ©ment parce que » les affections, les intĂ©rĂȘts, les doctrines de toutes » les gĂ©nĂ©rations y trouvent leur consĂ©cration et » leur garant. Mais Ă  qui espĂ©rerait-on cĂ©ler, au- » jourd’hui, que les nations, en remettant cet » immense dĂ©pĂŽt, tiennent en rĂ©serve , par une » clause tacite que rĂ©vĂšlent les rĂ©volutions des » empires, un droit terrible dont elles ne font usage que dans les temps qui sont toujours des t Vues politiques, ISIS. PRINCIPES GÉNÉRAUX. 77 » calamitĂ©s publiques , quand une secousse vio- » lente les a rĂ©veillĂ©es du sommeil des siĂšcles ? c’est » ce droit de rĂ©sistance et de salut par soi-mĂȘme, » sur lequel la Constitution anglaise se fonde, et » dont Fox a dit qu’il serait bon que les rois s’en » souvinssent toujours, que les peuples ne s’en » souviennent jamais. » Ces maximes ont reçu, depuis le temps oĂč elles furent tracĂ©es, une sanction mĂ©morable dans l’ouvrage dont M. le vicomte de Chateaubriand, Ă  l’heure mĂȘme de la rĂ©volution de juillet, enrichissait nos fastes historiques. Ses Discours sur l’histoire de France lient, et mĂȘme subordonnent, dans notre patrie, le principe monarchique au droit national. L’illustre Ă©crivain rappelle que tous nos rois ont Ă©tĂ© sacrĂ©s Ă  Reims sous l’auspice de cette formule Peuple, est-ce bien lĂ  celui que vous » Ă©lisez pour seigneur et roi ? » Tous? HĂ©las, non ! Il en est un qui, aprĂšs huit cents ans , raya du ri- tuaire de son inauguration ce tĂ©moignage des libertĂ©s antiques, et il n’a plus au front d’autre couronne que celle de l’adversitĂ©. La vĂ©ritĂ© est assurĂ©ment qu’il n’y a point de pouvoir indĂ©fini sur la terre. Supposez la lĂ©gitimitĂ© sans limite possible, elle sera supĂ©rieure Ă  toutes les lois humaines. Religion, mƓurs, sociĂ©tĂ© civile , tout tombera Ă  sa merci. La nation entiĂšre appartiendra corps et Ăąme Ă  son chef ; tout devra plier sous sa volontĂ©, sous son caprice , jusqu’à ce LIVRE PREMIER. ?8 qu’il se prĂ©cipite avec toute sa monarchie dans les abĂźmes , comme ce Charles IV, d’Espagne, il y a vingt ans, livrant son peuple, son trĂŽne, et sa dynastie Ă  l’étranger. A ces conditions, ce ne serait pas la royautĂ© ce serait la tyrannie perpĂ©tuelle. HĂ©las! supposez au contraire que l’incontestable droit du pays sur lui-mĂȘme s’intitule souverainetĂ© ; que cette souverainetĂ© prĂ©tendue se dĂ©clare sans bornes ; qu’au lieu de reposer, silencieuse et inactive, dans l’arsenal dĂ©fensif des peuples, comme la ressource dern iĂšre et extrĂȘme des extrĂȘmes fatalitĂ©s, elle soit une arme offensive suspendue sans cesse Ă  leur ceinture, ce ne sera bientĂŽt plus le corps entier de la nation qui en aura le dĂ©pĂŽt ; chaque faction pourra s’en saisir, chaque jour la voir briller sur la place publique; il n’y aura ni sĂ©curitĂ©, ni ordre, ni libertĂ©. Le parti vainqueur se croira toujours le droit de changer les institutions et le gouvernement de la patrie. Par-dessus tout, une classe se dira, se croira le peuple. Ce sera la tyrannie encore, une autre sorte de despotisme, mais subalterne et grossier, oĂč tout sera violence et subversion , jusqu’à ce qu’enfin le peuple vĂ©ritable , fatiguĂ© de ce rĂšgne destructeur et mensonger, Ă©chappe par l’abdication au suicide. La tyrannie des masses aura donnĂ© soif Ă  chacun de la tyrannie d’un seul. Heureusement, Dieu ne soumet point Ă  des principes si absolus les choses de ce monde. Aussi, de PRINCIPES GÉNÉRAUX, 79 toutes les tentatives que fait la rĂ©volution de 1830, ce n’est pas celle d’intervertir l’ordre de succession, si grave qu’elle soit dĂ©jĂ  par elle-mĂȘme, qui est en effet surhumaine. L’histoire de l’univers offre Ă  nos yeux nombre d’exemples de cette nature. L’Europe est sillonnĂ©e des courses errantes de dynasties renversĂ©es, et les nations ont vĂ©cu. En dĂ©pit de la chute absolue des Wasas, la SuĂšde prospĂšre. Il est advenu Ă  l’Angleterre de faire, en principe, autant que les lĂ©gislateurs de juillet, et Dieu lui a dispensĂ©, depuis lors, cent cinquante ans de grandeur. Est-il donc vrai de penser que la France soit nĂ©cessairement une nation condamnĂ©e du Ciel ; que le droit se trouve banni Ă  toujours de son sein ; que la force puisse seule dĂ©sormais y avoir l’empire ; que toutes les chances d’ordre et de durĂ©e lui soient ravies sans retour; que ses misĂšres aient une cause unique et insurmontable; que nous tous, qui croyons qu’il n’y a de salut que par la monarchie dans la situation politique et sociale de la France, nous devions jeter, comme on dit, le manche aprĂšs la cognĂ©e, et attendre de pied ferme que le dĂ©sordre, deux cornes d’abondance Ă  la main, verse d’abord tous les maux, dans l’espoir qu’ensuite il Ă©panchera les biens ? Non ! nous ne saurions admettre, quels que fussent du reste nos sentiments personnels, que cette triste fatalitĂ© pĂšse invinciblement sur notre patrie. 8o LIVRE PREMIER. Dans notre conviction, si la France sait et veut, le droit, condition de toute stabilitĂ©, peut ne pas rester exilĂ© du milieu d’elle. Nulle famille ne le possĂšde d’une façon si intime, Ă  un titre si saint, qu’elle puisse l’attacher Ă  sa fortune, et en dĂ©shĂ©riter l’avenir tout entier d’un peuple. Mais nous avons dit si France sait et veut. C’est-Ă -dire si elle sait reconnaĂźtre et entend respecter, au-delĂ  de la lĂ©gitimitĂ© des rois , d’autres principes, antĂ©rieurs Ă  la lĂ©gitimitĂ© elle-mĂȘme, d’une origine plus haute encore, Ă  qui la lĂ©gitimitĂ© empruntait sa force, et sans lesquels il ne s’est pas vu d’Etats se tenir debout et fleurir. Ainsi, nous citions l’exemple de l’Angleterre, exemple qui a exercĂ© une si dĂ©cisive influence sur les rĂ©solutions et les destinĂ©es de la France. Mais remarquons qu’en se privant de la puissance politique de la lĂ©gitimitĂ©, l’Angleterre ne rĂ©pudia point sa constitution sociale. Remarquons qu’elle tint son aristocratie et son Eglise debout la clĂ© de voĂ»te abattue , elle respecta les fondements. Elle crut avoir fait assez en un jour de crĂ©er une royautĂ© nouvelle, et elle se reposa ; elle ajourna de cent ans et plus l’émancipation, l’abolition de la traite des noirs, l’établissement de la libertĂ© de la presse, toutes ces grandes entreprises auxquelles ses lĂ©gislateurs consacrent des trente annĂ©es de discussion, mais qui durent toujours. Supposez que le peuple an- PRINCIPES GÉNÉRAUX. glais eĂ»t prĂ©tendu renverser du mĂȘme coup que le trĂŽne des Stuarts, ses lois civiles et sa Chambre hĂ©rĂ©ditaire, accomplir la rĂ©forme, refaire le jury, changer l’administration du royaume, du comtĂ©, de la commune, Ă©nerver tous les pouvoirs, courber tous les rangs sous le flĂ©au populaire, Ă©tendre enfin ses innovations radicales Ă  l’Etat, Ă  l’église, Ă  l’armĂ©e, Ă  la sociĂ©tĂ© mĂȘme ; supposez encore que le peuple anglais eĂ»t applaudi, entre mille autres folies coupables et subversives, la prĂ©dication de doctrines qui sont l’anarchie vivante, ou bien qu’il eĂ»t tolĂ©rĂ© la dĂ©dicace de temples nouveaux , oĂč l’anarchie, restant logicienne et devenant mystique, fĂźt une religion de la loi agraire *; supposez enfin que ce fĂ»t sous le coup, en prĂ©sence, dans l’ivresse d’insurrections furibondes, tantĂŽt pour les prĂ©venir et tantĂŽt pour les contenter, que le Parlement eĂ»t promenĂ© la hache sur toutes les institutions existantes, que la royautĂ© nouvelle eĂ©it Ă©tĂ© contrainte de proclamer la rĂ©pudiation de tous les souyenirs, dç renier son propre passĂ©, d’abdiquer mĂȘme sa gĂ©nĂ©alogie et son histoire, c’est-Ă - dire d’abjurer la part de droit qui subsistait en elle jusque dans la violation du droit, nous disons que la rĂ©volution de 1688, en procĂ©dant ainsi, aurait conduit le peuple anglais Ă  des subversions sans terme, et qu’elle se fut hĂątĂ©e de rĂ©trograder avec 1 Le Saint-Simonisme. 6 82 LIVRE PREMIER. effroi, ou bien qu’eile n’aurait enfantĂ© que des tyrannies sauvages, et qu’elle aurait pĂ©ri quelque jour noyĂ©e dans le sang et dans les pleurs. Cela vient de ce qu’il est des intĂ©rĂȘts et des principes qui tiennent, plus intimement que la lĂ©gitimitĂ© mĂȘme, Ă  la vie des Etats. Ce sont ceux sur lesquels la sociĂ©tĂ© se fonde, et qu’on a exposĂ©s plus haut comme constituant la grande et Ă©ternelle charte del’humanitĂ©. Us sont de droit divin, et par consĂ©quent de droit universel; la lĂ©gitimitĂ©, au contraire, comme la monarchie elle-mĂȘme, est simplement de droit public. Mais ce qu’il faut ajouter, et ici nous dirons toute notre pensĂ©e, c’est qu’une grave erreur serait de mĂ©connaĂźtre son caractĂšre vĂ©ritable, qui est d’ĂȘtre la sanction de ces intĂ©rĂȘts primordiaux que nous signalons, la sauvegarde de ces principes sacrĂ©s, si bien que , dans une monarchie, surtout qui a vĂ©cu des siĂšcles, elle fait corps avec eux par mille attaches, et participe ainsi Ă  leur haute nature. Elle en est Ă  la fois l’application , la garantie, la consĂ©cration. Si donc, nous ne sommes pas de ceux qui croient qu’elle est tout, ne soyons pas non plus , Ă  Dieu ne plaise! de ceux qui pensent qu’elle n’est rien ou peu de chose, et qui, Ă©loignĂ©s de nourrir le goĂ»t du dĂ©sordre et les passions mauvaises, sont prĂȘts cependant Ă  s’applaudir de sa chute qu’on nous passe l’expression, comme d’un dĂ©barras. Quoi! ne voient-ils pas que le droit royal PRINCIPES GÉNÉRAUX. 83 interverti, tous les droits ont flottĂ© sur leurs bases ? Quoi ! n’ont-ils pas entendu depuis vingt mois, la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme mise en question chaque jour par des doctrines qui sont une sĂ©dition morale, et par des sĂ©ditions positives, qui sont ces doctrines armĂ©es? Quoi ! n’ont-ils pas vu la VendĂ©e Ă©mue jusqu’à la guerre civile, et Lyon dĂ©lirant jusqu’à la Jacquerie ? Quoi ! ne sentent-ils point l’ordre tout entier chanceler sous leurs pas ? Et on voit qu’ils ne le sentent que trop dans leurs pages admirables d’esprit, de courage et de talent 1! Non, non ! en prĂ©sence des tristes et mystĂ©rieux spectacles qui nous ont entourĂ©s sans cesse, ne contestons plus les biens de la lĂ©gitimitĂ© ! Comment nier qu’il y ait lĂ  un principe tutĂ©laire, une sanction haute et puissante qui se lie Ă  bien des besoins matĂ©riels et moraux, puisqu’on ne peut l’abjurer, sans que le sol tout entier ne tremble ? La lĂ©gitimitĂ© est Ă  l’édifice des monarchies une clĂ© de voĂ»te donnĂ©e par l’histoire. Elle place le pouvoir royal sous l’abri des siĂšcles, en le rendant respectable par ce double sceau de l’avenir et du passĂ© qu’elle porte en elle-mĂȘme ; elle appuie toutes les institutions du pays Ă  un Ă©lĂ©ment Ă©ternel d’ordre et de stabilitĂ©. Il y a plus elle n’est pas sans doute le droit absolu, mais elle en est l’image et le symbole. Elle tient par lĂ  aux fonde- 1 De la Monarchie de 1830, par M. Thiers, LIVRE PREMIER. et d’une longue infĂ©rioritĂ© par un rapide nivellement ! On ne regarde jamais, dans les assemblĂ©es, que les chefs qui remplissent la tribune. Il faut voir le troupeau qui remplit les bancs. LĂ  est l’instinct qui meut, la volontĂ© qui pousse, la force qui prononce. Par le doublement du Tiers, la royautĂ© avait elle-mĂȘme renversĂ© la constitution antique , et appelĂ© la dĂ©mocratie Ă  l’empire. Mais l’éloquence, mais le gĂ©nie, mais la gloire en un mot, Ă  quoi tout cela tint-il ? Incontestablement, Ă  cette cause unique, que l’AssemblĂ©e Ă©tait la reprĂ©sentation, sinon prudemment ordonnĂ©e , du moins vraie et complĂšte, de la France ; qu’elle rĂ©unissait dans son sein l’élite vĂ©ritable de la nation ; que toutes les supĂ©rioritĂ©s y furent conviĂ©es comme tous les intĂ©rĂȘts ; que le gĂ©nie national y parut dans tout ce que la monarchie avait de grand et de renommĂ©. Si ce ne fut point assez la tĂȘte de la France qui voulut pour la France , du moins ce fut elle qui reprĂ©senta pour le corps entier de la nation. Supprimez les deux premiers ordres d’alors ; croyez-vous n’enlever que la milice altiĂšre qui combattait derriĂšre Maury etCazalĂšs ? Point ; vous enlevez au parti des idĂ©es nouvelles, Mathieu de Montmorency, Talleyrand-PĂ©rigord, Clermont- Tonnerre, Lally-Tollendal, Liancourt, l’abbĂ© SyĂšyes, l’abbĂ© GrĂ©goire , Duport, les deux La- 121 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. metli, le duc d’OrlĂ©ans, enfin les princes de la rĂ©volution, Lafayette et Mirabeau ! A part les personnages cĂ©lĂšbres, supprimez dans l’AssemblĂ©e le contre-poids de l’aristocratie ancienne. Laissez le Tiers, seul maĂźtre de la France, seul aux prises avec une rĂ©volution , ayant Ă  la museler sans secours ou Ă  la prĂ©cipiter sans obstacle. A quelles tentations, Ă  quelles extrĂ©mitĂ©s, livrĂ© ainsi Ă  lui-mĂȘme, n’eĂ»t-il pas Ă©tĂ© emportĂ© d’abord ? Ce qu’il eĂ»t fait, les deux annĂ©es qui suivirent nous le rĂ©vĂšlent. L’AssemblĂ©e lĂ©gislative laisse Ă©chapper en mĂȘme temps la puissance et la renommĂ©e. Elle a fait le 10 aoĂ»t ; elle a renversĂ© le trĂŽne, et ces grands coups ne lui ont pas valu la gioire. Pourquoi les a-t-elle portĂ©s ? Pourquoi ont-ils Ă©tĂ© stĂ©riles pour elle, et brille-t-elle d’un si faible Ă©clat? C’est qu’elle n’était, de la France, qu’une image incomplĂšte, qu’un torse mutilĂ© ; tous les partis ne siĂ©geaient pas dans son sein , tous les intĂ©rĂȘts n’y avaient point leurs reprĂ©sentants et leurs dĂ©fenseurs ; Ă©mondĂ© par les dissensions civiles, le tronc national n’y montrait qu’une partie de ses rameaux. D’un autre cĂŽtĂ© , la puissance publique Ă©tait descendue d’un Ă©chelon et dĂšs-lors l’influence qui domina le pays , la passion qui maĂźtrisa les pouvoirs , la force qui les assista , d’oĂč serait-elle venue , sinon de ces zones infĂ©rieures, oĂč le penchant naturel est le nivellement , oĂč le gĂ©nie est la Ï22 LIVRE SECOND- destruction , oĂč la politique est la force , et partant la tyrannie. La tyrannie , disons-nous ; aussi l’histoire des passions dĂ©mocratiques, dans tout l’univers, se rĂ©duit-elle Ă  ces deux phases l’exercer ou la subir. Une fois vaincue et dĂ©vastĂ©e la rĂ©gion sociale oĂč rĂ©side le dĂ©pĂŽt des lumiĂšres , de l’opinion , de la conscience des peuples , voyez ce qui resta de la puissance publique, la terreur ; de l’ordre, le sang et les ruines ; de la libertĂ© , une grande profanation et une cruelle mĂ©prise. La Convention , jusqu’au 31 mai, a une tribune encore. Elle compte dans ses rangs les Vergniaud , les Guadet,les GensonnĂ©, les Isnard, cette Gironde Ă©loquente qu’elle a reçue delĂ  LĂ©gislative et qu’elle brĂ»le de passer aux Ă©chafauds. Comment fait-elle pour les rĂ©futer? L’insurrection prend sĂ©ance, escalade la tribune, gourme le talent, saisit au collet le courage, trouve plus simple de jeter bas ses adversaires que de les entendre , et plus facile , comme Lanjuinais le dit si bien , de les assommer que de leur rĂ©pondre. Mis au monde pour exercer les pleins pouvoirs de la multitude, le sĂ©nat populaire se distinguait encore de la multitude par tous ces hommes qui voulaient l’impossible qui voulaient la rĂ©publique par les masses, et avaient dans l’esprit une autre libertĂ© que le niveau , dans le cƓur- une autre politique que la vengeance. Derniers reprĂ©sentants de l’indĂ©pendance des opinions, ils 123 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. lie trempaient qu’à regret dans le crime. Derniers dĂ©positaires de la parole , ils ne cĂ©daient pas sans protestation Ă  la violence brutale. La Convention les rejette de son sein elle les livre Ă  la furie populaire ; et, Ă  dater de ce jour, il se fait silence dansson enceinte, comme dans le Forum quand les PlĂ©bĂ©iens eurent vaincu. On ne parle plus qu’aux Cordeliers pour dĂ©noncer, et aux Jacobins pour proscrire. La Convention a cessĂ© d’ĂȘtre une assemblĂ©e reprĂ©sentative qui discute c’est une cour Ă©toilĂ©e qui frappe. La France, avec sa libertĂ© rĂ©volutionnaire , est arrivĂ©e en mĂȘme temps au silence et au deuil des tombeaux. La libertĂ© de la presse reste-t-elle du moins, comme un dernier asile, l’apanage de la pensĂ©e, du droit, Ă©crasĂ©s sous le poids de toute cette dictature sanglante qui s’appelle la libertĂ© ? Non, cette puissante franchise s’est Ă©vanouie avec celle de la tribune. Le malheureux Camille Desmoulins a cru que les membres de ce corps qui rĂ©gnait sur la France , que ceux au moins qui venaient de condamner le tyran Louis XVI, Ă©taient en droit de faire de l’opposition contre les tyrans subalternes et atroces du jour, contre un Lebon et un Carrier point ! le rĂ©gicide ne dispense pas de la servitude. Sa tĂȘte tombe, parce que sa main a Ă©crit. Les intĂ©rĂȘts , les talents, les partis aux prises ont perdu jusqu’au dernier vestige de ces arĂšnes indĂ©pendantes que l’ùre de 1789 avait promises Ă  la F rance, LIVRE SECOND. 124 et qui constituent la libertĂ©. Il n’y a plus de luttes d’opinion qu’entre la voix de Marat demandant toujours des victimes, et le poignard de Charlotte Corday qui lui rĂ©pond. C’est alors que brillent, l’injure Ă  la bouche et la hache Ă  la main, les Saint-Just, les BarrĂšre, les Robespierre enfin, tous ces montres dont on s’est mis depuis quelques annĂ©es Ă  cĂ©lĂ©brer le gĂ©nie. Ah ! il y a plus homme de gĂ©nie qu’eux tous c’est le bourreau ! Le malheur de la dĂ©mocratie est ce perpĂ©tuel entraĂźnement Ă  substituer la force Ă  la loi, Ă  trancher tous les diffĂ©rends par le glaive, Ă  compter le nombre pour le droit et la justice? Et accepte-t-on, pour vider les dĂ©bats des opinions et des partis, un autre glaive que la parole, un autre champ de bataille que la tribune, un autre jugement de Dieu que les solutions pacifiques de discussions sans entraves, la libertĂ© n’est plus. Quand madame Roland marcha, poussĂ©e par la furie populaire, vers l’é- cliafaud oĂč Marie-Antoinette avait portĂ© sa tĂȘte sacrĂ©e, elle dut se rappeler qu’elle avait trouvĂ© tout simple, une annĂ©e auparavant, que cette mĂȘme furie populaire se levĂąt en armes, au nom de la libertĂ©, contre une constitution entourĂ©e des serments de la France, et qu’elle chassĂąt Marie-Antoinette, avec toute sa race, d’un trĂŽne qui devrait ĂȘtre dĂ©fendu par l’autoritĂ© des lois nouvelles, en mĂȘme temps que par huit siĂšcles assis sur ses degrĂ©s. LA. SOCIÉTÉ FRANÇAISE. . I 25 Certes , la terreur fut grande justiciĂšre, et grĂące Ă  la haine des factions pour leurs chefs dissidents, il en sera toujours ainsi. Elle promena son glaive impitoyable sur toutes les tĂȘtes qui avaient invoquĂ© le rĂšgne de la force, qui avaient mis, Ă  la place de la libertĂ©, la guerre et son ivresse. Les Chabot comme les Camille Desmoulins, les Barbaroux comme les Danton , vinrent expier leur faute sur l’autel sanglant, et les sacrificateurs ne furent pas Ă©pargnĂ©s par la vindicte du ciel. La terreur, en expirant se replia sur ses auteurs, sur Robespierre et ses complices; elle les dĂ©vora. Si Louis XVI, qui ouvrit, comme un roi, cette marche lugubre, avait aussi expiĂ© des fautes, ce n’étaient pas les siennes du moins c’étaient celles de la royautĂ© absolue, celles de ses pĂšres. 4ussi le martyr auguste demanda-t-il en vain que son sang ne retombĂąt point sur la France. La priĂšre du fils de Saint-Louis ne fut pas exaucĂ©e tout son sang devait retomber sur la France. Nous savons quelles explications ont Ă©tĂ© donnĂ©es des attentats et des folies de cette Ăšre abominable. On a fait de l’échafaud un champ de bataille, de la terreur une guerre dĂ©fensive , et sans dĂ©corer ces affreuses vindictes du nom de justice, on les a consacrĂ©es sous celui de nĂ©cessitĂ©. C’est une excuse , trouvĂ©e aprĂšs coup par des hommes de talent engagĂ©s dans une lutte qui a faussĂ© leur grand LIVRE SECOND. I 2b sens 1. Comme ils se laissent prendre Ă  cette perpĂ©tuelle confusion des mots de dĂ©mocratie et de libertĂ©, ils se sont cru obligĂ©s de justifier Ă  tout prix la premiĂšre pour l’honneur de la seconde. Leurs commentaires se fondent sur des anachronismes. Ce n’est pas pour parer Ă  des pĂ©rils que la rĂ©volution assouvit sa fureur, et certes le moyen Ă©tait mal choisi ; car elle n’eĂ»t fait que les accroĂźtre. C’est pour obĂ©ir Ă  ses instincts grossiers ; c’est parce qu’elle Ă©tait le gouvernement des masses, la dĂ©magogie en action, voilĂ  tout. Car si elle tua le prince que l’AssemblĂ©e constituante avait par dĂ©crets surnommĂ© le restaurateur de la libertĂ©, ce fut quand elle venait de vaincre la coalition, de conquĂ©rir la Belgique, d’emporter Mayence, d’occuper Francfort, quand elle faisait trembler l’Allemagne , et pouvait, terrible et glorieuse, dicter la paix. Ce furent au contraire ses victoires qui lui donnĂšrent le courage de ses crimes. Ce furent aussi ses crimes, qui ranimĂšrent la coalition, y firent entrer l’Angleterre, soulevĂšrent la VendĂ©e, la Bretagne, le Midi, Lyon enfin, et mirent la rĂ©volution Ă  deux doigts de sa perte. La rĂ©volution aurait pĂ©ri par l’attentat du 21 janvier, si elle avait pu pĂ©rir. Mais elle Ă©tait invincible ; ce qui faisait sa tyrannie et ses spoliations, fit aussi sa force. Elle 4 M. Thiers ; M. Mignet. LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. I27 avait les masses avec elle ; ces masses furent hĂ©roĂŻques contre l’étranger. Elles enfantĂšrent les armĂ©es, les capitaines, les victoires ; aussi ne servirait-il de rien aujourd’hui d’accuser l’origine de la sociĂ©tĂ© nouvelle, de lui objecter les mĂ©faits qui suivirent sa naissance. Il en est des rĂ©volutions comme des enfants des barbares qu’on livrait au cours des fleuves pour les Ă©prouver, et n’avouer que ceux qui rĂ©sistaient aux flots. Elle a rĂ©sistĂ© Ă  toutes les tempĂȘtes. Telle est sa nature, qu’elle a revĂȘtu d’une insurmontable puissance tous les gouvernements créés ou reconnus par elle, soit qu’elle se chargeĂąt elle-mĂȘme de se rĂ©gir sous l’ombre d’un comitĂ© de salut public, soit qu’elle ceignĂźt avec le plus grand de ses fils le bandeau des rois, et poursuivĂźt les restes des projets de Pilnitz dans toutes les capitales et sur tous les trĂŽnes. Et si l’Europe devait finir par prendre sur les armes françaises une revanche terrible, les intĂ©rĂȘts nouveaux n’étaient plus en question depuis longtemps. Ils avaient depuis longtemps assurĂ© leurvictoire. L’EuropeĂ Campo-Formio, Ă  Amiens, partout, les avait reconnus sans retour. Ce fut non plus l’esprit dĂ©mocratique, mais l’esprit militaire, non plus la passion de la libertĂ©, mais la passion des conquĂȘtes qui souleva les rĂ©sistances offensives des tĂȘtes couronnĂ©es. Des envahissements dynastiques avaient remplacĂ© la propagande rĂ©volutionnaire. NapolĂ©on en personne, NapolĂ©on 128 LIVRE SECOND. seul Ă©tait l'antagoniste de l'univers. De tout cet assaut de principes, de toute celte guerre commencĂ©e au nom de la libertĂ© et de l’égalitĂ©, il ne restait au dehors qu’un duel de rois. Au dedans, il restait de cette subversion effroyable la division de la propriĂ©tĂ© et sa mobilitĂ©, une nouvelle loi civile et l’égalitĂ© devant la loi ; faits Ă©normes qui, assurant la diffusion du bien- ĂȘtre public et privĂ© entre tous les enfants de la grande famille, et donnant Ă  l’Etat social une base nouvelle, exigeaient de la constitution politique de nouveaux moyens de force et de stabilitĂ© ! Pour que la libertĂ© put s’établir un jour, il fallait d’abord l’institution d’un gouvernement puissant, le retour aux principes Ă©ternels de l’ordre, la conciliation de ces principes avec la sociĂ©tĂ© nouvelle, la rĂ©union des deux Frances divorcĂ©es pour leur commun malheur. Les termes du pacte de conciliation devaient se trouver tĂŽt ou tard, puisque deux choses demeurent Ă©galement constantes ; c’est que l’ancienne aristocratrie, l’Europe, le monde seraient impuissants pour dĂ©truire l’ordre nouveau , comme l’ordre nouveau l’est lui-mĂȘme pour fonder et maintenir un vĂ©ritable systĂšme reprĂ©sentatif. Aussi, la rĂ©volution se reconnut-elle, sous la longue Ă©preuve des misĂšres publiques, incapable du pouvoir non moins que de la libertĂ©. Elle avait eu horreur d’elle-mĂȘme; elle se chercha un tuteur LA. SOCIÉTÉ FRANÇAISE. 1 29 et le trouva dans un soldat lĂ©gislateur. Il advenait Ă  la France fatiguĂ©e, ce que Tacite dit de Rome , aprĂšs le rĂšgne des triumvirs elle se rĂ©fugiait sous les lois d’un maĂźtre. C’est ainsi que l’ordre renaĂźt, et le monde nous appelle la grande nation. Mais nos chĂątiments ne sont pas finis car l’ordre n’est venu qu’avec le despotisme. Nos chĂątiments touchent Ă  leur terme ; le despotisme vient avec le gĂ©nie qui le justifie et la gloire qui le rehausse. CHAPITRE III. RESTAURATIONS SUCCESSIVES. — RESTAURATION AVANT LA CHARTE, . OĂŒ L’EMPIRE. Une longue restauration sociale prĂ©cĂ©da le retour des Bourbons l’Empire. Une autre restauration, celle-lĂ  toute politique, devait accompagner la royautĂ© capĂ©tienne ce fut le rĂ©gime de la Charte. Une troisiĂšme, passionnĂ©e, subversive, fatale, pouvait suivre la nation crut en voir l’aurore dans les ordonnances de juillet 1830, et de lĂ  est venue la nouvelle rĂ©volution. C’était, disons-nous, une restauration, que le rĂ©tablissement des autels, la rĂ©intĂ©gration du calendrier, des locutions et des usages de la sociĂ©tĂ© ancienne, le rappel de ses restes fugitifs, la renaissance d’une ombre de puissance paternelle, celle des distinctions honorifiques, celle des titres transmissibles, celle des majorats hĂ©rĂ©ditaires, celle d’une cour, celle d’un trĂŽne, oeuvres inattendues et magnifiques du conquĂ©rant de l’Egypte et de l’Italie. Ajoutez la crĂ©ation de codes magnifiques, et. l’organisation d’un pouvoir Ă©galement fort et tutĂ©laire, d’un pouvoir impartial quoique LA. SOCIÉTÉ FRANÇAISE. l3l absolu. Par-dessus tout, voyez le systĂšme entier prendre pour appuis les deux supports nĂ©cessaires de l’autoritĂ© parmi les hommes, l’illustration et la propriĂ©tĂ©. NapolĂ©on mĂ©rita le titre de restaurateur de l’ordre, que ses contemporains lui dĂ©fĂ©rĂšrent ; c’était avec raison celui qui flattait le plus son orgueil. Or, cette restauration Ă©tait indispensable Ă  la rĂ©volution mĂȘme. Otez du milieu des hommes les lois, le pouvoir, la sĂ©curitĂ©, le respect, un culte; la bĂȘte fauve n’a point de plus grossiers destins. Aussi la sociĂ©tĂ© nouvelle s’affermit-elle sous la main du gĂ©ant qui la rĂ©gla. Son autoritĂ© glorieuse pacifia les esprits, accoutuma le Bleu et le VendĂ©en Ă  vivre et combattre ensemble; mit la nouvelle France, d’abord athĂ©e, puis thĂ©ophilanthrope la veille, aux genoux du chef de l’Eglise romaine ; restitua aux pontifes, Ă  leurs pompes, Ă  leurs rites, les hommages de la foule ; plia le rĂ©publicain et le dĂ©mocrate Ă  voir, Ă  servir des tĂȘtes couronnĂ©es ; apprivoisa l’opinion avec la renaissance de l’aristocratie ancienne par la crĂ©ation de la nouvelle ; assit enfin cette France flottante, au sein de laquelle pas une institution et pas un principe n’étaient restĂ©s debout, sur ces grandes lois que l’Empire portait en quelque sorte incarnĂ©es en lui le respect des croyances, des supĂ©rioritĂ©s, des pouvoirs. Mais l’ordre social ne fut reconstituĂ© par le pre- Ăź32 LIVRE SECOND. mier consul et l’empereur qu’au profit des intĂ©rĂȘts nouveaux. Si un trĂŽne s’élevait au sein de cette terre, oĂč la charrue rĂ©volutionnaire avait passĂ©, un parvenu y siĂ©geait. Sa cour brillait de gloires rĂ©centes; les rejetons des vieilles races n’étaient admis, quelque fut l’éclat des noms , qu’aux rangs secondaires, et semblaient n’ĂȘtre lĂ  que pour donner du relief et des supports Ă  toute cette improvisation d’une noblesse sans aĂŻeux, d’une monarchie sans passĂ©. Un Montmorency pouvait bien arriver au titre de comte, point Ă  celui de duc, de peur que l’ancienne sociĂ©tĂ© ne se crĂ»t rĂ©intĂ©grĂ©e en lui ; une superbe jalouse ne lui permettait pas mĂȘme le titre de baron, comme si le premier baron chrĂ©tien eĂ»t lait ombrage aux premiers soldats de la rĂ©volution et de l’univers. Dans cette monarchie faite de main d’homme, il fallait que rien ne sentĂźt la main du temps ; tout continua Ă  dater des ruines de la Bastille; l’ordre ancien restait vaincu. La libertĂ© ne pouvait, par cela mĂȘme, trouver place dans le gouvernement du 18 brumaire. L’ancienne France aurait fait un perpĂ©tuel effort pour prendre, sur ces champs de bataille des Ă©lections, de la presse, des deux tribunes, oĂč le nombre ne fait pas la victoire, des revanches de ses longs revers. L’aristocratie impĂ©riale serait restĂ©e sans dĂ©fense contre les hĂ©ritiers de cette autre aristocratie, plastronnĂ©e de siĂšcles et rehaussĂ©e de LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. 1 33 malheurs, qui eussent attaquĂ© sa suprĂ©matie dans le sentiment public, toujours contraire en France aux pouvoirs rĂ©gnants, avec toutes les armes. Les feux croisĂ©s de l’esprit rĂ©publicain et de l’esprit royaliste l’auraient criblĂ©e. L’empereur mĂȘme n’y aurait pas tenu ; il ne serait restĂ© que le grand homme; alors tout croulait. La longue guerre de l’Angleterre et de l’empire ne fut pas seulement, comme on l’a dit beaucoup, une autre guerre de Rome et de Carthage, une rivalitĂ© de la puissance territoriale et de la puissance industrielle, un effort du sceptre du continent pour briser, comme on parlait alors, le trident des mers. NapolĂ©on, vraisemblablement, portait plus loin sa pensĂ©e c’était contre la tribune anglaise qu’il avait mĂ©ditĂ© la descente ; c’était contre la presse anglaise qu’il avait fulminĂ© les dĂ©crets de Milan et de Berlin ; c’était la libertĂ© que ses manifestes nommaient le gĂ©nie du mal, et il avait raison. Il ne restait de libertĂ© dans le monde que sous les voĂ»tes de Westminster et sur le rocher de Cadix il s’y brisa. La chute de NapolĂ©on Ă©tait la suite nĂ©cessaire de sa mission immense et fatale. Il ne pouvait dompter l’anarchie qu’à l’aide du pouvoir absolu; car Dieu n’aurait pas rĂ©glĂ© le chaos, si le chaos avait Ă©tĂ© libre. La condition du pouvoir absolu Ă©tait de donner Ă  la France la perpĂ©tuelle distraction de la gloire, la perpĂ©tuelle indemnitĂ© de la LIVRE SECOND. 1 34 conquĂȘte. Mais la conquĂȘte pouvait-elle avoir un autre rĂ©sultat que la rĂ©union de tous les peuples et de tous les rois dans un intĂ©rĂȘt commun, en mĂȘme temps que la lassitude, l’épuisement, l’animadversion de la France? Le jour devait venir oĂč la France se retirerait du colosse. Ce jour vint, et il tomba faute d’appui. Gloire Ă©ternelle Ă  cet homme du destin, non pas pour avoir promenĂ© au milieu des nations le char de la France en foulant sous sa roue altiĂšre les peuples et les rois ; non pas pour avoir Ă©tĂ© le plus grand capitaine des temps modernes, et peut- ĂȘtre de tous les temps ; mais pour avoir rendu ce service immense de dĂ©brouiller le chaos rĂ©volutionnaire , de former, dans le sein de la sociĂ©tĂ© bouleversĂ©e, un gouvernement fondĂ© sur les seules maximes que puissent accepter les nations civilisĂ©es, de frayer enfin la route oĂč la puissance publique doit s’affermir parmi nous, si nous voulons une fois nous reposer Ă  l’ombre d’institutions stables et rĂ©guliĂšres ! Il nous enseigna Ă  prendre les supĂ©rioritĂ©s de toute nature pour remparts. Il pensa que la gloire Ă©tait un vain nom, si elle ne maintenait les fils dans les hautes rĂ©gions oĂč s’étaient Ă©levĂ©s les pĂšres ; que l’hĂ©rĂ©ditĂ© Ă©tait nĂ©cessaire Ă  l’ambition comme le but Ă  la course, sous peine de la voir dĂ©cheoir en spĂ©culations misĂ©rables, et se contenter du lucre qui du moins se transmet. En mĂȘme temps, il fonda une adminis- LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. 135 tration, une et puissante Ă  son image, qui fait de notre sociĂ©tĂ© Ă©parse un seul corps, qui rend notre dĂ©mocratie compacte et gouvernable, qui est notre lien et notre force uniques. Cette administration a donnĂ© Ă  la restauration sa puissance matĂ©rielle et ses chances de durĂ©e c’est un bienfait que la France mĂ©connaĂźt, et, aujourd’hui encore, elle en vit. On juge des gouvernements par ce qu’ils ont fait de leur vivant ; c’est une mĂ©prise. Il faut juger d’eux par ce qu’ils ont laissĂ© aprĂšs leur chute. L’ancien rĂ©gime nourrit dans ses flancs la rĂ©volution, la dĂ©magogie, l’impiĂ©tĂ©, tous nos flĂ©aux. L’empire, dont nous admirons la splendeur guerriĂšre, laissa deux fois, en tombant, l’étranger assis sur ses ruines et les nĂŽtres. Mais il nous tira de notre anarchie sanglante, et nous fit aptes Ă  la monarchie et Ă  la libertĂ©. Toutes deux purent sortir du milieu des dĂ©bris de nos longs naufrages et rĂ©gner ensemble sur la France. VoilĂ  son ouvrage, ses monuments, sa gloire. CHAPITRE IV. RESTAURATION SELON LA CHARTE LES BOURBONS. La seconde, la grande restauration, la restauration selon la Charte commence. Elle devait ĂȘtre, elle fut Ă  l’état politique ce que la restauration selon la gloire avait Ă©tĂ© Ă  l’état social c’était l'ordre encore, mais Ă  un degrĂ© plus haut, avec toutes ses garanties et tous ses bienfaits l’ordre avec des institutions libres. Qu’on nous pardonne si, en abordant un sujet consacrĂ© dĂ©sormais par d’inouĂŻs malheurs, nous Ă©prouvons d’abord le besoin de renverser une mĂ©prise funeste, un malentendu injurieux, qui ne calomnie pas seulement d’illustres infortunes, qui outrage aussi la patrie. Tout notre sang bout dans nos veines Ă  la pensĂ©e que des princes, qui ont marchĂ© quinze ans Ă  la tĂȘte de la France, n’aient rĂ©gnĂ©, suivant l’expression de M. de Salverte, que par la grĂące de ĂŻ Ă©tranger. On ne sait si tous ces orateurs, tous ces publicistes qui trouvent plaisant de mentira l’histoire pour satisfaire Ă  des haines et Ă  des vengeances, eussent Ă©tĂ© d’humeur, LA. SOCIÉTÉ FRANÇAISE. l?'] pour leur compte, Ă  plier devant un Tartare, un Allemand, un lieutenant enfin de l’ennemi victorieux. Mais notre cƓur français nous crie que pour commander Ă  la France , la premiĂšre condition est d’ĂȘtre Français et d’ĂȘtre voulu par elle. Qui ne sait les hĂ©sitations, les rĂ©pugnances , les combats des hauts alliĂ©s ? Qui ne sait que ce fut malgrĂ© la coalition, peut-ĂȘtre, que Bordeaux, Nancy, Troyes, Paris enfin, appelĂšrent les Bourbons pour s’interposer entre la patrie et ses revers ? Les Bourbons reparurent par leur propre vertu, comme reparaĂźt, aprĂšs le passage du torrent, l’arbre sĂ©culaire que le torrent a couvert de ses flots. La rĂ©volution avait rĂ©tabli la monarchie le trĂŽne vacant, une dynastie Ă©mĂ©rite s’offre Ă  le remplir. L’empire avait créé une noblesse une autre noblesse, consacrĂ©e par les mƓurs quand elle ne l’était plus par les lois, se fait voir, dans ce grand dĂ©sastre de l’empire, agitant un drapeau, et criant Vive le roi! La France, affamĂ©e de repos, demandait la paix Ă  grands cris ce drapeau l’apporte. La France, Ă©crasĂ©e de tyrannie, demandait d’une seule voix la libertĂ© ce roi promet le systĂšme reprĂ©sentatif. La France, Ă©puisĂ©e d’impĂŽts, demandait non moins haut la destruction des droits rĂ©unis la rĂ©volution royale fait comme toutes les rĂ©volutions passĂ©es et futures ; elle crie Plus de droits rĂ©unis ! 138 LIVRE SECOND. C’est ainsi que la restauration s’opĂ©ra. Ce fut la Chambre des dĂ©putĂ©s de l’empire, ce furent les conseils gĂ©nĂ©raux de l’empire, ce fut ce SĂ©nat, pairie de la rĂ©volution, ce fut le conseil municipal de Paris, qui proclamĂšrent le rappel des Bourbons au trĂŽne de leurs pĂšres. C’était l’homme d’Etat, de nom et de sang illustre, mais associĂ© Ă  l’ordre nouveau par le plus de services et par le plus de garanties, qui venait nĂ©gocier le pacte d’alliance de la France avec ses princes proscrits, et on dirait qu’il resta, pendant tout le cours de la restauration , attachĂ© Ă  la premiĂšre marche du trĂŽne, comme le MacĂ©donien, pour rappeler aux Bourbons qu’ils Ă©taient mortels. Le second envahissement, celui de 1815, ne fut, pas plus que le premier, conduit par la maison royale ou pour elle. Il y eut, au 20 mars, soulĂšvement unanime des peuples, des aristocraties, des rois de l’Europe contre la rĂ©apparition du gĂ©nie des conquĂȘtes. Vainement subissait-il, non sans rĂ©volte assurĂ©ment, la loi de se retremper dans son origine rĂ©volutionnaire c’était accuser son infirmitĂ© native, mais longtemps cachĂ©e, sans se rendre moins insupportable Ă  toute cette Europe, Ă©pouvantĂ©e doublement du spectre de la dĂ©magogie et de celui de l’empire, La maison de Bourbon n’intervint qu’un jour ce fut le lendemain des nouveaux dĂ©sastres si tĂ©mĂ©rairement provoquĂ©s. La bataille de Waterloo LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. I 3q avait livrĂ© la France Ă  la merci de l’étranger. On sait quels conseils donnaient la colĂšre et la victoire. Alors paraĂźt, malgrĂ© les efforts des deux puissances, un vieillard qui, du sein de la capitale envahie, jette, entre la France et la coalition, son bien et son arme uniques, son bĂąton de voyageur. Mais ce bĂąton est le sceptre de nos soixante rois. Louis XVIII couvre de son droit le royaume entier, comme il a voulu couvrir de son corps le pont d’IĂ©na. Les rois s’arrĂȘtĂšrent devant ce principe de la lĂ©gitimitĂ© , Ă  l’aide duquel le reprĂ©sentant de la France vaincue avait su, Ă  Vienne, sauver la Saxe, et qui Ă  Paris combattit pour la France. Pour en finir avec ces douloureuses questions, qui raniment tous les souvenirs de nos malheurs, nous ajouterons sur-le-champ qu’il n’est pas vrai non plus que, dans sapeur de la France, la restauration nous ait tenus sous la loi de l’étranger afin d’y trouver force et appui. Les hommes qui ont vu de prĂšs les affaires savent que le gouvernement royal a Ă©tĂ© l’un des plus incommodes Ă  l’Europe, et des plus rebelles Ă  cet esprit d’assimilation qui la dominait. L’évacuation gĂ©nĂ©rale du territoire français fut le premier voeu , la premiĂšre sollicitude de Louis XVIII et de ses ministres. La guerre d’Espagne s’accomplit malgrĂ© l’Angleterre ; la guerre de GrĂšce, malgrĂ© l’Autriche; la guerre d’Alger, malgrĂ© tout le monde. C’est aussi malgrĂ© LIVRE SECOND. 140 tout le monde que fut entreprise une autre grande guerre, celle des ordonnances du 25 juillet 1830, contre la Charte et les lois. Toutes les cours, et la Russie plus qu’aucune autre, multipliĂšrent en vain les reprĂ©sentations et les conseils. La Charte avait l’appui de l’étranger, et non pas le coup d’Etat. La meilleure preuve de l’indĂ©pendance de Charles X, c’est sa chute. Nous voulons le dire de ce prince auguste et malheureux, dont nous avons assez souvent blessĂ© le cƓur sur le trĂŽne pour avoir le besoin et le droit d’envoyer une vĂ©ritĂ© consolante Ă  son exil. Il avait trop de hauteur d’ñme pour ĂȘtre le vassal de personne. Sa fiertĂ© ne mesurait que trop bien la grandeur de la couronne de France. Il ne l’aurait pas humiliĂ©e devant l’étranger ; il l’a perdue pour ne pas l’incliner mĂȘme devant les Français. Il n’est donc pas vrai davantage, qu’une haine vivace, puisĂ©e Ă  ces sources, n’ait cessĂ© de fermenter dans le cƓur des Français, contre la maison royale que nous entourions tous de nos hommages. La popularitĂ© que Louis XVIII conserve, les acclamations des deux avĂšnements, les fĂȘtes de l’Alsace, des annĂ©es d’une obĂ©issance universelle, paisdale, facile, empressĂ©e, sont des tĂ©moignages d’assentiment qui nous semblent authentiques. Nous ne croyons pas aux comĂ©dies de quinze ans, sauf des natures privilĂ©giĂ©es peut-ĂȘtre ; LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. I 4 T mais ce rĂŽle ne va pas Ă  tout un peuple. Il serait trop long et trop habile pour un tel acteur. Nul doute que la restauration selon la Charte ne fĂ»t le vƓu unanime de la France; et, ce qui le prouve, c’est qu’au milieu de toutes les dĂ©clamations outrageuses, on ne cesse de rĂ©pĂ©ter que, sans le coup d’Etat, la monarchie fĂ»t Ă©ternellement restĂ©e debout. Imagine-1-on la France Ă©ternellement enchaĂźnĂ©e Ă  un joug bai et mĂ©prisĂ© ! Legs funeste de NapolĂ©on , les traitĂ©s, qui nous ont rĂ©gis depuis nos revers, Ă©taient un malheur pour la patrie , une dĂ©faite peut-ĂȘtre pour la dĂ©magogie et l’empire, pour personne une humiliation. 11 n’y en a pas Ă  ĂȘtre vaincu quand on est seuls contre tous comme la premiĂšre fois, et que de plus on est divisĂ©s comme la seconde. C’est seulement un avertissement de ne point se mettl e seuls contre tous, et de ne point se diviser. Le premier parti peut ne pas dĂ©pendre de nous ; le second en dĂ©pend toujours; et, pour y parvenir, il faut d’abord bannir ces rĂ©criminations violentes, iniques, odieuses. Quand de nos deux Frances, si longtemps dĂ©sunies , il en est une qu’on accuse de nos dĂ©sastres, injustice et mensonge ! Ce n’est pas elle qui Ă©tait allĂ©e chercher au fond du Nord l’a- valanclie sous laquelle notre fortune tomba Ă©crasĂ©e. Ce n’est pas elle qui se serait complu Ă  dĂ©- cheoir du rang, qui fut celui de la France dans le monde, depuis des siĂšcles. Ah ! sachons une fois l/j2 LIVRE SECOND. ĂȘtre vrais, bienveillants entre nous, comme des frĂšres qui se sont disputĂ© un commun hĂ©ritage, qui ont tous eu peut-ĂȘtre leur part de torts , mais que mille liens attachent, qui ont dans les veines le mĂȘme sang, qui sont nĂ©s sur la mĂȘme couche, qui doivent vivre du mĂȘme sillon, qui ne peuvent prospĂ©rer qu’ensemble, et qui tous portent des Ăąmes Ă©galement Ă©mues Ă  ces grands noms de France et de patrie ! CHAPITRE V. SUITE DU PRÉCÉDENT. LA CHARTE. On a fait voir qu’il n’était pas vrai que la restauration se fĂ»t accomplie par l’étranger. 11 est une autre mĂ©prise, conçue dans les rangs royalistes, qui a Ă©tĂ© Ă©galement fatale; c’était de croire que la rĂ©volution fut vaincue avec l’empire, et, de supposer en consĂ©quence, que parce que ce fut le roi qui, par octroi, donna la Charte, il aurait pu ne pas la donner. Par qui la France nouvelle aurait-elle Ă©tĂ© vaincue ? Par l’ancienne France ? Depuis quinze ans elle n’avait pas tirĂ© l’épĂ©e. Par les rois conjurĂ©s ? Les rois ne le croyaient pas. Ce n’est plus Ă  elle qu’ils faisaient la guerre ; et tel Ă©tait leur effroi de la voir reparaĂźtre sur les champs de bataille, qu’ils n’intervinrent dans nos affaires domestiques que pour hĂąter la proclamation de cette Charte qui consacrait, sans exception, tous les intĂ©rĂȘts , tous les principes, tous les droits inaugurĂ©s par la rĂ©volution de 1789. Les couronnes allĂšrent jusqu’à prendre le pacte fondamental sous leur garantie LIVRE SECOND. i44 commune, par un traitĂ© formel, tant leur sagesse avait compris qu’il y allait du repos de la France et de la paix du monde ! Yeut-on savoir si le nouveau droit public du royaume, instituĂ© pour clore quarante ans de dissensions civiles, attribuait Ă  l’émigration la victoire? Qu’on dise si on combattait Ă  Coblentz pour l’égalitĂ© devant la loi, si on s’était confĂ©dĂ©rĂ© Ă  Pilnitz pour la conquĂȘte du systĂšme reprĂ©sentatif. Le caractĂšre delĂ  restauration et sa vertu furent prĂ©cisĂ©ment d’effacer les distinctions de vaincus et de vainqueurs. C’était la rĂ©conciliation de la sociĂ©tĂ© française avec la sociĂ©tĂ© europĂ©enne, avec elle-mĂȘme, avec ses propres annales. C’était la restitution de tout ce que le passĂ© a d’auguste et de sacrĂ©, avec le maintien de toutes les conquĂȘtes prĂ©sentes, et la garantie de tous les progrĂšs futurs. La Charte rĂ©intĂ©grait simplement le passĂ© dans son droit ; elle l’élevait Ă  l’égalitĂ© ; et, en mĂȘme temps qu’elle rendait Ă  la classe violemment dĂ©pouillĂ©e, les titres de ses pĂšres, aux illustrations parĂ©es de siĂšcles le droit d’anciennetĂ© , Ă  la postĂ©ritĂ© de Henri IV le sceptre des quarante rois dont elle est issue, elle rendit Ă  la nation la possession pleine et entiĂšre des institutions politiques que les cahiers des Etats-GĂ©nĂ©raux avaient unanimement revendis quĂ©es en 1789. Il y eut ainsi transaction entre les deux camps LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. I 45 rivaux l’un attacha la couleur de Fontenoy aux enseignes de la patrie ; l’autre imposa ses codes, ses moeurs, ses maximes. Le premier plaça l’hĂ©rĂ©ditĂ© au faĂźte des pouvoirs ; le second assura aux hommes nouveaux la majoritĂ© dans l’assemblĂ©e hĂ©rĂ©ditaire, dans les conseils, et presque dans la cour. Alors le clergĂ© prit place au sein des corps politiques, mais avec l’unique mission de reprĂ©senter le grand intĂ©rĂȘt de l’Eglise dans le conflit de tous les intĂ©rĂȘts sociaux. Le grand seigneur des anciens temps, nos capitaines chargĂ©s de victoires, l’avocat, le citoyen que la tribune avait Ă©levĂ©s au niveau des plus illustres serviteurs du trĂŽne, se rencontrĂšrent dans les conseils du prince, les rangs n’étant marquĂ©s entre eux que par les services, par l’autoritĂ© personnelle, par le talent; et tous n’exercĂšrent le pouvoir que sous la condition de faire sanctionner la dĂ©lĂ©gation royale parles majoritĂ©s parlementaires, du haut de ces tribunes puissantes qui se relevĂšrent en mĂȘme temps que le trĂŽne de Louis XIV. Dans ce rĂ©gime, il y avait Ă  gagner pour tous. L’aristocratie ancienne reprenait ses honneurs, sans offense Ă  la nouvelle. Que disons-nous? La nouvelle y trouvait une sanction auguste et un lustre inattendu. Elle avait plus de foi en elle- mĂȘme depuis qu’elle marchait cĂŽte Ă  cĂŽte avec les illustrations anciennes , au lieu de les primer. Cette alliance Ă©tait une gĂ©nĂ©alogie toute faite 10 LIVRE SECOND. ĂźZjb pour nos gloires rĂ©centes. De son cĂŽtĂ©, la nation s'Ă©levait de plusieurs degrĂ©s, en mĂȘme temps que sa double Ă©lite ; elle s’élevait par ces institutions gĂ©nĂ©reuses qui sont la noblesse des peuples ; elle s’élevait par les richesses matĂ©rielles et morales dont l’inĂ©puisable mine Ă©tait cachĂ©e au pied de ce triple trĂŽne de la royautĂ©, de la pairie, de la reprĂ©sentation nationale, sanctuaires de toutes les grandeurs, buts de tous les talents, remparts de tous les droits, de tous les perfectionnements, de toutes les prospĂ©ritĂ©s. Ainsi, pour le peuple, pour le commerce, pour l’industrie, pour les arts, pour les lettres, le repos, la paix, l’ordre, l’indĂ©pendance personnelle, la libertĂ© publique ; pour les grands d’origine nouvelle, les jouissances aprĂšs la conquĂȘte, une cour sans despote, et le pouvoir hĂ©rĂ©ditaire de la pairie ; pour les restes de la sociĂ©tĂ© d’autrefois, Ă  la place de l’abaissement ou de l’exil, une patrie, des grandeurs, un trĂŽne!. France! France! combien on avait raison de dire alors que la Charte Ă©tait un fonds commun , grĂące auquel nous avions tous fait fortune en meme temps ! Eu disciplinant la sociĂ©tĂ©, en quelque sorte fĂ©brile , qui Ă©tait sortie des flancs de l’anarchie, indocile et violente comme sa mĂšre, NapolĂ©on n’avait pas eu besoin de donner de charte Ă  la France ; sa charte, c’étaientson extraction et ses batailles. La rĂ©volution n'avait enfantĂ© jusqu’alors LA. SOCIÉTÉ FRANÇAISE. I [fj que des intĂ©rĂȘts matĂ©riels. Elle avait englouti bien des principes, mais n’en avait pas mis au monde ou avouĂ© un seul car elle ne s’inquiĂ©tait de l’égalitĂ© que comme de l’intĂ©rĂȘt positif du grand nombre. Comme principe, comme rĂšgle divine, comme accomplissement d’une amĂ©lioration sociale, la rĂ©volution ne l’entendait pas, et la preuve, c’est qu’elle traitait en ilote l’élite de la nation. Aussi des garanties matĂ©rielles pouvaient-elles parfaitement lui suffire; et la communautĂ© d’origine, la communautĂ© d’intĂ©rĂȘt et de destinĂ©e, assurĂšrent la puissance du soldat du 13 vendĂ©miaire, du pacificateur de Campo-Formio, du hĂ©ros des Pyramides. Encore se crut-il obligĂ© d’y ajouter une communautĂ© de plus celle du crime. Il complĂ©ta sa charte dans les fossĂ©s de Vincennes ; et, quand il eut mis du sang des rois Ă  ses mains, il n’hĂ©sita plus Ă  saisir la couronne, certain que la rĂ©volution le reconnaĂźtrait Ă  cette grande tache jusque dans le cortĂšge des rois. Heureuse en effet de jouir enfin de sa fortune, elle s’endormit sous un despotisme protecteur, oubliant sans peine la libertĂ© dont elle n’avait connu que des impostures hideuses, rassurĂ©e sur l’égalitĂ©, parce que les couronnes ducales ne brillaient qu’au front des soldats de la rĂ©publique ou de ses tribuns, et que le chef de l’empire avait beau rappeler les pompes de Versailles, il n’était, au milieu de ses pompes, que le premier des acquĂ©reurs de biens nationaux, car il rĂ©gnait au Louvre. LIVRE SECOND. i/»8 On a parlĂ© sans cesse de la force de NapolĂ©on, et Dieu sait les contre-sens funestes qui en sont nĂ©s ! Il semble que la force des trĂŽnes consiste Ă  nourrir des rĂ©solutions immuables et passer des revues 1. On ne doute pas que si, en outre, on fait quelques expĂ©ditions brillantes, si on joint la gloire Ă  la fermetĂ©, on n’ait rempli toutes les conditions voulues pour ressaisir la succession entiĂšre de l’empire, et prendre son fonds, en quelque sorte, sans que la France s’aperçoive que la dictature a changĂ© de main. Erreur Ă©trange et fatale ! M. de Bourmont pourra attacher son nom Ă  la conquĂȘte d’Alger, saris pousser des racines dans l’esprit public. La restauration pourra briller de l’éclat de la victoire sans imposer davantage Ă  la France. Si sa politique alarme les intĂ©rĂȘts nouveaux, elle ne fera que dĂ©populariser la victoire. C’est que la force, en politique, ne rĂ©side ni dans la rĂ©solution des hommes ni dans leur gĂ©nie leviers puissants, leviers inutiles, s’ils n’ont un point d’appui ; et le point d’appui se trouve dans les 4 Ce chapitre et la plus grande partie de ce livre, sauf quelques mots qu’on va lire, avaient Ă©tĂ© Ă©crits avant la rĂ©volution, en juin 4830. Ils faisaient partie d’un ouvrage sur la situation de la France auquel les ordonnances vinrent couper court. On n’a rien changĂ© que des considĂ©rations ou des expressions aujourd’hui intempestives. Quand on se respecte, on ne peut parler aujourd’hui du gouvernement du roi Charles X, comme on l’aurait fait alors. Note des Ă©ditions de 4834 et 4832 seize mois et vingt mois LA. SOCIÉTÉ FRANÇAISE. I ZCJ intĂ©rĂȘts dont le pouvoir se fait le reprĂ©sentant. NapolĂ©on avait la force de la rĂ©volution incorporĂ©e en lui tout entiĂšre ; il avait la force de la multitude, qui jouissait de le voir, roi lui-mĂȘme, vaincre et humilier les rois, parce qu’elle les humiliait par lui. De lĂ  vient la popularitĂ© profonde que ce grand nom conserve. NapolĂ©on est toujours restĂ© peuple, malgrĂ© lui-mĂȘme. Il Ă©tait le peuple couronnĂ©; c’est pourquoi il put rĂ©gner comme le peuple rĂšgne, par le pouvoir absolu. M. de Chateaubriand a donc raison de railler, dans son dernier Ă©crit 1, les grosses cervelles qui croyaient, en 1814, que les Bourbons n’avaient rien Ă  changer au rĂ©gime de Bonaparte, hors les draps du lit. Mais ce n’est point parce que Bonaparte avait la gloire pour compagne de couche. Des princes, qui reprĂ©sentaient parmi nous dix siĂšcles de nos annales, n’étaient pas une nouvelle connaissance pour la gĂźoire, qui d’ailleurs n’était qu’une des figurantes de la cour impĂ©riale. La compagne vĂ©ritable de NapolĂ©on, c’était la rĂ©volution ; elle dormait tranquille sur le sein du despotisme impĂ©rial, comme une mĂšre auprĂšs d’un fils. La guerre et la victoire n’étaient lĂ  que pour servir Ă  bercer ce salutaire sommeil. Mais, Ă  l’approche de la lĂ©gitimitĂ©, la rĂ©volution devait se 1 Sur la proposition Bricqueville le bannissement des Bourbons.— 1831, LIVRE SECOND. 1 5o rĂ©veiller ; elle n’y manqua pas. Carnot, qui s’était tĂ» sous NapolĂ©on, Ă©crivit sous les rois. On vit les hommes de l’empire, le front encore marquĂ© du joug d’or qu’ils avaient portĂ©, la main Ă  peine libre du joug de fer qu’ils avaient appesanti sur les peuples, ne plus trouver assez de libertĂ© sous le soleil pour respirer en paix. Ce fut assez d’avoir Ă©tĂ© lieutenant de mamelucks pour compter parmi les libĂ©raux, d’avoir brillĂ© dans la cour impĂ©riale comme chambellan, page, comte ou duc, pour se montrer intraitable en fait d’égalitĂ© ; et au fond il n’y eut pas inconsĂ©quence, autant qu’on put le dire et le penser. Tous ces hommes se sentirent dĂ©sormais contraints de dĂ©fendre en personne des intĂ©rĂȘts que le despotisme impĂ©rial dĂ©fendait auparavant pour eux. En vain les Bourbons, une fois absolus, auraient proclamĂ©, sous la foi d’un serment nouveau, Ă  chaque soleil qui se serait levĂ©, l’inviolabilitĂ© des propriĂ©tĂ©s nationales, le maintien des pensions, des grades, des honneurs de toute origine, la tolĂ©rance religieuse, l’égalitĂ© civile mĂȘme en croyant Ă  leur loyautĂ©, la France ne se serait pas abandonnĂ©e Ă  leur parole ; car la parole des princes est subordonnĂ©e aux intĂ©rĂȘts et aux passions des partis qui les dominent, et elle voyait autour d’eux l’ancienne monarchie sortie d’exil ou ranimĂ©e du tombeau Ă  leur aspect. Sans la garantie des institutions reprĂ©sentatives, le paysan, ennemi LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. I 5 I de la corvĂ©e; l’ouvrier, des jurandes; le bourgeois, du privilĂšge, auraient tons regardĂ© comme une menace permanente le drapeau blanc qui flottait sur leur clocher. Auraient-ils eu tort ? Entendons M. de Peyronnet 1. Il eĂ»t fallu, a dit rĂ©cemment ce ministre, » en parlant du coup d’Etat, tant de modĂ©ration » aprĂšs l’avoir achevĂ©! Il fallait de la force pour » en user, plus de force encore pour n’en pas abu- » ser; de la force envers les autres , plus de force » sur soi-mĂ©me ! » C’est justement pourquoi le despotisme, eĂ»t-il Ă©tĂ© possible Ă  tout le monde, ne l’aurait pas Ă©tĂ© aux princes de la vieille France. La lĂ©gitimitĂ©, qui faisait leur force au sein d’institutions tutĂ©laires, aurait fait, avec un pouvoir sans contrainte , leur perpĂ©tuelle fragilitĂ© ! Il fallait Ă  la France nouvelle des places de sĂ»retĂ© , comme en donnaient jadis les rois Ă  la faible minoritĂ© protestante, pour gages des promesses du trĂŽne. Mais de nos jours les places de sĂ»retĂ©, ce sont les lois ; c’est l’intervention des peuples dans la direction de leurs destinĂ©es. Or, le systĂšme reprĂ©sentatif Ă©tait le boulevard donnĂ© par les Bourbons , sous le nom de droit public, aux Français. La Charte fut, on peut le dire aujourd’hui, la condition de l’adhĂ©sion nationale, le sinon non de la I Questions de juridiction parlementaire Ă  l’occasion du procĂšs des anciens ministres de Charles X. LIVRE SECOND. i5a France *, condition heureuse qui rattachait tous les progrĂšs Ă  tous les souvenirs , et faisait une nĂ©cessitĂ© aux Bourbons, pour conserver leurs droits ,. de nous restituer les nĂŽtres et de les respecter ! La libertĂ© Ă©tait donc le garant nĂ©cessaire de la rĂ©conciliation opĂ©rĂ©e par la restauration entre les deux principes, entre les deux Ă©lĂ©ments de la sociĂ©tĂ© française, comme cette rĂ©conciliation Ă©tait Ă  son tour l’indispensable fondement de la libertĂ© ! Cette libertĂ© sacrĂ©e que nous avions cherchĂ©e au milieu de tant d’orages , nous la trouvions enfin', et c’était au port de la restauration, qui, seule obligĂ©e de nous la donner, pouvait, seule aussi, nous la donner pleine, entiĂšre et durable, parce qu’elle avait l’avantage immense de reposer Ă  la fois sur tous ces grands principes, sur toutes ces rĂšgles Ă©ternelles qu’on a signalĂ©es comme les premiĂšres conditions de l’ordre et delĂ  libertĂ©. CHAPITRE VI. DU GOUVERNEMENT DE LA. RESTAURATION ET DE SES FRUITS. Le gouvernement de la restauration Ă©tait une monarchie mixte et libre. Il Ă©tait monarchique par son essence; il l’était par les prĂ©rogatives rĂ©servĂ©es Ă  la couronne. Il Ă©tait libre, on ne le conteste plus. L’inviolabilitĂ© de la propriĂ©tĂ© et celle du domicile, la libertĂ© individuelle, la libertĂ© religieuse , la libertĂ© de la presse , l’égalitĂ© devant la loi, l’indĂ©pendance de l’ordre judiciaire, l’établissement du jury , la fixitĂ© des juridictions, la responsabilitĂ© des agents du pouvoir, le droit de pĂ©tition enfin, assuraient tout ce qu’il y a jamais eu de libertĂ©s privĂ©es dans l’univers. La libertĂ© publique consistait dans la division des pouvoirs, le partage de la puissance lĂ©gislative entre le roi et le peuple, l’indĂ©pendance de l’une des deux chambres, le principe Ă©lectif de l’autre , la responsabilitĂ© des ministres devant toutes deux, le vote annuel de l’impĂŽt, le vote annuel et minutieux des dĂ©penses , la libertĂ© de la presse, l’institution enfin du gouvernement reprĂ©sentatif tout entier. LIVRE SECOND. I 54 Ce gouvernement Ă©tait mixte enfin ; car il Ă©tait aristocratique par le maintien de la nouvelle et de l’ancienne noblesse, par la crĂ©ation d’une pairie hĂ©rĂ©ditaire, par l’attribution delĂ  seconde branche du pouvoir lĂ©gislatif aux quatre-vingt millecitoyens les plus imposĂ©s du royaume, par l’obligation de choisir, comme Ă  AthĂšnes, les reprĂ©sentants dans le premier quart des Ă©lecteurs ; enfin par le cautionnement de deux cent mille francs, imposĂ©, comme garantie envers l’ordre public, pour l’établissement de ces tribunes mobiles et formidables qu’on appelle les journaux. La loi du double vote avait fortifiĂ© cette tendance gĂ©nĂ©rale et positive de la Charte. D’un autre cĂŽtĂ© , la dĂ©mocratie n’était, Ă  Dieu ne plaise, ni mĂ©connue ni dĂ©sarmĂ©e. Car, dans un rĂ©gime oĂč l’aristocratie est une sorte d’hĂŽtellerie ouverte Ă  quiconque sait et veut, elle fait partie de la dĂ©mocratie, comme la tĂȘte fait partie du corps. Le corps entier de la sociĂ©tĂ© avait pour soi l’égalitĂ© universelle devant la loi, l’universelle admissibilitĂ© et l’admission rĂ©elle de tous Ă  tous les emplois publics, l’égalitĂ© forcĂ©e des partages, l’égalitĂ© des charges publiques , l’accĂšs du pouvoir Ă©lectoral et du droit d’éligibilitĂ© moyennant une annĂ©e de cens, l’introduction des patentes dans les quotes contributives, la prĂ©pondĂ©rance manifeste et inĂ©vitable de la classe moyenne dans les collĂšges Ă©lectoraux, en dĂ©pit de toutes les restric- x 55 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. tions de la loi, et enfin, non plus un droit, non plus une facultĂ©, mais un pouvoir dont l’esprit dĂ©mocratique a presque le monopole, et qui est immense, la domination de la presse pĂ©riodique. Exposer le rĂ©gime de la Charte tel qu’il Ă©tait, ce n’est pas l’approuver dans toutes ses parties. La constitution du gouvernement Ă©tait Ă  nos yeux vicieuse, invalide. La chambre des pair s , illustre par sa composition et indĂ©pendante par son hĂ©rĂ©ditĂ© , ne posait pas assez sur la nation ; elle n’y avait pas suffisamment de points d’appui. Elle ne reprĂ©sentait directement aucun des grands intĂ©rĂȘts sociaux. Elle n’eut ainsi aucune des forces nationales avec elle. La chambre Ă©lective, par une Ă©trange singularitĂ©, semblait participer de cette faiblesse, grĂące Ă  la base Ă©troite de l’électorat. Et, en rĂ©alitĂ©, seule investie des forces, ou, pour mieux dire, de l’omnipotence du principe Ă©lectif , elle y puisait une telle puissance qu’elle pouvait toujours engager la lutte avec la couronne , et qu’au premier choc elle devait la briser. Ce que nous entendons seulement Ă©tablir, c’est que de ce rĂ©gime ainsi constituĂ© il a pu ĂȘtre dit, par de grands esprits, quĂš la dĂ©mocratie y coulait Ă  pleins bords 1. Personne n’a dit qu’exĂ©cutĂ© loyalement il mĂźt les libertĂ©s publiques en pĂ©ril, qu’il ? M. Royer-Collard. i56 LIVRE SECOND. leur laissĂąt peu de garanties, que le pouvoir absolu y pĂ»t Ă©merger jamais. Aussi l’esprit constitutionnel est-il le premier-nĂ© de la Charte de 1814. Il a dĂ» le jour au mariage de raison des Bourbons avec la libertĂ©. Il puisa Ă  cette source le respect et l’intelligence du droit, unique base sur laquelle la libertĂ© puisse s’établir parmi les hommes. Il fit des progrĂšs rapides , des progrĂšs universels, des progrĂšs irrĂ©vocables, parce qu’il grandit au sein de toutes ces classes auxquelles le nom de la libertĂ© , promulguĂ© quand on prenait des tĂȘtes , avait longtemps fait horreur. La propriĂ©tĂ©, l'industrie, le commerce, se sont attachĂ©s au systĂšme reprĂ©sentatif, comme Ă  un gardien assurĂ© qui ne pouvait pas tourner contre eux ses armes. On sentait qu’il dĂ©fendrait le pays contre le trĂŽne, ou le trĂŽne contre lui-mĂȘme, sans jamais rappeler la multitude Ă  son effroyable dictature. Qu’on le croie bien, il avait fallu, pour que l’ordre pĂ»t ĂȘtre acceptĂ© de la France rĂ©volutionnaire, qu’il lui fĂ»t prĂ©sentĂ© par un soldat heureux, par un roi parvenu. Et, d’un autre cĂŽtĂ©, pour qu’a- prĂšs tant de prĂ©ventions et de mĂ©comptes, la libertĂ© trouvĂąt accueil dans des classes dont le concours lui Ă©tait indispensable afin de croĂźtre et de fleurir, il fallait qu’elle y fĂ»t apportĂ©e par les Bourbons. Lors de la promulgation de la Charte, la France n’avait aucune notion des principes d’un gouvernement libre et de ses conditions. Cette rĂ©volution IA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. I 5 1 ] de quarante annĂ©es, qui avait passĂ© sur nous en mugissant sans cesse le nom de la libertĂ©, s’était Ă©coulĂ©e tout entiĂšre sans laisser une idĂ©e, un sentiment de libertĂ© parmi nous. Des coups d’Etat, c’est-Ă -dire des coups de force du parti populaire, composent toutes ses annales, aussi bien que toute sa science; et ces coups d’Etat ne blessaient pas la conscience publique, comme contraires Ă  la libertĂ© vĂ©ritable, qui repousse toujours la force et cherche toujours la justice. Non! ces victoires successives des factions ne faisaient que l’envie , que le dĂ©sespoir des partis contraires. C’était Ă  qui s’arracherait ces armes terribles. D’un cĂŽtĂ© , on Ă©tait disposĂ© Ă  nommer ordre les triomphes obtenus ainsi; de l’autre, on les appelait libertĂ©. Mais violence , mais iniquitĂ©, mais attentats aux lois de la civilisation ; mais retour aux temps barbares, on ne les nommait, on ne les jugeait ainsi nulle part. Aussi NapolĂ©on avait-il trouvĂ© sa tĂąche facile. DĂšs les premiers jours du consulat, sa main hardie frappe sans relĂąche des coups d’Etat sur l’anarchie; il dĂ©porte par ses dĂ©crets les citoyens, casse des jugements, supprime les libertĂ©s, renverse des lois ; enfin , il confisque la rĂ©publique tout entiĂšre au profit de son Ă©pĂ©e, et la France attentive fait silence , ou plutĂŽt elle applaudit. Car la tyrannie frappait les tyrans, et si le parti vaincu murmurait, c’était d’ĂȘtre vaincu, non pas de l’ĂȘtre par de telles armes; c’était d’ĂȘtre dĂ©possĂ©dĂ© du t 58 LIVRE SECOND. pouvoir, non pas de l’ĂȘtre de la libertĂ©. La saintetĂ© des lois , le droit des nations de n’obĂ©ir qu’à des rĂšgles lĂ©gitimes, point Ă  l’autoritĂ© injurieuse des baĂŻonnettes, personne n’invoquait ces maximes. Les mĂ©contents mĂȘme, gens au gĂ©nie inventif, ne les inventent pas. C’est que les passions dĂ©mocratiques n’ont jamais mis au monde des idĂ©es, jamais compris des droits. Ce qu’elles entendent bien, c’est le fait, le nombre, la force , et, comme on l’a dit plus haut, la tyrannie ; ce mot embrasse tout le reste. 11 Ă©tait rĂ©servĂ© Ă  la restauration de nous donner un bien plus prĂ©cieux que les provinces soumises par le glaive c’est le sentiment, la passion de la lĂ©galitĂ©, sentiment auquel le peuple mĂȘme s’éleva rapidement, et qui n’était pas, il y a quarante ans, devinĂ© de ses chefs. Ce sentiment est puissant et noble comme la justice; il est le fils de la civilisation, et le pĂšre de la libertĂ©. C’est lui qui, dans les journĂ©es de juillet 1830, fit l’ordre au sein d’une rĂ©volution Ă  main armĂ©e, et maintint le respect des lois quand il n’y avait plus de lois. C’est lui qui nous retient depuis lors sur le penchant de tous les abĂźmes. C’est lui qui fait que la rĂ©volte, mĂȘme violente, mĂȘme ensanglantĂ©e, mĂȘme victorieuse, s’abdique tout d’abord; comme il vient d'advenir encore dans cette France qui pourrait tant ĂȘtre heureuse si elle connaissait ses biens ! La multitude, quand elle a secouĂ© le LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. I 09 joug de la loi, s’épouvante bientĂŽt d’elle-mĂȘme, comme l’enfant qui a frappĂ© sa mĂšre. Dans tout le cours de cet ouvrage, on distinguera soigneusement l’esprit et le parti constitutionnel, dĂ©vouĂ© Ă  la cause de la monarchie reprĂ©sentative dans son double Ă©lĂ©ment, le trĂŽne et la Charte, de l’esprit et du parti rĂ©volutionnaires incapables d’accepter ni Fun ni l’autre joug ; car cet esprit funeste, ce funeste parti est incapable de plier sous aucun gouvernement il veut le gouvernement rĂ©publicain, il le croit du moins, parce qu’il confond la rĂ©publique avec la dĂ©magogie. Au fond, il a pour gĂ©nie la terreur, pour leviers les masses, pour instruments le carbonarisme, les sociĂ©tĂ©s secrĂštes, les conspirations de toute nature. L’esprit constitutionnel comprend ceux qui voulaient les Bourbons sans excepter la Charte de leur adhĂ©sion, ou qui voulaient la Charte en acceptant Ă  ce prix les Bourbons, c’est-Ă  dire qu’il rassemble en un noble et puissant faisceau la propriĂ©tĂ© et les capitaux, le commerce et l’industrie , les illustrations et les lumiĂšres de la France. L’ùrede la restauration marquera Ă©ternellement dans l’histoire par ce long labeur du gouvernement reprĂ©sentatif, faisant son Ă©tablissement parmi nous, sans autre force que la libre controverse, sans autre secours que le bon sens public, sans autre milice que ces orateurs des partis opposĂ©s qui se sont succĂ©dĂ©s dans l’arĂšne parlemen- LIVRE SECOND. 1 6 o taire, et y ont combattu avec la puissance du talent pour la recherche du vrai, du juste, de l’utile. La France, dans ces quinze annĂ©es , a offert l'un des plus magnifiques spectacles qu’ait donnĂ©s un peuple, celui de vieilles factions aux prises dans le sanctuaire seul des lois, celui de libertĂ©s nouvelles conquises par la discussion, et conquises seulement quand elles Ă©taient mĂ©ritĂ©es. C’est que pour la premiĂšre fois alors la loi rĂ©gna sur la France. Pour la premiĂšre fois aussi, toutes les classes, toutes les forces, tous les talents, toutes les richesses, au milieu de la lutte inĂ©vitable des partis, concoururent Ă  un but commun la grandeur de la patrie. Pour la premiĂšre fois, la pensĂ©e, affranchie de toute entrave, se trouva maĂźtresse dans l’univers, put sonder sans obstacle les profondeurs de la philosophie ; interroger la religion sur son trĂŽne ; poursuivre la science dans tous ses mystĂšres ; refaire le passĂ© comme le prĂ©sent ; Ă©manciper aussi l’histoire, et porter la lumiĂšre dans toutes les routes de l’intelligence ; chercher partout la vĂ©ritĂ©, partout la justice; tout tenter, tout accomplir dans l’intĂ©rĂȘt du bonheur et de la dignitĂ© des hommes. Pour la premiĂšre fois, il y eut un travail rĂ©flĂ©chi et uniforme de la sociĂ©tĂ© pour Ă©tendre aux classes infĂ©rieures les bienfaits de l’ordre social, les relever par l’instruction , les rendre plus heureuses en amĂ©liorant Ă  la fois leur condition et leur moralitĂ©. La vertu d’un tel rĂ©- LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. l6t girne fit Ă©clore de toutes parts un bien-ĂȘtre inaccoutumĂ© dans le peuple, le goĂ»t du travail et de l’enseignement ; dans les ateliers, une activitĂ© immense ; dans les citĂ©s, des constructions, des villes entiĂšres ; partout l’aisance , les dĂ©couvertes , la prospĂ©ritĂ© ! Elle enfanta sans mesure les travaux littĂ©raire^, les conquĂȘtes scientifiques, et multiplia enfin les miracles de ce gĂ©nie national qui trouvait, pour la premiĂšre fois dans son essor, le secours delĂ  paix, de la concorde et de la libertĂ©. Il faut le dire la France, durant ces quinze annĂ©es, a dĂ©passĂ© tous les peuples, moins un peut- ĂȘtre , dans la carriĂšre de la civilisation comme de la libertĂ© , et, tout pesĂ© , pas un du moins n’a le pas sur elle. La tolĂ©rance a presque partout conquis, sinon les lois, du moins les mƓurs. L’Europe, Ă  peu prĂšs tout entiĂšre, la professe. Mais la Charte de 1814, en proclamant la religion catholique ce qu’elle est depuis dix-huit siĂšcles, la religion de la France, avait la premiĂšre, avait, seule dans le monde, Ă©tabli l’égalitĂ© des sectateurs de toutes les croyances devant la loi politique. L’Angleterre reconnaĂźt encore des distinctions, mĂȘme depuis la rĂ©cente Ă©mancipation de l’Irlande, et la plupart des Constitutions de l’AmĂ©rique du Nord exigent, pour l’exercice des fonctions publiques, le serment de croire, soit Ă  l’ancien et au nouveau Testament, 11 LIVRE SECOND. l 62 soit Ă  la religion protestante, soit simplement Ă  la rĂ©vĂ©lation. M. de Lafayette n’a jamais songĂ© Ă  citer ce fait curieux. Il reconnaĂźtra que la France, dĂšs la restauration, avait fait un pas de plus que les Etats-Unis. La France eut une autre gloire ce fut d’avoir mieux compris, plus complĂštement appliquĂ© qu’aucune autre nation l’égalitĂ© devant la loi. Elle seule jusqu’à ce jour l’a proclamĂ©e tout haut, et c’est Louis XVIII qui l’écrivit en propres termes sur le frontispice de son code. Les Etats-Unis qu’on vante conservent l’esclavage, cette honte de l’humanitĂ©, et il y est plus cruel qu’ailleurs. La confiscation s’adoucit par toute la terre. Mais il n’y a au monde qu’une seule nation qui ait rendu par ses lois au droit de propriĂ©tĂ© son inviolabilitĂ© souveraine ; c’est toujours la France. La Charte de 1814 a eu encore cette gloire d’abolir, pour la premiĂšre fois dans l’univers, une loi barbare dont la rĂ©volution avait si affreusement abusĂ© contre la vieille France toute entiĂšre, et Louis X VIII eut un mĂ©rite plus grand que celui d’inscrire cette magnifique conquĂȘte de la civilisation dans ses lois, ce fut d’y tenir, au lendemain des cent-jours, quand l’Europe armĂ©e pouvait prĂȘter force Ă  toutes les rĂ©actions, quand les longues misĂšres de l’émigration sollicitaient des rĂ©parations et pouvaient solliciter des vengeances. Le parti 163 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. de la rĂ©volution venait d'ailleurs de faire beau jeu. Il ne s’était assis qu’un jour au pouvoir, et s’était hĂątĂ© d’abolir l’article tutĂ©laire de la Charte royale, d’écrire dans la Charte des cent-jours Je confisquerai. Certes, l’auteur de cet ouvrage, bien jeune alors, a protestĂ©, assez haut, lorsque tant d’autres se taisaient, contre les emportements de 181 5. Maintenant que la rĂ©action qui les suscita s’est dissoute depuis bien des annĂ©es, et que ses dĂ©bris sont plus que jamais dispersĂ©s et vaincus, c’est justice de dĂ©dier au parti royaliste cette inscription glorieuse Il ne confisqua point. Ceci donne Ă  penser que tout rĂ©gime qui s’appuie Ă  la propriĂ©tĂ© vaut mieux, par cela mĂȘme, que les systĂšmes qui s’appuient Ă  la multitude. La peine de mort charge encore le code de toutes les nations partout s’accomplissent d’un bout du monde Ă  l’autre, sur des théùtres Ă©levĂ©s au milieu des places publiques, ces drames d’hommes, de femmes, de jeunes filles, de vieillards se dĂ©battant, avec des cris de rage et d’horreur, contre un homme qui les apprĂȘte pour les Ă©gorger de par la loi on convie les peuples Ă  ces spectacles de sang, afin de les prĂ©munir, dit-on, contre le goĂ»t du sang ! Cependant, partout s’adoucissent et les lois et les supplices, et c’est un bonheur pour nous de retrouver notre pays Ă  la tĂȘte des nations dans cette heureuse voie. LIVRE SECOND. I 64 Nos codes s’épurent de tout ce qu’ils avaient encore de cruel; le lĂ©gislateur y Ă©monde le superflu des chĂątiments, peut-ĂȘtre au risque de n’y pas conserver le nĂ©cessaire de la rĂ©pression ; la mort surtout cesse d’en attrister toutes les pages, et grĂące Ă  cette heureuse combinaison de la double latitude laissĂ©e dĂ©sormais aux juges et aux jurĂ©s, l’échafaud n’ensanglantera plus que de loin Ă  loin nos places publiques. Mais Ă  l’ombre de quelles institutions des publicistes gĂ©nĂ©reux ont-ils pu Ă©veiller des scrupules inattendus dans la conscience du lĂ©gislateur, demander compte Ă  la loi de ce sang qu’elle rĂ©pandait sans remords, depuis six mille ans, au milieu des nations, l’interroger sur son droit, l’intimider sur cet usage universel de sa puissance, la faire reculer par l’intervention des mƓurs publiques, en attendant qu’elle abdique le glaive, et reconnaisse cpie l’homme n’a sur l’homme, quand le crime le domine, qu’un seul droit certain, c’est de le rendre impuissant; qu’un seul pouvoir lĂ©gitime, c’est de le rendre meilleur ! Nos rĂ©volutionnaires, en Ă©crivant sur leurs drapeaux la libertĂ© ou la mort! en rĂ©sumant ainsi, avec un laconisme effroyable, toutes les barbaries des temps passĂ©s, avaient laissĂ© une longue et profitable horreur. La mort pour des opinions et des croyances, commence Ă  rĂ©volter la conscience humaine. Les amnisties, dont les rois couvrent les crimes politiques, alors mĂȘme qu’elles semblent LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. 1 G5 le plus restrictives, marquent encore le passage du droit ancien au droit nouveau. On veut ici rappeler, dans l’intĂ©rĂȘt de toutes nos Frances et de toute notre histoire, qu’il y eut parmi nous une rĂ©volution qui s’accomplit sans reprĂ©sailles sanglantes, et qui fut la premiĂšre dans le monde Ă  donner ce magnifique exemple. La restauration de 1814, Ă  laquelle ne manquaient pas les griefs, resta purede vengeance. Depuis lors, la rĂ©volution de 1830 l’a imitĂ©e son plus beau jour est celui oĂč la Chambre des dĂ©putĂ©s 1 cria Ă  cette pairie si digne de l’entendre Tu ne tueras point! Mais enfin, sous l’empire de quel rĂ©gime, de quelles discussions fĂ©condes se sont formĂ©es les mƓurs publiques qui ont dotĂ© l’humanitĂ© de cette conquĂȘte immense ? On vient de le dire. La guerre tombe dans tout l’univers comme tous les autres flĂ©aux. Il a Ă©tĂ© secouĂ©, depuis les jours de juillet, mille fois plus de brandons qu'il n’en eĂ»t fallu autrefois pour mettre le feu au monde, et le monde est restĂ© en paix. C’est que les congrĂšs des seize derniĂšres annĂ©es ont commencĂ© une Ăšre nouvelle. La confĂ©rence de Londres consacre cet incommensurable progrĂšs. La force n’est plus l’unique truchement des Etats dans leurs discordes. Les rois ont appris Ă  aimer un 4 Au sujet du procĂšs des ministres. i66 LIVRE SECOND. autre arbitrage que celui du dieu des batailles. Le principe des transactions pĂ©nĂštre dans le droit des gens. On peut prĂ©dire qu’il s’y sera bientĂŽt affermi, si la France en dĂ©lire ne proscrit pas de son droit public cette loi bienfaisante, et n’allume pas dans son sein , par la conflagration des partis, un incendie qui s’étendrait sĂ»rement Ă  l’Europe entiĂšre. Mais ce changement de l’état du monde, quelle part n’y a pas eue la France de ces derniĂšres annĂ©es, avec ce rĂ©gime de dĂ©bats pacifiques, qui ont remuĂ© toutes les questions, Ă©clairĂ© tous les droits, instruit tous les peuples, jetĂ© sur tous les rapports des partis et des Etats un jour nouveau ! Ajoutons que la nature de notre gouvernement a créé un Ă©lĂ©ment de paix qui n’existe nulle part ailleurs. Nos discussions de budget, Ă  livres, sous et deniers, inconnues Ă  toutes les autres monarchies constitutionnelles, sans exception de l’Angleterre, et propres, sous trop de rapports, Ă  Ă©nerver le pouvoir, ont du moins ce rĂ©sultat heureux de faire un contre-poids puissant au droit royal de paix et de guerre, et de rendre les guerres plus difficiles, par cela mĂȘme plus rares, plus rares, en obligeant les gouvernements Ă  ne tirer l’épĂ©e qu’avec l’adhĂ©sion des peuples. Quand nous rĂ©clamions de M. de VillĂšle et obtenions la spĂ©cialitĂ© des dĂ©penses, qui est inconnue en Angleterre, combien peu d’esprits se doutaient que LA. SOCIÉTÉ FRANÇAISE. 167 cette conquĂȘte nouvelle des libertĂ©s publiques renfermĂąt le germe d’une bienfaisante rĂ©volution pour l’univers ! Si on demandait quels ont Ă©tĂ© les principaux ressorts de ces progrĂšs de la civilation française sous la restauration, les principaux mobiles de l’établissement de l’ordre constitutionnel pendant ces quinze grandes annĂ©es, on en citerait trois sans balancer D’abord, la puissance d’une royautĂ©, source auguste de toutes les institutions et image de tous les droits ; donnant Ă  la sociĂ©tĂ©, nĂ©e de la rĂ©volution , un gouvernement antĂ©rieur Ă  la rĂ©volution et supĂ©rieur Ă  ses orages ; ralliant aux institutions nouvelles tous les partis, toutes les classes, et, en quelque sorte, tous les siĂšcles de la patrie ; relevant le pouvoir dans tous les degrĂ©s des hiĂ©rarchies politiques, par cela seul qu’il Ă©manait d’elle ; contenant la libertĂ©, et la renfermant dans des bornes lĂ©gitimes, comme une digue inviolable au pied de laquelle venait nĂ©cessairement se briser l’esprit d’innovation et de bouleversement ; Ensuite, la circonspection du systĂšme Ă©lectoral, mal assis assurĂ©ment, et par lĂ  mĂȘme trop restreint, mais qui, Ă  travers ses variations successives, a rendu le service de maintenir la puissance lĂ©gislative dans une rĂ©gion conservatrice, et em- i68 LIVRE SECOND. pĂȘchĂ© l’esprit de dĂ©sordre et de sĂ©dition, sinon de pĂ©nĂ©trer dans les assemblĂ©es, du moins d’y rĂ©gner ; Enfin, la sagesse de la Chambre haute, corps illustre et populaire, qui a dĂ©fendu nos libertĂ©s naissantes contre leurs ennemis et contre elles- mĂȘmes, opposĂ© un Ă©gal boulevard aux passions contraires, tenu avec fermetĂ© la balance entre les partis, et contraint quiconque conspirait la chute des lois, sous des motifs divers, de se jeter par des entreprises dĂ©sespĂ©rĂ©es en dehors des lois. On rĂ©sumera ainsi le rĂ©gime sous lequel nous avons accompli les plus belles conquĂȘtes que jamais nation ait faites, des conquĂȘtes dont l’Angleterre n’a obtenu que la moitiĂ©, la partie politique, au prix des siĂšcles, et dont elle ne poursuivrait l’autre moitiĂ©, la partie sociale, que dans les convulsions L’ordre rĂ©gnait avec toutes ses conditions dans la sociĂ©tĂ© française. L’égalitĂ© Ă©tait consacrĂ©e par les mƓurs et par les lois ; tous pouvaient arriver et arrivaient Ă  tout. La noblesse de sang Ă©tait reconnue par la Constitution, mais primĂ©e par la noblesse d’intelligence et par la noblesse de cƓur, c’est-Ă -dire par l’honneur et le talent. Le talent Ă©tait une magistrature souveraine. La parole, l’esprit, le droit rĂ©gnaient. Dans l’ordre politique, les masses faisaient si- LA. SOCIÉTÉ FRANÇAISE. 169 lence autour des pouvoirs publics; et, des deux tribunes, il en Ă©tait une qui garantissait un long avenir Ă  la libertĂ© française, parce qu’elle Ă©tait Ă©galement forte contre le trĂŽne, contre la multitude, contre les factions ; parce qu’elle reposait sur le premier des intĂ©rĂȘts, sur le premier des sentiments, dĂ©veloppĂ©s au sein des sociĂ©tĂ©s humaines, nous voulons dire sur cet instinct conservateur qui a besoin d’avenir, et n’y croit que lorsqu’il s’appuie au passĂ©. Enfin, dans l’ordre moral, sur cette triple base du droit royal, du principe, aristocratique et des pouvoirs populaires, de l’égalitĂ© civile, fortement balancĂ©s et sagement contenus, c’est-Ă -dire sur la base du droit partout, il y avait, pour l’esprit ascendant qui est propre Ă  notre temps et Ă  notre pays, des mobiles autres que l’intĂ©rĂȘt, que le lucre, que la richesse. Il y avait d’autres aiguillons que des Ă©moluments; l’argent n’était pas tout. On pouvait prĂ©tendre Ă  fonder une famille, Ă  laisser un nom, Ă  transmettre une illustration honorĂ©e du pays et consacrĂ©e par les lois. Maintenant, il faut faire fortune. C’est l’unique ambition lĂ©gale qu’admette la Charte de 1830! Qu’on nous pardonne ce vice ou ce prĂ©jugĂ© nous prĂ©fĂ©rions, pour la gloire de notre pays et dans l’intĂ©rĂȘt des moeurs publiques, les ambitions tirĂ©es du vieux ressort de l’honneur français. LIVRE SECOND. I70 C’était donc la perfection ? va-t-on dire. HĂ©las ! non car ce qui est parfait n’est pas vulnĂ©rable aux coups de la fortune Nous ne reconnaissons Ă  personne le droit de nous apprendre quels Ă©taient les cĂŽtĂ©s faibles. Nous allons retracer ceux qui importent Ă  notre sujet. Mais nous disons que les plus essentiels ne faisaient point partie de la restauration selon la Charte. CHAPITRE VII. PLAIES DE LA RESTAURATION. IDÉES CONTRE - RÉVOLUTIONNAIRES. La restauration avait une grande infirmitĂ©, et la voici d’une main, elle versait sur la France des trĂ©sors de libertĂ©, d’instruction, de prospĂ©ritĂ© ; de l’autre, des trĂ©sors d’ingratitude. A cĂŽtĂ© de tous lesbiens, un seul manquait!. Mais celui dont l’absence neutralise tous les autres dans l’esprit des hommes, celui que NapolĂ©on donnait avec tout son despotisme, et qui le rendait acceptable aux Français, celui qui est le premier besoin des nations la sĂ©curitĂ©. Et la sĂ©curitĂ© ne fut pas seulement absente des foyers populaires ; elle dĂ©serta aussi la couche du monarque. Le roi, au milieu de sa grandeur et de sa puissance, le peuple, au milieu de son bien-ĂȘtre et de sa libertĂ©, ne s’endormaient pas sans se demander ce que serait le lendemain. On ne recherchera pas Ă  qui Ă©tait la faute, qui suscita le premier des alarmes fondĂ©es, ou en conçut le premier d’illĂ©gitimes. Devant des coups de la fortune comme ceux que nous avons vus, LIVRE SECOND. I72 on risquerait de 11e plus ĂȘtre impartial. D’ailleurs, qu’importe aujourd’hui? Ce qui importe, et ce qui n’est que trop certain, c’est que des deux cĂŽtĂ©s on avait un fantĂŽme qui entretenait l’épouvante. Les masses croyaient toujours sentir la contre-rĂ©volution s’avancer sous terre ; le monarque voyait toujours face Ă  face la rĂ©volution. C’est que, pour notre commun malheur Ă  tous, une troisiĂšme restauration aurait pu ĂȘtre tentĂ©e, ou plutĂŽtrĂȘvĂ©e c’était la restauration contre la Charte. Celle-lĂ  aurait mis, Ă  la place d’une transaction entre les partis, la victoire de l’ancienne France sur la nouvelle. Elle aurait rĂ©tabli l’inĂ©galitĂ© dans les fortunes, de haute lutte, pour la rĂ©tablir plus sĂ»rement dans les rangs. La grande propriĂ©tĂ© se serait reconstruite par les lois de l’ancien rĂ©gime, et, suivant quelques conseils, plus promptement que par les lois. Au grĂ© des publicistes divers, on eĂ»t complĂ©tĂ© le rĂ©tablissement de l’ordre, relativement aux personnes, en ne comptant que les services royalistes; relativement aux classes, en restituant les privilĂšges dĂ©truits; relativement aux intĂ©rĂȘts, en rĂ©tablissant purement et simplement le droit d’aĂźnesse et les substitutions ; relativement aux pouvoirs, en relevant les couvents abattus, les sociĂ©tĂ©s abolies, les corporations supprimĂ©es, sauf Ă  couronner l’édifice, selon deux gĂ©nies divers qui auraient Ă©tĂ© aux prises bientĂŽt, soit par la puissance absolue du Saint-SiĂšge , soit par celle des rois. LA. SOCIÉTÉ FRANÇAISE. 1^3 Cette restauration subversive et impossible est ce que la polĂ©mique nommait la contre-rĂ©volution, expression impropre car, Ă  parler exactement, les trois restaurations que nous avons dites, en comprenant sous ce nom l’empire comme il convient, Ă©taient Ă©galement contre-rĂ©volutionnaires, puisque toutes trois, en rĂ©alitĂ©, Ă©taient la condamnation des actes ou des principes de la rĂ©volution Ă  des degrĂ©s divers, et au mĂȘme degrĂ© la condamnation de ses crimes. La restauration contre la Charte diffĂ©rait de l’autre, en ce qu’elle n’était bonne pour personne au monde, ni pour les Bourbons, ni pour les Français. Les Français? elle pouvait les bouleverser; les Bourbons ? les perdre voilĂ  toute sa puissance. Il ne s’agissait pour elle de rien moins que d’une rĂ©volution politique et sociale tout ensemble ; d’une rĂ©volution aussi complĂšte, aussi vaste que celle de 1789, mais Ă  rebours, mais Ă  contre-courant , mais en brisant cette force de l’esprit moderne et de l’action populaire par laquelle la VendĂ©e, l’émigration et le monde avaient Ă©tĂ© Ă©crasĂ©s vingt-cinq ans ! Son premier acte aurait Ă©tĂ© de substituer Ă  la libertĂ© le pouvoir absolu ; et ceci, quoi qu’on en ait pu dire, de toute nĂ©cessitĂ©. Comment espĂ©rer que le systĂšme reprĂ©sentatif reprĂ©sentĂąt autre chose que les intĂ©rĂȘts rĂ©gnants ? Ou, si on pouvait passagĂšrement obtenir de ce vaste instrument un mensonge, la nation ne s’y serait pas trompĂ©e. Un moment soumise Ă  la fie- LIVRE SECOND. 174 tion, elle aurait bientĂŽt pris les armies contre la rĂ©alitĂ©. Aussi ses dĂ©fiances associaient-elles toujours ces deux flĂ©aux pouvoir absolu, contre-rĂ©volution , sans s’inquiĂ©ter quel serait cel ui des deux qui mĂšnerait Ă  l’autre. Ces entreprises,, qui auraient Ă©tĂ© Ă  la fois coupables et surhumaines „ Ă©taient prĂ©cisĂ©ment les dangers contre lesquels Louis XVIII avait entendu rassurer la France, quand il s’était hĂątĂ© de donner la Charte Ă  toujours. Tous les biens contenus dans ce mot Ă  toujours Ă©taient infirmĂ©s par le parti qui lisait hautement dans un article de la Charte l’art. 14, le droit de la mettre tout entiĂšre Ă  nĂ©ant, sans voir qu’en frappant de provisoire toutes nos franchises et toutes nos prospĂ©ritĂ©s, il en frappait aussi la monarchie. Vainement, ce parti, puissant aux jours de 1815, s’était-il vu graduellement affaibli, transformĂ©, conquis par la Charte le comte d’Artois avait Ă©tĂ© son chef, et, roi, il ne sut jamais se rĂ©soudre Ă  rompre hautement avec ce vieux compagnon qui le flattait jusqu’à le perdre. Tout le monde sentait que, si jamais il se voyait acculĂ© aux limites de la Charte pour la querelle delĂ  prĂ©rogative, il accepterait, plutĂŽt que de flĂ©chir, les interprĂ©tations de l’article 14, que lui offrait ce serviteur funeste; la France savait que son roi en viendrait lĂ , avant qu’il en fĂ»t convenu avec personne, ni peut-ĂȘtre avec lui-mĂȘme. D’un autre cĂŽtĂ©, l’esprit rĂ©volutionnaire, en- LA. SOCIÉTÉ FRANÇAISE. 1^5 dormi quinze ans aux pieds de NapolĂ©on, s’était rĂ©veillĂ© au seul aspect de la monarchie lĂ©gitime. TantĂŽt cacliĂ© Ă  l’ombre de l’opinion loyalement constitutionnelle, tantĂŽt marchant Ă  dĂ©couvert, il traitait le pouvoir en ennemi public, parce que les princesqui en avaient le dĂ©pĂŽtĂ©taient ceux pour qui avaient combattu lesCharetteetlesBonchamps. L’impiĂ©tĂ© s’était agenouillĂ©e devant les autels relevĂ©s par Bonaparte; elle se rua sur les autels hantĂ©s par les Bourbons. La dĂ©magogie sortit de terre en mĂȘme temps. Voltaire et Rousseau, alors dĂ©laissĂ©s, redevinrent subitement des idoles. La restauration de M. de Lafayette, oubliĂ© depuis vingt-deux ans, fut le contre-coup de celle du trĂŽne. On le tira, populaire, de son impopularitĂ© de 1792, simplement parce qu’on se rappela que la reine Marie- Antoinette, qui l’avait bien traitĂ© Ă  Versailles, parlait mal de lui aux Tuileries, parce qu’on sut que les Bourbons, qui l’auraient dĂ©popularisĂ© de nouveau avec un sourire, venaient de se refuser cette victoire. Dans le choix des noms, les plus hostiles Ă  la royautĂ© Ă©taient toujours recommandĂ©s Ă  l’opinion publique par la presse et les comitĂ©s. Les Ă©lections allĂšrent jusqu’à montrer aux Bourbons les juges de Louis XVI qu’on ne montrait plus Ă  Bonaparte couronnĂ© ; la restauration anglaise avait arrachĂ© la vie Ă  leurs devanciers, dans des mutilations et des supplices abominables; la restauration française LIVRE SECOND. I 7 6 les avait, Dieu merci, laissĂ©s vivants ; mais devait-elle s’attendre Ă  se les voir opposer en insulte ou en dĂ©rision ? C’était un des points que la Charte avait omis de prĂ©voir. Enfin, tous les mauvais noms Ă©taient Ă©voquĂ©s Ă  la fois, avec toutes les mauvaises maximes, comme si la rĂ©volution ne pouvait assurer ses conquĂȘtes qu’à l’aide de toutes ses armes et de tous ses hĂ©ros ! De l’amour prĂ©tendu des rĂ©volutionnaires pour la libertĂ©, de l’amour sincĂšre et exaltĂ© des royalistes de toutes les nuances pour la royautĂ© lĂ©gitime, naquit un double malentendu presque constant entre le roi et son peuple. Ce que le public nommait libertĂ©, le roi l’appelait rĂ©volution ; ce que le roi appelait ordre t pouvoir, prĂ©rogative, Ă©tait contre-rĂ©volution aux yeux de l’opposition qui mailrisait la France. Dans la pratique souvent dĂ©sordonnĂ©e de la libertĂ©, l’opposition voyait surtout le droit; Je roi voyait surtout les excĂšs il ne pouvait entendre que les excĂšs Ă©taient les consĂ©quences du droit, et, en quelque sorte, ses preuves. Dans la prĂ©rogative, au contraire, le prince ne voulait voir que le droit rigoureux, tandis que l’opinion inquiĂšte s’attachait aux circonstances, aux noms - propres , et, par suite, aux intentions, aux arriĂšre-pensĂ©es, enfin au fantĂŽme, Ă  la contre-rĂ©volution. Comment l’autoritĂ© royale, au milieu de ces Ă©cueils contraires, 11e se serait-elle pas fourvoyĂ©e LA. SOCIÉTÉ FRANÇAISE. l’j'J sans cesse dans le partage qu’elle avait Ă  faire entre le pouvoir et la libertĂ©, entre le passĂ© et le prĂ©sent, entre les droits de la couronne et ses intĂ©rĂȘts bien entendus ? Ainsi, croyait-elle faire merveille de conserver la nomination des conseils- gĂ©nĂ©raux, au lieu de les instituer sur des bases solides, de maniĂšre Ă  y trouver des points d’appui . Ainsi, employait-elle une Chambre dĂ©vouĂ©e et fidĂšle, Ă  garder dans les lois l’arme de la censure, Ă  y attacher le glaive du sacrilĂšge, menaces stĂ©riles et mauvaises , au lieu de profiter d’élections favorables pour raffermir la propriĂ©tĂ©, la famille et les influences lĂ©gitimes, par des modifications sensĂ©es de la loi civile, sans touchera ses bases essentielles; pour rĂ©gler dĂ©finitivement toutes nos libertĂ©s incohĂ©rentes ou incertaines encore; enfin, pour complĂ©ter, finir la Charte, et donner au pays des garanties de plus, tout en asseyant la monarchie sur des principes d’ordre et de conservation plus fortement instituĂ©s dans la famille, dans la sociĂ©tĂ©, dans l’État. Ainsi, avait-elle assez souci de l’opinion pour ne pas nourrir un seul jour, dans les quinze annĂ©es, la pensĂ©e de restituer Ă  nos provinces leurs noms historiques ; ce qui eĂ»t Ă©tĂ© possible pourtant, sans blesser la circonscription administrative, grĂące aux circonscriptions judiciaires, acadĂ©miques , militaires ;*ce qui eĂ»t Ă©tĂ© pour l’ancienne France une inoffensive et lĂ©gitime satisfac- 12 LIVRE SECOND. I78 lion ; ce que la France nouvelle n’aurait pu voir de mauvais Ɠil, quand les associations libĂ©rales ressuscitaient elles-mĂȘmes sans cesse ces noms antiques de Bretagne ou de Lorraine; ce qui n’eĂ»t rien fait, au bout du compte, que de naturaliser nos enfants dans l’histoire de leur patrie, au lieu de les laisser dĂ©paysĂ©s et perdus dans la gĂ©ographie nationale comme des Ă©trangers. Et, tandis que la couronne avait de ces circonspections, elle s’opiniĂątrait Ă  ne montrer nul mĂ©nagement pour le sentiment public dans le sujet qui avait le plus besoin de rĂ©unir tous’les sentiments et tous les vƓux, l’éducation du jeune hĂ©ritier de la couronne ! C’est en vain qu’on lui criait que ce ri Ă©tait pas assez quil fĂąt l’enfant du miracle , qriil fallait le faire l’enfant de la France ; qu’il ne s’était pas vu que des miracles eussent jamais empĂȘchĂ© un trĂŽne de cheoir , ou relevĂ© un trĂŽne abattu , tandis que la sympathie et la confiance des peuples avaient suffi souvent Ă  l’une et l’autre lĂąche 1 ! La grande calamitĂ© de la restauration Ă©tait que la royautĂ© , dans ses alarmes et ses griefs, justes ou non, n’imaginait pas de moyen plus sĂ»r , pour se dĂ©fendre d’un extrĂȘme, que de demander Ă  l’autre extrĂȘme des forces qui n’y Ă©taient pas. C’était s’enfoncer dans la nue en voulant fuir l’orage. 1 Journal des De'bats, LA SOCIÉTÉ FIÎAÜVÇ AISE. I 79 De cette sorte, chaque rĂ©action portait aux intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes du pouvoir , aux Ă©lĂ©ments de l’ordre, aux saines notions de la libertĂ©, un coup funeste; l’esprit public en restait profondĂ©ment faussĂ©. Le dĂ©sordre faisait des progrĂšs sĂ©rieux et rapides. L’opinion constitutionnelle s’en laissait entamer Ă  son insu; la France devenait manifestement ingouvernable, et on sait des gens qui l’écrivaient dĂšs lors. L’administration Ă©tant tournĂ©e Ă  des fins impopulaires, toute administration, toute autoritĂ© parut dĂ©ception, fraude, tyrannie. L’animadversion pour la religion, ses pompes et ses ministres , dĂ©passa promptement les fautes qu’on reprochait au sacerdoce. Ce fut assez de la tentative avouĂ©e de reconstruire la propriĂ©tĂ© nobiliaire , pour rendre impossibles les modifications dĂ©sirables, et pour faire Ă  la propriĂ©tĂ© mĂȘme des ennemis. Il est advenu ainsi, par une Ă©trange fatalitĂ© , que la restauration nuisit beaucoup Ă  ces doctrines conservatrices dont elle semblait porter en elle-mĂȘme la source et le dĂ©pĂŽt. Ou pouvait craindre quelquefois que la France ne reculĂąt de tout le chemin que l’empire lui avait fait faire dans les voies de l’ordre et du pouvoir. Tels Ă©taient les rĂ©sultats funestes du perpĂ©tuel qui-vive du pays et du trĂŽne’. II vint un moment oĂč les bons esprits purent mesurer, dans toute son Ă©tendue , la grandeur du mal. LIVRE SECONO. 180 M. Thiers a dit 1 que la Charte, excellente en soi, resta stĂ©rile seize ans ; que sa nature Ă©tait de fonder le gouvernement de la majoritĂ© ; qu’il n’en fut rien_Erreur de fait. Pendant les seize annĂ©es, il n’y eut pas un ministĂšre qui ne s’appuyĂąt sur la majoritĂ© et ne tombĂąt avec elle la premiĂšre exception devait se voir en 1830 ; elle a emportĂ© la monarchie. Mais, au commencement de 1828, la Charte donna de sa souverainetĂ© active une preuve Ă©clatante ce fut la chute d’une administration dont l’habiletĂ© et les doctrines Ă©taient chĂšres au prince, et que la puissance du prince cessa de soutenir devant la puissance des Ă©lections; ce fut le renversement d’un systĂšme tout entier par le simple jeu de la machine constitutionnelle; ce fut l’avĂ©- nement d’un ministĂšre nĂ© de la nĂ©cessitĂ© lĂ©gale, oĂč se reconnut la couronne, de faire flĂ©chir ses conseils personnels devant le vƓu national. C’était le systĂšme reprĂ©sentatif dans toute sa vertu ; le droit de la majoritĂ© Ă©lectorale et de la majoritĂ© parlementaire se montrait la dans toute sa puissance. La France retrouvait, sous la monarchie, le self government des États-Unis, le gouvernement par soi-mĂȘme. Charles X acceptait, de la Charte, ses derniĂšres’consĂ©quences, et triomphant de ses sentiments personnels, donnait, de tous les 1 Monarchie de 1830. LA. SOCIÉTÉ FRANÇAISE. l8ĂŻ gages, le plus grand, Ă  l’ordre constitutionnel. L’Alsace prouva que les peuples payaient avec usure au monarque sa prompte condescendance. Mais quel usage la majoritĂ© fit-elle de cette fortune ? Nous le dirons hardiment. CHAPITRE VIII. SUITE DU PRÉCÉDENT. CE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. Il est un parti qui n’a jamais fait que du mal Ă  la France ; qui, pendant les seize annĂ©es, a entravĂ© l’affermissement des institutions libres; qui a sus- pendu ou refoulĂ© tous les progrĂšs, et risquĂ© souvent de les dĂ©truire dans leur principe mĂȘme , en les compromettant jusque dans l’adhĂ©sion et la confiance publiques. L’alliance dĂ©fensive de l’opinion constitutionnelle avec ce parti nĂ©cessairement aggressif et destructeur, a Ă©tĂ© la grande fatalitĂ© de la restauration. Ce parti, que sa gĂ©nĂ©alogie rattache Ă  nos temps de crimes et de malheurs, naquit aux cents-jours, du mariage forcĂ© de NapolĂ©on avec la dĂ©magogie, tenant de l’un et de l’autre, apĂŽtre du progrĂšs des lumiĂšres et vivant des rĂ©miniscences de la rĂ©volution ou de l'empire; traĂźnard de tous les rĂ©gimes, et n’en gardant que des souvenirs corrompus ; ne reconnaissant le pouvoir qu’à la tyrannie, 183 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. et la libertĂ© qu’à la licence; souple sous NapolĂ©on tant qu’il rĂšgne aux Tuileries, levant la tĂȘte quand NapolĂ©on revient mutilĂ© du champ de douleur et de revers, parlant de dĂ©chĂ©ance alors que c’eĂ»t Ă©tĂ© le cas de parler de gloire, de guerre, de dĂ©sespoir ; se hĂątant de prendre les devants sur l’Europe , d’achever le lion qu’elle a Ă©crasĂ©, de gagner Ă  l’ÉlysĂ©e-Bourbon sa victoire de Waterloo, sons les yeux de l’étranger; humiliant enfin le grand homme comme a fait la fortune, le contraignant, pour dernier outrage , d’abdiquer Ă  ses pieds, lui contestant le titre de soldat aprĂšs celui de prince, et l’obligeant d’aller s’offrir seul, nu, dĂ©couronnĂ©, aux mains de l’Angleterre ; gens qui semblaient n’avoir d’autre ambition que de laisser l’histoire indĂ©cise s’il Ă©tait tombĂ© devant M. de Lafayette ou devant lord Wellington. C’était le moment de combattre ? point; de traiter ? point. Les soldats, les capitaines multiplient en vain d’inutiles miracles de dĂ©vouaient et de courage. Ces vieilles bandes, qui arrivent du champ de bataille dĂ©labrĂ©es et sanglantes, n’ont pas Ă©tĂ© assez mutilĂ©es par la fortune. La Chambre des reprĂ©sentants se met elle-mĂȘme Ă  les mutiler de nouveau par le plus imbĂ©cile et le plus pusillanime des calculs ; elle leur enlĂšve leur chef, elle les dĂ©possĂšde de son gĂ©nie en mĂȘme temps que lui de sa cour onne, de peur qu’il ne se relĂšve par une LIVRE SECOND. 184 victoire. Les hommes qui, depuis lors, n’ont cessĂ© d’avoir la bouche pleine des hontes de la France, ne sont occupĂ©s qu’à cette Ɠuvre de briser aux mains de NapolĂ©on le sceptre et l’épĂ©e, dans l’espoir de tendre avec plus de succĂšs leurs mains dĂ©sarmĂ©es Ă  l’étranger qui les repousse. Et quand ils l’ont brisĂ©e en effet, cette Ă©pĂ©e qui intimidait encore le monde, ils ne s’occupent plus que d’une chose, c’est d’élaborer une constitution qu’ils dĂ©dient aux gĂ©nĂ©rations futures, et Ă  laquelle, du reste, eux-mĂȘmes n’ont plus songĂ© depuis. VoilĂ  qu’au milieu de la discussion de l’article 90, s’il y a un article 90, ou tel autre, les bataillons anglais et prussiens apparaissent sous les murs de Paris consternĂ©; alors on songe au salut public, et les commissaires de l’assemblĂ©e s’acheminent vers les camps Ă©trangers , pour aller , de quartier-gĂ©nĂ©ral en quartier-gĂ©nĂ©ral, quĂȘter un roi qui ne fĂ»t pas Bourbon, et, par consĂ©quent, selon toute apparence, qui ne fĂ»t pas Français. Vient la rĂ©action royaliste de 1815. D’autres parlent, d’autres Ă©crivent, d’autres protestent, d’autres plaident la cause de la mansuĂ©tude, de la politique, de la Charte enfin ; d’autres demandent qu’on rĂ©ponde Ă  coups de cloche aux exigences de VĂ©tranger, que les VĂȘpres siciliennes soient nos traitĂ©s avec la coalition 1 qui tenait notre grande 1 La coalition et la France* i85 LA. SOCIÉTÉ FRANÇAISE. France sous ses lois ; et, si on se le rappelle bien, celui qui laissait Ă©chapper ces accents pĂ©rilleux resta tout seul ; sa voix n’eut d’éclios qu’au fond des cƓurs français. Mais, dĂšs qu’un ministĂšre, qui prĂ©tend lier sa cause Ă  celle des intĂ©rĂȘts nationaux, et qui rompt avec les royalistes le ministĂšre Decaze, s’est affermi au pouvoir, le parti, dĂšs-lors rassurĂ©, se montre superbe et intraitable le premier usage qu’il fait de l’affranchissement de la presse est de cĂ©lĂ©brer , par amour pour la libertĂ© , NapolĂ©on et le ComitĂ© de salut public ; le premier usage qu’il fait de l’affranchissement de la tribune est de demander le rappel des Conventionnels; le premier usage qu’il fait de l'affranchissement des Ă©lections est d’asseoir un RĂ©gicide Ă  la Chambre comme on plante un drapeau. Ces violences provoquent dans les esprits une rĂ©action qui, en un jour de deuil et d’épouvante 1, passe aisĂ©ment des esprits dans les conseils. Le ministĂšre tombe, et le parti l’abandonne sans dĂ©fense aux attaques les plus cruelles. Un ministĂšre, conciliateur encore, et sage, loyal, habile, celui du duc de Richelieu, succĂšde le parti imagine de s’allier, pour l’abattre, avec ses ennemis naturels, avec les royalistes extrĂȘmes, sachant bien que ce n’est pas Ă  lui que servira la victoire. Il ne se trompe pas Ă  ce point sur l’état de la cour et de 1 13 FĂ©vrier 1820, Assassinat de M. le due de Berry. i86 LIVRE SECOND. la France. Non; il pousse aux roues de la rĂ©action, simplement parce que le char n’ira point trois mois, dit-il, sans se briser. Cette coupable coalition, ce tour d’affranchis Ă©lĂšve le ministĂšre VillĂšle, qui dure sept annĂ©es, et qui malheureusement passe sans rien fonder ! Un tel succĂšs obtenu dans les AssemblĂ©es, le parti rĂ©volutionnaire recourt au carbonarisme, aux conspirations, aux rĂ©voltes sanglantes , pour renverser son ouvrage, et il ne fait qu’exaspĂ©rer ainsi le rĂ©gime qu’il a créé. La guerre d’Espagne Ă©clate le parti Ă©migre; il fait Ă©migrer avec lui le drapeau tricolore; il le promĂšne en Catalogne, mariĂ© aux bandes Ă©trangĂšres; il ressuscite enfin et s’approprie, pour les faire battre par des Français, cescouleursqui ont vaincu le monde. Par lĂ  il grandit d’autant le triomphe des adversaires qui ont trouvĂ© en lui un marche-pied officieux pour arriver Ă  la puissance. La victoire des royalistes est complĂšte; elle domine les Ă©lections; elle envahit les journaux mĂȘme du parti rĂ©volutionnaire, qui se livrent, se vendent, s’effacent Ă  l’envi. La Chambre des pairs reste seule inĂ©branlable, comme un roc que battent tour Ă  tour les flots contraires; seule elle dĂ©fend , seule elle reprĂ©sente cette restauration selon la Charte, dont elle semble l’expression la plus haute et la plus vive image. Hormis ce grand corps, tout faisait silence et pliait la I,A SOCIÉTÉ FRANÇAISE. 187 tĂȘte, quand un gĂ©ant arrive du camp royaliste, qui l’a follement chassĂ© de ses conseils. M. de Chateaubriand, Ă©vincĂ© par une fraction de ses anciens amis qu’il dĂ©nonce Ă  la France comme des barbares , chĂątie impitoyablement sa disgrĂące sur la royautĂ© qui y a consenti, en tendant Ă  la libertĂ© constitutionnelle sa main gantelĂ©e , en la couvrant du drapeau blanc, en lui rendant courage Ă  son ombre ; et il rallie une armĂ©e par ses grands coups qui valent des armĂ©es. Tout habile, tout opiniĂątre que pĂ»t ĂȘtre la dĂ©fense du pouvoir, on voyait chaque jour tomber de la place assiĂ©gĂ©e un pan de muraille, chaque jour se dĂ©tacher du faisceau rompu de nombreux, de riches tronçons qui prĂȘtaient du lustre et de la force Ăą l’opinion constitutionnelle, Ă  celle qui voulait la restauration selon la Charte, rien de plus. De progrĂšs en progrĂšs, la victoire est acquise ; les Ă©lections la dĂ©clarent, Qui l’a obtenue ? Consultez les listes des Ă©crivains, des candidats , des Ă©lus. Yous verrez que ce furent les Royalistes dissidents, les Constitutionnels sincĂšres et loyaux. Mais qui se chargera de la corrompre et de la ruiner? Laissez faire au parti rĂ©volutionnaire. Le voilĂ  ! il perdra tout. En effet, le ministĂšre Martignac, nĂ© de la victoire Ă©lectorale, a promis une loi quibrise le glaive delĂ  censure et une autre qui assure la sincĂ©ritĂ© des Ă©lections. C’est une Charte toute entiĂšre ; c’est le i88 LIVRE SECOND. gouvernement reprĂ©sentatif Ă©levĂ© Ă  sa plus haute puissance. L’Angleterre a mis cent ans pour arriver Ă  la premiĂšre de ces libertĂ©s ; et elle n’a point l’autre. Ces lois sont prĂ©sentĂ©es. La France pousse un cri de gratitude. Ce cri, M. Benjamin de Constant le formule, pour son compte, dans un journal, et y attache son nom. Mais tout Ă  coup le parti rĂ©volutionnaire se ravise. Tout ceci n’est que de la libertĂ©; par consĂ©quent du repos, l’ordre, la monarchie. Le parti dĂ©clare les lois vandales ; et c’est le mĂȘme M. Benjamin de Constant qui est chargĂ© d’ouvrir l'assaut tous s’y prĂ©cipitent; et, Ă  dater de ce moment, harceler, calomnier l’administration conciliatrice, multiplier en mĂȘme temps les coups que l’on sait les plus sensibles au monarque dans tous les votes parlementaires, c’est, pendant deux sessions entiĂšres, l’Ɠuvre de tous les jours, et, par malheur , le parti constitutionnel dans la chambre Ă©lective se fait l’instrument de la faction subversive que ses rangs recĂšlent. Dans l’intervalle, le cabinet multiplie, aux regards de la France, les victoires delĂ  Charte sur toutes les rĂ©sistances des prĂ©ventions ou des alarmes royales, et il a droit d’attendre que l’esprit rĂ©volutionnaire recule d’autant de terrain que l’ordre nouveau en a conquis. Ainsi , les portes des conseils se sont ou- LA SOC [ÉTÉ FRANÇAISE. 1 89 vertes devant les publicistes et les orateurs, qui ont combattu longtemps pour la Charte, et qui ont vaincu. Ainsi, des rĂ©formes nombreuses se sont Ă©tendues de l’administration Ă  la cour et Ă  l’Eglise. Ainsi, des ordonnances mĂ©morables ont fait raison du grand grief de l’opinion, la sociĂ©tĂ© de JĂ©sus; la conscience du monarque s’est mĂȘme pliĂ©e Ă  cet Ă©gard, pour donner des gages plus surs, Ă  des exigences qui dĂ©passent, dans la question du moins de l’affirmation obligatoire, l’attente des bons citoyens et peut-ĂȘtre le vƓu des lois. BientĂŽt, des lois qui doivent instituer nos libertĂ©s communales et dĂ©partementales arrivent Ă  la tribune. L’opposition qui a demandĂ© ces lois, et qui mĂȘme s’avoue satisfaite de l’une des deux, trouve plaisant de se coaliser de nouveau, contre le ministĂšre habile et loyal qui les a obtenues du trĂŽne, avec ceux qui ne veulent ni de l’une ni de l’autre , qui condamnent toutes les concessions. Le ministĂšre demande qu’on discute d’abord celle qui satisfait les esprits, celle qui est la base naturelle du systĂšme, celle qui pose et tranche des questions dont la solution est indispensable au reste des dĂ©bats, celle qui a Ă©tĂ© introduite la premiĂšre, rapportĂ©e la premiĂšre, prĂ©sentĂ©e la premiĂšre Ă  l’ordre du jour , la loi communale enfin. C’est assez pour que l’opposition dĂ©cide de tout bouleverser, de commen- LIVRE SECOND. 19° cer par ce qui fera orage, par ce qui ajournera d’une annĂ©e, au moins, les libertĂ©s municipales dont on se dit avide. Pourquoi cette dĂ©cision ? simplement pour molester, Ă  tort et Ă  travers, un pouvoir coupable de se montrer constitutionnel et dĂ©bonnaire. Qu’on donne une autre raison on en dĂ©fie. Enfin , la loi dĂ©partementale est livrĂ©e Ă  la discussion. Au premier article, le nom des conseils d’arrondissement se trouve rappelĂ© ; quelqu’un propose de les abolir, de renverser, par un amendement auquel personne n’asorigĂ©, sans discussion prĂ©alable, le systĂšme entier de l’administration française et toute l’économie de la loi. Le ministĂšre dĂ©clare que cette folie, que cette offense Ă  la prĂ©rogative royale comme au bon sens, ne sera point subie. Raison de plus; il faut voir si le roi osera. Cette expĂ©rience est le seul intĂ©rĂȘt qui tente car les conseils d’arrondissement ne font rien Ă  personne; la preuve en est que, depuis juillet, le parti a eu carte blanche, qu’il a pensĂ© Ă  toutes les destructions, et n’a plus pensĂ© Ă  celle-lĂ . Il renonce Ă  de grandes institutions pour recommencer le jeu des coalitions de 1822. Il vote avec l’extrĂȘme droite, en criant que, si les lois Ă©taient retirĂ©es, il remuerait ciel et terre. Le roi retire Ă  l’instant les lois. Le parti fait silence, plie la tĂȘte ; une conquĂȘte pacifique est ajournĂ©e sans coup fĂ©rir. LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. IQ t Par malheur, la facilitĂ© de la victoire en exagĂšre la portĂ©e aux yeux de la couronne ; et la France a obligation Ă  cette opposition turbulente et stĂ©rile de l’avĂ©nement du ministĂšre du 8 aoĂ»t 1829, celui du prince de Polignac. C’est exactement ainsi que le tribunat avait procĂ©dĂ© avec NapolĂ©on , dĂ©jĂ  rĂ©parateur, et constitutionnel encore. Une opposition, Ă  tort et Ă  travers, le prĂ©cipita dans le pouvoir absolu qui le conduisit Ă  sa ruine par excĂšs de gloire. Charles X, entrant dans les voies constitutionnelles, Ă©tait accueilli avec les mĂȘmes emportements, et allait en tirer les mĂȘmes conclusions pour son malheur et pour le nĂŽtre. Aujourd’hui, on procĂšde dĂ©jĂ  de la mĂȘme maniĂšre, envers la monarchie de 1830. Tant que ce fatal esprit sera celui de notre patrie, tant que les gouvernements seront d’autant plus combattus qu’ils seront moins affermis ou plus dĂ©bonnaires, la libertĂ© y sera impossible. Nous aurons le destin des rĂ©publiques espagnoles. Il n'y aura de permanent parmi nous que les rĂ©volutions ! — De l’exposĂ© qui prĂ©cĂšde, on peut conclure que le parti rĂ©volutionnaire n’a point le droit d’accuser la restauration; car, il a fait les ministĂšres par qui les actes impopulaires se sont accomplis. U n’a point le droit de se plaindre des quatre cents millions de la guerre d’Espagne et du milliard de l’indemnitĂ©. Il n’a pas non plus le droit 192 LIVRE SECOND. de parler d’économie ; car il a coĂ»tĂ© Ă  la France, outre ces deux chapitres, les deux milliards du 20 mars 1815 et le quantum de la rĂ©volution de 1830. Il n’a point le droit de parler de la libertĂ© ; car il ne l’a jamais comprise, lln’a jamais su l’accueillir quand elle s’est offerte Ă  lui. Il ne connaĂźt qu’une chose les subversions. Encore exige-t-il, infatigable artisan, que ce soient des toiles de PĂ©nĂ©- loppe. Nous sommes contraint pour la leçon de l’avenir , d’insister sur ce point Pourquoi faut-il qu’en 1828 et 1829, le parti rĂ©volutionnaire obtĂźnt trop souvent, dans les votes de chaque jour, l’adhĂ©sion de constitutionnels loyaux, qui auraient dĂ» mettre leur gloire, comme leur politique, Ă  se sĂ©parer de lui jusqu’à ce qu’il s’abjurĂąt? Les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes avaient créé une seconde royautĂ© qui balançait la royautĂ© vĂ©ritable, ou plutĂŽt la surpassait dĂ©jĂ  dans la sollicitude des hommes publics. La popularitĂ© commençait de rĂ©gner, sa tĂȘte de MĂ©duse Ă  la main. Dieu sait de quels amis, de quels serviteurs de la couronne elle enchaĂźnait les votes aux opinions populaires, et la mauvaise Ă©toile de la monarchie voulut qu’un grand esprit, qui gouvernait alors la Chambre des dĂ©putĂ©s, au lieu de rapprocher le centre gauche du centre droit qui avait Ă©galement pour symboles le roi et LA. SOCIÉTÉ iq3 la Charte, mit toute sa sagesse Ă  maintenir l’alliance contre nature des amis de la Charte et de la royautĂ© avec ceux qui ne voulaient ni de roi ni de Charte. Cette alliance formidable fut le prĂ©texte de toutes les accusations, l’aliment de toutes les mĂ©fiances, l’obstacle Ă  toutes les transactions ! / 13 CHAPITRE IX. MINISTÈRE DU 8 AOUT 1829. CONFLIT ENTRE LA PRÉROGATIVE ROYALE ET LA CHAMBRE ÉLECTIVE. Le malheur du trĂŽne et de la France fut que le roi sentit les torts qu’on vient d’exposer, non en successeur de Louis XVIII, mais en hĂ©ritier de Louis XIV.. Le malheur du trĂŽne et de la France fut que le roi vit dans ces fautes, moins la preuve du mal produit par les rĂ©actions prĂ©cĂ©dentes, que l’occasion et le motif lĂ©gitime d’une nouvelle rĂ©action, d’une revanche pour la royautĂ©. On ne peut douter que l’opinion publique ne fĂ»t vivement frappĂ©e de toutes les tĂ©mĂ©ritĂ©s de l’opposilion. L’ivresse passagĂšre qui avait entraĂźnĂ© des gens d'honneur et de loyaux amis des lois Ă  incliner leurs votes devant le parti rĂ©volutionnaire, cette ivresse fatale Ă©tait tombĂ©e. La mise en coupe rĂ©glĂ©e de tous les services publics, dans la discussion des deux budgets, avait frappĂ© tous les gens sensĂ©s, comme le symptĂŽme d’un travail de dĂ©sorganisation qui accusait une grande plaie LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. ig5 sociale et politique. Tous les esprits droits Ă©taient rĂ©solus Ă  rompre enfin avec la faction qui venait de trahir hautement le dessein d’asservir et de perdre la monarchie. Nul doute que l’autoritĂ© royale n’eĂ»t trouvĂ© dans la session suivante, au sein de la Charte, et avec l’appui de la raison publique, les forces qui lui avaient manquĂ© d’abord. Le roi prĂ©fĂ©ra une autre expĂ©rience. Au lieu de conformer plus longtemps ses conseils aux mouvements de la majoritĂ©, il rĂ©solut de plier la majoritĂ© aux loix d’un ministĂšre selon son cƓur et sa pensĂ©e persuadĂ© que la faiblesse du trĂŽne faisait l’audace de ses ennemis ; que tout flĂ©chirait devant des dĂ©terminations assez dĂ©cidĂ©es pour ne pouvoir sembler passagĂšres ; qu’en restant de fait dans la Charte, mais en se montrant par ses choix prĂȘt Ă  en sortir, s’il le fallait, il ne trouverait pas de Chambres qui osassent tenir tĂȘte Ă  la couronne, et que, si elles l’osaient.... Accepter cette pensĂ©e, c’était avoir franchi le Rubicon. Car dissoudre constitutionnellement la Chambre Ă©tait impossible. On aurait eu pis. Il fallait donc briser la Constitution mĂȘme. Par cette pensĂ©e, le roi infirmait la restauration dans la premiĂšre de ses garanties, l’inviolabilitĂ© de la Charte. Il mettait contre lui le bon droit c’était y mettre la fortune. Ce prince vĂ©nĂ©rable nous semble avoir con- 196 LIVRE SECOND. fondu Ă  ce moment tous les Ă©lĂ©ments de sa monarchie. Rester soumis Ă  la lettre de la Charte, aux formes du gouvernement reprĂ©sentatif, et porter au pouvoir des hommes qui y faisaient monter avec eux le cortĂšge entier des alarmes publiques, c’était une inutile contradiction. Il se trouva qu’il n’y eut qu’un Français qui crĂ»t le roi fidĂšle encore Ă  la loi constitutionnelle c’était le roi. Quels que fussent les desseins, il y avait tort et pĂ©ril dans ce dĂ©fi sans actes qui ne semblait qu’une ostentation d’impopularitĂ© ; car la couronne se rendait plus malaisĂ© Ă  opĂ©rer, et le mal, et le bien. Il lui devenait plus difficile de rester dans la Charte, plus difficile mĂȘme d’en sortir. Cependant, le roi Ă©tait loin de s’abuser sur l’étendue des voies oĂč il s’engageait. Il savait trĂšs- bien qu’il mettait son trĂŽne au hasard de deux batailles, l’une dans les Chambres, l’autre dans les rues. Mais il ne faisait pas un doute qu’il ne dĂ»t gagner la premiĂšre, et comptait bien, par consĂ©quent, n’avoir pas besoin de livrer la seconde. Celle-ci, il en pesait toutes les chances. Les journaux redirent son mot souvent rĂ©pĂ©tĂ© Qu’aprĂšs tout, il aimait mieux ĂȘtre un roi exilĂ© qu’un roi avili. Une pensĂ©e fatale l’entretenait dans la rĂ©solution d’affronter toutes les menaces de l’avenir. Il croyait Ă  une vaste conspiration contre sa cou- LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. 1 97 ronne. Il comprenait dans le complot tout ce qui n’était que dĂ©sordre d’esprit, dans les trames contre son gouvernement tout ce qui n’était qu’impuissance de plier sous aucun gouvernement rĂ©gulier. PĂ©rir pour pĂ©rir, il aimait autant que ce lĂ»t par les armes que par les lois, en sortant de la Charte qu’en y restant. Je sais bien, disait-il un jour, que les Français d’aujourd’hui ne veulent pas faire tomber ma tĂšte comme cellede mon frĂšre Louis XVI. Non, personne n’a cette intention. Mais ce qu’on veut, c’est de dĂ©pouiller si bien et de si bien dĂ©grader la royautĂ©, que le roi ne soit plus qu’une espĂšce de prĂ©sident hĂ©rĂ©ditaire jusqu’au jour oĂč on mettr a Ă  sa place un prĂ©sident tout simplement. Je ne me prĂȘterai pas Ă  ces dĂ©chĂ©ances. Je ne sais s’il y a des princes Ă  qui elles pourraient convenir. Pour moi, j’aimerais mieux ĂȘtre scieur de long. » On retrace ces graves paroles, parce qu’elles Ă©taient prophĂ©tiques. Elles honorent le jugement de ce prince. Elles attestent une intelligence du mal plus sĂ»re et plus exacte que ne le fut le choix des remĂšdes. On avait le remĂšde sous la main. On le chercha oĂč il n’était pas, oĂč il ne pouvait pas ĂȘtre. Toutes les difficultĂ©s accidentelles de la situation nous ne parlons pas des difficultĂ©s fondamentales qui pouvaient venir de la sociĂ©tĂ©, ou de la Constitution, et tenir en rĂ©serve d’autresjpĂ©rils tenaient LIVRE SECOND. 198 Ă  la longue union des centres avec l’extrĂȘme gauche, autrement dit des constitutionnels avec les rĂ©volutionnaires. Cette union, que fallait-il pour franchir le dĂ©fdĂ© oĂč on Ă©tait engagĂ© ? La rompre. Et la sagesse, la loyautĂ©, jointes Ă  la fermetĂ©, y eussent rĂ©ussi sans peine. Au contraire, le roi la resserrait par une dĂ©monstration hostile. Il la lĂ©gitimait en quelque sorte; il la justifiait jusque dans le passĂ© ; il la fortifiait Ă  ce point qu’elle allait renverser le trĂŽne en trois jours. A la nouvelle des choix extraordinaires de la couronne, quelqu’un Ă©crivit sur-le-champ au roi Votre MajestĂ© joue sa monarchie Ă  quitte ou » double le doule n’existe pas. Les voies oĂč » le roi s’engage n’ont qu’un issue, les coups » d’Etat ; et les coups d’Etat auront pour lende- » main un 20 mars, oĂč le peuple jouera le rĂŽle » de Bonaparte. » La France entiĂšre discerna l’avenir renfermĂ© dans le 8 aoĂ»t 1829 avec un admirable instinct. Un an aprĂšs, jour pour jour, il y avait une autre royautĂ©. L’opinion prit les noms qui lui Ă©taient jetĂ©s comme des cartels, et le dĂ©fi l’épouvanta. Tout le monde vit qu'il s’agissait de la Charte. Comment les hommes qui avaient quelque prĂ©voyance dans l’esprit n’auraient-ils pas compris qu’il s’agissait par cela mĂȘme de la couronne ! Jamais situation plus extraordinaire ne se vit dans l’histoire. Le trĂŽne et la nation s’observaient LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. ] 99 comme sur un cliamp de bataille; on semblait s’attendre. La couronne faisait ses prĂ©paratifs, en s’occupant de ranger la gloire de son parti par l’expĂ©dition d’Alger. La nation mettait du sien la loi. Tandis que le prince proclamait ses rĂ©solutions immuables , un arrĂȘt des magistrats, rendu au nom du roi, dĂ©clara crime toute entreprise contre la Charte et nos serments. De part et d’autre, cependant, la Charte restait fidĂšlement observĂ©e ; le ministĂšre poussa la circonspection au point de laisser intactes les ordonnances de juin contre la sociĂ©tĂ© de JĂ©sus, celles qui avaient coĂ»tĂ© le plus d’efforts et valu le plus de haine au ministĂšre renversĂ©. D’un autre cĂŽtĂ©, la royautĂ© continuait de recueillir une soumission universelle ; le pays donnait sans murmure et ses trĂ©sors, et ses soldats. La restauration ne fut jamais plus grande au dehors qu’à ces derniers jours, oĂč une invisible main la tenait suspendue sur un abĂźme. C’est qu’elle ne fut jamais plus obĂ©ie au dedans. Jamais non plus la France n’avait professĂ© si haut le principe fondamental de la monarchie que ne le fit l’opposition mĂȘme, dans cette adresse des 221, oĂč la Chambre des dĂ©putĂ©s, en revendiquant la Charte tout entiĂšre et refusant au ministĂšre son concours , dĂ©clara, par l’organe de M. Royer - Collard, la lĂ©gitimitĂ© nĂ©cessaire aux peuples encore plus qu’aux rois. Cette dĂ©claration Ă©tait solennelle. Elle pouvait, 200 LIVRE SECOND. elle devait ĂȘtre salutaire. Elle fut stĂ©rile. Elle Ă©tait insuffisante Ă  contenter le roi ; tout au plus l’enhardit-elle. Il dĂ»t penser, en voyant qui la profĂ©rait, qui s’en portait garant, qu’elle ne serait pas oubliĂ©e ; et elle l’a Ă©tĂ© ! Dans ce conflit, tout le monde avait tort. La Chambre, en refusant son concours sur des noms propres, ne considĂ©rait que le fond des choses, que l’esprit de la Constitution ; le roi, en dĂ©niant ce droit aux chambres, en les sommant d’attendre les actes et de statuer uniquement sur des griefs lĂ©gaux, ne s’attachait qu’à la lettre de la Charte ; des deux parts, on poussait son droit Ă  l’extrĂȘme sans vouloir d’une rĂ©volution , on le poussait jusqu’à une rĂ©volution. La couronne, oubliant que le pouvoir doit toujours l’exemple de la sagesse, avait pris l’initiative de ce dĂ©fi. Les 221, en repoussant la rĂ©daction dĂ©posĂ©e dans l’amendement Lorgeril par les royalistes Ă©prouvĂ©s du centre droit, firent la faute de resserrer leur menaçante alliance avec les passions rĂ©volutionnaires ; et par lĂ  affermirent le ministĂšre contre lequel ils protestaient. A vrai dire, il n’y avait plus de ministĂšre. Nous Ă©tions dĂ©jĂ  placĂ©s en dehors de l’ordre constitutionnel. Leroi et la France se voyaient face Ă  face. La France, disons-nous! car l’opposition comptait dans son sein tous les corps politiques, industriels, commerciaux, littĂ©raires, les tribunaux .20 I LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. comme les acadĂ©mies, les colleges Ă©lectoraux comme les deux chambres, et l’ancienne sociĂ©tĂ© en grande partie comme la nouvelle. En arrivant aux confins de la Charte, le pouvoir royal arrivait Ă  la solitude. Depuis les jours de 1815, l’opinion royaliste Ă©tait changĂ©e. Les pĂšres avaient fait place Ă  des fils imbus de l’esprit nouveau, grandis avec la Charte, et fiers de leur part de libertĂ©. Les royalistes constitutionnels s’étaient fortifiĂ©s chaque annĂ©e d’illustres conquĂȘtes sur l’ancienne droite, et chaque nom reprĂ©sentait tout un ordre d’idĂ©es et de rangs que le mĂȘme progrĂšs avait entraĂźnĂ© avec lui. Seize annĂ©es de formes reprĂ©sentatives, avaient liĂ© Ă  ce rĂ©gime toutes les classes et tous les esprits. La cour presque toute entiĂšre s’y Ă©tait attachĂ©e par les habitudes de la Chambre des pairs et par les conseils d’une expĂ©rience de tant d’annĂ©es. On faisait remarquer un jour Ă  quelqu’un, dans la salle du trĂŽne, que le systĂšme dominant n’y comptait pas une voix sur dix. Qu’attendre du reste de la France ? Et le systĂšme dominant n’était pas encore le coup d’Etat ! Ce systĂšme ne s’annoncait, par l’organe de M. le prince de Polignac, chef du ministĂšre, que comme une sorte de torysme monarchique ; il recevait l’appui de royalistes qui, croyant la prĂ©rogative intĂ©ressĂ©e dans la lutte de la couronne pour un ministĂšre mĂȘme pris en dehors de 202 LIVRE SECOND. la majoritĂ©, prĂȘtaient secours au trĂŽne, sans entendre qu’il s’agit de sacrifier la Charte et la paix publique Ă  ce funeste dĂ©bat. Le coup d’Etat, mis aux voix dans la cour, ou bien dans la garde royale, n’y aurait pas trouvĂ© dix partisans. Tout le monde sait aujourd’hui qu’il n’en comptait pas mĂȘme dans le conseil. La sociĂ©tĂ© française Ă©tait donc parvenue Ă  ce point, oĂč la transaction, commandĂ©e par les intĂ©rĂȘts de tous et Ă©crite dans les lois, avait passĂ© dans les esprits et dans les mƓurs plus que la France ne le savait elle-mĂȘme, et c’était alors que cette grande transaction allait ĂȘtre brisĂ©e pour longtemps ; nous ne voulons pas dire pour toujours. Car Ă  notre avis, c’en serait fait de la France. Le duel se rĂ©duisait Ă  ces deux contendants le pays presque tout entier uni, et un roi qui, dans sa fiertĂ© blessĂ©e, dans ses apprĂ©hensions persĂ©vĂ©rantes, dans ses tĂ©mĂ©ritĂ©s excitĂ©es, demandait Ă  la monarchie absolue la solution de difficultĂ©s, la vengeance d’agressions inhĂ©rentes Ă  la monarchie constitutionnelle. C’était un roi de soixante-dix ans, et deux fois Ă©prouvĂ© par l’exil, qui allait mettre sa couronne Ă  la pointe de l’épĂ©e, de peur de la transmettre amoindrie Ă  ses neveux. C’était un prince, de religion sincĂšre, qui, parvenu aux limites de la Charte, ne s’arrĂȘtait pas Ă  une barriĂšre gardĂ©e par des serments. Cependant, d’un cĂŽtĂ©, il y avait, 203 LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE. en rĂ©alitĂ©, la France, le retenant par toutes les voix des jxmvoirs constitutionnels, de la fidĂ©litĂ©, du dĂ©voĂ»ment, du sang mĂȘme, car on sait quelles Ă©taient les pensĂ©es et les priĂšres de la fille auguste de Louis XVI ; de l’autre, Ă©taient les voix solitaires qui exhortaient sa rĂ©solution, lui criant d’aller toujours, qu’il aurait pour lui les soldats, le peuple, la gloire!... La gloire! Oui! Alger tombait Ă  ce moment 7 juillet sous les coups des soldats de la France. HĂątons-nous de recueillir ses trophĂ©es, pour en parer une grande ruine ! Que cette royautĂ© de mille ans tombe d’une façon digne d’elle et de la France! Que ce soit en gagnant des batailles, en imposant Ă  l’univers ! Et, du moins, les clĂ©s d’une ville conquise brilleront sur ses restes, comme celles de Randon sur la dĂ©pouille de Duguesclin. rfxĂŻuxitattĂši. ÂŁ vcĂźkis^i fi 1 > ' , - . '-.'Çüï;fĂŽKÏ t.* %*>*>* * ♩!/ ri,* „* /* 'Ăźirflifji'Ă© . v > tiñÊzĂ Ăźi ' W , , V* -41%' itli *v r Ăź. ' Ăź s,. JM .- .. i4i ' i ‱ ' ‱ -r.* ' f j i ;‱‱. ‱‱nT- .-' i ; w& 'v'^ r -w V- v,^.. ,.4j^. r . , , . ; v V ‱ '-. . .»!. -. ’HĂźy .’ >' ’ ! \? ; h t*;‱. !‱ tmfliu ; itv>V„ " .'.>' ‹» ,^> 5ĂŒn1f;ri,- >fi ‱it - >'it *Mt> f»i4 r! LIVRE TROISIÈME. RÉVOLUTION DE 1830. Ce serait bien mal Ă  propos que nos ancĂȘtres, h l’époque de la rĂ©volution de 1688, auraient mĂ©ritĂ© leur rĂ©putation de sagesse, s’ils n’avaient pas trouvĂ© d’autre sĂ©curitĂ© pour leur libertĂ© que d’affaiblir le gouvernement et de rendre son titre prĂ©caire, s’ils n’avaient pas trouvĂ© de meilleur remĂšde contre le pouvoir arbitraire que la confusion de l’Etat. Burke . LIVRE TROISIÈME. RÉVOLUTION DE 1830. CHAPITRE PREMIER. LES JOURNÉES DE JUILLET. VICTOIRE DE LA CHARTE. EFFETS DE L’ESPRIT CONSTITUTIONNEL. .... Quo tcnditis ultra ? Si cives, lmc usque licet ! Lucain. Le dimanche 25 juillet, le soleil se coucha pur et radieux sur une monarchie florissante et victorieuse, sur un peuple prospĂšre et libre, qui vaquait en paix Ă  ses fĂȘtes. Le lundi 26, il se leva sur un peuple inquiet dĂ©jĂ , et bientĂŽt morne , pressĂ© tout entier dans les rues comme dans une mĂȘme attente, les boutiques closes comme dans les jours de calamitĂ© publique. On n’entendait que ces 2o8 livre troisiĂšme. mots La Charte est renversĂ©e... La monarchie tremblait sur ses fondements. Ce jour-lĂ  , le Moniteur avait publiĂ© tout Ă  coup les ordonnances cĂ©lĂšbres du 25 juillet par lesquelles la couronne , ressaisissant la puissance lĂ©gislative que la Charte royale avait dĂ©lĂ©guĂ©e Ă  toujours aux trois pouvoirs, brisait la loi des Ă©lections , la loi de la presse, et substituait au droit constitutionnel le principe Si veut le roi, Si veut la loi, » s’autorisant de l’art. 14 de la Charte, mais s’en autorisant, suivant l’expression de M. de Chateaubriand, pour confisquer la Charte tout entiĂšre. Le lendemain, mardi 27 , Ă  la pointe du jour, des officiers de police et des soldats se prĂ©sentent Ă  la porte d’imprimeries qui Ă©taient fermĂ©es. On ordonne d’ouvrir de par la loi. Mais il n’y a plus de lois, et les portes restent fermĂ©es. Les agents appellent un homme du mĂ©tier pour ouvrir ; et ce n’est point Ă  Paris seulement, c’est Ă  Lyon, au Havre, Ă  Bordeaux, dans toute la France, qu’il ne se trouve pas un ouvrier, pas un apprenti qui obĂ©isse ! En dehors de la Charte, ils ne connaissent point de roi. Les agents recourent aux tribunaux les tribunaux les repoussent. U n’y a plus de justice. Reste la force. On Ă©branle des bataillons ; on les pousse sur ces masses de peuple dĂ©sarmĂ©es, immobiles, silencieuses. Des officiers brisent leur LA RÉVOLUTION DE I 83 o. 209 Ă©pĂ©e ; d’autres croisent les bras et attendent que la mort vienne, n’importe d’oĂč, affranchir leur conscience bourrelĂ©e. Les soldats hĂ©sitent; beaucoup se dĂ©bandent. Au bout de quelques heures, les routes en Ă©taient couvertes. Il n’y a plus d’armĂ©e. Si la garde royale obĂ©it, l’ñme navrĂ©e, Ă  la loi militaire, la population, Ă  son tour, court aux armes, et tout devient arme dans sa main terrible. Elle livre une bataille Ă  chaque coin de rue, s’embusque derriĂšre chaque borne, combat enfin Ă  ces deux seuls cris Vive la ligne ! caria ligne n’a pas consenti Ă  tirer sur des concitoyens, de peur de tirer sur les lois; et Vive la Charte! cette Charte que les Bourbons ont Ă©crite, et qui est la restauration mĂȘme. A ces nouvelles, le mercredi 28, le roi absent dĂ©clare sa capitale en Ă©tat de siĂšge, et il aurait Ă  y mettre toutes les villes de son royaume; car ce n’est pas un soulĂšvement solitaire toutes les citĂ©s du royaume se sont Ă©mues. Les gardes nationales se sont partout levĂ©es; partout l’autoritĂ© s’abdique elle-mĂȘme et rĂ©signe ses pouvoirs aux mains de la population armĂ©e , comme si on ne reconnaissait plus d’autre loi que ce statut de la premiĂšre restauration, qui remettait aux gardes nationales le dĂ©pĂŽt de la Charte et sa dĂ©fense. Un seul prĂ©fet dans le royaume, M. de Curzay, Ă  Bordeaux, voudra tenir bon pour l’autoritĂ© royale emportĂ©e hors de sa base, et il restera seul, dans la 14 210 LIVRE TROISIÈME. ville du 12 mars! Du Rhin aux PyrĂ©nĂ©es, dans cette France si divisĂ©e longtemps, il ne se rencontre pas un Français qui prenne fait et cause pour les ordonnances subversives. Personne n’a suivi le roi au-delĂ  de la barriĂšre sacrĂ©e. Partout semble se faire une convention, entre l’autoritĂ© qui tombe et la citĂ© qui se lĂšve, de se remettre, du soin de conclure ce grand dĂ©bat, Ă  la dĂ©cision qu’apportera la malle-poste de Paris. À Paris, la garde nationale, depuis trois ans condamnĂ©e, a reparu vĂȘtue de son uniforme, armĂ©e, rĂ©solue Ă  repousser la force par la force. Paris est une place de guerre. En arrivant aux barriĂšres , vous ĂȘtes surpris de les voir munies de palissades, de chevaux de frises, comme des camps retranchĂ©s que l’art militaire aurait fortifiĂ©s de longue main-, plus surpris au dedans de ne trouver aucune trace d’autoritĂ© , de police , de gendarmerie , de gouvernement. Tout a disparu. Il ne reste que des soldats de la ligne qui rient en voyant tomber les insignes de l’autoritĂ© royale, des grenadiers de la garde qui meurent pour le serment militaire, et puis tout un peuple qui dĂ©fend les lois. Tout un peuple ! car le mĂȘme sentiment rassemble et les rangs et les Ăąges les plus divers. Le citoyen qui rencontre un citoyen n’a pas l’inquiĂ©tude d’y trouver un ennemi l’ennemi, c’est la mousqueterie qui retentit de tous cĂŽtĂ©s, c’est le LA RÉVOLUTION PE l83o. 21 1 canon qui gronde sur la capitale des arts et sur ses monuments. BientĂŽt la population ne se dĂ©fend plus; elle attaque. A dĂ©faut d’armes, on saisit ces gothiques armures conservĂ©es comme curiositĂ©s historiques dans nos musĂ©es, et qui servent une fois encore, mais pour se retourner contre la derniĂšre rĂ©miniscence des anciens jours. A dĂ©faut de gibernes, les femmes portent de la poudre ; les enfants marchent Ă  la tĂȘte des colonnes c’est un enfant qui casse la jambe, d’un coup de pistolet, au brave duc de Fimarcon; un autre renouvelle, sur nos ponts, la scĂšne d’Arcole; un autre emportera le Louvre. A cette armĂ©e il ne manque que des chefs. En voilĂ  ! Des jeunes gens, qui ont sur la tĂȘte le chapeau militaire, et au collet de leur habit une fleur de lys d’or, se distinguent de la foule par leur uniforme non moins que par leur courage. On assure que ce sont des enfants de famille qui se distinguent bien davantage encore parleur science. C’est assez. On les suit, ou plutĂŽt on les porte, on les entraĂźne Ă  la victoire; car, au fait, c’est ainsi qu’obĂ©issent les nations. Devant cet Ă©lan unanime tombent les casernes, les palais, les Tuileries enfin. Les Tuileries! Sur ce champ de bataille connu, les Suisses meurent comme au 10 aoĂ»t, mais moins bien, dit-on, qu’au 10 aoĂ»t car ils n’ont pas le sentiment qu’ils dĂ©fendent les lois ! C’était le jeudi matin, 29 juillet. A Saint-Cloud, 2 I 2 LIVRE TROISIÈME. on ignorait tout encore; on croyait encore rĂ©gner, quand tout Ă  coup un noble enfant, le premier, s’étonne, une jeune femme s’écrie, un vieillard tressaille ils voient au loin, sur le pavillon des Tuileries, flotter un drapeau qui n’était pas celui du BĂ©arnais et de ses descendants. En l'arborant, ou plutĂŽt en le laissant arborer, le peuple n'a eu garde d’intervenir dans la dĂ©cision des destinĂ©es publiques, de faire ou dĂ©faire une monarchie, de mettre la main sur le gouvernail pour le tenir lui-mĂȘme ou pour le briser. Ces pensĂ©es ne lui sont pas venues. Il ne se croyait qu’une mission, celle de prĂȘter sa force aux lois opprimĂ©es. Il pose des sentinelles sous les portraits du roi Louis XVIII qui donna la Charte et la respecta ; il trace le nom conservateur de la Charte sur le monument qui attend la statue de Louis XVI; de mĂȘme qu’il a suivi dans le combat les plus vaillants et les plus habiles, il cherche dans la victoire les plus autorisĂ©s pour abdiquer dans leurs mains. 11 renverse avec respect les barricades devant le dĂ©putĂ©, devant le pair du royaume, ces princes de la Charte, qui courent Ă  leur palais. Et si, parmi les membres de la Chambre hĂ©rĂ©ditaire, la foule en reconnaĂźt quelqu’un illustre par le gĂ©nie, illustre par les monuments que sa foi fĂ©conde Ă©leva Ă  la religion de ses pĂšres, par son culte pour le passĂ© de la patrie, par sa haine du rĂ©gime impĂ©rial , par son dĂ©voĂ»ment de toute la vie au sang des la. rĂ©volution de i83o. 2l3 rois et Ă  la doctrine de la lĂ©gitimitĂ©, par ses combats en faveur de la monarchie constitutionnelle, aussitĂŽt le peuple le salue de son nom Chateaubriand ! et l’emporte dans ses bras. VoilĂ  la politique du peuple ; voici sa religion. Avant de retourner Ă  ses foyers, il a un dernier devoir Ă  remplir. Il recueille les morts de ces trois journĂ©es , oĂč la mort a rĂ©gnĂ© sur tous , comme auparavant rĂ©gnaient les lois ; il creuse au pied du Louvre une fosse profonde, va Ă  l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois, demande un prĂȘtre, rĂ©clame de lui les bĂ©nĂ©dictions de l’Eglise pour tous ces citoyens, ces soldats, ces chrĂ©tiens que l’éternel sommeil a surpris au milieu de ce rĂ©veil de tout un peuple. L’homme de Dieu revĂȘt ses ornements on l’entoure, on le presse, on le suit avec respect sur le bord du sĂ©pulcre, et le peuple, le sabre ou la pique Ă  la main, incline la tĂȘte sous le crucifix, et termine par une priĂšre Ă  Dieu cette bataille qu’il a commencĂ©e en invoquant les lois. De quelque point de vue qu’on juge les Ă©vĂ©nements qui suivirent, personne ne peut mĂ©connaĂźtre dans cette Ă©motion universelle de la grande semaine , grande, a dit M. de Chateaubriand, par la justice de la cause comme par l’hĂ©roĂŻsme, l’un des plus Ă©tonnants spectacles et peut-ĂȘtre des plus redoutables, mais aussi des plus instructifs qui se soient jamais offerts dans l’histoire. Au LIVRE TROISIÈME. 2l4 jour oĂč une pensĂ©e fatale, en renversant les lois, jette une nation ardente dans l’alternative de tout subir ou bien de tout risquer, ce jour-lĂ  tous les liens semblent brisĂ©s d’un bout de la monarchie Ă  l’autre. La nation reposait sur la foi d’une loi et d’un serment le serment s’efface, la loi tombe , la nation se lĂšve. Ces cent mille hommes qui ne sont pas Ă©lecteurs , ces cent mille autres qui ne savent pas lire peut-ĂȘtre , se lĂšvent comme une immense armĂ©e pour la querelle de la libertĂ© des Ă©lections et de la libertĂ© de la presse, parce qu’ils ont tous des intĂ©rĂȘts et des droits dont ils savent que ces libertĂ©s sont les remparts. Et on ne peut pas assez le dire car c’est lĂ  le caractĂšre essentiel du grand mouvement populaire dont nous allons scruter les rĂ©sultats ; ce n’est point Paris seul. L’ébranlement est universel; toutes les campagnes sont en armes ; toutes les villes envoient des renforts. Ceux de Rouen, du Havre sont venus dĂ©jĂ . Le magnifique rĂ©giment des hussards de la garde, qui arrive deux jours aprĂšs, est poursuivi et traquĂ© dans les plaines par la population entiĂšre il ne trouve pas un bourg, un village dont il ne lui fallĂ»t faire le siĂšge pour y entrer. Le roi, dans sa fatale demeure de Saint-Cloud, entend prĂšs de lui Versailles rejeter violemment ses ordonnances en mĂȘme temps que Paris ; avant Paris Stenay arbore le drapeau tricolore ; et, au centre du royaume, la LA RÉVOLUTION DE l83o. 210 fille des rois qui a uni en vain sa voix Ă  celle de la France, l’auguste Marie-ThĂ©rĂšse a vu , dĂšs les premiers moments, le sol trembler de toutes parts sous ses pas, comme il tremble Ă  Saint-Cloud sons ceux du monarque qui a portĂ© ce grand coup. Le combat terminĂ©, il se trouve que la multitude victorieuse sait respecter les lois, comme elle a su, dĂ©sarmĂ©e, vaincre en les dĂ©fendant. L’histoire dira que Paris ne fut jamais plus calme que dans ces terribles jours, oĂč des hommes cpii n’ont ni pain, ni habits , avaient seuls des armes et faisaient sans obstacle le redoutable apprentissage de la puissance. La justice en se rĂ©veillant n’aura mĂȘme pas un mĂ©fait Ă  rechercher et Ă  punir. A ce premier essai de prĂ©potence populaire, les passions coupables sont restĂ©es en suspens comme la justice. L’esprit constitutionnel fit ces miracles. C’est contre lui, par une mĂ©prise funeste, que la bataille des ordonnances a Ă©tĂ© livrĂ©e. C’est lui qui a soutenu l’assaut, et qui a vaincu ; lui seul ! Et la preuve, c’est le cri unique de vive la Charte ! sous lequel les citoyens marchaient au combat et qu’ils continuent Ă  faire retentir quand le combat a cessĂ© ; la preuve, c’est le respect que le peuple a fait voir pour toutes les propriĂ©tĂ©s, toutes les existences, tous les droits, tous les pouvoirs, quand lui seul avait la force ; la preuve, c’est qu’il dĂ©pose ses armes victorieuses dĂšs qu’une 2l6 LIVRE TROISIÈME. autoritĂ© rĂ©guliĂšre s’offre pour prendre en main y Ă  sa place, la garde et la dĂ©fense des lois. Ce peuple, admirable quand on ne le dĂ©prave pas avec effort, comme font les prĂ©cepteurs de princes , qui corrompent leurs pupilles pour les asservir, ce peuple s’est montrĂ©, dans ces terribles jours, plus digne de la libertĂ© vĂ©ritable et plus jaloux d’elle que la plupart de ses guides. Veut-on Des dieux que nous servons savoir la diffĂ©rence ? Quinze annĂ©es de monarchie constitutionnelle ont fait la semaine virile et calme de juillet 1830; six mois d’influences rĂ©volutionnaires feront la semaine anarchique de fĂ©vrier 1831. Et ce ne sont pas seulement les journĂ©es militantes de juillet qui ont Ă©talĂ© ces prodiges de la raison publique. Elles se sont bornĂ©es Ă  sauver, ressaisir et glorifier la Charte. Les journĂ©es dĂ©libĂ©rantes qui suivent vont modifier, Ă©nerver, dĂ©naturer la Charte; elles rendront Ă  la monarchie coup d’État pour coup d’État; elles substitueront un cas de renversement extra-lĂ©gal Ă  un cas de responsabilitĂ© ministĂ©rielle; enfin, elles feront une rĂ©volution. Mais cette rĂ©volution va s’accomplir, elle se fait, elle se consomme, sans que le peuple en ait pris l’initiative , sans que le pays nulle part en ait exprimĂ© le vƓu ! Le peuple n’a pas fait un pas en dehors de la Charte pour laquelle il a donnĂ© sa vie. Le pays n’a pas exprimĂ© un senti- REVOLUTION DE l83o. 2 I 7 ment ni un dĂ©sir contraires Ă  cette Charte qu’il avait reconquise. Ceux qui prĂ©tendent aujourd’hui parler au nom du peuple , avoir mission de lui, s’autoriser de ses exploits pour violenter nos destinĂ©es, ceux-lĂ  mentent Ă  l’histoire que nous avons vue tous vivante au milieu de nous. D’un autre cĂŽtĂ©, nous devons le dire avant de passer outre, ceux-lĂ  aussi nourrissent une illusion dĂ©plorable qui cherchent Ă  des Ă©vĂ©nements immenses de mesquines explications. On voit, dans la dĂ©faite des ordonnances, une question de stratĂ©gie. Combattre avec plus de dĂ©voĂ»ment que les rĂ©giments de la garde qui ont combattu ? HĂ©las ! ils ont eu tout celui que pouvaient avoir des cƓurs français. Mais, dit-on, il fallait abandonner les rues barricadĂ©es, ne pas y enfouir et y perdre des bataillons, quitter Paris , l’assiĂ©ger... Oui! commencer un coup d’Etat par une fuite ! entrer dans la monarchie absolue, en se proclamant chassĂ©s de la capitale ! prĂ©luder Ă  la guerre civile par la perte de Paris! Et cela, quand on avait pris l’offensive, quand d’ailleurs les campagnes, quand lesprovinces, quand toutela France Ă©taient aussi soulevĂ©es que Paris mĂȘme ! Quel gĂ©nĂ©ral aurait pris une aussi redoutable initiative? D’ailleurs, la fortune l’a fait pour lui. Cette situation qu’on regrette, on l’a eue on l’a eue le 29 juillet; qu’a-t-elie produit ? On l’aurait eue le 28 ; dans l’état de la France, qu’eĂ»t-elle produit de plus ? 2l8 LIVRE TROISIÈME. Un homme d’esprit qui, dans ses narrations historiques , a surpris les gens de l’art par sa stratĂ©gie, et qui en a fait Ă  la tribune de meilleure encore , s’étonne qu'on n’ait pas profitĂ© des buttes Montmartre_Quoi! bombarder, dĂ©truire, brĂ»ler Paris ! Par le bras de qui ? Il n’y avait lĂ  que des Français ! H Ă©tait tout simple qu’on n’y songeĂąt point. L’étranger n’y eĂ»t pas songĂ©. Non ! le chef malheureux 1 de cette malheureuse armĂ©e ne pouvait pas combattre autrement ; il ne le pouvait pas, plus qu’il ne pouvait s’abstenir de combattre. Car, pour refuser au roi son Ă©pĂ©e le 27, il aurait fallu l’avoir brisĂ©e le 26. Le trĂŽne qu’on n’a pas abandonnĂ© au jour de ses fautes, on ne l’abandonne pas Ă  l’heure de ses pĂ©rils. D’autres expliquent tout par une conspiration Ă©clatant Ă  point nommĂ© sous un trĂŽne qui comptait seize ans de durĂ©e et tenait dans ses mains le gouvernement, le trĂ©sor , l’armĂ©e ; conspiration si grande qu’elle l’était autant que le royaume tout entier soulevĂ©, et dont pourtant, dans une annĂ©e, M. Mangin, le prĂ©fet de police du 8 aoĂ»t, n’avait pas dĂ©couvert les fils ! Sans doute il y avait des conspirations souterraines , des passions rĂ©volutionnaires ; mauvais vouloirs de faction qui n’auraient pas suffi Ă  ren- 1 Le duc de liaguse. LA RÉVOLUTION DE l83o. 21 9 verser le trĂŽne, s’il n’avait pas pris cette offensive formidable contre le sentiment public et contre les lois. Cherchons, une fois, les causes des Ă©vĂ©nements on Dieu les a placĂ©es. La cause unique du soulĂšvement public, la voici. Le rapport ministĂ©riel qui motivait le coup d’État, aprĂšs avoir longuement Ă©tabli que le roi n’avait pas le droit de changer la Charte, qu’en consĂ©quence il ne la changeait pas, qu’il ne faisait que la rendre immuable, ce rapport terrible finissait par ces mots la force restera Ă  la justice !... HĂ© bien ! on avait raison la force resta Ă  la justice, dans la grande semaine de juillet. Voyons la suivante, CHAPITRE II. RÉVOLUTION DU 9 AOUT. ABANDON DE LA CHARTE ROVALE ET DE LA LÉGITIMITÉ. ErrETS DE L’ESPRIT RÉVOLUTIONNAIRE. Une voix Ă©loquente et monarchique lanoramĂ© les catastrophes qu’on vient de raconter, le suicide de juillet. Voici le suicide qui se consomme. Le 27, le 28, le 29 juillet n’avaient vaincu qu’un roi et tout au plus un rĂšgne. Les derniers jours de cette semaine immense, la royautĂ© succombe et la Charte avec elle. Le 25 juillet avait vaincu un roi ; car le coup d’Etat, elle soulĂšvement universel qui l’avait suivi, Ă©puisaient la vertu du sacre de Reims. Comment Charles X vaincu aurait-il rĂ©gnĂ© comme il lui appartenait, c’est-Ă -dire dignement? C’eĂ»t Ă©tĂ© le retour de Varennes, et bien pis encore. Il fallait le sacrifice du roi pour le salut de la royautĂ© ! La royautĂ©, nous entendons la royautĂ© selon le droit national ancien et nouveau, la royautĂ© lĂ©gitime pouvait ĂȘtre sauvĂ©e , mĂȘme aprĂšs la 1 M. de Lamartine. Ceci est Ă©crit en '183'!. LA RÉVOLUTION DL l83o. 11 I chute du Louvre, si elle eĂ»t apparu Ă  l’instant mĂȘme, renouvelĂ©e d’une gĂ©nĂ©ration, tendant la main Ă  la Charte victorieuse, donnant un gouvernement Ă  ces populations qu’étonnait leur indĂ©pendance redoutable , ou bien convoquant Ă  Saint-Cloud les grands pouvoirs et appelant de l’insurrection, dĂšs lors dĂ©naturĂ©e, Ă  la Charte elle-mĂȘme et Ă  la France. 11 faut se rappeler que la veille, Ă  quatre heures du soir, M. Laffitte, M. Mauguin, les reprĂ©sentants de l’opposition, attendaient, dans ce mĂȘme Louvre, une audience du prince de Polignac, heureux d’obtenir un changement de ministĂšre et n’élevant pas leur ambition plus haut. Au moment oĂč le peuple de Paris emportait les Tuileries, Charles X s’était fait annoncer, et les mĂȘmes dĂ©putĂ©s s’apprĂȘtaient, comme tout le peuple, Ă  le recevoir en sujets heureux de pouvoir traiter avec leur roi. Jusqu’alors personne n’avait cru Ă  toute la portĂ©e des Ă©vĂ©nements accomplis. On pouvait se mĂ©prendre Ă  Saint-Cloud ; on se mĂ©prenait dans Paris mĂȘme. La victoire passait la croyance de ceux qui avaient le plus de foi Ă  la puissance du nom delĂ  Charte etau bon droit de la France. On pourrait dire en quel lieu on dĂ©libĂ©rait sur la question de savoir si l’impĂŽt devait cesser sur-le-champ d’ĂȘtre payĂ©, ou s’il n’était pas obligatoire pendant l’exercice entier de 1830, tandis que dĂ©jĂ  le glaive populaire avait tranchĂ© le nƓud. La bataille ga- 222 LIVRE TROISIÈME. gnĂ©e, on Ă©tait loin de croire la campagne finie ; on Ă©tait plus loin de penser qu’elleeĂ»t dĂ©cidĂ©d’une couronne. La journĂ©e du jeudi 29 tout entiĂšre se passa dans l’attente d’une agression des troupes royales. Le vendredi 30, les arbres chenus des boulevards , justifiant ce vieux nom, tombaient encore pour dresser de nouvelles barricades. Alors on s’inquiĂ©tait et de Saint-Cloud, et de la France, et de l’Europe. Il fallut deux jours presque entier Ă  Paris pour pĂ©nĂ©trer le voile qui cachait Saint- Cloud , savoir l’aspect du reste du pays, et sentir enfin la victoire. Il est vrai qu’une fois sentie, elle fut bien pesĂ©e. Ce fut un Ă©clair. Il frappa , il Ă©blouit. Toute cette monarchie de Saint-Cloud disparut aux regards de Paris et de la France, comme dans un abĂźme. Ainsi, personne ne pourrait dire qu’aux premiers instants un changement de ministĂšre n’eĂ»t pas Ă©tĂ© acceptĂ© de ces masses, qui ne parlaient que de la Charte dans leurs transports. Personne au moins ne peut nier que, le jeudi soir, un changement de rĂšgne n’eĂ»t suffi aux plus exaspĂ©rĂ©s dans le camp constitutionnel. Par malheur, ce fut un changement de ministĂšre qui arriva. Le lendemain , toute la journĂ©e, on en fut lĂ  encore. AnnoncĂ©e depuis dix-sept heures, l’ordonnance qui appelait Ă  la tĂšte du conseil M. le duc de Morte- mart et restituait la Charte, n’arriva que ce vendredi fatal, au milieu du jour, quand dĂ©jĂ , dans LA ItÉVOLimOM DE l83o. 223 ceite longue attente et ce besoin universel de point d’appui, le pouvoir flottant s’était inclinĂ©, Ă  Paris, vers d’autres mains. Dans ces deux journĂ©es oĂč les minutes Ă©taient dĂ©vorantes, la fortune voulut que la cour se trouvĂąt toujours en retard du quart- d’heure, comme elle avait Ă©tĂ© trop souvent en retard du siĂšcle. M. de Mortemart n’avait eu, que le lendemain de sa nomination, les pouvoirs nĂ©cessaires pour se rendre dans la capitale. L’bistoire dira par quelle fatalitĂ© nouvelle il ne put rĂ©ussir, malgrĂ© les plus pĂ©nibles efforts, Ă  y pĂ©nĂ©trer que de longues heures plus tard, tandis qu’une derniĂšre fa- talitĂ©, la plus grande de toutes, fit nĂ©gliger les intĂ©rĂȘts les plus pressants. Ainsi, veiller Ă  soutenir, Ă  lier les restes de la monarchie qui s’écroulait, maintenir un gouvernement autour du roi, quel que fĂ»t le roi, publier autrement que par la communication Ă  l’HĂŽtel-de-Ville la rĂ©vocation des ordonnances fatales, rappeler ainsi hautement le droit pour tenter de rappeler la force, raffermir l’armĂ©e, prĂ©venir et interroger les dĂ©partements , convoquer prĂšs dusouverain lesdĂ©putĂ©s et les pairs du royaume, appeler les reprĂ©sentants de l’Europe comme ceux de la France, ces pensĂ©es ne vinrent Ă  personne. Personne ne soupçonnait lĂ , non plus qu’à Paris, que chaque heure qui s’écoulait, emportĂąt, comme les torrents emportent, un pan de cette monarchie, dont les premiĂšres assises, LIVRE TROISIÈME. 22 4 contemporaines de notre histoire, Ă©taient cachĂ©es dans la nuit des siĂšcles. La grandeur de cette catastrophe, sa rapiditĂ© surnaturelle, cette sorte de mort subite d’une monarchie qu’un coup de foudre met Ă  nĂ©ant, confondent aujourd’hui, quand on se rappelle combien alors les minutes Ă©taient longues, combien les solutions semblaient lentes. AssurĂ©ment, au point de vue de l’histoire, Charles X paraĂźtra avoir fait de lui-mĂȘme bien prompte justice ; car le troisiĂšme soleil depuis qu’il ne rĂ©gnait plus sur sa capitale, le huitiĂšme depuis qu’il s’était souvenu de la royautĂ© absolue de ses pĂšres, ne descendait pas encore sous l’horizon, que sa main avait tracĂ© l’acte d’expiation. La monarchie finit comme l’empire Charles X et NapolĂ©on brisĂšrent eux-mĂȘmes dans leurs mains le sceptre et l’épĂ©e, l’un se punissant de s’ĂȘtre attaquĂ© Ă  l’Europe, l’autre Ă  la France, et tous deux demandant Ă  la nation anglaise et Ă  ses institutions un abri pour leur adversitĂ©. Charles X fit plus que de s’immoler sur-le- champ Ă  ses doctrines vaincues ; dans sa prĂ©occupation des intĂ©rĂȘts de la royautĂ©, il condamna un rĂšgne aprĂšs le sien. Ce prince, qui avait exposĂ© la monarchie pour dĂ©fendre ses ministres, voulut maintenant, dans l’espĂ©rance de mieux relever le trĂŽne, sacrifier avec lui son fils et la compagne de son fils, la fille de Louis XVI, qui, aprĂšs avoir vu la couronne brisĂ©e tant de fois autour d’elle, ne de- LA. REVOLUTION DF. l83o. 226 vait pas avoir le front touchĂ© de ses dĂ©bris. Charles X supposa-t-il que la tempĂȘte de cette impopularitĂ© sanglante tomberait mieux devant le visage d’un enfant ? CĂ©da-t-il Ă  d’autres calculs ? Quelqu’ils fussent, il ne vit pas qu’il donnait le dangereux exemple de porter la main sur l’ordre des successions royales ; qu’il faisait d’une minoritĂ© une affaire de bon plaisir, non plus de nĂ©cessitĂ©; qu’il Ă©tonnait les imaginations et les excitait au lieu de les calmer; qu’il jetait la question du trĂŽne dans la mĂȘlĂ©e et offrait une rĂ©volution de palais comme aliment Ă  une rĂ©volution de place publique, en voulant la lui donner pour solution. Il ne rĂ©flĂ©chit point qu’appelĂ©e ainsi Ă  dĂ©libĂ©rer sur de tels intĂ©rĂȘts, l’insurrection pourrait juger une main d’enfant incapable de fermer des plaies si grandes, qu’à Paris la passion le dirait, et que la France trouverait tout simple de ne pas voir un berceau s’élever au-dessus de tant de ruines ! L’omnipotence de Paris ne s’était pas manifestĂ©e dans le combat, puisque le royaume entier y avait pris part. Elle Ă©clate dans l’usage qu’en prĂ©sence de ce prĂ©cĂ©dent, on va faire de la victoire. Il semble convenu, Ă  Saint-Cloud et partout, que le gouvernement est tout entier aux Tuileries, en quelques mains que tombent ces pierres historiques. Tout autre centre d’action, tout autre pouvoir se sont Ă©vanouis. C’est par les combattants des barricades que les provinces apprennent toute la suite des 15 * 226 LIVRE TROISIÈME. Ă©vĂ©nements. Le tĂ©lĂ©graphe soumet aux lois des autoritĂ©s que Paris institue, Brest et Toulon, quand on ignore encore Ă  OrlĂ©ans leur naissance ; rien n’empĂȘchera les gĂ©nĂ©raux d’Afrique de reprendre la cocarde tricolore sur l’ordre d’un vainqueur du Louvre, avant que la France sache qu’il lui faut opter entre les deux drapeaux. Le gouvernement avait donc passĂ© du cĂŽtĂ© de Paris, avec la Charte et la force. Ce gouvernement , quel fut-il ? Il y en avait dĂ©jĂ  deux la Chambre et l’HĂŽtel-de-Ville. La dualitĂ© rĂ©volutionnaire qui devait ĂȘtre la loi de l’avenir, Ă©tait nĂ©e dĂ©jĂ . Le peuple avait combattu sans que personne dans les pouvoirs constitutionnels se fĂ»t montrĂ© Ă  sa tĂȘte. M. Armand Marrast Documents historiques , Paris, 1831, raconte bien que, la nuit du mercredi 28 au jeudi 29, Ă  la clartĂ© des rĂ©verbĂšres, M. le gĂ©nĂ©ral Lafayette avait passĂ© en revue une centaine de gardes nationaux qu’il rencontra sur son passage. Mais, d’aprĂšs les mĂȘmes documents , ce ne fut que le jeudi soir , aprĂšs la prise du Louvre, qu’il se promena en habit militaire sur les boulevards; c’est toujours M. Marrast qui parle. L’illustre gĂ©nĂ©ral, aprĂšs avoir inspectĂ© la victoire, se rendit Ă  l’HĂŽtel-de-Ville pour la gouverner. Nous avons dit le respect de la citĂ© militante pour les pairs, pour les dĂ©putĂ©s, seuls reprĂ©sentants lĂ©gitimes de l’autoritĂ© absente et du peuple armĂ©. Ils semblaient ĂȘtre tout ce qui restait de la LA. RÉVOLUTION DE l83o. 227 monarchie constitutionnelle au milieu de ce chaos. Loin de contester leur droit, tout le monde le reconnut et l’invoqua. Mais il advint de l’impulsion donnĂ©e par la victoire populaire, que la pairie fut laissĂ©e en dehors du mouvement qui s’accomplissait le pouvoir se concentra tout entier dans les mains de l’assemblĂ©e Ă©lective. Il advint encore, de cette mĂȘme impulsion, que le centre droit, le cĂŽtĂ© droit, toute la partie monarchique de l’AssemblĂ©e et de la nation se trouvĂšrent en dehors de ce mouvement qui allait constituer l’avenir. Les vainqueurs travaillĂšrent seuls Ă  organiser la victoire. Ces vainqueurs, c’était l’ancienne opposition, c’est-Ă -dire lĂ© centre gauche, le cĂŽtĂ© gauche et l’extrĂȘme gauche, encore unis, mais prĂȘts Ă  se diviser pour toujours. Dans leur union, ces fractions diverses de l’opinion victorieuse reprĂ©sentaient une partie robuste de la France; mais enfin elles n’étaient pas toute la France, et elles allaient statuer en son nom et pour elle ! Le trĂšs-petit nombre de dĂ©putĂ©s prĂ©sents Ă  Paris, en qui elles se personnifiaient ainsi, Ă©taient rĂ©unies chez M. Laffitte. Ils attendaient les paroles et le ministre de Charles X. Inquiets de tout ce qui se rassemblait Ă  l’HĂŽtel-de-Ville de ferments rĂ©volutionnaires bouillonnant autour du gĂ©nĂ©ral Lafayette, ils instituĂšrent, sous le titre restreint et circonspect de Commission municipale , une sorte de gouvernement par intĂ©rim, 228 LIVRE TROISIÈME. qui alla sur-le-champ s’établir Ă  l’HĂŽtel-de-Ville, Ă  ce quartier-gĂ©nĂ©ral des passions soulevĂ©es, au milieu duquel M. de Lafayette rĂ©gnait, ou plutĂŽt trĂŽnait, sans partage. M. de Lafayette, M. Laffitte et M. Audry de Puyraveau , de la gauche, auxquels Ă©taient associĂ©s le comte de Lobau et M. de Schonen, du centre gauche, formaient ce gouvernement indĂ©terminĂ© de Paris ou de la France. Ils tranchĂšrent la question, en nommant, le soir mĂȘme, des ministres. Ce furent les chefs de l’opposition loyale et modĂ©rĂ©e. On comprenait alors la nĂ©cessitĂ© de rassurer, d’entraĂźner la France et l’Europe. Aussi, n’attribua-t-on dans le conseil ministĂ©riel, Ă  l’extrĂȘme gauche, qu’une voix, celle deM. Dupont del’Eure ; qu’une autre au cĂŽtĂ© gauche, celle de M. Bignon; trois des ministres, l’amiral de Rigny, le baron Louis et M. Guizot, Ă©taient des serviteurs respectĂ©s et populaires de la restauration. Deux autres furent le marĂ©chal GĂ©rard et le duc de Broglie, Ces choix illustres et sages devaient rassurer tous les esprits. Tel fut le gouvernement issu de la Chambre des dĂ©putĂ©s. Mais, autour de la Commission, toujours appelĂ©e municipale , et du cabinet qu’elle avait instituĂ©, s’agitait dĂ©jĂ  une autre autoritĂ©, anonyme, multiple, tumultueuse, et toute-puissante dans le quartier. Son origine et son but n’étaient pas bien dĂ©finis. Il n’y avait de bien dĂ©terminĂ© que son chef. C’était encore M. de Lafayette. Du reste, le LA RÉVOLUTION DE 1 83o. 229 carbonarisme et les ventes conspiratrices en Ă©taient le fond; la dĂ©magogie en Ă©tait l’ñme; la rĂ©publique en Ă©tait la figure confuse et cachĂ©e. LĂ  Ă©clataient, mis en commun et fermentant ensemble, des exaltations de jeunesse, des ivresses de victoire, des passions de faubourgs, des Ă©tourderies de vieillard. L’aspect du lieu suscitait des souvenirs et des Ă©mulations de la commune de Paris ; et, comme il s’y exerçait de la puissance, l’intrigue y Ă©tait dĂ©jĂ  installĂ©e, au dire de M. Armand Marrast, ce qui prouverait qu’on en trouve autant dessous que dessus les pavĂ©s. Voici le tableau que fait, toujours dans ses prĂ©cieux documents, M. Marrast, de ce gouvernement sorti de terre Dans l’intĂ©rieur de l’HĂŽtel-de-Ville, un gou- » vernement. A gauche , deux piĂšces oĂč se tenait la Commission municipale dont M. de Lafayette » faisait partie. A droite, le gĂ©nĂ©ral Lafayette et » ses aides-de-camp. » Quel tableau Ă  faire que celui de ce mouve- » ment perpĂ©tuel de l’HĂŽtel-de-Ville! Quels * hommes y sont venus ! quelles pĂ©titions y sont » arrivĂ©es !... Intrigue! intrigue! Mais je n’écris » pas l’histoire complĂšte de ces jours. m A vrai dire, le gĂ©nĂ©ral Lafayette et ceux qui » agissaient en son nom Ă©taient le seul gouverne- » ment rĂ©el. LĂ  venaient les nouvelles , lĂ  se prĂ©- » sentaient les dĂ©putations; mais le gĂ©nĂ©ral, il » faut le dire, montrait une trop facile condes- a3o LIVRE TROISIÈME. » cendance pour ses collĂšgues ; les reprĂ©sentations » ne lui manquĂšrent pas cependant il vint des » dĂ©putĂ©s des barricades, braves amis, camarades » du peuple. Ils parlĂšrent haut, ils avaient l’arme » au poing. On les mĂ©nagea, on leur fit des pro- » messes. » VoilĂ  quel fut le gouvernement vĂ©ritable de l’HĂŽtel-de-Ville, celui par qui la commission mu- nipale se voyait dĂ©jĂ  dĂ©bordĂ©e et dĂ©chue. Evidemment, les promesses de ce gouvernement insurrectionnel et rĂ©publicain, n’étaient pas, au dire de M. Marrast lui-mĂȘme, des promesses de vertu. Ce n’étaient pas non plus des promesses d’ordre. Étaient-ce des promesses de lĂ©galitĂ©, de libertĂ©, de fraternitĂ© ? Voici comment on l’entendait. Cette autoritĂ© improvisĂ©e se mit d’abord Ă  lancer des mandats d’amener contre tels ou tels, notamment contre des dĂ©putĂ©s, et ces dĂ©putĂ©s Ă©taient les chefs du centre gauche , les chefs de l’opinion constitutionnelle victorieuse, en particulier contre M. Casimir PĂ©rier! Le coupable qui dicta cet ordre, dit » M. Armand Marrast avec orgueil, est celui-lĂ  b mĂȘme qui Ă©crit ces documents. » Ce second gouvernement, on le voit, ne promettait pas poire molle Ă  la France. De telles violences manifestaient la face nouvelle des affaires de la France. L’alliance de l’esprit constitutionnel et de l’esprit rĂ©volutionnaire Ă©tait rompue ; cette alliance fatale que le pouvoir LA RÉVOLUTION DE l83o. 23 1 royal aurait pu dissoudre , que le bon sens public aurait dĂ» prĂ©venir, sans que ni l’un ni l'autre eĂ»t su le vouloir quand il le fallait, avait Ă©tĂ© la consĂ©quence de toutes les fautes, et la cause de tous les malheurs ! Le trĂŽne l’avait resserrĂ©e, comme Ă  plaisir, au 8 aoĂ»t 1829 par l’avĂšnement du ministĂšre de M. de Polignac; il venait de s’y briser; et, maintenant, elle Ă©tait elle-mĂȘme, comme il fallait s’y attendre, brisĂ©e par la victoire. Le faisceau, en se rompant, allait former, d’un cĂŽtĂ©, le parti constitutionnel, le tiers-parti et le nouveau centre gauche; de l’autre, l’opposition nouvelle, et avec elle la foule des sectes et des factions destinĂ©es Ă  rester rĂ©volutionnaires partout et toujours. DĂšs Ă  prĂ©sent dĂ©chaĂźnĂ©es et indĂ©cises, n’ayant plus de liens ni de barriĂšres, les passions rĂ©volutionnaires s’appuyaient Ă  l’HĂŽtel-de-Ville comme au centre d’opĂ©rations naturel de cette armĂ©e ; et lĂ  commença contre la commission municipale, pour continuer peu aprĂšs contre les nouveaux pouvoirs, c’est-Ă -dire contre l’opinion constitutionnelle saisie du gouvernail, la mĂȘme lutte que tous ces partis ensemble avaient suivie de concert jusqu’alors contre l’opinion royaliste. Seulement, la lutte Ă©tait dĂ©jĂ , elle allait ĂȘtre chaque jour plus violente, plus audacieuse, plus menaçante, parce qu’elle s’appuyait plus bas et qu’elle Ă©tait encouragĂ©e par son succĂšs Ă  viser plus haut guerre acharnĂ©e, 232 LIVRE TROISIÈME. guerre incessante et aveugle, qui, Ă  dater de ce moment, va crĂ©er toutes les difficultĂ©s du prĂ©sent et prĂ©parer sans repos tous les dangers de l’avenir. Nous avons dit que fort peu de dĂ©putĂ©s se trouvaient alors rĂ©unis dans la capitale. GrĂące Ă  l’esprit particulier des dĂ©partements circonvoi- sins, les dĂ©putĂ©s arrivĂ©s dĂ©jĂ  appartenaient de plus en plus Ă  la gauche ou Ă  l’extrĂȘme gauche. Cependant l’HĂŽtel-de-Ville les Ă©pouvanta. L’effervescence croissante des masses, celte fermentation, cette attente redoutable de tout un peuple qui n’avait plus ni autoritĂ©, ni lois, ce passage soudain de l’ordre Ă  la perspective de l’anarchie, tout leur rendit terrible le veuvage de la patrie. Mais, s^ils Ă©taient Ă©loignĂ©s des violences de la faction de l’HĂŽtel-de-Ville, ils l’étaient moins de ses maximes et de ses exigences. Ils participaient de ses instincts plus que de ses passions, et de ses prĂ©jugĂ©s plus que de ses desseins ni de ses thĂ©ories. Cette double disposition dĂ©cide des destinĂ©es de la France. Ils transfĂšrent leurs rĂ©unions de l’hĂŽtel Laffitte au Palais-Bourbon pour mieux opposer puissance Ă  puissance; et lĂ , quels sont leurs actes ? Le premier est de rompre avec le drapeau de la restauration, qui n’avait personne pour le dĂ©fendre, de relever le drapeau tricolore, pour se fortifier de la popularitĂ© des couleurs de la rĂ©publique et de l’empire ; le second LA RÉVOLUTION DE l83o. 233 va ĂȘtre de donner la lieutenance-gĂ©nĂ©rale du royaume au premier des princes aprĂšs l’orphelin de St-Cloud, au chef de cette branche des Bourbons qui s’était mariĂ©e Ă  la rĂ©volution depuis quarante ans, mais sans abaisser encore devant lui la barriĂšre qui le sĂ©parait du trĂŽne ; le troisiĂšme sera de mettre la main sur la Charte victorieuse, de la traiter en vaincue, delĂ  reviser dans le sens des idĂ©es et des sentiments dĂ©mocratiques. Cela fait, rien n’empĂȘchera de traiter, de la mĂȘme maniĂšre que la Charte, la dĂ©claration des 221 qui avait servi de manifeste au combat; et, bien qu’avec la mĂȘme dynastie, la lĂ©gitimitĂ© abjurĂ©e fera place Ă  une nouvelle royautĂ©. Mgr le duc d’OrlĂ©ans Ă©tait si naturellement appelĂ©, dans cet immense dĂ©sastre, Ă  soutenir la monarchie dĂ©faillante , que la mĂȘme pensĂ©e s’était offerte en mĂȘme temps Ă  Paris et Ă  Saint- Cloud ; le roi et les dĂ©putĂ©s le nommaient Ă  la mĂȘme heure lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume. Les intentions seules diffĂ©raient. A Saint-Cloud, on voulait maintenir la royautĂ©, la Charte et la lĂ©gitimitĂ©. Au Palais-Bourbon, on voulait uniquement sauver la forme et le nom du pouvoir royal, sans dire et peut-ĂȘtre sans savoir encore au profit de quelles idĂ©es et de quelle maison. Mgr le duc d’OrlĂ©ans, muni de son double titre, arriva en criant qu’il venait prĂ©server la France delĂ  guerre civile et de l’anarchie; l’unique pro- LIVRE TROISIÈME. 234 messe que fit ce prince Ă  ceux qui l’appelaient, fut que la Charte serait dĂ©sormais une vĂ©ritĂ©. C’était arborer dans le camp constitutionnel son drapeau. Ce n’était pas encore consentir Ă  le planter en dehors de l’ordre lĂ©gal. On n’était qu’au samedi 31 juillet ; l’HĂŽtel- de-Ville s’ébranla, quand il vit un lieutenant - gĂ©nĂ©ral du royaume, et qu’il pressentit une solution royale. La pensĂ©e lui vint de livrer une nouvelle bataille des barricades, de proclamer son gouvernement vĂ©ritable, d’avouer la rĂ©publique, de l’imposer Ă  la France ; il ne lui manqua que la puissance et le courage. Mais l’effroi en prit au Palais-Bourbon. A la nouvelle de l’effervescence propagĂ©e dans les masses, la Chambre se serre autour de M. le duc d’OrlĂ©ans, et le prince se rend, avec elle, Ă  l’HĂŽtel-de-Ville mĂȘme, pour y faire reconnaĂźtre et consacrer sa puissance. Ce fut son voyage de Beims. M. de Lafayette, en se rangeant du cĂŽtĂ© du prince, devint le pontife de ce sacre populaire. Mais de prĂ©tendre, comme M. Auguste Portalis le faisait naguĂšre Ă  la tribune, que M. de Lafayette donna ce jour-lĂ  la couronne, c’est-Ă -dire qu’il en aurait pu disposer Ă  son grĂ©, la donner Ă  tel ou tel, la ceindre lui-mĂȘme par exemple, ou bien la mettre dans sa poche, y prendre le bonnet phrygien et en coiffer la France, qui se fĂ»t laissĂ© faire, le cou tendu et les yeux fermĂ©s, c’est trop de moquerie. LA. RÉVOLUTION DE l83o. 2 35 Ce qui est vrai, c’est que M. de Lafayette avait le pied dans les deux gouvernements de ces quarante- huit heures. Il e'tait comme le pont de Milton, qui unit le ciel aux enfers. Ce fut pour rester appuyĂ© aux deux rivages qu’il afficha, Ă  l’arrivĂ©e du prince, le manifeste cĂ©lĂšbre de la monarchie populaire reposant sur des institutions rĂ©publicaines. Cet illustre non-sens Ă©tait exactement le juste- milieu entre l’ordre et le chaos, entre le Palais- Bourbon et la commune de Paris. On en a fait, depuis lors , le mot d’ordre et le cri de ralliement de toutes les branches du parti rĂ©volutionnaire. On veut y plier toutes nos institutions et toutes nos destinĂ©es. C’est ce qu’on a nommĂ© le programme de VHĂŽtel-de - Vdie. Vouloir que la France soit liĂ©e par ce programme de l’illustre citoyen desDeux-Mondes, qu’elle soit tenue par corps envers l’HĂŽtel-de-Ville de fournir Ă  ces messieurs une monarchie rĂ©publicaine, c’est la condamner Ă  trouver, pour leur complaire, la quadrature du cercle. C’est, pour mieux dire, la condamner Ă  fournir une carriĂšre de rĂ©volutions sans terme. La rĂ©publique, dont on s’inquiĂ©tait fort, n’était Ă©videmment qu’un Ă©pouvantail qui s’évanouit aussitĂŽt le parti rĂ©volutionnaire jugea prudent de la tenir en rĂ©serve pour des temps meilleurs; Paris n’en entendit plus parler. On n’a pas dit que la France l’ait rĂ©clamĂ©e. Suivant toute apparence, ce a36 LIVRE TROISIÈME. fut pour l’avoir entrevue Ă  l’HĂŽtel-de-Yille deux jours durant, telle que les documents de M. Armand Marrast nous la montrent, moitiĂ© intrigue, moitiĂ© faubourg, faisant des dĂ©putations et des remontrances , ayant l’arme au poing et l’accusation Ă  la bouche , que M. de Lafayette, embarrassĂ©, comme il y a quarante ans, de tenir tĂȘte au monstre, jugea, avec grande raison, que la monarchie reprĂ©sentative Ă©tait dĂ©cidĂ©ment la meilleure des rĂ©publiques. Il aima mieux, Ă  l’aspect de tels amis , se rĂ©fugier dans le port de la royautĂ© constitutionnelle, que dans quelques nouveaux cachots d’OI- mutz. Par malheur, en accordant la monarchie constitutionnelle aux besoins et aux idĂ©es d’ordre, ce fut Ă  un autre esprit, Ă  d’autres influences que furent dĂ©diĂ©es toutes les rĂ©solutions qui suivirent. On fit une cĂŽte mal taillĂ©e avec la rĂ©volution frĂ©missante. Ce fut l’esprit rĂ©volutionnaire qui se trouva en possession de dĂ©cider toutes les questions organiques, toutes les questions royales. Il fit tous les pouvoirs Ă  son image. Il ne consentit Ă  la monarchie qu’à la condition qu’elle fut nouvelle, Ă  fleur de terre, en dehors du droit monarchique. L’ayant obtenue telle, il voulut qu’elle fut humble, faible, dĂ©semparĂ©e. Et le cĂŽtĂ© gauche, aprĂšs s’ĂȘtre appuyĂ©, dansun sentiment d’honnĂȘtetĂ© et d’épouvante, aux intĂ©rĂȘts et aux principes constitutionnels pour maintenir l’institution de la LA RÉVOLUTION DE l83o. t>3 r ] royautĂ©, le cĂŽtĂ© gauche se rĂ©unit Ă  tous ceux qui ne la voulaient pas, pour la constituer. Il devait leur rester ensuite rĂ©uni pour la miner, l’abaisser, l’écraser, la mettre Ă  nĂ©ant! Et le prĂ©texte de cette alliance, le point de ralliement, le cri de guerre mis en avant sans repos, a Ă©tĂ© ce qu’on a continuĂ© de nommer, par opposition avec la Charte, seul point de ralliement lĂ©gal des Français, le programme de l’HĂŽtel-de-Yille ! Or, ce programme, sans cesse invoquĂ© depuis dans les dĂ©bats de la presse et des chambres, quel Ă©tait-il ? Historiquement, on ne trouve que le mot de M. de Eafayette, ou une dĂ©claration de la Chambre des dĂ©putĂ©s queM. Yiennet avait lue Ă  l’HĂŽtel-de-Ville, et cpii Ă©tablissait trois choses, dont aucune n’impliquait le renversement des lois, ni celui de la Charte, ni celui mĂȘme de la lĂ©gitimitĂ© ; savoir Que la cause qui venait de triompher par les armes Ă©tait celle qui avait triomphĂ© par les Ă©lections , c’est-Ă -dire la cause des 221, de leur adresse par consĂ©quent, et de leurs maximes ; Que, suivant la parole solennelle du lieutenant- gĂ©nĂ©ral du royaume, la Charte devait ĂȘtre une vĂ©ritĂ© ; Qu’enfin des lois rĂ©gleraient l’intervention des citoyens dans le choix des officiers de la garde nationale ; leur intervention dans la formation des administrations dĂ©partementale et municipale ; le jury pour les dĂ©lits de la presse; l’état des mili- LIVRE TBOISIKME. 338 taires lĂ©galement assurĂ© ; la réélection des dĂ©putĂ©s promus Ă  des fonctions publiques; la responsabilitĂ© enfin des ministres et des agents secondaires de l’autoritĂ©. Tout cela n’était point la nĂ©gation nĂ©cessaire de l’ordre rĂ©gulier; ce n’était mĂȘme pas encore le renversement ou seulement la rĂ©vision de la Charte. Ajoutez la convocation des Chambres pour le 3 aoĂ»t, jour qui Ă©tait prĂ©cisĂ©ment celui que les ordonnances de Charles X fixaient. On Ă©vitait donc jusques lĂ  tout ce qui serait illĂ©gal, tout ce qui serait compromettant en Ă©tant factieux. Les Chambres continuaient de remplir leur mandat constitutionnel. Sur les premiĂšres marches du trĂŽne se montrait, avec sa jeune famille, muni des pouvoirs du roi, un prince qui y avait sa place naturelle. La restauration rĂ©gnait encore tout entiĂšre. Cependant, il est trĂšs-vrai que tout le monde savait, sans que personne l’eut dit, qu’il s’agissait au fond du dĂ©placement de la couronne. A l’exemple de F HĂŽtel-de-Ville, Paris et la France avaient reconnu le prince lieutenant-gĂ©nĂ©ral, sachant bien que c’était reconnaĂźtre un roi. Le jour, l’heure oĂč s’accomplit le changement, personne ne le pourrait dire. Seulement, le 4 aoĂ»t, la proposition en fut faite Ă  la Chambre des pairs, qui fit montre de se rĂ©unir pour affecter cette grave initiative. Une seule voix protesta, celle de M. de Chateaubriand, en des termes qui n’indiquent nulle pensĂ©e de gagner sa LA. RÉVOLUTION DE l83o. 23g cause. A la Chambre des dĂ©putĂ©s, l’immense majoritĂ© du parti constitutionnel ne pensa pas Ă  dĂ©fendre la lĂ©gitimitĂ©, que les 221 avaient dĂ©clarĂ©e si rĂ©cemment la base de nos libertĂ©s , tant on avait hĂąte de plier les passions rĂ©volutionnaires Ă  la forme royale, d’en finir avec l’insurrection et l’interrĂšgne, d’échapper Ă  la rĂ©publique. Les Hydede Neuville, les Martignac, les Arthur de la Bourdonnaye, les Alexis de Noailles luttĂšrent seuls contre le torrent. A cela prĂšs, des rĂ©sistances n’apparurent nulle part. L’illĂ©gitimitĂ© du coup d’Etat semblait avoir ĂŽtĂ© aux plus fermes esprits la puissance d’invoquer la lĂ©gitimitĂ©. Il y a en France des courants d’opinion qui emportent tout, avec lesquels on ne discute pas, devant lesquels tout plie. On ne reprend la libertĂ© de son jugement que quand il n’est plus temps. La rĂ©publique se soumit, sans coup fĂ©rir mais sans abdiquer, Ă  l’établissement nouveau, parce que la lĂ©gitimitĂ© lui Ă©tait immolĂ©e. Elle trouva, pour une fois, son succĂšs assez grand. D’un autre cĂŽtĂ©, les Chambres entendirent bien Ă©tablir que, si la lĂ©gitimitĂ© Ă©tait abandonnĂ©e, la dynastie mĂȘme ne l’était pas -, qu’elle continuait de rĂ©gner dans la seule de ses branches qui fut majeure et populaire. Par lĂ  le droit public de la premiĂšre race, c’est- Ă -dire le choix par les assemblĂ©es entre les membres de la maison royale, se trouvait remis en honneur Ă  la place de l’ordre hĂ©rĂ©ditaire qui LIVRE TROISIÈME. 2/0 est le choix de la Providence, mais que Charles X lui-mĂȘme avait infirmĂ© dans la personne de son fils. Le vieux droit national Ă©tait donc lĂ©sĂ©, non dĂ©truit; le vieux sang capĂ©tien n’était pas abjurĂ©. L’un et l’autre Ă©taient reconnus et consacrĂ©s Ă  nouveau par l’acte mĂȘme qui y portait atteinte ; car c’était en raison de l’absence prĂ©tendue de tous les princes de la branche aĂźnĂ©e que la branche cadette des Bourbons Ă©tait appelĂ©e Ă  la couronne dans la personne d eson altesse royale Mgr le duc d’OrlĂ©ans. Aussi l’esprit rĂ©volutionnaire ne se contenta-t-il point de la grande proie qui lui Ă©tait livrĂ©e. Il lui fallut d’autres satisfactions, des petites et des grandes. Alors qu’on prĂ©tendait rompre avec le passĂ©, on revint aux formes de la premiĂšre race sur un autre point. Au lieu de ce nom de roi de France consacrĂ© dans les respects de l’univers, on affubla le duc d’OrlĂ©ans du titre de roi des Français, que nul de nos rois n’avait portĂ© depuis Clovis, exceptĂ© le monarque infortunĂ© qui le reçut, en 1791, de l’AssemblĂ©e constituante, avec celui de restaurateur de la libertĂ© française, et qui alla les perdre, l’un et l’autre, la dix-septiĂšme annĂ©e de son rĂšgne libĂ©ral et pacifique, sur le pavĂ© sanglant de la place Louis XY, de la place de la Concorde, de la place de la RĂ©volution, comme on voudra la nommer ! On interdit en outre au roi des Français de rĂ©gner par la grĂące de Dieu. Dieu Ă©tait destituĂ© du gouvernement de l’univers. Ce LA. RÉVOLUTION DE l83o. 2,[\\ qui Ă©tonne, c’est que tant de gens de bien et de grands esprits aient cru qu'on pouvait bĂątir suide tels fondements ! Ces conquĂȘtes morales n’empĂȘchĂšrent pas la rĂ©volution d’en exiger de plus positives. Elle prĂ©tendait envahir et dĂ©vaster la Charte mĂȘme, au nom de laquelle le peuple avait pris les armes et vaincu. Le cĂŽtĂ© gauche voulut qu’elle fĂ»t revisĂ©e, et cette concession fut consentie. Dans l’intĂ©rĂȘt du rĂ©gime nouveau, la faute Ă©tait immense. C’était un coup de hache Ă  son support unique, un dĂ©menti Ă  son unique programme , le dĂ©saveu de son seul titre. Par l’esprit qui prĂ©sida aux changements, ce devait ĂȘtre l’abandon de tous les moyens de gouvernement, de toutes les conditions d’ascendant et d’autoritĂ© indispensables chez les Français. On aurait compris une dĂ©claration solennelle fixant le sens de l’article 14, et rouvrant Ă  toutes les amĂ©liorations ultĂ©rieures l’article fermĂ© qui immobilisait le corps Ă©lectoral dans les 300 francs d’impĂŽt. Au heu de cela, on remit sur le chantier la Charte entiĂšre. Dans toute cette bourrasque, on ne vit que l’HĂŽtel-de-Ville, les cris, les armes, les tempĂȘtes; on ne pensa qu’à Paris et au jour qui s’écoulait, point Ă  la France et au lendemain! Cette malheureuse France subissait le destin de la Pologne, oĂč, Ă  chaque renouvellement de souverain, le prince Ă©lu avait hĂąte d’accepter tous les changements proposĂ©s aux pacia conventa , pour mettre 16 LIVRE TROISIÈME. 24 2 un terme plus prompt aux vicissitudes de l’interrĂšgne ; et, de cette sorte, il Ă©tait roi plutĂŽt; mais il l’était moins toute sa vie. C’est par lĂ  que la Pologne a pĂ©ri! La Chambre des dĂ©putĂ©s, en cĂ©dant sur le le fond, s’attacha, cette fois encore , Ă  sauver la forme , Ă  marquer que, si elle touchait Ă  la Charte, elle entendait, non la dĂ©truire, non la refaire, mais seulement la perfectionner, la consacrer. Il fut expressĂ©ment dĂ©clarĂ© que cette Charte auguste n’était pas en question on ne vota que sur les articles nouveaux ; elle restait c’est son titre lĂ©gal la Charte constitutionnelle de 1814. Les changements ne semblĂšrent que des libertĂ©s, c’est-Ă -dire en apparence des droits, des bienfaits; en rĂ©alitĂ© c’étaient des affaiblissements. Il n’y avait nul dessein d’entamer aucune des garanties de l’ordre. Ce fut sans s’en apercevoir qu’on les infirma toutes. L’esprit de faction ne s’y trompa point. La Charte se trouva, comme la royautĂ©, contemporaine de la rĂ©volution ; elle devenait une consĂ©quence de juillet comme on parlait alors, l’ouvrage des mains qui Ă©taient encore noires de poudre et frĂ©missantes des joies du combat et des attentes de la victoire. A ces conditions, il ne fallait pas qu’elle comptĂąt sur des respects. RĂšgle universelle et invariable. Les hommes ne respectent que ce qu’ils n’ont pas fait, que ce qui est plus LA RÉVOLUTION DE l83o, ^43 ancien qu’eux-mĂšmes. On ne leur semble supĂ©rieur Ă  eux, qu’à la condition de leur ĂȘtre antĂ©rieur. Il faut le dire, la peur rĂ©gnait. Car c’est lĂ  toujours le moyen de persuation du parti rĂ©volutionnaire. Le parti constitutionnel ne comprit pas sa force il oublia la France. S’il eĂ»t tenu bon dans l’enceinte sacrĂ©e de la Charte et de la monarchie une seule fois, les rĂ©volutionnaires de Paris eussent Ă©tĂ© contraints de flĂ©chir, ou bien d’arborer le bonnet rouge. La nation n’était pas prĂ©parĂ©e Ă  cette insolence. Elle se fĂ»t levĂ©e toute entiĂšre pour la punir. À la vĂ©ritĂ©, Dieu seul peut savoir aprĂšs quels dĂ©sastres, et au prix de quels flots de sang ! C’était un prix redoutable on espĂ©ra ainsi n’avoir point Ă  le payer. Pendant ce travail de dĂ©molition par lequel on croyait sĂ©rieusement reconstruire, le gouvernement rĂ©publicain de l’HĂŽtel-de-Ville, assoupi depuis quelques jours dans son abdication forcĂ©e, ou rĂ©duit Ă  de simples nĂ©gociations, se rĂ©veilla. 11 se rĂ©veilla sous une forme nouvelle qu’il allait dĂ©sormais garder pour tenir en Ă©chec le gouvernement officiel, celle de l’émeute, Sosie incomplet de la grande semaine, ayant les mĂȘmes colĂšres contre les lois que la grande semaine pour les lois, montrant Ă©galement des pavĂ©s Ă  ses adversaires, mais, grĂące Ă  Dieu, ne ralliant plus la citĂ© entiĂšre, et ne faisant que rendre visibles Ă  tous les yeux les maux auxquels la France s’efforcait d’échapper. LIVRE TROISIÈME. 244 L’émeute, Ă  dater de ce jour, prĂ©tendit intervenir comme pouvoir, et pouvoir prĂ©pondĂ©rant, dans le vote des lois. C’était une branche nouvelle, une pousse spontanĂ©e de la puissance lĂ©gislative, qui se produisait audacieusement, comme entĂ©e sur les barricades. Il lui fallut un grand lambeau de sa monarchie rĂ©publicaine. N’ayant pu nous apprendre Ă  nous passer de royautĂ©, la RĂ©publique voulut nous contraindre Ă  nous passer de pairie. Le prĂ©sent lui Ă©chappait ; elle mit la main sur l’avenir. M. Armand Marrast, dans ses Documents historiques , rend le service de raconter comment, le samedi 7 aoĂ»t, Ă  trois heures de l’aprĂšs-midi, se rĂ©unirent sur la place de l’OdĂ©on quelques centaines d’étudiants, sĂ©nateurs imberbes qui ne se donnĂšrent pas la peine de dĂ©libĂ©rer sur la question de l’hĂ©rĂ©ditĂ©, mais qui la tranchĂšrent! Ils marchĂšrent sur le Palais-Bourbon ; la Chambre eut peur... Voyez quelle gloire pour notre patrie ! c’est la peur qui fixe la nature du pouvoir destinĂ© Ă  faire Ă©quilibre Ă  la dĂ©mocratie ou Ă  la royautĂ©, et peut-ĂȘtre aucun de ces lĂ©gislateurs improvisĂ©s n’était-il majeur ! Les Documents historiques nous apprennent encore ce fait curieux, que, prĂ©venu Ă  l’avance du tumulte, le chef de la garde nationale, M. de La- fayette, dans sa confiance sĂ©culaire, n’avait pris aucune prĂ©caution pour dĂ©fendre l’ordre public LA RÉVOLUTION DE l83o. 2/j5 et la Chambre qui dĂ©libĂ©rait, parce qu’il obtint de l’émeute sa parole d’honneur de ne pas bouger. Il faut avouer que la Cliarte fut malheureusement gardĂ©e par l’illustre gĂ©nĂ©ral. Sans doute, on louera l’émeute d’avoir Ă©tĂ© honnĂȘte, de s’ĂȘtre arrĂȘtĂ©e devant les reprĂ©sentations du grand citoyen , de n’avoir point pĂ©nĂ©trĂ© dans l’enceinte lĂ©gislative qui Ă©tait ouverte, point violĂ© l’inviolable pouvoir. C’est une erreur elle l’a fait. Elle pĂ©nĂ©tra dans l’enceinte sacrĂ©e; elle la dĂ©vasta. Car sa pensĂ©e, sa politique, son attache mortelle envahirent l’article 23 de la Charte, qui fut dĂ©clarĂ© passible, dans le courant d’une annĂ©e, d’un nouvel examen, et la pairie devait un an aprĂšs succomber sous le coup. On sait bien que cette dĂ©claration n’était qu’une cote mal taillĂ©e, un mezzo termine , un atermoiement, comme tout ce qui se fit alors. On l’adopta pour faire face Ă  une difficultĂ© du quart-d’heure aux dĂ©pens de l’avenir. Tout le monde vit une simple formalitĂ© dans la rĂ©vision ultĂ©rieure qui Ă©tait annoncĂ©e. On imagina que dans un an l’émeute aurait lĂąchĂ© prise ; et, comme il s’agissait, dans cet instant, Ă  la Chambre, de soumettre Ă  des formes particuliĂšres d’examen la prĂ©rogative royale des nominations illimitĂ©es de pairs, on jugea sans inconvĂ©nient d’étendre Ă  l’article tout entier sur la pairie, la disposition projetĂ©e. Ce ne fut autre chose Ă  vrai dire qu’un LIVRE TROISIÈME. 246 moyen de police, une maniĂšre de supplĂ©er aux patrouilles omises par le gĂ©nĂ©ral Lafayette. Grande leçon aux dĂ©positaires des destinĂ©es publiques ! Il est des points sur lesquels nul n’a le droit de faiblir un jour. Frapper de provisoire une des colonnes de l’état social, c’est l’ébranler tout entier. La monarchie, il y a quarante ans, ne pĂ©rit pas non plus par l’ébranlement du 6 octobre ; ce ne fut que trois ans aprĂšs. Personne alors ne rĂ©flĂ©chit aux consĂ©quences de ce facile abandon de la premiĂšre des institutions auxquelles s’appuyait la monarchie constitutionnelle; on ne vit que l’ordre rĂ©tabli dans les carrefours. Dans la prĂ©vention publique, les innovations apportĂ©es au pacte constitutionnel continuĂšrent d’ĂȘtre accueillies comme autant de conquĂȘtes. La grande atteinte au passĂ© de la patrie et Ă  sa loi fondamentale sembla une garantie d’avenir. Ce fut avec une confiance infinie dans la protection divine que les deux chambres, le 9 aoĂ»t, dĂ©clarĂšrent ce changement de rĂšgne, de branche, de charte, de drapeau, de maximes. Le prince lieutenant - gĂ©nĂ©ral du royaume monta l’unique degrĂ© qui le sĂ©parĂąt du trĂŽne; le cri de Vive le roi! enfoui depuis quinze jours dans les entrailles de la terre , se fit entendre de nouveau, et la plus grande diffĂ©rence cjui apparut Ă  toute cette France Ă©tourdie et charmĂ©e de ses combats, de ses dangers, de sa force , de sa sagesse c’est que le cri LA RÉVOLUTION DE I 83o. iLfj de Vive la reine! pour la premiĂšre fois aprĂšs qua- ranle ans, put se joindre Ă  celui de Vive le roi! L’un et l’autre retentirent, comme le cri sauveur, d’un bout du royaume Ă  l’autre. Toutes les passions contraires se soumirent sans obstacle. Les demeurants de l’empire et les soupirants de la rĂ©publique se pressĂšrent, dans les premiers moments, comme le parti constitutionnel, sur toutes les avenues du trĂŽne nouveau. Le parti royaliste seul se tint Ă  l’écart, ce qui parut un triomphe et fut prĂšs de paraĂźtre une force, d’autant plus que ne faisant pas concurrence sous les lambris du Palais-Royal, les royalistes semblĂšrent, parmi beaucoup de fermes et loyales dĂ©missions, adhĂ©rer, sur les bancs du Luxembourg et du Palais Bourbon. On vit, en effet, les serviteurs, les amis personnels des princes frappĂ©s par le sort, les chefs de l’émigration de 1789, baisser la tĂȘte sous la loi d’une nĂ©cessitĂ© qui semblait irrĂ©vocable. On les entendit, par la bouche notamment du duc de Fitz-James, dans un noble et touchant langage, attester leur rĂ©solution d’éviter Ă  tout risque les dĂ©sordres, d’immoler Ă  tout prix leurs affections brisĂ©es au besoin de ne point diviser le sein de sa patrie. Tandis que les voĂ»tes des deux Chambres retentissaient de ces dĂ©clarations, Charles X, ses enfants et son petit-fils, trois gĂ©nĂ©rations de rois, s’éloignĂšrent Ă  pas lents, noblement, dignement, des palais, du trĂŽne et de la 248 LIVRE TROISIÈME. terre de leurs aĂŻeux. Un vaisseau amĂ©ricain attendait tout ce qui restait du sang de Louis XVI. Il leva l’ancre sans effort, sous ce faix de la lĂ©gitimitĂ© arrachĂ©e de ses fondements, et poussĂ©e par les vagues vers une terre d’exil. En un mot, l’ordre, l’ordre extĂ©rieur, rĂ©gna, ce qui ne s’était pas vu encore et ce qui charma les Français, dans la chute d’un trĂŽne. Le cours de nos longues prospĂ©ritĂ©s ne sembla mĂȘme pas interrompu. On avait vu des changements de ministĂšres qui s’étaient fait sentir Ă  la bourse plus que ce changement de Charte, de drapeau et de royautĂ©. Tout le monde crut que la rĂ©volution Ă©tait recommençait ! CHAPITRE III. MOBILES DE LA RÉVOLUTION. Telle fut la rĂ©volution de 1830. Elle sembla presque en mĂȘme temps conçue, faite et close. La France mit moins de temps Ă  la faire ou Ă  la laisser faire, que nous Ă  la raconter, parce que nous essayons d’en faire comprendre le sens et la portĂ©e. Et nous disons la rĂ©volution; car nous ne sommes pas de ceux qui n’y voient qu’un Ă©vĂ©nement. De quel nom assez grand appeler le renversement du principe fondamental delĂ  monarchie, de celui sur lequel reposait l’ordre constitutionnel lui-mĂȘme, de celui dont l’infraction , alors mĂȘme qu’elle Ă©tait consacrĂ©e sans secousse, allait laisser, au sein de la sociĂ©tĂ© entiĂšre, un mystĂ©rieux et long malaise? L’Angleterre appelle la mĂȘme catastrophe sa glorieuse rĂ©volution. Il faut mĂȘme le dire ce qui assura en grande partie cette rĂ©volution soudaine , ce fut l’histoire d’Angleterre. C’était un dĂ©noĂ»ment tout fait; les imaginations y Ă©taient dĂšs longtemps prĂ©parĂ©es par les rapprochements plus ou moins fidĂšles que SÔO LIVRE TROISIÈME. la polĂ©mique multipliait chaque jour depuis seize annĂ©es. Il semblait que ce fĂ»t une dette de la rĂ©volution française envers sa sƓur aĂźnĂ©e, delĂ  calquer jusqu’au bout. Plusieurs pensĂ©es se rĂ©unirent pour dĂ©terminer cette subversion du droit public sur lequel la France reposait depuis mille ans. Il y eut concession rĂ©flĂ©chie au gĂ©nie du dĂ©sordre qui s’agitait, apprĂ©hension de pĂ©rils nouveaux , espoir d’opposer dĂ©sormais Ă  l’anarchie le rempart d’un trĂŽne plus solide, pensait-on, que celui qui tombait faute d’avoir eu le point d’appui des intĂ©rĂȘts nouveaux en mĂȘme temps que le point d’appui des siĂšcles. Il y avait aussi, et peut-ĂȘtre fĂ»t-ce le sentiment qui domina, il y avait rĂ©solution de mettre l’avenir Ă  l’abri de rĂ©actions et d’entreprises funestes comme celle dont on venait de porter le poids , prĂ©caution contre l’esprit qui avait dictĂ© les ordonnances fatales, parti pris d’assurer enfin Ă  la France nouvelle cette sĂ©curitĂ© qui n’avait Ă©tĂ© que trop vainement cherchĂ©e jusqu’alors sous la foule des rĂ©gimes prĂ©cĂ©dents, et qui Ă©tait Tunique bien dont la restauration eĂ»t Ă©tĂ© avare. On ne vit pas que les pĂ©rils qui venaient d’attrister la France constitutionnelle, avaient Ă©tĂ© Ă©cartĂ©s Ă  toujours par son triomphe; que la Charte aurait Ă©tĂ© dĂ©sormais, non plus un octroi de la couronne, mais la conquĂȘte et le patrimoine de la France; que la sĂ©curitĂ© qu’on voulait s’assurer d’un cĂŽtĂ© JA RÉVOLUTION DE l83o. 25 1 de l’horizon, manquerait au contraire de l’autre; que l’esprit rĂ©volutionnaire, amorcĂ© en quelque sorte et irritĂ© par cette satisfaction , deviendrait la terreur et la calamitĂ© permanente de l’avenir. On copiale modĂšle fourni par l’histoire, sans songer que profondĂ©ment dĂ©mocratiques, nous ne pouvions pas impunĂ©ment nous jouer, comme les Anglais, avec un Ă©lĂ©ment d’ordre, quand nous n’en possĂ©dions plus, pour parler exactement, qu’un seul 1. Mais aussi, il faut ĂȘtre sincĂšres ces rĂ©flexions, combien y eut-il d’esprits qui les firent alors? La disposition gĂ©nĂ©rale Ă©taitde ne voir qu’une grande faute, un grand chĂątiment, de grands dangers. 1 Pendant que ces pages Ă©taient rĂ©imprimĂ©es aoĂ»t 1849, l’apprĂ©ciation que l’auteur y avait tracĂ©e, dĂšs 1831, de la rĂ©volution du 9 aoĂ»t 1830, recevait deux sanctions Ă©clatantes, l’une dans le livre de M. Dunoyer, ancien collaborateur du Censeur EuropĂ©en , sur la rĂ©volution de 1848 ; l’autre dans une lettre de M. Madier Montjeau, l’un des 221, qui va jusqu’à s’exprimer ainsi Tout Ă©tait juste et grand dans le combat pour la Charte. Nous devĂźnmes criminels jusqu’à la dĂ©mence dans le refus d’accepter l’abdication expiatoire de Charles X. » Dans ce que nous avons prĂ©fĂ©rĂ©, tout Ă©tait malaisĂ©... impossible; dans ce que nous avons refusĂ©, tout Ă©tait facile, noble, durable. » Si la magnifique famille d’OrlĂ©ans n’avait Ă©tĂ© contrainte par nous qu’à un concours lĂ©gal, elle nous eĂ»t apportĂ© des forces immenses... Maintenant que je vois tous ces princes inutiles Ă  leur pays, tous bannis, tous courbĂ©s sous le mĂȘme malheur immĂ©ritĂ© pour tous, je maudis l’aveuglement de ce vote lamentable qui m’a rendu aussi fatal Ă  deux races royales qu’à mon pays. LIVRE TROISIÈME. 2$2 Rappelons-nous l’état de l’opinion, la situation violente de la capitale, ce sang qui fumait encore, ces barricades partout dressĂ©es, qui accusaient un dĂ©sordre immense et son origine royale, ce peuple armĂ© qui gardait, demi-nu, nos palais et nos trĂ©sors, dont on admirait la vertu, en se demandant si elle Ă©tait immortelle ; et n’oublions pas deux choses c’est que l’anarchie, Ă  Paris , risquait de devenir l’anarchie d’une grande partie delaFrance; que la monarchie lĂ©gitime, au contraire , ne pouvait pas ĂȘtre constituĂ©e dans la capitale incandescente et exaspĂ©rĂ©e comme elle l’était. Si elle pouvait vivre, c’était Ă  Saint-Cloud et dans les provinces elle ne tenta rien nulle part. Pour expliquer Ă  la fois et Saint-Cloud et Paris, il faut avoir prĂ©sent Ă  l’esprit ce dĂ©laissement universel du prince qui avait lancĂ© le foudre du coup d’Etat, cette conviction gĂ©nĂ©rale d’une sentence sans appel, cette solitude croissant autour de lui de seconde en seconde. Nous avons dit le dĂ©sert avant les ordonnances ; mais alors il trompait encore par le mirage inĂ©vitable de la puissance , et maintenant on le touchait au doigt et Ă  l’Ɠil ; il Ă©tait morne, terrible. Tout le monde savait qu’il n’était plus question que de dĂ©part et de retraite. On connaĂźt quelqu’un qui pensa que les princes n’étaient pas hors la loi commune, qui veut qu’on prenne congĂ© de ceux qu’atteint le malhĂ©ur et qui partent pour de douloureux voya- LA. RÉVOLUTION DE l83o. 203 ‱ges. Ce n’était encore que le samedi 31 juillet. Il se heurta contre les plus grands noms de la monarchie , de la cour, de la VendĂ©e, qui revenaient. Il ne rencontra personne occupĂ© Ă  affronter ce soleil dĂ©vorant et ces infortunes, ces fautes plus dĂ©vorantes encore. Lui-mĂȘme s’arrĂȘta, aprĂšs avoir frappĂ© Ă  la porte de Saint-Cloud et de Trianon , en n’y trouvant que des escadrons de la garde royale dĂ©bandĂ©s et le drapeau tricolore. Personne, Ă  Versailles, ne lui annonça la halte de Rambouillet; personne ne la supposait. La prĂ©occupation universelle des esprits Ă©tait la peur de l’anarchie et des vengeances dont elle serait accompagnĂ©e , de la rĂ©action sanglante Ă  laquelle elle servirait d’instrument. Quels intĂ©rĂȘts eussent Ă©tĂ© immolĂ©s d’abord, quelles tĂȘtes prises les premiĂšres, comment le mĂ©connaĂźtre? La haine contre le royaliste et le prĂȘtre courait dans les veines gonflĂ©es des masses avec une vraie furie. Qui oserait dire que sans ce calque de la rĂ©volution d’Angleterre, nous n’aurions pas eu la contre- Ă©preuve de la nĂŽtre? La halte du gouvernement de 1830 aura servi Ă  rĂ©concilier le noble et l’ecclĂ©siastique avec le citadin, Ă  faire tomber toutes les fureurs, Ă  remettre ensemble et Ă  rĂ©unir, s’il se peut, tous les Français. On peut interroger les monuments, qui restent, de l’opinion qui passe. Relisons les journaux royalistes , quand ils reparurent ; car on ne sait s’ils LIVRE TROISIÈME. 254 reparaissaient dĂ©jĂ . Comparons le langage qu’ils tenaient alors avec celui qu’ils parlent aujourd’hui , aprĂšs vingt mois, et gardons-nous d’une grande injustice c’est de juger le passĂ© avec le calme facile du prĂ©sent; c’est d’accuser un Ă©vĂ©nement accompli et un gouvernement instituĂ© , avec la sĂ»retĂ© personnelle , la libertĂ© lĂ©gale et le repos d’esprit qu’ils nous, ont donnĂ©s. Si l’on veut se rendre compte des sensations dont tous les esprits Ă©taient frappĂ©s alors, il y a quelque chose de bien simple , c’est de revoir le discours que M. le vicomte de Chateaubriant prononça , au sein de la Chambre des pairs, en y dĂ©fendant seul la lĂ©gitimitĂ© discours, d’une Ă©loquence si prodigue de louanges pour la victoire de Paris; si propice, par l’ascendant de sa modĂ©ration, Ă  la royautĂ© nouvelle quedĂ©clinait pour son compte l’illustre orateur; si Ă©crasante, par la grandeur de ses reproches , pour cette autre royautĂ©, sĂ©culaire et fugitive, dont il se dĂ©vouait Ă  dĂ©fendre le principe, et que son gĂ©nie abĂźmait sans merci sous le poids de sa colĂšre,’ comme avait fait le peuple, apparemment pour la secourir de plus haut! On ne saurait redire aujourd’hui, de sang- froid , ces pages Ă©crites dans le feu du combat et de la douleur. Bornons-nous Ă  transcrire des paroles qui attestent bien le point de vue sous lequel s’offrait aux Ăąmes fidĂšles l’avenir ouvert Ă  la France. LA RÉVOLUTION UH l83o. 255 Loin de moi, s’écriait l’illustre pair, de jeter » des semences de division dans la France; et » c’est pourquoi j’ai refusĂ© Ă  mon discours l’ac- » cent des passions. Si j’avais le droit de disposer » d’une couronne, je la mettrais volontiers aux j pieds de monseigneur le duc d’OrlĂ©ans ; mais » je ne vois de vacant qu’un tombeau Ă  Sairit- » Denis , et non pas un trĂŽne. » Quelles que soient les destinĂ©es qui attendent » M. le lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume , je ne se- » rai jamais son ennemi tant qu’il fera le bonheur » de ma patrie. Je ne demande qu’à conserver la » libertĂ© de ma conscience, et le droit d’aller » mourir oĂč je trouverai indĂ©pendance et re- » pos. » Quelques jours aprĂšs, un journal, qui ne fut par dĂ©menti, se dĂ©clara autorisĂ© Ă  rĂ©vĂ©ler que, » loin de chercher Ă  isoler, par l’influence de son » nom et de son exemple, un pouvoir qui s’éle- » vait si heureusement pour nos destinĂ©es, l’il- » lustre pair ne se servait de cette influence que » pour prĂȘcher l’obĂ©issance et l’union. » Qu’on ne le conteste donc pas le sentiment universel, dans le principe, fut d’accepter la royautĂ© nouvelle comme un port dans la tempĂȘte. Ce sentiment Ă©clata jusque dans le langage de ceux des serviteurs du trĂŽne qui s’éloignĂšrent sans retour des nouveaux pouvoirs pour ne point passer sous de nouveaux serments il serait injuste et a56 LIVRE TROISIÈME. ingrat de nier aujourd’hui ce qu’on Ă©prouvait alors. Mais aussi, si bien des dispositions personnelles ont changĂ© depuis, si les dissidences se sont grossies et exaspĂ©rĂ©es, si, contre l’usage de la puissance , la monarchie de 1830 a perdu avec le temps plutĂŽt que fait des conquĂȘtes, Ă  qui la faute? AssurĂ©ment, il y a eu, de son cĂŽtĂ©, des torts; il y a eu des engagements faussĂ©s, des espoirs déçus, des intĂ©rĂȘts menacĂ©s. Quels sont- ils ? On ne peut penser que l’ancienne monarchie fĂ»t tombĂ©e sans dĂ©fense, que ses amis, que ses serviteurs, que son armĂ©e , que la France mĂȘme eussent passĂ© sans condition sous des lois nouvelles. La France ne se serait pas rendue Ă  merci aux combattants de FHĂŽtel-de-Ville, ni mĂȘme aux soixante lĂ©gislateurs du Palais-Bourbon. Rechercher une fois et fixer enfin la nature de la rĂ©volution de 1830, se rendre compte de la mission qu’elle annonça hautement et des limites qu’elle se posa elle-mĂȘme, voilĂ  les questions qu’il importe de rĂ©soudre, puisque lĂ  rĂ©side le contrat qui a Ă©tĂ© consenti par la France, qui constitue le code des vĂ©ritables promesses de juillet, et qui nous autorise, chacun et tous, Ă  rechercher si elles sont tenues. Nous disons Ă  notre tour, comme le parti rĂ©volutionnaire qui invoque ce nom sans cesse les LA RÉVOLUTION DE l83o. 2$'] promesses de juillet ! Car c’est un point sur lequel il Ă©tait besoin de s’expliquer enfin. On a parlĂ© Ă©ternellement de l’HĂŽtel-de-Ville, et peu de la France ; on a parlĂ© des promesses faites aux combattants des barricades et Ă  ceux qui se sont, depuis le triomphe, dĂ©clarĂ©s leurs chefs. Il est temps de parler de ces trente millions d’ñmes qui n’auraient pas indiffĂ©remment acceptĂ© toutes les victoires. Or, leur acceptation pouvait seule donner Ă  l’ordre nouveau, quel qu’il fĂ»t, sanction et force, paix dans le prĂ©sent et sĂ©curitĂ© dans l’avenir. 17 CHAPITRE IV. PROMESSES VÉRITABLES DE JUILLET. L’ORDRE ET LA PAIX. La rĂ©volution de 1830, Ă  son origine, eut le mĂ©rite de s’effrayer d’elle-mĂȘme. Son premier sentiment fut de redouter l’invasion de l’esprit rĂ©volutionnaire ; son premier besoin, de prendre des sĂ»retĂ©s contre les entraĂźnements subversifs ; son premier acte, de s’enchaĂźner par les liens d’un pacte fondamental qui sauvĂąt le pays, non- seulement de tout Ă©branlement, mais aussi de toute alarme. C’est lĂ  son caractĂšre natif, celui qui la distingue de la plupart des rĂ©volutions passĂ©es. Le peuple armĂ©, ce peuple dont on a tant de fois usurpĂ© le nom, dont on devrait respecter les vƓux et les exemples, le peuple eut hĂąte d’abdiquer aux mains des reprĂ©sentants lĂ©gitimes du pays, comme ceux-ci aux mains du prince qu’ils destinaient Ă  la couronne. Le 9 aoĂ»t, il fut dit que l’ordre constitutionnel recommençait son cours ; on pourrait mĂȘme prĂ©tendre qu’il LA IUÉVOLUTIOM' de i83o. a5g n’avait pas Ă©tĂ© interrompu car pas un acte ne s’était accompli, si ce n’est sous la sanction des trois pouvoirs. On pourrait aller plus loin, et dire que le gouvernement nouveau n’était, dans la pensĂ©e de tout le monde, que la restauration possible, lĂ©galement continuĂ©e. Autrement, pourquoi et de quel droit poursuivre devant la justice les ministres coupables d’avoir attaquĂ© une Charte et un gouvernement qui auraient Ă©tĂ© par 1 vous-mĂȘmes condamnĂ©s et abattus ? Le programme de l’avenir fut tout entier dans cette premiĂšre parole du lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume, si rĂ©pĂ©tĂ©e longtemps dans les discours, les adresses, les toasts, les transparents, qu’elle sembla recevoir de la voix du peuple une sanction souveraine La Charte sera dĂ©sormais une vĂ©ritĂ©. » Malheureusement, le mot avait Ă©tĂ© dĂ©menti aussitĂŽt que prononcĂ©, puisqu’on avait consenti Ă  reviser la Charte, c’est-Ă -dire Ă  la mutiler, Ă  l’infirmer. Elle n’était plus la vĂ©ritĂ© ! Relisez toutes les proclamations de toutes les autoritĂ©s d’alors, les actes signĂ©s Mauguin, Laffitte, Lafayette, les documents Ă©manĂ©s de la commission municipale aussi bien que du Palais- Bourbon vous ne verrez pas un vƓu destructeur. Au milieu de toutes les nomenclatures de changements dĂ©sirĂ©s, dans lesquelles se complaisent le gĂ©nĂ©ral Lafayette et les premiĂšres rĂ©unions de 2ÔO LIVRE TROISIEME. dĂ©putĂ©s, il est fort question de l’établissement de lois municipales ou d’abolition de la censure, point d’abolition de la pairie. La prĂ©occupation commune, la prĂ©occupation constante qui y Ă©clate Ă  toutes les lignes , est le rĂ©tablissement de la stabilitĂ© des lois. L’ordre y est plus souvent invoquĂ© que la libertĂ©. Vous y verrez partout redouter et proscrire les rĂ©volutions et la guerre ; vous ne verrez promettre nulle part ces deux flĂ©aux. Pourquoi ? parce qu’il y eut deux choses qui devaient ĂȘtre et qui Ă©taient Ă©galement dĂ©sirables aux chefs de la rĂ©volution, deux choses qui pouvaient seules la propager rapidement et l’affermir c’étaient l’ordre et la paix. Aussi est-ce l’ordre et la paix qu’ils ont hĂąte d’anuoncer Ă  la France. La paix ! Nous en parlons d’abord, parce que ce fut d’abord Ă  quoi la rĂ©volution songea. Elle n’eut garde d’aller se ruer, comme on l’a vu plus tard, sur l’hĂŽtel des ambassadeurs oubliĂ©s Ă  Paris par la cour. Elle ne proclama point que la guerre des trois journĂ©es eĂ»t Ă©tĂ© faite Ă  l’Europe ; que la victoire des barricades eĂ»t rompu les pactes qui nous liaient au monde ; que l’élan qui avait emportĂ© les Parisiens de l’HĂŽtel-de-Ville sur les Tuileries, eĂ»t la vertu de reporter les drapeaux de la France sur cette frontiĂšre du Rhin, si dĂ©plorable- ment perdue parle gĂ©nie dĂ©vorant de l’empire! LA RÉVOLUTION DE l83o. 2ÔI Point. Les premiers soins se tournĂšrent Ă  nouer avec le corps diplomatique des relations amies, et Ă  le convaincre du bon droit de la rĂ©volution. On euthĂąte d’instruire lord Wellington 1 de ce qui se prĂ©parait, d’avoir ses promesses de reconnaissance immĂ©diate. Et tous les pouvoirs abondaient dans celte politique. La dĂ©putation qui, le vendredi 30, avait portĂ© Ă  M. le duc d’OrlĂ©ans le titre de lieu- tenant-gĂ©nĂ©ral du royaume, redit Ă  la Chambre que le prince l’acceptait, afin d’éviter et la guerre civile et la guerre Ă©trangĂšre. Ce sont les premiers linĂ©aments du contrat dressĂ© alors. Tout le monde applaudit. Nul des chefs du parti ne s’avisa de dĂ©clarer qu’il voulĂ»t, pour son compte, la guerre Ă©trangĂšre, non plus que la civile. Le dimanche matin , les journaux du gouvernement publiĂšrent que les ambassadeurs avaient donnĂ© les assurances les plus pacifiques. Cette fois encore, personne ne rĂ©clama. En ouvrant, le surlendemain 3 aoĂ»t, la session rĂ©guliĂšre et lĂ©gale des deux Chambres, telle que l’avait commandĂ©e le Roi Charles X, le lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume s exprima ainsi dans son discours du trĂŽne La France montrera, dit-il, Ă  l’Europe qu’elle » chĂ©rit la paix aussi bien que la libertĂ©, et no {1 . Alors chef .du cabinet Britannique. 2Ô2 LIVRE TROISIÈME. » veut que le bonheur et le repos de ses voĂź- » sins. » Ce fut en rĂ©ponse Ă  ce langage que les deux Chambres, au lieu d’adresses, firent Ă  Louis-Philippe la proposition de la couronne. Le jour oĂč ce prince la ceignit, il compta, parmi les espĂ©rances qu’il voyait briller sur la France, la paix de plus en plus affermie. Et, cette fois encore, personne n’imagina de faire des rĂ©serves ou des objections, de revendiquer la propagande, de se dire chargĂ© d’en haut de donner notre libertĂ© et notre dĂ©mocratie Ă  l’univers, de mettre enfin en avant toutes les folies que nous avons vues et entendues depuis vingt mois. Qu’on se rappelle l’accord de toutes les autoritĂ©s Ă  rĂ©pĂ©ter les dĂ©clarations pacifiques du trĂŽne ; qu’on se rappelle l’applaudissement public avec lequel le gouvernement nouveau envoya, du milieu des barricades, d’illustres citoyens dans les cours Ă©trangĂšres, apparemment afin de notifier autre chose que des hostilitĂ©s ; qu’on se rappelle la joie que ressentaient nos citĂ©s, que nos journaux de toutes les opinions exprimĂšrent Ă  l’envi, au sujet de ces reconnaissances empressĂ©es des couronnes, qui apprirent Ă  la France qu’elle pourrait se livrer en paix au soin d’affermir ses institutions plutĂŽt que d’avoir Ă  les dĂ©fendre; qu’on n’oublie pas les transports dont Ă©taient saluĂ©s, dans les LA. RÉVOLUTION DE l83Ă». 203 théùtres, les bulletins, qu’on avait soin d’y envoyer, de ces victoires de la sagesse sur les prĂ©ventions des cours ; et qu’on dise la surprise douloureuse que tout le monde aurait Ă©prouvĂ©e, si l’Europe avait posĂ© la doctrine que les principes Ă©taient contraires, que tous les traitĂ©s Ă©taient anĂ©antis et tous les liens rompus! La rĂ©volution de 1830, comme NapolĂ©on aux Cent-Jours, entendit donc accepter, de la restauration, son plus douloureux hĂ©ritage, ces traitĂ©s qu’elle n’avait fait que souscrire, que d’autres que les Bourbons avaient appesantis sur la France comme une nĂ©cessitĂ© de fer. La rĂ©volution de 1830 dĂ»t agir ainsi. Paris, en se levant en armes, avait-il entendu reconquĂ©rir des provinces, ou bien des droits ? Et si ces droits Ă©taient chers Ă  la France, pense-t-on qu’elle y tĂźnt, pour faire des essais nouveaux et tendre Ă  un but douteux, Ă  un but, suivant les thĂ©ories diverses, perdu dans des nuages ou cachĂ© sous des ruines ? Non ! non ! il n’y eut d’abord qu’une façon de sentir, dans les camps divers que la rĂ©volution rallia sous ses drapeaux. La nation s’était Ă©mue uniquement pour reconquĂ©rir le gouvernement reprĂ©sentatif sur le coup d’Etat qui le renversait la preuve, c’est le nom de cette Charte invoquĂ© dans le combat , invoquĂ© encore aprĂšs la victoire. Si donc, la Charte reconquise, les grands pouvoirs poussĂšrent la victoire plus loin que le peuple mĂȘme, ce LIVRE TROISIÈME. 264 11e fut que dans l’espoir d’acheter, Ă  un prix toujours trĂšs-cher, celui d’une rĂ©volution, un bien, dont aprĂšs tant d’orages la France entiĂšre Ă©tait avide, c’est-Ă -dire la possession tranquille dĂ©sormais et incontestĂ©e des institutions, la confiance dans leur avenir, et, pour tout exprimer en un mot, le repos dans la libertĂ©. CHAPITRE V. SUITE DES PROMESSES VÉRITABLES DE JUILLET. LA CHARTE ET LA ROYAUTÉ. Au dedans, l’ordre conserva ses deux grandes garanties , la Charte et la royautĂ©. Avant tout, la royautĂ© fut maintenue au faĂźte de l’Etat; elle fut maintenue avec ses deux attributs nĂ©cessaires ; elle resta hĂ©rĂ©ditaire et inviolable ; elle le resta du moins en principe. Or, la royautĂ© est l’ordre placĂ© sous la garantie des siĂšcles. La Constitution politique de la France ne fut changĂ©e qu’en un point; c’est qu’on fit passer dans la Charte toutes les modifications secondaires que l’opposition avait accoutumĂ© les esprits Ă  regarder comme des perfectionnements du systĂšme reprĂ©sentatif. Du reste, il fut entendu que la mĂȘme loi continuait Ă  rĂ©gner entre les citoyens, la mĂȘme transaction entre les partis, le mĂȘme Ă©quilibre entre les pouvoirs, avec des libertĂ©s plus Ă©tendues ; et les libertĂ©s sont un patrimoine commun Ă  tous les Français. Mais, dĂ©placer les bases de la libertĂ© publique, livrer la puissance Ă  des classes ^66 LIVRE TROISIÈME. nouvelles, dĂ©shĂ©riter celles qui en Ă©taient investies, toutes ces entreprises de l’AssemblĂ©e constituante ne vinrent Ă  l’esprit de personne. Tous les pouvoirs restĂšrent au poste oĂč la lĂ©gislation antĂ©rieure les avait fixĂ©s. La Chambre des dĂ©putĂ©s n’eut pas un moment la pensĂ©e de se croire seule investie de ce pouvoir constituant dans lequel venait s’engloutir Charles X; elle n’imagina point de ramasser cette omnipotence fatale, parmi les ruines de la monarchie, au pied des barricades; elle ne s’avisa pas de lire sur ces barricades fumantes un article 14 Ă  son propre usage. Les formes lĂ©gales ne furent pas interrompues un jour non-seulement la lettre des lois, celle mĂȘme des rĂšglements, resta strictement observĂ©e. En parlant de la Charte qui le faisait roi, Louis - Philippe, au jour de son avĂšnement, marqua bien le caractĂšre de contrat que ce grand acte devait avoir, en disant a Les sages modifications que nous venons d’ap- » porter Ă  la Charte constitutionnelle... » Personne ne protesta. Si la Chambre supprima tout le prĂ©ambule du pacte constitutionnel, ce fut comme reposant sur une donnĂ©e politique dĂ©mentie par notre histoire, comme contraire Ă  ce vieux droit national qu’atteste la filiation de nos AssemblĂ©es, de nos Parlements , de nos Etats-GĂ©nĂ©raux , de nos Champs- de-Mai, noblesse publique Ă©gale en anciennetĂ© Ă  celle du trĂŽne. Mais elle n’entendit pas revenir aux LA. RÉVOLUTION DE l 83 o. 267 rĂȘves anarchiques de l’AssemblĂ©e constituante. Elle refusa expressĂ©ment la proposition faite lĂ©gĂšrement par un de ses membres, l’honorable M. Persil, de rendre au droit national le nom pĂ©rilleux de souverainetĂ© du peuple ; elle pensa que ce nom , fondant la constitution des États sur deux Ă©quivoques subversives, celles du sens attachĂ© au mot de SouverainetĂ©, et au mot de Peuple, fausserait la vĂ©ritĂ© mĂȘme, et ne serait qu’un non-sens, si la rĂ©volution n’avait l’art d’en faire un flĂ©au. Le sentiment public Ă©tait si formel qu’un homme s’étant avisĂ© de promener, au milieu du peuple de juillet, encore Ă©mu de sa victoire, un drapeau qui portait Ă©crits ces mots SouverainetĂ© du peuple; il fut incontinent arrĂȘtĂ©! Toutes les dĂ©libĂ©rations, tous les actes de cette Ă©poque marquent nettement le point d’arrĂȘt oĂč la rĂ©volution comptait se tenir, et rien ne le marque mieux que le maintien dans la Charte de la vieille maxime que toute justice Ă©mane du roi. La rĂ©volution entendait donc qu’il y eĂ»t un roi, que la royautĂ© fut rĂ©elle; que ce trĂŽne antique, qui existait depuis des siĂšcles par sa propre vertu, ne fĂ»t pas tout entier brisĂ©. Autrement, on aurait Ă©crit Toute justice Ă©mane du peuple. Mais on fit plus sagement. On suivit le conseil du cardinal de Retz , qui a dit si bien que ces droits respectifs des peuples et des rois ne s’accordent jamais mieux que dans le silence. Y avait-il donc rĂ©volution sociale ? pas l’ombre. LIVRE TROISIÈME. 268 Y avait-il mĂȘme rĂ©volution de dynastie ? ni plus ni moins qu’en Angleterre. Nous nous trompons moins qu’en Angleterre. Car on entendit conserver sur le trĂŽne le mĂȘme sang , comme le mĂȘme code dans le pays; seulement, on passait aussi le sceptre Ă  la branche protestante , Ă  celle qui avait reçu le baptĂȘme de 1789, Ă  celle qui avait dĂšs longtemps donnĂ© des gages aux institutions victorieuses, etquidormaitmaintenant le plus grand, le plus dĂ©cisif de tous, celui d’accepter la couronne. On n’examine pas si un autre Bourbon que M. le duc d’OrlĂ©ans Ă©tait, ou non, possible alors. Mais ce qu’on sait, car tous les faits et tous les actes l’assurent, c’est qu’il fut appelĂ© au trĂŽne capĂ©tien comme CapĂ©tien lui-mĂȘme, comme Bourbon possible. Alors , on avait la prudence de redouter les dĂ©chirements, de tenir Ă  ce que l’est et l’ouest, le nord et le midi, la grande et la petite propriĂ©tĂ© restassent unis d’affection , et que le faĂŒsceau national ne fĂ»t pas brisĂ© par les dissensions civiles. On espĂ©ra qu’une catastrophe, Ă©crite dĂ©jĂ  dans l’histoire, s’adapterait plus aisĂ©ment Ă  nos annales. On supposa que des vertus, familiĂšres dĂ©jĂ  Ă  toutes la grande compagnie de France, une famille superbe et respectĂ©e , son extraction et ses alliances royales rendraient la transition plus facile aux cƓurs les plus profondĂ©ment blessĂ©s ; que les Français de toutes les classes s'accorderaient Ă  s’incliner devant un choix qui donnait des gages Ă  LA. RÉVOLUTION DE l83o. 269 tous les intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes du pays; que ceux-ci salueraient le prince de Jemmapes, que ceux-lĂ  accepteraient cet autre reprĂ©sentant de la premiĂšre des races françaises. Tout ceci, ce n’est point nous qui le disons c’est la Charte constitutionnelle, qui considĂ©rant, nous devons le rĂ©pĂ©ter, que tous les princes de la branche ainĂ©e des Bourbons sortent du territoire français, appelle au trĂŽne Son Altesse Royale le duc d’OrlĂ©ans. Avant la Charte, M, Alexandre de Laborde, motive l’avĂ©nement du chef de la branche d'OrlĂ©ans sur ce qu’aprĂšs tout ce prince Ă©tait, de plusieurs degrĂ©s, plus proche que ses cousins de ce roi dont le peuple a gardĂ© la mĂ©moire, de Henri IV. AprĂšs la Charte, M. Dupont de l’Eure, contresigne cette ordonnance sur la LĂ©gion-d’Honneur, oĂč, repoussant Ă  l’avance l’odieuse supposition produite depuis, que, par l’acceptation du trĂŽne, il aurait rĂ©pudiĂ© ses aĂŻeux, Louis-Philippe rappelait avec une lĂ©gitime fiertĂ© son aĂŻeul , de glorieuse mĂ©moire , le Grand-Henri ; alors aussi M. le gĂ©nĂ©ral Lamarque, met son Ă©rudition Ă  rechercher lequel de ses ancĂȘtres, entre les Philippe-Auguste, les Louis XII, les François I er , le prince, qui a la plus belle gĂ©nĂ©alogie de l’univers, choisira pour modĂšles. Enfin, la voix de la France entiĂšre, dans les milliers d’adresses dĂ©posĂ©es au pied du trĂŽne nouveau , remercie la fortune de nous avoir gardĂ©, dans nos bouleversements, ce mĂ©diateur naturel LIVRE TROISIÈME. 27O entre les couronnes aussi bien qu’entre les factions , apparemment parce que, si la rĂ©volution aimait Ă  voir en lui un citoyen comme tous les citoyens, l’Europe pouvait y voir un roi comme tous les rois. La royautĂ© tient une telle place dans la sociĂ©tĂ© europĂ©enne qu’on ne fait pas de dynastie sans aĂŻeux. NapolĂ©on mĂȘme y a Ă©cliouĂ©. Si donc la maison d’OrlĂ©ans n’obtient vos respects qu’à la condition de renier son origine, vos respects sont des parjures. Au fond, vous 11e voulez pas de roi, ou bien vous avez en vue une autre race. Nommez votre candidat nous verrous qu’il a pour ancĂȘtres d’un cĂŽtĂ© la foule des empereurs Germaniques, de l’autre les cinquante batailles rangĂ©es de son pĂšre. Etablir, comme M. Odilon-Barrot, qu’on a Ă©lu le plus digne, abstraction faite de ses aĂŻeux, et sous la condition de les rĂ©pudier, c’est pousser trop loin la louange personnelle; c’est flatter le roi aux dĂ©pens de la royautĂ©, et cacher des pensĂ©es de tribun sous des phrases de courtisan ; c’est manquer Ă  la Charte, au bon sens public, aux souvenirs de la France, Ă  tous les sentiments gravĂ©s dans l’ñme de l’homme ; c’est offenser surtout ces princes dont on dĂ©vaste Ă  la fois l’orgueil, le cƓur et la couronne. Dites quelle secrĂšte vertu le duc d’OrlĂ©ans sentait en lui, pour s’écrier quand vous vous jetĂątes LA RÉVOLUTION DE l83o. 27 I dans ses bras J’accours pour vous prĂ©server » des calamitĂ©s de la guerre civile et de l’anar- » chie! » Cet engagement extraordinaire, par quel miracle de sa fortune Louis-Philippe pouvait-il le prendre ? par quel prestige la France imagina-t-elle qu’il eĂ»t des chances pour le tenir ? Si le plus grand des citoyens, on veut dire M. de Lafayette, en arrivant de Lagrange, eĂ»t lancĂ© cette promesse, aurait-il rĂ©gnĂ©? La France l’aurait-elle cru sur parole ? En ne doutant pas de son bon vouloir, aurait-elle eu foi dans sa puissance ? Si le duc de Reichstadt fĂ»t arrivĂ© nous offrant le palladium de sa rovautĂ© future, le duc de Reichstadt, l’hĂ©ritier du plus grand des potentats, le fils du roi de la rĂ©volution, le fils du prince , que Pie VII a sacrĂ©, roi lui-mĂȘme Ă  sa naissance, appelĂ© NapolĂ©on II par le peuple dans ses souvenirs, par le vieux soldat dans ses attendrissements, si ce jeune HĂ©raclide, qui rayonne des prodiges paternels, eĂ»t criĂ© qu’il accourait pour nous sauver de l’anarchie, l’anarchie aurait-elle fui en effet Ă  sa voix ? Tous les dĂ©partements seraient-ils passĂ©s docilement d’un sceptre Ă  un autre ? La malle- poste, qui aurait portĂ© cette nouvelle Ă  toutes nos citĂ©s, eĂ»t-elle fait et consommĂ© une rĂ©volution dans le temps de changer de chevaux ? Le sang n’eĂ»t-il coulĂ© dans aucune de nos provinces, non plus que sur aucune de nos frontiĂšres ? LIVRE TROISIÈME. 272 Personne ne le pense, personne ne l’a pensĂ© alors. Les bonapartistes n’ont pas plus proposĂ© leur prince lĂ©gitime, que la rĂ©volution son patriarche. Ne serait-ce point qu’il n’y avait, en dehors de la succession directe, qu’un Français sans Ă©gaux, qu’un candidat sans compĂ©titeurs? C’était l’hĂ©ritier aprĂšs l’hĂ©ritier. C’est que lui seul tenait Ă  toutes les Frances et avait la chance de les toutes rallier. Certes, si on eĂ»t voulu rĂ©pudier pour une race nouvelle celle qui rĂ©gnait depuis dix siĂšcles sur nos pĂšres, c’était chose facile dans notre France, oĂč tant d’essais se sont multipliĂ©s, depuis quarante ans, que nous avons de tout, dans le garde-meuble de la rĂ©volution, mĂȘme des dynasties de rechange. Mais NapolĂ©on II, c’eĂ»t Ă©tĂ© la monarchie des masses ; la rĂ©publique Ă©tait leur anarchie, pĂ©rorĂ©e par des Ă©coliers et exploitĂ©e par des praticiens. 11 n’y a que le sang bourbon qui pĂ»t promettre aux classes pauvres le travail, enfant de la paix ; Ă  la classe moyenne, la libertĂ©, fille de la propriĂ©tĂ© et des lumiĂšres; Ă  toutes, l’ordre, qui naĂźt des siĂšcles. Les atteintes portĂ©es Ă  la monarchie comme Ă  la Charte n’avaient donc d’autre but que de les affermir, l’une et l’autre, pensait-on, contre l’envahissement des partis extrĂȘmes. Dans ce temps oĂč les diverses fractions de la gauche, on l’a dit plus haut, formaient l’immense majoritĂ© de la Chambre des dĂ©putĂ©s, cette assemblĂ©e entendit faire LA. REVOLUTION DE l83o. 2^3 le moins de changements, le moins de rĂ©volution possible. En ne voulant pas maintenir la branche aĂźnĂ©e, en ne le croyant pas pouvoir peut-ĂȘtre, elle conserva la branche cadette, comme elle conservait les tribunaux, les cours de la restauration, tous les grands corps , ce qui est un fait immense ! La maniĂšre dont les parquets ont Ă©tĂ© trop souvent constituĂ©s sous l’autoritĂ© deM. Dupont de l’Eure, nous avertit en quelles mains l’intrigue et la passion eussent jetĂ© les balances de la justice. Et la plus intolĂ©rable des misĂšres pour les peuples, ce serait la passion et la mĂ©diocritĂ©, on ne dit rien de plus, rĂ©gnant dans le sanctuaire des lois. Cet acte de sagesse fixerait seul la nature de la rĂ©volution. La rĂ©volution entendit tout autant respecter la Chambre des pairs; car briser violemment quatre- vingts pairies comme on fit, c’était trop assurĂ©ment. Mais enfin c’était une consĂ©cration nouvelle et dĂ©finitive de toutes les autres. Nous disons qu’on entendit respecter la Chambre des pairs; car, en soumettant l’un des dix articles de la Charte qui la concernaient Ă  un examen postĂ©rieur, on crut si peu abolir l’hĂ©rĂ©ditĂ©, qu’on ne prit mĂȘme pas le soin delĂ  suspendre. M. Guizot fit dĂ©cider, trois mois aprĂšs, par une loi expresse, que l’hĂ©rĂ©ditĂ© restait le droit public de la France ; et, durant seize mois, les fils ont continuĂ© de succĂ©der aux siĂšges paternels. Nous disons qu’on entendit respecter la Cham- 18 LIVRE TROISIÈME. 3 7 4 bre des pairs ; car conservei la clause de la Charte, qui Ă©tablit que les pairs du royaume prennent sĂ©ance Ă  vingt-cinq ans et n’ont voix dĂ©libĂ©rative qu’à trente, c’était prĂ©juger la constitution de la Chambre haute, en consacrant des distinctions qui ne s’appliquent qu’à l’hĂ©rĂ©ditĂ©. Nous disons enfin qu’on entendit respecter la Chambre des pairs ; car laisser la premiĂšre Chambre dĂ©corĂ©e de ce nom historique, ne pas prendre sur-le-champ celui de sĂ©nat que M. de Salverte a proposĂ© depuis, et qu’on pouvait inventer sans y rĂ©flĂ©chir un an, c’était proclamer l’heureux dessein de perpĂ©tuer l’alliance du prĂ©sent avec le passĂ© de la patrie. Cette alliance utile, voulait-on l’affaiblir? PrĂ©- tendait-on comprendre, dans la chute de la lĂ©gitimitĂ©, des intĂ©rĂȘts, ses contemporains, ses appuis longtemps? Point. On ne nourrissait qu’une seule crainte; c’était que la sociĂ©tĂ© française se sentĂźt en butte Ă  un esprit novateur qui menacerait d’altĂ©rer ses moeurs, ses croyances, ses penchants. La religion catholique fut nommĂ©e par honneur et Ă  dessein, dans la Charte revisĂ©e, comme la religion de la majoritĂ© des Français. \ dessein fut maintenu l’article qui reconnaĂźt les deux noblesses, et qui place sous la protection de la loi fondamentale leurs titres et leurs honneurs. On ne s’attendait pas alors aux dĂ©risions substituĂ©es, plus tard, Ă  cette disposition conservatrice LA RÉVOLUTION DE l83o. 2y5 par la Chambre de 1831, docile Ă  de facĂ©tieuses motions de M. de la Fayette. En aoĂ»t 1830, on craignait de froisser des sentiments de famille, et des intĂ©rĂȘts monarchiques qui mĂ©ritaient des Ă©gards. PlacardĂ©es sur tous les murs de la capitale qui Ă©tait encore agitĂ©e, ces dispositions loyales et sages ne suscitĂšrent pas un cri populaire ; il n’y eut pas une ombre d’opposition dans les rues plus que dans les Chambres. Personne ne prĂ©tendit avoir bouleversĂ© la sociĂ©tĂ© en revendiquant ses droits, avoir dĂ©moli la Charte en la dĂ©fendant, avoir vaincu ce qui n’était pas en ligne. On avait eu en face un roi ; on l’avait vaincu ; on le dĂ©possĂ©dait, et non-seulement lui, mais toute sa postĂ©ritĂ©. On s’en contentait. Aussi, la rĂ©volution, tout en relevant le drapeau tricolore, l’arbora-t-elle sur l’écusson de la vieille France. Ce fut sur un trĂŽne tendu de fleurs de lis que s’assit le lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume, et une ordonnance, rendue dans le feu mĂȘme des passions belligĂ©rantes le 13 aoĂ»t, conserva au sceau de l’Etat les trois fers de lance, les trois fleurs guerriĂšres des anciens temps. Cette ordonnance Ă©tait contresignĂ©e Dupont de l’Eure. C’est que la rĂ©volution, substituĂ©e aux ordonnances, Ă©tait la restauration de la Charte voilĂ  tout. Elle perpĂ©tuait la grande transaction de 1814, avec cette diffĂ©rence que le systĂšme reprĂ©sentatif n’allait plus ĂȘtre l’unique sĂ»retĂ© des intĂ©- 276 LIVRE TROISIÈME. rĂȘts nouveaux ils trouvaient maintenant des garanties et leur image jusque sur le trĂŽne. Des conditions acceptables Ă©taient faites Ă  tous les partis aux uns, l’égalitĂ© victorieuse; aux autres, la royautĂ© ; la libertĂ© Ă  tous, une libertĂ© qui ne rĂ©pudiait ni toutes les traditions, ni tous les souvenirs, ni toutes les croyances, ni toutes les garanties, ni toutes les distinctions, ni mĂȘme toutes les ruines. La France royaliste pouvait passer sans murmure sous les trois couleurs vieilles de gloire elle leur apportait en dot ses propres gloires des quinze annĂ©es la GrĂšce affranchie, Navarin illustrĂ©, l’Atlas vaincu. Rappelons-nous les sentiments qui rĂ©gnaient alors; car ils forment, Ă  cĂŽtĂ© du pacte constitutionnel , le contrat non Ă©crit qui lie d’honneur tous les pouvoirs et tous les partis. Ceux qui prirent cette grave initiative de renverser un trĂŽne n’eurent qu’une sollicitude, ce fut de rassurer et l’Europe et la France, de se concilier l’adhĂ©sion de l’une et de l’autre, d’imprimer Ă  ce coup de force rapide le caractĂšre d’une soudaine et unanime conciliation. Ils criĂšrent Rienn’estchangĂ©, il n’y a que des libertĂ©s de plus! » Telle est la premiĂšre des promesses de juillet, celle qui les comprend toutes ; et personne ne protesta ; personne ne revendiqua ni plus de libertĂ©, ni plus de territoire, ni plus de subversions. Personne ne demanda alors, comme on le fait pourtant aujour- LA REVOLUTION DE l83o. 2 77 d’hui, comme les orateurs grands et petits le crient Ă  la tribune, que le propriĂ©taire, le gentilhomme, l’ecclĂ©siastique, le royaliste, sous les noms de jĂ©suites et de carlistes, fussent des parias, des ilotes, des incapables, des proscrits, des vaincus , qui, ayant leur large part des charges de l’Etat, ne pourraient avoir une parcelle de ses droits, de ses pouvoirs , de ses honneurs. C’est Ă  ces conditions qu’il y eut adhĂ©sion et paix universelles. La France monarchique se rappela cette parole de CazalĂšs, qu’il fallait savoir penser Ă  la monarchie plus qu’au monarque. En ce temps-lĂ , les feuilles publiques virent autant de victoires dans les accessions Ă©clatantes des serviteurs de la royautĂ© qui arrivaient de Saint-Cloud, de Trianon, de Rambouillet. On en jouissait comme delĂ  preuve que nos misĂšres Ă©taient finies. On en jouissait, quoique ce fut sans mesurer la grandeur de ces sacrifices, sans comprendre que beaucoup de nobles cƓurs auraient offert tout leur sang avec moins d’effort que le serment qu’ils accordaient; mais ce que l’on comprenait bien, c’est que ce serment devait avoir un long retentissement dans nos provinces, et qu’il servait de sceau Ă  la paix publique. Et tandis que les pĂšres portaient au Luxembourg leurs sacrifices et leurs exemples, les fils, le sac au dos dans les rangs de la garde nationale, Ă©tonnaient leurs concitoyens du spectacle de leur 2^8 LIVRE TROISIÈME. dĂ©voĂ»ment au maintien de l’ordre, ce premier des intĂ©rĂȘts de la patrie. Tout le monde a vu faire patrouille dans les rues, pour garder propriĂ©taires et marchands comme autrefois iis eussent gardĂ© les rois, des Montmorency, des Richelieu, des PĂ©rigord, des MaillĂ©, des Osmond, des Chastenay, des Saint-Priest, des Sesmaisons, des Mortemart, des Larocliefoucault, des Rohan. Rien ne prouve mieux que la grande famille française n’entendait pas se diviser, et que toutes les classes ont adoptĂ© la devise qu’affectait NapolĂ©on Tout pour lu France ! Or, pense-t-ori que ce dĂ©voĂ»ment lĂ»t stĂ©rile ? Qui peut mesurer l’effet que produisit, et au dedans , et au dehors, tel nom qui donna son accession ? Cet imposant accord d’efforts et de vƓux fut ce qui imprima sur-le-champ une direction plus calme et plus juste aux esprits, un sentiment plus vrai de tous les biens que l’ordre matĂ©riel, Ă  lui seul, assure aux nations, et plus de force pour triompher des passions mauvaises, pour enchaĂźner les appĂ©tits de sang, pour mettre tour Ă  tour Ă  l’abri des commotions, les tĂȘtes, les propriĂ©tĂ©s, les lois. Que si on prĂ©tendait maintenant Ă©branler la sociĂ©tĂ© dans ses fondements, si on brisait Ă  plaisir la chaĂźne des temps, si on dĂ©truisait toutes les garanties politiques et morales de l’ordre, si on trompait sans relĂąche cette soif de repos qui est LA. RÉVOLUTION DE l 83 o. 279 l’instinct universel delĂ  France, si on faisait effort pour la mettre en guerre avec elle-mĂȘme et avec l’univers, si on violentait tous les sentiments gĂ©nĂ©reux, si on insultait Ă  toutes les supĂ©rioritĂ©s et Ă  tous les souvenirs , si on plaçait la puissance publique dans une rĂ©gion incapable d’en bien user, si seulement on dĂ©portait hors du pouvoir, si on poursuivait du vƓ victisl toute une classe d’hommes qui a plus qu’aucune autre le dĂ©pĂŽt des traditions monarchiques, de la foi religieuse, des illustrations hĂ©rĂ©ditaires, de la propriĂ©tĂ© territoriale, si seulement on Ă©tablissait qu’il y a une autre classe, fĂ»t-ce la moyenne, qui doit avoir le privilĂšge et le monopole exclusif de la puissance, de sorte qu’on reconnaĂźtrait une classe supĂ©rieure, car le mot de classe moyenne la suppose, mais pour la courber, comme les masses, sous les pieds de ces maĂźtres rĂ©els, alors que l’égalitĂ©, Ă  tout le moins des conditions et des partis doit ĂȘtre comprise dans l’égalitĂ© constitutionnelle de tous les Français devant la loi, on n’aurait pas seulement le tort de mettre tous les engagements en question ; on mettrait de plus tous les biens en pĂ©ril. M. Thiers a Ă©tabli que les partis dissidents eussent Ă©tĂ© impuissants Ă  vaincre la rĂ©volution ; mais il leur reconnaĂźt le pouvoir de l’ensanglanter. Pour Ă©chapper, dĂšs les premiers jours, Ă  ce destin dont l’histoire nous apprend la portĂ©e , quelle fut la vertu de la rĂ©volution de juillet? Ses promesses, ^8o LIVRE TROISIÈME. telles qu’on vient de les dire. Pour s’affermir, sans recevoir l’affreux baptĂȘme du sang, quelle Ă©tait sa loi nĂ©cessaire ? leur strict et loyal accomplissement. CHAPITRE VI. RÉSULTATS DE LA RÉVOLUTION, SELON LES PROMESSES DE JUILLET. Nous entendons l’objection Ă©ternelle. A ce compte, ce n’était pas la peine de faire une rĂ©volution ; et le peuple qui l’a faite, qu’y aura-t-il gagnĂ© ? On pourrait nĂ©gliger cette objection. Elle ne s’adresse point Ă  ceux qui n’ont point fait la rĂ©volution , qui ne sont pas les truchements d’un parti victorieux, qui plaident pour la France. On veut rĂ©pondre, toutefois, afin de mettre les gens au pied du mur- On rĂ©pond, avant toute chose, que si vous prenez pour point de dĂ©part la restauration selon la Charte ,il n’est pas de systĂšme digne d’examen qui pĂ»t gagner Ă  la renverser. On ajoute que, loin de vouloir la renverser, c’est prĂ©cisĂ©ment pour la reconquĂ©rir que Paris se leva comme un seul homme. On peut ajouter encore que le point de comparaison doit ĂȘtre pris, non du rĂ©gime lĂ©gal et 282 LIVRE TROISIÈME. de tous ses bienfaits. mais du rĂ©gime des coups d’Etat, mais de ia rĂ©action dont ils Ă©taient le signal, mais de l’avenir nouveau que les ordonnances ouvraient devant nous, mais enfin delĂ  restauration contre la Charte. Des amis de la libertĂ© constitutionnelle ne seraient pas admissibles dĂšs lors Ă  demander ce qu’ils ont gagnĂ©. Nous entendons sans cesse glorifier le peuple des trois millions de vies qu’il a prodiguĂ©es pour opĂ©rer les conquĂȘtes de la premiĂšre rĂ©volution. Comment traiterait-on d’inutile le sacrifice des quinze cents citoyens morts pour ressaisir ces conquĂȘtes et les assurer ? N’eussent-elles fait que remettre la France au point oĂč le coup d’Etat l’avait prise, les trois journĂ©es n’auraient donc pas Ă©tĂ© infĂ©condes, et elles l’auraient Ă©tĂ© si peu qu’elles n’avaient point d’autre but c’est mĂȘme lĂ  leur gloire. Mais la rĂ©volution qui est survenue n’a-t-elle rien fait de plus pour les intĂ©rĂȘts qui l’ont accomplie ? 11 s’en faut! Jamais, en si peu de temps et Ă  si peu de frais, cause favorisĂ©e du ciel n’avait tant obtenu. Sans doute, ceux qui voulaient des rĂ©volutions, puis dc-s rĂ©volutions, toujours des rĂ©volutions, 11 e recevaient pas un complet contente- - ment ; mais les hommes de bonne foi qui cherchaient la libertĂ© ,, pour jouir, au sein d’un gouvernement constitutionnel, des conquĂȘtes de la rĂ©volution de 1789, ceux-lĂ  avaient une seule T,Ă  RÉVOLUTION DIÎ l83o. 283 grĂące Ă  demander Ă  Dieu c’était d'affermir les oeuvres de 1830. Par cette rĂ©volution de huit jours , qui renversait un droit public consacrĂ© par huit siĂšcles, la nation française, Ă  tort ou Ă  raison, s’était de tous points, reconquise au dedans et au dehors. Au dedans, elle Ă©tait parvenue au but de ses longs travaux et semblait fixĂ©e. Elle possĂ©dait dĂ©sormais , sans nul trouble, sans apprĂ©hension aucune , le gouvernement reprĂ©sentatif le plus complet qu’il y eĂ»t sur la terre. Il lui appartenait comme sa conquĂȘte et son ouvrage. La nouvelle Charte s’appuyait au double principe de l’égalitĂ© civile et du droit national. Dites un autre peuple qui n’ait rien Ă  craindre pour son repos que de sa libertĂ©, ni pour sa libertĂ© que de lui-mĂȘme! Dites une immunitĂ© qui ne soit pas comprise dans le pacte Ă©crit sous le feu de la victoire populaire ! Toutes les libertĂ©s inventĂ©es chez les nations y trouvent une consĂ©cration exorbitante; les trente- deux millions d’hommes, qui vivent sous la mĂȘme loi, jouissent au mĂȘme titre, ce qui ne s’est pas vu encore sous le soleil, du bienfait de ces libertĂ©s immenses ! Le principe nouveau de la constitution , cette victoire populaire, la mise en action complĂšte et sincĂšre du rĂ©gime constitutionnel, l’entier affranchissement des Ă©lections , tout assure aux reprĂ©sentants directs du pays la haute main sur la conduite gĂ©nĂ©rale des affaires publi- LIVRE TROISIÈME. 284 ques. La carriĂšre des amĂ©liorations s’est ouverte devant vos pas, sans bornes comme sans obstacles. Et ce vaste systĂšme n’a point Ă  craindre les rĂ©pugnances, les prĂ©tentions, les complots domestiques du pouvoir, toute cette contre-rĂ©volution menaçante que poursuivent encore chaque jour tant de malĂ©dictions! Il repose sous la garde d’un trĂŽne plus jeune que la libertĂ©, liĂ© Ă  sa cause par ses intĂ©rĂȘts autant que par son origine , impuissant contre elle, et devant par elle vivre, grandir ou succomber. Au dehors, rĂ©gnait, depuis quinze annĂ©es, un droit public sorti du milieu de nos revers. La bataille de Waterloo , mal engagĂ©e, parce qu’elle le fut entre les alarmes sincĂšres de l’Europe et l’apparition du gĂ©nie des conquĂȘtes, la bataille de Waterloo avait Ă©tĂ© perdue. Elle pesa longtemps, on ne peut le nier, sur nos destinĂ©es; car elle avait affermi l’ouvrage du congrĂšs de Vienne; elle avait de plus, permis Ă  l’étranger de prendre, par les traitĂ©s de 1815, sous sa double garantie, et notre Charte constitutionnelle et notre royautĂ© lĂ©gitime ! En vain, les Bourbons avaient noblement secouĂ© cette tutelle; la clause restait Ă©crite. Les traitĂ©s de 1815 contenaient donc deux parties l’une qui affectait notre puissance, l’autre notre dignitĂ©. Celle-ci fut abrogĂ©e toute entiĂšre et sans rĂ©serve par le fait des barricades, et les cabinets trouvĂšrent plus facile d’y souscrire que de protester. LX RÉVOLUTION DE l83ĂŒ. ^85 Cette fois, toutes les frontiĂšres et toutes les cours s’ouvrirent devant les trois couleurs. Notre position nouvelle fut si bien acceptĂ©e, qu’à peine la rĂ©volution accomplie, le cabinet du Palais-Royal put s’interposer dans les conseils des rois, en faveur d’une autre rĂ©volution, celle de Belgique, qui blessait les sentiments personnels de deux grands monarques et les intĂ©rĂȘts directs de tous. La France eut la gloire de faire recevoir une nation de plus dans la famille europĂ©enne, et dĂšs lors les traitĂ©s de 1815 se trouvĂšrent modifiĂ©s jusque dans leurs bases. Les stipulations dirigĂ©es contre notre puissance furent interverties. Qu’on veuille bien rĂ©flĂ©chir au dĂ©placement de forces et de barriĂšres qu’entraĂźnait l’indĂ©pendance de la Belgique ! Un peuple, dont la coalition avait voulu faire son avant-garde contre nous, pouvait ĂȘtre aujourd’hui notre avant-garde contre l’Europe. Les forteresses, construites ou rĂ©parĂ©es avec des frais Ă©normes pour battre la France et la tenir en bride, pourraient de nouveau compter dans nos lignes de dĂ©fense. Elles Ă©taient aujourd’hui condamnĂ©es par les cours Ă  tomber. Le gĂ©nĂ©ralissime anglais perdait cette inspection europĂ©enne des places limitrophes. Trois mois n’étaient pas Ă©coulĂ©s encore, et dĂ©jĂ  la bataille de Waterloo se trouvait ainsi regagnĂ©e sans coup fĂ©rir. Et d’oĂč venait cette revanche de nos revers ? d’oĂč venait cette disposition des rois Ă  tendre la LIVRE TROISIEME. Jl86 main Ă  la France de 1830, quand ils n’avaient pas craint d’affronter la France des Cent-Jours conduite par le gĂ©nie d’Austerlitz et d’IĂ©na? De leur foi dans nos assurances pacifiques ; de leur confiance dans la stabilitĂ© d’institutions conservatrices ; de leurs Ă©gards pour un trĂŽne qui avait une double consĂ©cration, royale et populaire; par-dessus tout, de ce calme imposant de la France; de ce silence universel des passions; de cet accord des partis Ă  multiplier, de chaque cĂŽtĂ©, les efforts pour conserver Ă  notre grande France le vieux symbole qui a fait sa puissance historique un seul roi, et une seule loi! Ces points Ă©tablis, que signifie de rĂ©clamer incessamment des destructions nouvelles , des institutions plus dĂ©mocratiques, et, comme on dit, plus rĂ©publicaines , au nom de telle ou telle classe, de tels ou tels hommes, qui ont fait la rĂ©volution de 1830? D’abord, personne n’a le droitdedemander un bĂ©nĂ©fice pour prix de la rĂ©volution Ă  laquelle il s’est dĂ©vouĂ©, attendu que personne, entre les combattants de juillet, ne crut, en prenant les armes , faire une rĂ©volution ; que peu en formaient le dĂ©sir; que moins encore auraient eu la hardiesse d’en nourrir le dessein, et que ceux-lĂ  11 ’au- raient pas osĂ© s’en confesser Ă  la France. Ensuite, la prĂ©tention d’avoir dĂ©terminĂ© la nature de nos institutions par la composition de l’ar- LA RÉVOLUTIOÎN DE l 83 o. 287 mĂ©e qui gagna la bataille des trois journĂ©e., est une des plus brutales folies qui aient passĂ© par l’esprit des hommes. Dans toutes les guerres, il y a plus de peuple que de propriĂ©taires sous le drapeau, et les prolĂ©taires n’en concluent point, le lendemain de la victoire, qu’ils soient par cela mĂȘme devenus les maĂźtres de l’empire que leur courage a dĂ©fendu et sauvĂ©. ta rĂ©volution de 1830 appartient, dit-on, au peuple , parce qu’il l’a faite ! Quel peuple ? Celui des campagnes ? Combien de villages se sont levĂ©s, non poiir la dĂ©fense de la Charte, mais pour la chute dit trĂŽne? Est-ce l’Ouest ou le Midi? Celui des villes? Quelles villes, nommez-les; dites leur nombre; dĂ©clarez celles qui ont Ă©tĂ© ce jour-lĂ  conquises par la multitude, quand la garde nationale, dans toutes , hormis ta capitale, Ă©tait seule armĂ©e. BĂątissez Ă  l’usage de Paris, s’il est vrai que Paris appartienne Ă  vos clients par droit de conquĂȘte , une constitution dĂ©magogique , quelque chose de pareil Ă  ce dont Lyon a joui pendant huit jours. Mais Ă  quel titre Ă©tendre ce privilĂšge au reste du royaume? Patriotes prĂ©tendus, tout votre argument est d’établir que vous avez, non pas vaincu pour la patrie, mais vaincu la patrie; que vous avez conquis moins les Tuileries que la France. L’argumentde tous ces amisdupeuple estdecroire que le peuple s’e-'t levĂ©, non pour les lois, mais confie les lois; nor contre un pouvoir Ă©garĂ©, mais a88 LIVRE TROISIÈME. contre tous les pouvoirs; non pour la libertĂ©, mais pour l’usurpation, la tyrannie, la spoliation. Par bonheur, le peuple a partout donnĂ© le dĂ©* menti Ă  ces assertions et Ă  ces doctrines; il l’a fait Ă  Paris, en rĂ©signant la puissance, dĂšs qu’il l’eut conquise, aux mains de plus hauts dĂ©positaires ; il l’a fait Ă  Lyon, en s’en saisissant d’une façon criminelle, pour s’en reconnaĂźtre incapable le lendemain, et chanceler sous ce fardeau , comme l’homme ivre, jusqu’à ce qu’il ait retrouvĂ© l’appui sauveur des lois ! Mais que fait-on en acceptant votre hypothĂšse des vƓux du peuple ? Est-il vrai qu’il veuille moins de monarchie, moins d’aristocratie que nous n’en avons ? Qu’en savez-vous ? En quel lieu a-t-il rĂ©pondu Ă  vos Ă©lans pour la rĂ©publique, Ă  vos cris contre les hautes classes, Ă  vos tentatives d’abaissement perpĂ©tuel des cens Ă©lectoraux, Ă  vos penchants dĂ©pravĂ©s pour les subversions? Dieu merci! il n’en est pas lĂ  encore. Sa droiture et son bon sens lui crient que vos thĂ©ories n’ont jamais enfantĂ© et n’enfanteront jamais que des illusions, des mĂ©comptes, la ruine. Sous la Charte, sous la restauration, le peuple travaille, Ă©conomise, s'Ă©claire, convertit son pĂ©cule en fructueux sillons. Sous votre Convention chĂ©rie, il tend la main Ă  de coupables salaires, se flĂ©trit de crimes , et fait queue, morne et affamĂ©, Ă  la porte du boulanger de sa section. LA. RÉVOLUTION DE l83Ă». 289 D’ailleurs, tout ceci roule sur une erreur cle fait, qui est que l’Ɠuvre des trois journĂ©es ait Ă©tĂ© celle d’une seule classe, qu’il y ait eu ce jour-lĂ  des vainqueurs et des vaincus. La Charte, c’était la France entiĂšre ; elle seule a triomphĂ©. Personne ne s’est ralliĂ© au drapeau levĂ© par le pouvoir royal pour la dĂ©truire. Et sait-on pourquoi ? C’est parce, que les classes Ă©levĂ©es, riches, Ă©clairĂ©es, Ă©taient entrĂ©es tout entiĂšres dans le mouvement du systĂšme reprĂ©sentatif; elles en avaient fait leur vie et leur gloire, elles avaient, rempli l’atmosphĂšre de ces idĂ©es, de ces sentiments de libertĂ© au milieu desquels le pouvoir absolu a pĂ©ri dĂšs son premier pas. C’est par elles que ces gĂ©nĂ©reuses notions Ă©taient descendues aux derniers rangs de la sociĂ©tĂ©; par elles que le peuple avait appris la vertu du grand nom des lois ; par elles qu’il s’était Ă©levĂ© Ă  comprendre le devoir de combattre, de mourir pour les institutions de la patrie , et de les respecter aprĂšs les avoir dĂ©livrĂ©es, comme on respecte les captives dont on a brisĂ© les fers. Si vous ne voulez pas que ce soit tout le monde , c’est la classe intelligente, propriĂ©taire, cultivĂ©e , qui a vaincu. A la vĂ©ritĂ©, cette classe n’a pas tout entiĂšre souhaitĂ© ou voulu l’usage qui a Ă©tĂ© fait de la victoire ; mais elle s’est tout entiĂšre soumise. Elle a entraĂźnĂ© par sa soumission l’adhĂ©sion des provinces et du monde. Sous les Bourbons, elle donna la libertĂ© 19 LIVRE TROISIÈME. 290 Ă  la France. Elle lui a donnĂ© l’ordre aujourd’hui ; elle l’a dotĂ©e de la paix du dedans et de celle du dehors. Les hommes qui sont au courant des choses de ce monde savent en effet que ce fut l’intervention de la Chambre des pairs qui seule dĂ©termina la reconnaissance des couronnes ; autrement, la rĂ©volution eĂ»t Ă©tĂ© mise au ban de l’univers, et on devine dans quel abĂźme de rĂ©actions , dans quelle carriĂšre de vicissitudes sans terme nous eĂ»t jetĂ©s la guerre alors, la guerre mĂȘme avec la victoire ; car c’est la seule que veuille prĂ©voir un cƓur français. Le par ti de la rĂ©volution 11 ’a donc rien fondĂ© Ă  lui seul, tant il y est impuissant, pas mĂȘme la monarchie bĂątie sur les barricades. Suivant sa nature, il eĂ»t pu dĂ©truire; mais Ă©difier, il ne l’a pas fait. La vie, l’ordre, la paix, sont venus d’ailleurs. D’oĂč je conclus que le gouvernement qui est, n’appartient Ă  personne , qu’il n’appartient et 11 e se doit qu’à tous. Sacrifier aux intĂ©rĂȘts et aux passions rĂ©volutionnaires , ce serait, pour la monarchie de 1830 , manquer Ă©galement Ă  ses promesses et Ă  ses dettes, Ă  sa politique et Ă  sa dignitĂ©. CHAPITRE Vil. LES BEUX ESPRITS. — LES BEUX POLITIQUES. ALTERNATIVE 9E LA MONARCHIE BE 1830. Il n’y a dans le monde que deux politiques ; l’une est la politique rĂ©guliĂšre, sensĂ©e, lĂ©gitime; elle s’appuie, non pas sur les forces vives des sociĂ©tĂ©s , comme a dit trĂšs-souvent M. Odilon-Bar- rot, mais sur leurs forces morales; en d’autres termes, elle donne le pouvoir, non pas Ă  la force, mais au droit; et, pour constater le droit, elle consulte, non pas le nombre, mais les lumiĂšres, les garanties , les services, l’amour de l’ordre, et, ce qui vaut mieux encore, l’intelligence des conditions par lesquelles l’ordre s’affermit chez les nations. Cette politique haute et sage respecte au dedans les lois , et au dehors le droit des gens, qui est la loi de l’univers. Elle honore le talent, la gloire, les grands souvenirs , le passĂ© de la patrie, toutes ces puissances qui sont de droit divin. Elle croit en Dieu et le dit tout haut. Elle conduit l’es- LIVRE TROISIÈME. 292 pĂšce humaine, par une route pacifique et sĂ»re , Ă  ces amĂ©liorations successives dont Dieu a fait le but de nos travaux et la compensation de nos misĂšres ; mais elle sait que la Providence a mis au progrĂšs deux conditions la patience et la justice. Semblable Ă  elle-mĂȘme dans la prĂ©tendue dĂ©mocratie antique, dans les rĂ©publiques modernes, dans la monarchie puissante et sage , reposant au sein de ces rĂ©gimes divers sur les mĂȘmes bases , c'est surtout dans les pays libres qu’elle s’est montrĂ©e partout, depuis l’origine du monde, difficile en fait de garanties, paTce que de tous les rĂ©gimes, celui qui donne toute carriĂšre au gĂ©nie de l’homme et Ă  ses passions, a, plus que tout autre, besoin de soutiens, de jalons et de barriĂšres. L’autre politique a de tout autres rĂšgles et de tout autres procĂ©dĂ©s. La force, la force brutale est son principe et sa loi ! Vous la reconnaĂźtrez Ă  ceci qu’entre les citoyens, les partis , les Ă©tats , partout et toujours, elle ignore la justice ; le salut du peuple, c’est-Ă -dire la nĂ©cessitĂ© , telle que ses passions la lui montrent, en d’autres termes, la force lui en tient lieu. S’agit-il du dedans ? la dissidence est un crime; le soupçon est un arrĂȘt, la peine est la mort ; c’est-Ă -dire qu’elle n’a qu’une loi, la force, pour rĂ©gir les hommes. S’agit-il du dehors? elle ne connaĂźt pas les traitĂ©s, le droit des neutres, l’inviolabilitĂ© de leurs territoires, LA RÉVOLUTION DE l83o. 2Ç'i Jes conditions acceptĂ©es , la foi promise sa diplomatie n’est autre chose que la guerre, c’est-Ă - dire encore la force ; la guerre Ă  tout propos et Ă  tous risques , la guerre sauvage, la guerre avec toutes les armes. Dans son gouvernement, elle ne recourt pas Ă  la discussion, aux formes protectrices, aux dĂ©libĂ©rations lentes et libres. Non ! chez elle le caprice , la colĂšre, le meurtre , c’est- Ă -dire toujours la force, tranchent toutes les questions, dĂ©cident toutes les affaires, sans voir ni entendre. Chez elle, en un mot, la force pense, dĂ©libĂšre et veut, de mĂȘme qu’elle exĂ©cute. Admet- elle l’autoritĂ© du temps ? Ă  Dieu ne plaise ! Le passĂ© , elle le dĂ©truit ; l’avenir, elle le dĂ©vore. 11 lui faut tout envahir , tout abattre, tout essayer en un jour. Marchant Ă  la tĂȘte des masses soulevĂ©es, elle fait flĂ©chir toutes les volontĂ©s, toutes les rĂ©sistances, le gĂ©nie, les grandeurs, la vertu , devant ces flots terribles oĂč il n’y a d’éclairĂ© que ce qui est pervers, et de probe que ce qui est ignare; c’est lĂ  son conseil, sa cour, son armĂ©e. Ce qu’elle appelle la libertĂ© consiste Ă  dicter ses caprices, tour Ă  tour imbĂ©cillesou cruels, au juge sur son siĂšge, au citoyen Ă  ses foyers , au lĂ©gislateur dans sa chaise curule, au roi sur son trĂŽne. Aussi, elle va , elle bouleverse , elle dĂ©truit. Mais ne lui parlez pas de bĂątir ; fonder n’est pas en sa puissance. C’est le monstre d’Asie qui tue et ne produit pas. LIVRE TROISIÈME. 294 Son origine , son nom, ne le demandez point. Elle le dira en violant, avec des cris de mort, la maison du journaliste 1, du dĂ©putĂ© 2 , du ministre 3, de l’ambassadeur 4, du prince 5, de Dieu mĂȘme 6. Elle le dira, en 11 e trouvant rien de mieux, pour rendre gloire au restaurateur glorieux de l’ordre dans notre patrie, que de danser, sous sa Colonne, la Carmagnole immonde. Elle le dira, en faisant Ă©clater sa justice Ă  dĂ©molir le temple en haine du prĂȘtre; son Ă©conomie, Ă  saccager pour un million de monuments publics en un jour ; son patriotisme , Ă  piller les boutiques et ensanglanter les rangs de la garde civique Ă  coups de pierre. Elle le dira, en jetant du haut de la tribune Ă  ses bandes soulevĂ©es, comme du vin Ă  l’homme ivre, les calomnies grossiĂšres, les calomnies homicides avec lesquelles, dans les bons temps on faisait les 2 septembre et les 31 mai. Elle le dira, en montrant comme elle tenait en rĂ©serve des apologies pour honorer les crimes de Varsovie, et des crimes pour honorer ses malheurs. Elle le dira en dĂ©cernant des louanges au prolĂ©taire chargĂ© de sang , et des reproches au soldat mort pour la 1 La Quotidienne 2 M. Dupin. 3 M. Casimir PĂ©rier. 4 Le comte Pozzo di Borgo. 5 Les Tuileries. 6 Notre-Dame, St-Gennaiu-L’Auxerrois. LA. REVOLUTION DE l83o. 2Ăż! propriĂ©tĂ© , l’ordre et les lois. C’est la politique dĂ©magogique , la politique rĂ©volutionnaire. Antisociale comme il y a quarante ans, fulminant les mĂȘmes maximes, soufflant au cƓur du pauvre la mĂȘme haine du riche qui le nourrit et l’éclaire ; ayant des clubs contre les pouvoirs et des prĂȘches contre la propriĂ©tĂ©, elle a inaugurĂ© tous ses grands hommes, et vous l’avez vue prodiguer Ă  la fois ses dithyrambes pour glorifier ceux qui coupĂšrent la tĂȘte des rois; ses larmes, pour venger Robespierre et Saint-Just immolĂ©s; ses brigues, pour avoir Ă  la Chambre BarrĂšre vivant. Par ses apothĂ©oses, elle a publiĂ© sa gĂ©nĂ©alogie et ses programmes; ses programmes, Dieu merci! car elle a les siens, et ils l’ont trahie. Elle s’était si bien reconnue dans la terreur, comme une fille dans les traits de sa mĂšre, qu’elle a cru que la France y reviendrait naturellement comme elle. Elle a oubliĂ© qu’il fallut cinq ans de renversements, de dĂ©moralisation, de folie, d’effroi, pour amener lĂ  nos pĂšres; et nous, elle a voulu nous y porter d’un bond, au risque de se briser contre la conscience publique. Faute de pouvoir encore suspendre Ă  sa ceinture le triangle d’acier que vantent ses poĂštes, elle s’est coiffĂ©e du bonnet rouge dans Paris, dans Dijon, et a offert Ă  toutes nos villes ses arbres de la libertĂ©. Un petit nombre de nos villes a acceptĂ© leur funeste ombrage. Louvain, Gand, Varsovie, ont fait voir qn’on a beau LIVRE TROISIÈME. 296 les transplanter; les lieux et les temps n’y font rien ils n’ont qu’une sorte de fruits. L’Angleterre a deux Ă©difices voisins l’un de l’autre dans l’un se rassemble, de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, pour dĂ©fendre les droits du pays et ses libertĂ©s antiques, tout ce que les trois royaumes comptent d’illustre et de respectĂ© ; c’est Westminster. LĂ  ont combattu Pitt et Fox, lĂ  nous avons vu aux prises Brougham, Peel, Canning; nobles luttes oĂč Ă©clate tout ce qu’il y a d’élevĂ© dans la nature humaine, dont le spectacle attache l’esprit et l’ñme Ă  la libertĂ© pour le reste de la vie! A quelques pas, vous trouverez l’autre enceinte, une antre arĂšne, d’autres combats, d’autres champions, enfin d’autres forces aux prises; la force brutale luttant avec la force brutale, l’homme luttant avec l’homme corps Ă  corps, luttant sans d’autre but qu un g. n honteux, et n’y employant un rayon d’intelligence que pour porter Ă  soii adversaire Ăče coups mieux assĂ©nĂ©s, jusqu’à ce qu’à la fin tous deux roulent dans leur Ă©cume sanglante, et q elquefois pĂ©rissent l’un par l’autre. 11 y a de ce spectacle Ă  celui qu’on trouve dans le Parlement, prĂ©cisĂ©ment la distance qui sĂ©pare la libertĂ© constitutionnelle de la libertĂ© rĂ©volutionnaire Laquelle des deux est voulue par la France ? Ce point ne fait pas question. Laquelle des deux lui a Ă©tĂ© promise par la rĂ©volution de 1830? Ce point LA. RÉVOLUTION DE l83o. 3 97 vient d’ĂȘtre Ă©clairci. Laquelle se cache au fond de nos doctrines, de nos actes, de nos lois, pour Ă©clater quelque jour terrible, insurmontable? Ce point est Ă  fixer. A dĂ©faut de notre incomplĂšte sagesse, le temps le ferait pour nous. ' 'JĂŻĂźfiH ‱t >*‱; !!> ouĂŒ aOugnuTri rsyi /riÂŁV - njptaop >ùß IcĂźO tttf&g * 'X 114, 25 K* LIVRE QUATRIÈME. LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. Socrate. — Les dĂ©magogues sont la maladie Ă  laquelle doit avoir attention tout mĂ©decin d’Etat, tout lĂ©gislateur. Les plus ardents parlent et agissent. Les autres entourent les tribunes, bourdonnent, coupent la parole Ă  tout le monde, en sorte que tout se gouverne par eux. Écliansons dĂ©pravĂ©s, ils versent la libertĂ© sans mesure Ă  un peuple altĂ©rĂ© ; quand il est enivrĂ© une fois, il ne loue et n’honore entre les magistrats que ceux qui s’abaissent au niveau des particuliers, et entre les particuliers que ceux qui s’élĂšvent au niveau des magistrats. Les enfants s’accoutument Ă  parler aussi haut que leurs pĂšres, Ă  ne plus les respecter pour ĂȘtre libres. Les pĂšres respectent leurs fils j le maĂźtre ses disciples. Les nouveaux-venus s’égalent aux anciens ; les vieillards s’assimilent aux jeunes gens, pour ne pas paraĂźtre despotiques ou ridicules. Ce bouleversement s’étend Ă  la famille et Ă  tout. Pour maintenir le peuple dans leur dĂ©pendance et l’attirer aux assemblĂ©es, les dĂ©magogues ne manquent pas de lui promettre la dĂ©pouille des riches. Comme ce ne sont pas les hautes classes qui ont cherchĂ© Ă  innover, on les accuse de conspirer contre la libertĂ© du peuple. Ce sont, dit-on, des oligarques; s’ils le deviennent bon grĂ© mal grĂ© pour se dĂ©fendre, Ă  qui la faute ? Le peuple alors , pour se garder d’eux et de lui-mĂȘme, se cherche un chef voilĂ  la tige des tyrans ! Aussi, l’effet uniforme de l’excessive libertĂ© est-il de conduire Ă  l’excessive servitude. Platon, RĂ©p. , 1 . vu. LIVRE QUATRIÈME. LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. CHAPITRE PREMIER. DES PARTIS VICTORIEUX. — DU PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. Monstrum immune, ingens, cui lumen ademptum ; Virgile. La France est aux prises, depuis juillet 1830, avec la difficultĂ© capitale des rĂ©volutions, celle de trouver un point d’arrĂȘt, et de s’y tenir aprĂšs l’avoir trouvĂ©. Le gouvernement est, depuis juillet 1830, aux prises avec la difficultĂ© capitale de tout pouvoir issu d’une rĂ©volution, celle de choisir entre ses partisans d’origine ou de tendance diverses, et de 3oa livbe quatbiĂšme. rompre avec les plus passionnĂ©s d’entre eux, pour ne pas flĂ©trir et compromettre sa fortune. Les premiers jours des rĂ©volutions sont des temps d’effusion et de gĂ©nĂ©rositĂ©. Le parti vainqueur est d’abord content de tout, parce qu’il l’est de lui-mĂȘme. Il s’applaudit de son ouvrage; il mesure les obstacles qu’il a surmontĂ©s; il jouit de la victoire. Le lendemain, on songe Ă  l'appliquer, et on se divise, ou plutĂŽt on se ravise. Les uns continuent Ă  ne vouloir que ce qu’ils voulaient d’abord ; ils trouvent bon et sage de se borner Ă  profiter des grĂąces du ciel, et Ă  s’assurer l’avenir. Ils craindraient de lasser la Providence, s’ils se montraient inquiets et exigeants encore. D’autres veulent davantage, aujourd’hui, demain et toujours. La pensĂ©e d’un point d’arrĂȘt permanent les importune comme un obstacle ennemi. Parce qu’ils ont beaucoup conquis, ils croient pouvoir conquĂ©rir tout ce qu’ils ont rĂȘvĂ©. Parce que de grandes vicissitudes se sont accomplies, ils croient avoir fait tout ce qu’ils ont vu. Aussi ne proposent-ils pas leurs systĂšmes ; ils les imposent comme une dette contractĂ©e envers eux par le gouvernement qui s’élĂšve. PrĂ©tention audacieuse, prĂ©tention intolĂ©rable ! Un gouvernement n’a de dettes qu’envers le pays tout entier; et un pays libre revendique ce qui lui appartient par l’organe des pouvoirs lĂ©gaux. Heureux les peuples, quand l’autoritĂ©, pesant LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 3o3 et tous les intĂ©rĂȘts et toutes les obligations, sait rompre Ă  temps avec cette politique exigeante, Ă©goĂŻste, aveugle, destructive ! Le repos public et son propre salut sont Ă  ce prix car, n’en dĂ©plaise aux victorieux de tous les temps, il s’est vu dans le monde plus de causes perdues pour avoir trop fait que pour n’avoir pas fait assez. L’histoire atteste que lĂ  est l’écueil de tous les gouvernements formĂ©s au sein des orages politiques. La force qui les a Ă©levĂ©s les pousse encore, et il n’y a jamais eu de partis restĂ©s maĂźtres du pouvoir que ceux qui ont su accepter des barriĂšres. 11 ne s’est jamais trouvĂ© de princes qui se soient affermis, que ceux qui ont eu, comme Henri IV et Guillaume 111, le courage de se sĂ©parer de quiconque pensait avoir acquis, en Ă©levant un trĂŽne, le droit de le dominer. Ce n’est point infidĂ©litĂ© ni ingratitude; c’est devoir, c’est nĂ©cessitĂ©. La restauration a pĂ©ri Ă  l’Ɠuvre. Tant qu’elle tint au point d’arrĂȘt marquĂ© par la Charte, elle triompha sans effort de tous les assauts de ses ennemis aussi eut-elle Ă  lutter, pendant ces quinze annĂ©es de fidĂ©litĂ© Ă  l’ordre constitutionnel, contre une opposition active d’amis ardents, mais du moins sincĂšres, de loyaux serviteurs, logiciens rigides, logiciens funestes, qui lui demandaient d’appliquer au corps social tout entier le principe sur lequel elle reposait. Ils ne s’apercevaient pas que c’était rĂ©clamer une autre Charte, une autre 3o4 LIVRE QUXTEIÈME. royautĂ©, une autre France. A la fin, au 8 aciĂ»t 1829, la logique domina-, et, un an aprĂšs, jour pour jour, Louis-Philippe d’OrlĂ©ans Ă©tait roi. Tout le monde s’en souvient pendant les quinze annĂ©es, on ne cherchait pas les causes de VinquiĂ©tude vague , disait-on, mais rĂ©elle, qui en effet troubla obstinĂ©rpent les prospĂ©ritĂ©s infinies de la France, sans que des voix puissantes ne criassent, Ă  la tribune, dans le Conservateur, au pavillon Marsan, que tout le mal tenait Ă  ce vertige de la royautĂ© hostile pour les royalistes, de la royautĂ© vouant Ă  la disgrĂące ceux qui avaient combattu pour sa cause, et par qui elle avait vaincu, s’éloignant d’eux au lieu de se jeter dans leurs bras, se privant Ă  plaisir de ses naturels appuis, dĂ©sertant leurs intĂ©rĂȘts et leurs principes, pour complaire Ă  ses seuls ennemis, et mille autres folies Ă©loquentes dont la fortune a fait raison Ă  la fin d’une maniĂšre si terrible. Poursuivait-on la conspiration du bord de l’eau, bou ien enlevait-on un commandement immense, celui des gardes nationales de France, au premier sujet du royaume, au frĂšre du monarque, au comte d’Artois, que d’accusations formelles de trahison lancĂ©es contre le ministre qui avait, Ă©crivait-on, rompu ainsi tous les liens du roi et de la France'. Lorsque, roi Ă  son tour, ce prince crut un jour Ă la nĂ©cessitĂ© de combattre, par deux ordonnances cĂ©lĂšbres, les associations du temps, les colĂšres portĂšrent jusque LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 3o5 sur la royautĂ©! Un journal, qui n’est plus, alla jusqu’à intituler un de ses articles, Julien l’Apostat! L’apostasie consistait Ă  reculer, par une secrĂšte et religieuse Ă©pouvante, devant les abĂźmes. Aujourd’hui comme aux dĂ©buts de la restauration , il y a dans les opinions un malentendu terrible. La France est affamĂ©e de repos, d’ordre, de libertĂ© , de cette libertĂ© vĂ©ritable qui se fonde sur l’ordre et assure le repos. Ces biens lui sont si chers qu’elle est incessamment prĂȘte Ă  les prendre de toutes mains; qu’elle se livre toute entiĂšre Ă  quiconque les lui promet un jour. Et il est un parti qui entend contraindre notre patrie Ă  dĂ©duire sans pitiĂ© toutes les consĂ©quences du principe auquel la rĂ©volution de 1830 se lie; comme ce principe est l’insurrection populaire, sa consĂ©quence directe et nĂ©cessaire serait la permanence de l’anarchie logique fatale, flĂ©au vĂ©ritable qui tourmente la France depuis juillet 1830, qui l’a profondĂ©ment divisĂ©e au dedans, affaiblie et dĂ©considĂ©rĂ©e au dehors, qui lui a rendu difficiles et la paix et la guerre, qui lui a fait sentir enfin, au sein de l’ordre matĂ©riel, toutes les angoisses et toutes les misĂšres de l’anarchie ! On veut que la rĂ©volution se soit accomplie sous la loi de tout recommencer et de tout refaire, tandis qu’elle s’était offerte Ă  nous, qu’elle n’avait rĂ©clamĂ© et obtenu la soumission des Français, que sur la promesse de tout clore et de tout affermir ! ‱20 3o6 LIVRE QUATRIÈME. Le parti qu’on signale demande une autre libertĂ©, une autre France; il entend que cette France prenne d’autres inclinations, et se crĂ©e d’autres intĂ©rĂȘts; il exige pour elle et d’autres lois, et d’autres frontiĂšres. Ce parti campe Ă  la fois en dehors de la Charte, et en dehors 'des traitĂ©s. Il ne reconnaĂźt ni notre droit public, ni le droit des gens. En un mot, il veut une rĂ©volution dans la rĂ©volution; et, celle-ci, il s’efforce de l’étendre Ă  l’univers ! Il est triste et humiliant de voir le mĂȘme cercle d’égarements se rouvrir tour-Ă -tour devant les partis contraires, d’entendre exactement les mĂȘmes colĂšres au sein de tous les partis rĂ©gnants, seulement aujourd’hui avec moins d’éloquence que naguĂšre, et, il faut le dire, avec moins de prestige , avec moins de retentissement dans les cƓurs gĂ©nĂ©reux. Mais c’est une loi de ce monde. La vĂ©ritĂ©, la justice, sont en hutte aux mĂȘmes assauts, quelle que soit l’opinion victorieuse. Les partis opposĂ©s battent tour-Ă -tour de leurs flots ces anges gardiens de l’humanitĂ©, qui ressemblent au gĂ©ant debout sur le cap des TempĂȘtes. Les mers contraires viennent, des deux bouts de l’horizon, bouillonner, mugir Ă  ses pieds, et heureusement s’y briser. CHAPITRE II. GUERRE CONTRE LES DEUX CHARTES ET LES DEUX ROYAUTÉS. Depuis l’avĂšnement de la rĂ©volution , la Charte populaire de 1830 a Ă©tĂ© poursuivie, au nom de la libertĂ© , de mille fois plus d’agressions que la Charte royale de 1814 ne l’avait jamais Ă©tĂ© par quelques royalistes extrĂȘmes, au nom de la monarchie. Le parti vainqueur n’a pas craint d’invoquer tout haut la chute des lois; de susciter contre les Chambres, au milieu desquelles le trĂŽne nouveau s’est Ă©levĂ©, les fureurs populaires ; de comprendre dans les mĂȘmes menaces le corps Ă©lectoral tout entier. Nous avons eu , en un mot, la contre-partie fidĂšle de tout ce qu’on avait dĂ©noncĂ© quinze ans essais publics de crĂ©er des pouvoirs et des armements illĂ©gaux ; influences cachĂ©es qui prĂ©tendaient s’élever Ă  cĂŽtĂ© et au-dessus du trĂŽne ; appels Ă  la force; associations, si semblables Ă  celles que la polĂ©mique a tant combattues, que l’on croit rĂȘver. Caisse commune, cotisation du fa- 3o8 LIVIÎE QIIATEIÈME. meux sou par semaine , chefs mystĂ©rieux, rien n’a manquĂ© au parallĂšle, pas mĂȘme ces coquetteries rĂ©ciproques des extrĂȘmes qui n’étaient empĂȘchĂ©s, disaient-ils , de s’entendre et de s’embrasser que par les opinions intermĂ©diaires qui les sĂ©paraient ; pas mĂȘmes ces agressions violentes , ces dĂ©nonciations calomnieuses contre les hommes de modĂ©ration et de prudence, vieux tĂ©moignages de la fureur qu’ils inspirent toujours aux factions dominantes , c’est-Ă -dire la fureur du navire mouillĂ© dans le port contre le cĂąble qui l’attache au rivage. Nous avons eu jusqu’à un rapprochement qui semblait devoir manquer, jusqu’à ces menaces de retraite derriĂšre la Loire et de marche armĂ©e sur Paris, qu’un journal rĂ©volutionnaire a rĂ©pĂ©tĂ©es Ă  plusieurs reprises, du moment que Paris se fut prononcĂ© pour l’ordre et les lois, et qui nous ont rappelĂ© ces temps oĂč le Conservateur menaçait Louis XVIII et ses ministres des armes de la VendĂ©e ces armes des vieux Francs , disait le publiciste illustre 1 Ă  ses adversaires, trop pesantes pour vos bras ! » Nous avons vu de plus les efforts faits de toutes parts pour soulever les masses ; la garde nationale par exemple, signalĂ©e Ă  l’animadversion de la multitude, comme autrefois Ă  celle du trĂŽne; les autoritĂ©s secondaires, les prĂ©fets delĂ  Seine, par {' M. de Chateaubriand. LE parti rĂ©volutionnaire. 3o 9 exemple 1, s’attaquant aux pouvoirs attaquĂ©s par les factieux, et s’abstenant, avec un soin Ă©gal Ă  celui de quelques prĂ©fets de la restauration , de recommander la Charte Ă  l’obĂ©issance du peuple et Ă  sa confiance, ou mĂȘme ne rappelant les sĂ©ditieux dans le sentier du devoir qu’au nom de promesses solennelles et sacrĂ©es , comme si parler de conquĂȘtes Ă  faire, et point de conquĂȘtes accomplies, ce n’était pas proroger la sĂ©dition au lieu de la dissoudre ! Et ce n’est pas sans intention que ce nom de la Charte victorieuse fit place tout-Ă -coup Ă  d’autres symboles, bien que la rĂ©volution l’eut fortifiĂ©e de garanties et de libertĂ©s nouvelles. Il y eut accord entre les chefs du parti pour dĂ©clarer tous ensemble Ă  la France l’avenir nouveau qu’on entendait crĂ©er pour elle. Nous avons vu que ce fut M. de la Fayette qui se chargea de formuler, sous le nom de programme de l’HĂŽtel-de-Ville, cette autre constitution, diffĂ©rente de la Charte, postĂ©rieure Ă  la Charte, qui n’avait pas empĂȘchĂ© les serments Ă  la Charte, et par laquelle pourtant la France se trouvait, Ă  son insu, rĂ©gie et enchaĂźnĂ©e, alors qu’elle croyait l’ĂȘtre par cette Charte que ous avaient jurĂ©e. Dans le mĂȘme temps, M. Odilon-Barrot se mit Ă  dĂ©clarer, au nom de l’opposition dynastique, 1 du sac de St-GermĂ in-l'Auxerrois et de l’ArchevĂȘchĂ©. 3lO LIVRE QUATRIÈME, que ce qui lui paraissait Ă  propos, c’était de reprendre les choses Ă  1789, et de refaire toutes nos destinĂ©es! L’extrĂȘme droite d’autrefois n’avait jamais Ă©tĂ© si loin. Un plagiat restait Ă  tenter; celui du pouvoir constituant. Le parti n’y a pas manquĂ©; et ce pouvoir illibĂ©ral Ă©tait-il un simple rĂȘve, une vaine utopie ? Non! ce fut un projet sĂ©rieux, une entreprise concertĂ©e, une conjuration enfin! Quand on ne se sentait pas en mesure de l’usurper soi-mĂȘme, Ă  qui voulait-on le dĂ©fĂ©rer? Qui renouvela , six mois aprĂšs la dictature mortelle de Charles X, ces projets de dictature rĂ©volutionnaire ? Qui offrit k Louis-Philippe le coup d’Etat dĂ©magogique, comme un fleuron inattendu de sa couronne ? Qui inventa ce moyen d’en finir avec les deux Chambres, devenues importunes aux rĂ©acteurs nouveaux autant et plus qu’aux rĂ©acteurs prĂ©cĂ©dents? Qui nourrit ces pensĂ©es d’ordonnances nouvelles, dans les jours mĂȘme oĂč un peuple furieux demandait la tĂȘte des ministres, coupables d’avoir assistĂ© Charles X dans cette funeste entreprise ? Qui entendit faire, de l’adoption de ces plans subversifs , la consĂ©quence et le prix de ses services de juillet et de dĂ©cembre ? L’histoire le dira. Elle dira aussi, comment les auteurs de c/s folies rĂ©volutionnaires, quand ils les virent a^br- ter, s’en prirent de tous leurs mĂ©comptey'a la France et Ă  la royautĂ©. Ils semblent avoir RĂ©solu LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 3ll de les dompter, ou au moins de les punir toutes deux. TantĂŽt on essaie, sans l’ombre d’un motif vrai, et le lendemain d’une commotion effroyables les dĂ©missions soudaines 1, comme si on voulait s assurer que les retraites sur le mont sacrĂ© aient cours encore, que ce soit un moyen de rĂ©duire l’autoritĂ© royale Ă  merci, de l’amener repentante et soumise Ă  subir les lois qui lui sont offertes. TantĂŽt on la met au dĂ©fi; on la contraint de marquer elle-mĂȘme le divorce par des destitutions Ă©clatante; et le pouvoir affronte-t-il tous ces pĂ©rils? Alors on crie que les hommes de juillet sont vus en ennemis, que la rĂ©volution est abjurĂ©e, qu’elle est trahie , qu T elle est vendue. Le trĂŽne populaire est traitĂ© enfin comme la Charte mĂȘme. Tentative avouĂ©e de le rĂ©duire Ă  nĂ©ant, de l’humilier, de l’appauvrir, jutsqu’à ne pouvoir donner du pain Ă  l’indigence et du travail aux arts ; contestation de ses plus lĂ©gitimes, de ses plus nĂ©cessaires prĂ©rogatives; application journaliĂšre Ă  le contrister et Ă  le flĂ©trir; rĂ©cits publics de confidences intimes, appels Ă  des promesses personnelles, allusions injurieuses, toutes les armes sont bonnes alors pour tirer vengeance de cette royautĂ© populaire qui prĂ©tend sortir de page. Le parti s’efforce Ă  plaisir de la dĂ©pouiller de tout prestige ; il lui conteste tous les souvenirs et toutes les filiations; il lui in- b dĂ©mission du commandement, en chef des gardes nationales. 3l2 LIVRE QUATRIÈME. terdit tout reflet des gloires du passĂ©; il dit et Ă©crit ces paroles dont le bon sens s’épouvante, Dieu merci ! comme la nature que le roi citoyen a cessĂ© d’ĂȘtre le fils de Henri ou qu’il ne serait pas roi. On ne peut trop dĂ©sarmer le trĂŽne coupable de n’avoir pas cru qu’il y eĂ»t place dans la monarchie constitutionnelle pour un maire du palais, de la façon de l’anarchie, non plus que pour des feudataires Ă  la maniĂšre de ce comte de PĂ©rigord, disant Ă  tout propos Qui l’a fait » roi ? » Les poĂštes cependant intitulent leurs chants le parjure ! Le duc d’OrlĂ©ans, le roi Louis-Philippe parjure, parce qu’il aurait cru avoir plus d’obligations envers la France qu’envers les Ă©meutes, plus envers la Charte qu’envers le programme prĂ©tendu de l’HĂŽtel-de-Ville ! Et ils n’hĂ©sitent pas sur le chĂątiment que veut leur furie. Tout ce qui a Ă©tĂ© fait contre Louis XYI, on l’annonce , on le promet Ă  cet autre roi des Français. Tout ce qui a Ă©tĂ© dit contre ces princes, les Ă©lus des siĂšcles, on le rĂ©pĂšte, et mille fois plus, contre l’élu de la grande semaine. On recourt contre lui Ă  tous les monstres. C’est tantĂŽt Ă  la rĂ©publique, tantĂŽt Ă  l’empire, tantĂŽt Ă  la lĂ©gitimitĂ©, quelquefois Ă  tous trois ensemble. L’anarchie est le GĂ©rion antique. Elle a trois tĂȘtes le bonnet rouge, la couroiyte Ă  aigles, le saint chrĂȘme de Reims, consacrant tour-Ă -tour ou tout ensemble son triple Pont. LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 3 I 3 Pour bien marquer le mĂ©pris profond qu’on fait de la France, le mĂȘme journal qui prĂȘeha d’abord la dĂ©magogie, se dĂ©clare le dĂ©fenseur de la cause . et des droits du fils de Marie-Louise ; en mĂȘme temps il emprunte au dĂ©fenseur illustre d’un autre enfant et d’une cause auguste, l’appui de ses colĂšres, comme Patrocle prenait les armes d’Achille, sans qu’on puisse dire qui, dans tous ces amalgames adultĂšres, est courtisĂ© sĂ©rieusement ou raillĂ©, de la lĂ©gitimitĂ©, de la rĂ©publique , ou de l’empire ! Une manƓuvre des patriotes est de frapper de honte, pour tout flĂ©trir, pour tout saper plus sĂ»rement, et la restauration, et la maison royale toute entiĂšre. Leur langue ne se lasse pas de redire que notre patrie est tellement d’humeur Ă  souffrir la honte qu’elle porte paisiblement, aujourd’hui et depuisdix-sept annĂ©es, cet horrible fardeau. Et quels sont les hommes qui tiennent ce langage? Est-ce, par exemple , ce brave gĂ©nĂ©ral Durosnel qui a enfoui dix-sept ans de sa vie dans une retraite profonde, et n’a reparu Ă  la lumiĂšre, qu’à l’heure oĂč il a vu briller, sur le clocher de l’église prochaine, le drapeau de ses grands jours? Non, celui-lĂ  n’insulte pas an malheur; il n’insulte pas Ă  un gouvernement que lui ne reconnaissait point, mais que reconnaissait son pays. Il craindrait trop de blesser la France elle-mĂȘme dans les princes, dans les lois qu’elle accepta ; et 3 r 4 LIVRE QUATRIÈME. probablement, Ă  ce rĂ©veil d’EpimĂ©nide, s’étonne- t-il de toute cette dĂ©magogie de chambellans dĂ©chus, de tout ce dĂ©lire d’hommes d’Etats blanchis. Ceux qui parlent ainsi sont des hommes qui inclinaient devant les Bourbons leur rĂ©vĂ©rence assidue, qui paraient leurs collets de fleurs de lis, qui ne dĂ©niĂšrent jamais un serment, ce que d’autres ont su faire depuis juillet, quand leur conscience l’a voulu ! Pendant notre vive lutte contre M. le comte de VillĂšle, que faisait M. Laffitte ? Il trempait dans les plans financiers de M. de VillĂšle, dans la conversion des rentes courageusement dĂ©molie par la Chambre des pairs, et il contraignait son quartier, ses amis, ses journaux , Ă  lui imposer la pĂ©nitence de la non-réélection ! Que faisait M. Mauguin ? Il gĂ©missait de la licence de la presse dans un procĂšs cĂ©lĂšbre, et opposait aux vindictes de la Chambre de 1828 l’éternel et mystĂ©rieux ad referendum , qui couvrit le ministĂšre des sept annĂ©es comme un talisman protecteur, comme un bill d’indemnitĂ© ! Que faisait M. le vicomte de Cormenin , tellement pointilleux Ă  l’égard de la Charte et de la rojautĂ© libĂ©rales, qu’il leur refuse tout, exceptĂ© un serment ? Il restait attachĂ© au service ordinaire du conseil d’Etat sous tous les ministĂšres de la restauration, c’est-Ă -dire pendant les seize ans en- LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 3 I 5 tiers, et obtenait de M. le comte de Peyronnet, entre autres rĂ©compenses de ses bons et fidĂšles services, la dispense des droits de sceau dus pour tous les titres nobiliaires qu’il lui avait plu de se faire successivement infĂ©oder. Que faisait celui de tous les orateurs qui a le plus employĂ© son Ă©loquence Ă  ressasser nos hontes des quinze annĂ©es? M. le gĂ©nĂ©ral Lamarque, par ses Ă©crits, nous obligeait d’accuser, dans 1 e. Journal des DĂ©bats , ses dĂ©fĂ©rences pour les actes les plus contestables du loyal duc de Clermont-Tonnerre. Et si, Ă  propos d’élections oĂč il avait Ă©tĂ© battu, une gazette celle des Landes se fĂ©licitait de la victoire de la lĂ©gitimitĂ©, Militaire, Ă©crivit-il le 7 dĂ©- » cembre 1827, je ne puis m’empĂȘcher de re- » lever le gant. Vous savez fort bien que je n’ai » fait que cĂ©der au vƓu d’un grand nombre » d’électeurs. Si j’y ai cĂ©dĂ©, en professant liau- » tement mon dĂ©voĂ»ment au roi et Ă  la patrie, » mon attachement sincĂšre , entier , sans reslric- » lion , Ă  la Charte et Ă  la dynastie qui nous l’a » donnĂ©e, ces sentiments animaient tous ceux » qui m’ont honorĂ© de leurs suffrages. Com- » ment donc a-t-on pu dire que la victoire Ă©tait » restĂ©e Ă  la lĂ©gitimitĂ© ? Le drapeau blanc ne » flotte-t-il pas sur ma tĂȘte comme sur celle de » M. le marquis du Lyon ? Ah ! plaçons, il en est » temps, le trĂŽne des Bourbons, ce trĂŽne lĂ©gitime , » autour duquel ont vĂ©cu nos pĂšres, autour du- 3l6 LIVRE QUATRIÈME. » quel doivent vivre nos enfants, au-dessus de » l’atmosphĂšre oĂč se choquent nos passions d’un » jour ! » Non, un gouvernement acceptĂ© ainsi au nom de nos pĂšres car on avait des pĂšres alors et au nom de nos enfants, acceptĂ© par les chefs du peuple et de l’armĂ©e, acceptĂ© par eux pour le compte de tous ceux qui leur avaient donnĂ© des suffrages, ce gouvernement, que nous adulerions encore s’il avait voulu, n’imprimait pas de tache au front de la France. Non, un pavillon, qui flotta sur la tĂȘte de M. le gĂ©nĂ©ral Lamarque, n’était pas sans honneur. Mais pourquoi l’attaque-t-on, sinon pour entretenir les haines de rang Ă  rang et de parti Ă  parti, pour compromettre de plus en plus dans le sentiment public, pour flĂ©trir, si on le pouvait, pour assiĂ©ger de mĂ©pris stupides et de haines sauvages, toutes les fractions de la France qui eut foi aux trĂŽnes et aux autels, pour renverser enfin la promesse fondamentale de juillet, la transaction dĂ©finitive de la sociĂ©tĂ© française, cette transaction qu’il faut trouver, qu’il faut accomplir ou que la fortune cherchera pour nous dans des Ă©preuves nouvelles, et accomplira malgrĂ© nous mĂȘme, Ă  moins que Dieu n’eut condamnĂ© la France Ă  pĂ©rir ! Et comme cette transaction est la mission, le devoir et le salut de l’établissement de 1830, on voit, dĂšs lors, pourquoi on sappe et le trĂŽne et la LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 3l 'j Charte, qui sont les garants nouveaux de cette grande transaction , comme on sapa la Charte et le trĂŽne sĂ©culaire qui l’avait créée. On veut reprendre la guerre domestique de 1789; on veut, comme d’autres Ă  un point de vue contraire l’ont voulu quinze ans, refaire la sociĂ©tĂ© mĂȘme. Et, comme eux aussi, pour arriver lĂ , on est contraint de renverser toutes les institutions et tous les pouvoirs. De lĂ  vient que M. le gĂ©nĂ©ral Lamarqueest allĂ© jusqu’à dĂ©clarer que c’est d e hontes, que le trĂŽne de juillet est cimentĂ©. On ne peut mieux dĂ©noncer des catastrophes prochaines; et M. Mauguin a soin d’ajouter ces paroles faciles Ă  comprendre que ce sont les amis de la restauration qui se trouvent ĂȘtre ceux de la royautĂ© de 1830. Hommes d’inapplicables thĂ©ories, vous ne voyez pas une chose c’est que vos maximes vous rendent incompatibles avec tout gouvernement rĂ©gulier ; c’est que vous ĂȘtes vouĂ©s Ă  Popposition sous tous les rĂ©gimes ; c’est que vous ne pouvez arriver au timon qu’en un jour de tempĂȘte , et vous ne sauriez y rester dans le calme , quand les nations sont dans leur bon sens. Le talent, la vertu mĂȘme quand elle se rencontre, sont chez vous de funestes parures et des armes funestes. Ce sont des moyens de mal faire, et voilĂ  tout ! Vous n’ĂȘtes propres qu’à renverser. BĂątir n’est pas dans votre puissance. Si le pouvoir vous Ă©tait livrĂ©, comme les dra- 3i8 LIVRE QUATRIÈME. gons de la fable, vous ne sauriez non plus que vous entre-dĂ©truire. Pourquoi ? parce que vous poursuivez des chimĂšres anti-sociales ; que vous ĂȘtes antipathiques Ă  la libertĂ© comme Ă  la monarchie ; que ce que vous nommez libertĂ© par une mĂ©prise fatale est dĂ©magogie , et que ce que vous nommez pouvoir est, un jour plus tĂŽt, un jour plus tard , le rĂ©gime du comitĂ© de salut public. L’admirable est que ces mĂȘmes hommes qui foulent aux pieds la royautĂ©, qui vont criant avec M. de Lafayette Le concitoyen que nous avons fait roi, » qui rĂ©cusent la Charte et appellent Ă  une autoritĂ© plus haute, assurent hardiment que le roi leur avait promis des institutions rĂ©publicaines. Et en quel nom l’eĂ»t-il fait? En vertu de quel droit ? Leur roi est l’homme de Pope ils en font tour Ă  tour un ver et un dieu. Quoi ! il dĂ©pendait de lui ou bien de vous de nous condamner Ă  la rĂ©publique ? Et la France ! la France!... Disposez-vous d’elle comme les prĂ©toriens faisaient de l’empire ? Pensez-vous que vous pussiez, Ă  leur instar , marchander le prix du diadĂšme ; et, parce que vous avez une thĂ©orie qui vous est chĂšre , dites-vous, vous la faire assurer par le prince, comme un salaire pris aux dĂ©pends du peuple brocantĂ© ! Ces hommes ont une forfanterie bizarre. Ils rĂ©pĂštent Ă  satiĂ©tĂ© au princequ’eux seuls l’ont fait roi, LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 3l9 et que, par consĂ©quent, il est leur vassal, leur dĂ©biteur , obligĂ© par corps envers eux ; puis ils se retournent vers le pays, et se glorifient de ne nous avoir pas fait rĂ©publique, de nous avoir laissĂ©s provisoirement monarchie quand nos destinĂ©es dĂ©pendaient de leur bon plaisir ! Mais de deux choses l’une. Si vous jugez la rĂ©publique mauvaise, ou bien si vous reconnaissez qu’elle Ă©tait impossible, et par rapport Ă  la France, et par rapport Ă  l’Europe qui vous prĂ©occupait alors, de quoi vous vantez-vous? Si, au contraire, la rĂ©publique est si belle Ă  vos yeux, et que vous ayez pu , Ă  votre fantaisie, en doter votre heureux pays, pourquoi nous en avez-vous sevrĂ©s ? Vous ne l’avez pas pu vous avez compris la volontĂ© de la France ; vous avez reculĂ© d’épouvante devant la tentative de lui rendre ouvertement cette fois et tout Ă  coup, sans prĂ©paration, un rĂ©gime qui l’a baignĂ©e de sang, et qui, aujourd’hui, dans l’état actuel des esprits et du monde, aurait encore noyĂ© dans le sang vous et elle. Mais ce que vous n’avez pas compris , c’est qu’en restant attachĂ©e Ă  la monarchie, elle la voulait de bonne foi, sĂ©rieusement, sans alliage destructeur; ce que vous n’avez pas compris non plus, c’est qu’en demandant un roi, elle n’en voulait pas deux, M. de Lafayette en mĂȘme temps que Louis-Philippe, parce qu’elle sait bien que 320 LIVRE QUATRIÈME. ce n’est pas le gouvernement de LacĂ©dĂ©mone qu’on appellera jamais la meilleure des rĂ©publiques. CHAPITRE III. LE PAVILLON MARSAN 1 DU PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. Nous avons commencĂ© un parallĂšle que nous sommes contraint d’achever entre les accusations activement Ă©levĂ©es contre l’extrĂȘme droite sous la restauration, et celles que l’extrĂȘme gauche mĂ©rite si manifestement aujourd’hui. Les dĂ©molisseurs actuels ont leur centre d’action, leur diplomatie particuliĂšre, leurs notes secrĂštes , leur congrĂ©gation active, leur gouvernement occulte , en un mot un pavillon Marsan tout entier ! LĂ  aussi rĂšgne un chef de parti, noble de sang et charmant de maniĂšres, spirituel, bienveillant, cher Ă  tout ce qui l’entoure; couvrant la vivacitĂ© de ses opinions par la bonne grĂące de son air et de ses paroles ; traitant d’affaires avec cette 1 Le pavillon Marsan, au palais des Tuileries, Ă©tait habitĂ© par S. A. R. Monsieur, comte d’Artois, depuis Charles X. On avait Ă©tabli, dans l’opinion, sous le rĂšgne de Louis XVIII, particuliĂšrement Ă  l’époque delĂ  prĂ©tendue conspiration royaliste du bord de l’eau, que ce prince , objet de toutes les espĂ©rances de l’extrĂȘme droite, Ă©tait le chef de ce centre d’action particulier que la polĂ©mique nommait le Gouvernement Occulte, et d’oĂč Ă©tait Ă©manĂ© la fameuse Note secrĂšte de \ 8 '16. 21 322 LIVRE QUATRIÈME. amĂ©nitĂ© d’un homme qui aurait soupe, la veille, chez la reine Marie-Antoinette; portant dans l’étude et la poursuite des rĂ©volutions la confiance lĂ©gĂšre des cours, et oubliant trop, par habitude de grand seigneur, de tenir compte, dans ses plans d’insurrection armĂ©e en Pologne, en Allemagne, en Suisse, en Savoye, en Italie, du sang des peuples et de la paix du monde; plus gĂ©nĂ©reux, du reste, que son parti tout entier, voulant pour son parti la victoire, en souhaitant du fond de l’ñme qu’elle fĂ»t douce et agrĂ©able Ă  l’univers; ayant dans ses opinions une foi qui sert d’excuse aux Ă©carts par sa sincĂ©ritĂ©, mais ne s’apercevant pas d’une bien simple vĂ©ritĂ©, c’est qu’il ne serait pas plus facile d’arrĂȘter la rĂ©volution aujourd’hui qu’il y a quarante ans, et que vouloir faire rĂ©trograder la France vers un Ăąge d’or placĂ© en l’an de grĂące 1791 sans lui laisser redescendre le cours du temps jusqu’aux annĂ©es terribles qui suivirent, est une entreprise non-seulement surhumaine, ce qui est un inconvĂ©nient, mais fausse, mauvaise, Ă©goĂŻste, ce qui est un tort. EgoĂŻste, disons-nous car c’est nourrir la prĂ©tention de ramener le monde Ă  des temps qui risquent fort de ne nous sembler enchantĂ©s, s’il faut en croire l’auteur des Lettres persanes , que parce qu’on avait des succĂšs alors et qu’on n’avait pas la goutte. L’ancien rĂ©gime de 1791 est aussi de l’ancien rĂ©gime; il y a Ă©galement violence Ă  vouloir l’im- LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 323 poser Ă  d’autres mƓurs, Ă  d’autres opinions, Ă  une autre sagesse. Mais c’est le malheur de tous les camps d’avoir leurs demeurants d’un autre Ăąge, comme M. de Chateaubriand l’a dit si spirituellement Ă  une autre Ă©poque, lesquels ne rĂȘvent que de passĂ©, mĂȘme quand ils parlent sans cesse d’ordonner l’avenir. Peut-ĂȘtre, au fait, tous les hommes sont-ils comme le dieu au double visage. En marchant dans la vie, les yeux qui regardaient en avant s’éteignent et se ferment; ceux qui voient en arriĂšre restent seuls ouverts ils n’éclairent que le lointain qu’on a traversĂ© dĂ©jĂ . Ce sont, en politique, des flambeaux trompeurs. Les souvenirs des Etats-Unis sont aussi des souvenirs d’émigration. Il y a de plus l’inconsĂ©quence de patriotes , reconnaissant pour leur chef un citoyen avouĂ© des Deux Mondes. Du reste, le Co- blentz rĂ©volutionnaire se nourrissait autant que l’autre de prĂ©occupations opiniĂątres, de comparaisons fausses, de folles illusions, de prĂ©jugĂ©s funestes, d’entreprises subversives. On ne sait oĂč serait mieux marquĂ© le lit de Procuste, Ă  vouloir enserrer la nouvelle sociĂ©tĂ© française dans les re- grets de l’armĂ©e de CondĂ©, ou la monarchie constitutionnelle de France dans les rĂšglements des plantations de Lafayette-Ville. Un gouvernement par association nationale 1 1. Association fameuse des membres de l’opposition qui fut dĂ©fĂ©rĂ©e aux deux Chambres et aux tribunaux. LIVRE QUATRIÈME. 3a4 est aussi un gouvernement. Pour ĂȘtre ministres in partibus , les hommes d’Etat qui le composent ne nourrissent ni des prĂ©tentions moins hautes, ni une moins active ambition. Ajoutons qu’il y a deux ministres de la guerre, trois ou quatre grands- juges, on ne sait combien de chefs de l’intĂ©rieur ou des finances ; et comme ils sont tous irresponsables, que leur gestion est secrĂšte, ils jouissent de tous les avantages qu’avaient les ministres de l’empire. C’est de leur citadelle imprenable qu’ils tirent Ă  boulets rouges sur chaque ministre patent, lequel combat Ă  dĂ©couvert, agit au grand jour, et rĂ©pond Ă©galement de ce qu’il fait ou de ce qu’il ne fait pas. La France se trouve ainsi possĂ©der, comme au temps de madame de Pompadour , deux ministĂšres rivaux, dont l’un est nĂ©cessairement le plus occupĂ©, puisqu’il n’a d’autres attributions que des intrigues, et d’autres limites que son zĂšle. Il arrive mĂȘme quelquefois, comme alors, aux puissances Ă©trangĂšres, d’accrĂ©diter, apparemment par Ă©conomie, les mĂȘmes plĂ©nipotentiaires auprĂšs des deux cabinets. C’est ainsi que dans une discussion mĂ©morable , quand le gouvernement croyait devoir garder le silence sur des nĂ©gociations pendantes, on a vu le ministĂšre occulte tout Ă©bruiter au moyen de dĂ©pĂȘches Ă  lui adressĂ©es officiellement par les nĂ©gociateurs, qui voulaient aussi , de leur cĂŽtĂ©, donner du fil Ă  retordre au ministĂšre ostensible. Le parti n’a du LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. reste que pour la forme des secrĂ©taires-d’Etat au dĂ©partement des affaires Ă©trangĂšres. La direction spĂ©ciale de ce dĂ©partement est placĂ©e plus haut. G’est encore une tradition d’ancien rĂ©gime. On sait l’amour de Louis XV pour la diplomatie. Charles X y avait aussi un goĂ»t particulier; ce prince possĂ©dait mĂȘme une connaissance approfondie des rapports des Etats ; il aimait Ă  revoir, Ă  corriger lui-mĂȘme toutes les notes, et portait dans ce travail une haute intelligence des intĂ©rĂȘts extĂ©rieurs de son royaume. La grande diffĂ©rence est qu’il avait sur son Ă©chiquier des Ă©tats tous faits. Son illustre Sosie n’admet sur le sien que des Etats Ă  faire. Une cour libĂ©rale est aussi une cour. Le maĂźtre est exposĂ©, comme sous les lambris du Louvre , Ă  se voir entourĂ© de serviteurs passionnĂ©s qui s’abusent avec lui, et de flatteurs impitoyables qui l’égarent. Dans ces levers, royaux pour l’affluence des assistants comme pour l’affabilitĂ© du maĂźtre , lorsqu’on a caressĂ© ceux-ci du regard, ceux-lĂ  de la main , et tous du sourire , on croit avoir payĂ© la dette de son rang. Mais point ! U en est une autre qu’il faut acquitter , celle de se laisser imprĂ©gner de folles louanges et de plans plus fous encore. Tant de fidĂšles n’accourent pas en vain de tous les coins du pays et du monde, comme des musulmans qui se pressent sur les avenues du saint tombeau. Chacun est arrivĂ© avec son grief, chacun ! 3a6 LIVRE QUATRIÈME. avec son utopie. Tous ces architectes en l’air ont en poche un devis de quelques combinaisons insurrectionnelles, de quelques rĂ©volutions dĂ©mocratiques, qu’il faut peser, mĂ»rir, mettre en cours d’exĂ©cution , sous peine de dĂ©chĂ©ance. On vous crie de toutes parts que vous fĂ»tes le prĂ©curseur delĂ  rĂ©volution de 1830, que vous seul avez tout fait, que vous vous devez Ă  vous-mĂȘmes de veiller sur votre ouvrage et d’avoir soin qu’il soit menĂ© Ă  bien. On vous somme de poussera bout l’expĂ©rience de vos thĂ©ories, pour justifier cette louange de Charles X, disant Ă  M. Royer- Collard qu’il ne reconnaissait qu’un homme qui fĂ»t aussi consĂ©quent que lui-mĂȘme, et que cet homme c’était vous. On vous montre l’établissement des bons principes dans le monde entier , comme faisant aussi partie de votre mission et de votre gloire. On exige de vous d’autres guerres d’Espagne, destinĂ©es Ă  relever des tribunes comme celle de 1823 Ă  en renverser. On vous engage, on vous lie , ainsi que font les princes entre eux , par l’envoi de leurs ordres au lieu de plaques et de cordons, se sont des uniformes de gardes nationales qu’on Ă©change; et vous parez votre front chenu de la coiffure martiale du grenadier polonais , comme un autre roi, pour complaire Ă  son voisin , porterait en sautoir le mouton illustre de la Toison-d’Or. Vous devenez ainsi par degrĂ©s un centre europĂ©en , que disons-nous ? Universel ! LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 'i'Z'] Toutes les rĂ©actions , toutes les tentatives subversives du monde entier, vous nomment dans leurs espĂ©rances. 11 y a des Ă©missaires de tous les peuples ; il vous faut des envoyĂ©s auprĂšs de toutes les insurrections. On croit d’une main , Ă©branler le Midi; de l’autre, soulever tout le Nord. En effet, le sang coule Ă  flots, il coule en Pologne, en Italie, en Allemagne, en Savoye, en Espagne ; et, au milieu de ces douloureux spectacles , on songe avec bĂ©atitude Ă  tout le bien qu’on souhaite aux hommes, Ă  tout celui qu’on leur fera, si jamais la France, l’Europe et le temps voulaient se rendre Ă  discrĂ©tion , et, comme des mĂ©taux qui ont besoin d’une refonte, passer docilement au creuset. Que ce soit la pierre philosophale de la rĂ©publique qu’on croie avoir trouvĂ©e, ou bien le grand arcanum de la monarchie, toujours est-il qu’un noble caractĂšre, de hautes vertus, une Ăąme, un esprit, une imagination de vingt-cinq ans, enfin toute une jeunesse septuagĂ©naire se perd sans profit dans cette alchimie dĂ©sastreuse , oĂč l’on dĂ©pense, sans y prendre garde, comme des ingrĂ©dients vulgaires, le repos de son pays et l’avenir de l’humanitĂ©. Comment ces incendies de peuple Ă  peuple peuvent-ils ne sembler Ă  un cƓur pieux et bienveillant ni plus ni moins que des expĂ©riences in anima vili? C’est que les courtisans populaires sont bien autrement funestes, et, on est fĂąchĂ© de le dire, bien autrement passion- 328 LIVRE QUATRIÈME. nĂ©s, ignorants, serviles, que ceux qui foulent l’aire dorĂ©e des palais. L’étourdissement de leurs louanges suffit Ă  Ă©touffer les plaintes de nations entiĂšres, gratuitement bouleversĂ©es par l’intervention universelle des apĂŽtres de la non-intervention. Un historiographe de cette cour populaire vient prĂ©cisĂ©ment de tracer ! un tableau animĂ© qui atteste, contre sa pensĂ©e, ce malheur inĂ©vitable des existences princiĂšres. Plus l’admiration du narrateur est profonde, plus elle rĂ©vĂšle les dangers auxquels est en butte un mortel, traitĂ©, non pas comme les princes de leur vivant, mais comme les CĂ©sars aprĂšs leur mort, c’est-Ă -dire en quasi- dieu. L’écrivain M. Luchet parle ainsi des levers C’est un salon public, une intimitĂ© universelle, » oĂč les amis amĂšnent leurs amis, les fils leurs » pĂšres, les voyageurs leurs camarades. Autour » du vieillard, fier de Xenthousiasme qu’il inspire, 4 Voir le Livre des Cent-et-un , au tome II, que rendent si remarquable de nouvelles esquisses de M. Bazin, des pages oĂč M. Janin s’est Ă©levĂ© Ă  la plus haute Ă©loquence, et celles oĂč M. le comte Alexis de Saint-Priest a tracĂ©, du monde le plus brillant, le plus spirituel et le plus Ă©levĂ© , un tableau parlant. Le morceau que l’on va citer n’a pas fait naĂźtre nos rĂ©flexions, car elles Ă©taient Ă©crites et avaient Ă©tĂ© publiĂ©es dĂ©jĂ  auparavant il est venu les justifier, d’une façon merveilleuse t comme ont fait les Ă©vĂ©nements pour tant d’autres assertions. Notre chapitre a une date certaine la Revue de Paris l’a publiĂ© dĂ©jĂ  en octobre 4834. Note de la 4re Ă©dition Seize Mois. LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 329 » voyez courir celte multitude qui rit, Ă©clate, se » fĂąche, se raccommode devant lui. Voyez toutes » les illustrations politiques, scientifiques , littĂ©- » raires, populaires, battre pĂȘle-mĂȘle ce parquet » bruyant, en bottes crottĂ©es, en bas de soie, en » uniformes, en redingote boutonnĂ©e, en habit » Ă  revers qui s’envolent. Au milieu de la cham- » bre est un groupe serrĂ© ceux qui le compo- » sent s’amincissent et s’allongent, les bras collĂ©s » au corps. Tout autour on se hausse sur la pointe » des pieds , et les mots c'est lui! circulent. » M. Luchet croit-il qu’on s’amincisse davantage dans le palais des rois ? La plus grande diffĂ©rence est assurĂ©ment que, chez les rois, ce sont encore les pĂšres qui prĂ©sentent leurs fils. Nous parlions d’un corps diplomatique, de reprĂ©sentants de l’univers. LĂ , continue M. Lu- » chet, tous les pays, toutes les classes, toutes » les espĂšces se trouvent, se mĂȘlent, s’embras- » sent; lĂ  toute la France, toute l’Europe, toute » l’AmĂ©rique ont envoyĂ© leurs dĂ©putations. » Cette cour, oĂč se mĂȘlent toutes les espĂšces , Ă©tait-elle du moins plus morale qu’une autre ? HĂ©las ! notre auteur la juge, comme a fait M. Armand Marrast au sujet de l'HĂŽtel-de-Ville. AprĂšs la nomenclature des figures historiques, des gloires nationales, des grands caractĂšres, de MM. Odilon-Barrot, Godefroy Cavaignac, Audry de Puyraveau. J’aperçois, dit-il, tant de figures 33o LIVRE QUATRIÈME. » ternes, louches, dĂ©goĂ»tantes Ă  voir , hideux re- » poussoirs sur ce noble tabieau ! elles s’agitent » autour du bon vieillard qui leur sourit, inof- » fensif et confiant ; elles le trahissent et se mo- » quent de lui ; elles lui volent, ses poignĂ©es de » main. Intrigants de tous les ordres, ils ont toute » honte bue; et les signaler aujourd'hui ne les » empĂȘcherait pas de revenir demain. » Ici le Dangeau de la rĂ©publique en devient le duc de Saint-Simon; mais Saint-Simon ne raconte pas que les flatteurs de Louis XIV se moquassent de lui. Maintenant, veut-on savoir quelles passions et quels hommes attisent le feu de ces rĂ©volutions qui ensanglantent ou menacent le monde, attristent les populations, dĂ©truisent le travail, troublent enfin le repos et suspendent les progrĂšs des nations? Voyez tourbillonner cette nuĂ©e de » jeunes gens Ă  moustaches, rĂ©publicains d’esta- » minets, avocats sans procĂšs et mĂ©decins sans » malades , qui font de la rĂ©volution par dĂ©soeu- » vrement, ambitieux de se lire inscrits sur les » registres de la cour d’assises, ou bien Ă  l’écrou » de Sainte-PĂ©lagie. » — Et c’est pour de telles ambitions peut-ĂȘtre que le sang a coulĂ© en Italie, en Pologne, Ă  Lyon ! Celles des princes ont-elles jamais fait plus de ravages, et qu’importe que le sang des peuples coule pour une place en cour d'assises, ou bien au temple de mĂ©moire ? LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 331 A quels destins sera rĂ©servĂ© le monde , si jamais ces ambitieux prennent crĂ©dit, si leurs conseils sont Ă©coutĂ©s, si, Ă  dĂ©faut de leurs conseils, leurs louanges seulement sont entendues ? Et les leurs ne le fussent-elles pas, il en est de plus redoutables, celles que dicte un zĂšle sincĂšre et pur comme celui de M. Luchet, alors qu’il s’écrie Son image, » le soir, vient me visiter! Je m’en empare, je » l'embrasse , je la caresse ! je l’appelle honneur, » patrie , libertĂ©, gloire! Je la vois incarnĂ©e, faite » homme, majestueuse, au front serein, calme et » belle, semblant me bĂ©nir... Attendrissante bĂ©- » nĂ©diction que je croyais ĂȘtre celle de Dieu, un » jour que je la reçus en effet, et que, se pen- » chant sur moi, il me dit d’une voix altĂ©rĂ©e » Au revoir , mon ami! » Puis l’écrivain ajoute qu’il n’y a que deux noms dans l’histoire l’autre est NapolĂ©on ! Faut-il admirer ou plaindre davantage la vertu qui est en butte Ă  ces tempĂȘtes d’encens? NapolĂ©on et Jacques II se sont perdus Ă  beaucoup moins. A la vĂ©ritĂ©, on nous criera que les courtisans de la rĂ©publique n’obĂ©issent du moins qu’à des convictions, que l’ambition leur est Ă©trangĂšre, qu’ils n’adulent que la disgrĂące et la vertu , que ce sont enfin des courtisans modĂšles , des courtisans dĂ©sintĂ©ressĂ©s. Il y a un malheur, c’est que, dans les cartons des huit ministĂšres, se sont accumulĂ©es, depuis juillet 1830, pour l’obtention de prĂ©fec- 33a LIVRE QUATRIÈME. tures, d’ambassades ou de bureaux de tabac soixante-dix mille apostilles de placets, signĂ©s... Lafayette ! CHAPITRE IV. naĂźtre du parti rĂ©volutionnaire. Le parti ne veut point de la royautĂ© de 1830, plus que de la royautĂ© lĂ©gitime. Il ne veut pas de la Charte populaire, plus que de la Charte octroyĂ©e. Ilne veut pas de la transaction qui rallia , en 1814, la grande famille française et rĂ©tablit l’égalitĂ© entre les classes et entre les partis, en rendant Ă  tous selon leur droit. Que veut-il ? Ce parti actif, puissant, subversif, qu’on appelle tantĂŽt bonapartiste , tantĂŽt rĂ©publicain , parce qu’il est composĂ© d’élĂ©ments trĂšs-divers, passe pour n’avoir point de tendance uniforme , point de dessein commun grave erreur! on peut facilement dĂ©couvrir une mĂȘme pensĂ©e Ă  travers des emblĂšmes opposĂ©s. Cette pensĂ©e, il faut la signaler en distinguant le but des moyens pervers et destructeurs, mais en montrant que ce qui condamne le but, c’est que les moyens en sont les conditions nĂ©cessaires. Il faut les subir ou s’abjurer. 334 LIVRE QUATRIÈME. Le but est-il d’avoir des rĂ©volutions pour des rĂ©volutions ? Personne ne le pense , ou bien c’est la passion de ce ramas qui s’attache Ă  la fortune des pai'tis. S’agit-il pour les uns de rĂ©publique, pour les autres de bonapartisme, ce qui ne serait encore qu’une question de forme ou de personnes? Pas davantage. Voyez si vous pouvez reconnaĂźtre l’école impĂ©riale dans ces orgies de carrefour qu’on croirait bien plutĂŽt inventĂ©es pour outrager le gĂ©nie qui nous rendit un trĂŽne et des autels, que pour rendre hommage Ă  sa gloire ? C’est un bonapartisme subalterne et corrompu; ou plutĂŽt ce n’est qu’une amorce Ă  des souvenirs qu’on voudrait exploiter, une levĂ©e l’ombre d’un nom hĂ©roĂŻque pour enrĂŽler plus de soldats. Et quant aux rĂ©publicains, le moyen de prendre au sĂ©rieux, comme gens de thĂ©orie, les bandes employĂ©es, durant vingt mois, Ă  montrer par nos villes une rĂ©publique flottante comme celle d’Angleterre ; car elle tient le pied dans le ruisseau ! Il n’y a dans tout cela que des besoins de dĂ©sordre, qui, par le choix des cris de ralliement trahissent seulement une prĂ©dilection pour l’anarchie ou bien le despotisme. Et qu’importe la diffĂ©rence! Sous ces deux noms, c’est mĂȘme flĂ©au l’un ne se distingue de l’autre qu’en ce que le premier met plus de passion , l’autre plus d’ordre dans le dĂ©sordre. Non, non, l'entreprise est plus sĂ©rieuse, parce LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 335 que les complices abondent, et qu’il se rencontre des hommes d’action, des hommes de talent, des hommes de bien, parmi les chefs. Il ne s’agit de rien moins que du dĂ©placement de la puissance publique. Chez les uns, philanthrophie, et ceux-lĂ  sont les bĂ©ats delĂ  faction; chez d’autres, prĂ©jugĂ©s; chez la plupart, passion, haine, cupiditĂ©, partout la tendance est de porter la puissance publique au sein de ce que les chefs du parti appellent les forces vices de la sociĂ©tĂ©. HĂ© bien ! lĂ  est le vice fondamental du parti, ce qui le rend impie et funeste; car les forces vives sont des forces matĂ©rielles, des forces brutales, et c’est par les forces morales que l’humanitĂ© doit ĂȘtre rĂ©gie , ou bien la sociĂ©tĂ© ment Ă  son auteur. Ce systĂšme , pourtant, on peut le respecter tant qu’il ne sera qu’une utopie, qu’une vue abstraite et fausse des intĂ©rĂȘts et des destinĂ©es de l’humanitĂ©. Mais si des entreprises inconstitutionnelles font cortĂšge Ă  l’utopie, si une tourbe aveugle la traduit en clubs , en Ă©meutes , en attentats qui rĂ©voltent les nations civilisĂ©es ; si l’intention est de faire sortir un gouvernement du milieu de ces thĂ©ories dĂ©vorantes et de ces criminelles passions, si le nom delĂ  libertĂ© colore et relĂšve ces tentatives, nous en prendrons de l’épouvante dans l’intĂ©rĂȘt de notre patrie compromise, dans l’intĂ©rĂȘt de la libertĂ© profanĂ©e. Or , le propre de se systĂšme est, par sa nature mĂȘme, de passer bientĂŽt de la thĂ©o- 336 LIVRE QUATRIÈME. rie Ă  l’action. Et l’action , c’est, de toute nĂ©cessitĂ©, le drame qu’on a vu , il y a quarante ans. C’est pourquoi nous appelons franchement le parti de son nom; nous l’appelons rĂ©volutionnaire , lui et tous ceux qui se font ses desservants par niaiserie, ou ses complices par lĂąchetĂ©. Nous l’appelons rĂ©volutionnaire, parce que la multitude est son instrument, la rĂ©volte son moyen, le nivellement son but; parce qu’anti-social dans ses doctrines , il ne peut s’empĂȘcher de l’ĂȘtre dans ses actes. Les mauvais penchants de la rĂ©volution de 1789 sont ceux qu’il est dans sa fatalitĂ© de raviver pour s’en faire des appuis ; et il ne pourrait y rĂ©ussir qu’en prĂ©cipitant de nouveau la France dans les mĂȘmes misĂšres et dans les mĂȘmes attentats. Ce n’est pas que nous confondions, on le voit assez, et tous les hommes, et tous les rĂȘves, et toutes les opinions ; que nous mettions sur la mĂȘme ligne la gauche et l’extrĂȘme gauche, les dynastiques qui au fond voudraient conserver le trĂŽne qu’ils sapent, et les dĂ©molisseurs Ă  bon escient qui veulent tout dĂ©truire, la sociĂ©tĂ©, le trĂŽne et les lois. On sait trĂšs-bien que la faction est comme les nuĂ©es grosses de tempĂȘtes. En Ă©clatant, elle crĂšverait. Mais vous tous, pilotes Ă  contre-courant qui voguez ensemble Ă  pleines voiles, les uns seulement vers les systĂšmes de 90, ou bien de 91, les autres vers ceux de 92 , ou bien encore du 21 LE PARTI RÉVOLUTIOJXN AIRE- 337 janvier et du 31 mai 93, qu’importent les diffĂ©rences entre vous, si vous vous prĂȘtez un mutuel appui, si vous marchez ensemble au combat, sauf Ă  ne vous diviser qu’aprĂšs la victoire, si vous montez Ă  l’assaut du mĂȘme Ă©lan, prĂȘts Ă  livrer toujours, comme vos devanciers , les dĂ©bris de la premiĂšre ligne pour marche-pieds Ă  la seconde ? Dieu pourra distinguer dans son Ă©quitĂ© ou dans sa misĂ©ricorde. Mais l’estime des contemporains et celle de la postĂ©ritĂ© n’ont qu’à voir, si sur cette pente glissante d’une rĂ©volution populaire, on accepte l’unique point d’arrĂȘt oĂč il y ait des chances de salut, si on l’accepte loyalement, avec des conditions de force et de stabilitĂ©. Quiconque se place en dehors de ce point d’arrĂȘt, ou cherche Ă  le mettre au nĂ©ant, est, Ă  bonnes ou mauvaises intentions, un rĂ©volutionnaire. Les plus aveugles sont ceux, qui veulent les moyens sans vouloir le but ; les plus coupables, ceux qui, ne voulant ni du but ni des moyens, ferment les yeux , et, tels que des bĂȘtes de somme dociles, mĂšnent leur patrie oĂč les pousse le fouet insolent de la faction. Nous savons qu’une objection nous attend. Si nous ne consentons pas Ă  distinguer les nuances diverses qui s’étendent de la gauche et de l’extrĂȘme gauche, jusqu’au communisme, au Saint- Simonisme, on ne sait Ă  quoi encore, les hommes Ă©minents, qui dĂ©corent tout cet amalgame de leur talent ou de leur renommĂ©e , entendent qu’au 338 LIVRE QUATRIÈME. moins on les distingue des bandes qu’ils conduisent. C’est le propre des chefs de tout parti, de se scandaliser que, dans ses rangs, on voie autre chose qu’eux-mĂȘmes. C’est leur prĂ©tention constante, qu’on juge de la faction par eux , et non pas d’eux par la faction. En mĂȘme temps qu’ils repoussent avec hauteur la responsabilitĂ© de ses mĂ©faits de chaque jour, ils veulent ĂȘtre acceptĂ©s comme des garants contre ses entraĂźnements du lendemain. De ce qu’ils en sont la gloire, ils croient en ĂȘtre l’ñme et la pensĂ©e. lisse prennent pour le parti tout entier illusion fatale contre laquelle crie l’histoire de l’univers ! C’est le dragon reniant sa queue. Mais le monstre ne fait qu’un on ne peut le scinder pour leur complaire. L’expĂ©rience des siĂšcles nous apprend en effet qu’il ne faut pas regarder le front des camps politiques, mais percer les avant-gardes , arriver aux derniĂšres lignes , pour savoir tout ce qu’ils renferment, pour pressentir tout ce qu’ils prĂ©parent. LĂ  bouillonnent les opinions qui constituent le fond du systĂšme et en sont le lien ; lĂ  s’agitent des hommes obscurs, encore mĂ©prisĂ©s de tout ce qui marche avec eux, mais destinĂ©s Ă  un grand avenir. Une fois qu’on se met en marche, le premier rang tombe, puis le second, puis enfin le pouvoir arrive a ces dĂ©- clamateurs jeunes ou dĂ©daignĂ©s, qu’on appelait naguĂšre insignifiants, Ă©tourdis, mĂ©diocres, compromettants , et qui ont un moyen de se grandir, c’est de mettre le pied sur le billot. LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 339 Mais, que disons-nous ? Est-ce seulement dans la victoire que les derniers rangs rĂ©gneront ? Ils rĂ©gnent dans le combat mĂȘme. Les chefs sont comme ces princes qui n’ont derriĂšre eux cpie des Condottieri-, ils sont obligĂ©s , pour les conserver sous le drapeau, de leur prodiguer des caresses , de les mener oĂč ils veulent aller. Voyez si les dĂ©clarations loyales en faveur de la royautĂ©, dont la tribune retentit parfois, trouvent des Ă©chos? Voyez, au contraire, si le parti, voulant avoir la joie d’écrire encore une fois, Ă  cĂŽtĂ© l’un de l’autre, les mots de Bourbons et d’échafaud, de voter Ă©ventuellement le rĂ©gicide 1, les chefs et le corps tout entier ne se sont pas levĂ©s d’une façon mĂ©canique ! Les journaux ont nommĂ© mĂȘme ce vieillard qui a honorĂ© sa vie par sa constance Ă  rĂ©clamer dans tous les temps l’abolition de la peine de mort. M. de Lafayette, votant l’expectative du meurtre de Charles X, commandait-il? Non, il obĂ©issait. Cependant, c’est une autre prĂ©tention commune de croire qu’on sera toujours Ă  temps de calmer la tempĂȘte. On croit ĂȘtre plus fort que ses devanciers, plus fort qu’on ne l’a Ă©tĂ© soi-mĂȘme en d’autres temps. Leçon vivante, on proteste contre les leçons du passĂ©. Que le prĂ©sent en serve du moins ! 1 Loi de bannissement. Disposition pour le cas de retour sur le sol français. 3/0 LIVRE QUATRIÈME. Ou’on regarde autour de soi ! M. Odilon-Barrot a la gloire de chercher Ă  secouer le joug. On voit clairement que les destins de Canning lui plairaient mieux que ceux de PĂ©tion. Qu’arrive-t-il ? On patiente avec lui, car on pĂšse cette voix qui a du talent pour les cent cinquante muets du partie mais on le suit, comme les rĂ©publicains suivaient Dumouriez, parce qu’il fallait vaincre. IN’y eĂ»t-il que ses procĂ©dĂ©s honorables avec Charles X captif, on lui sentirait d’autres inclinations, d’autres destinĂ©es aussi n’a-t-il pas mĂȘme l’autoritĂ© d’obtenir Ă  ses opinions sur l’organisation de la pairie le facile honneur d’ĂȘtre formulĂ©es en proposition d’amendement. On garde cette gloire pour des inconnus. Qu’on examine quelque chose de plus marquĂ© encore dans la semaine de dĂ©cembre 1830, lors du procĂšs des ministres, quel nom n’avons-nous pas entendu outrager, quel buste briser Ă  coups de pierre? Ceux de princes, de rois peut-ĂȘtre ? Bien plus que cela! Celui de M. de Lafayette ! M. de Lafayette doit reconnaĂźtre que le peuple soulevĂ© est capable de tout. Que ces hommes voient seulement de quelle maniĂšre eux-mĂȘmes traitent chaque jour ceux qui ont fait la rĂ©volution de 1830 avec eux ; ceux qu’ils reconnaissaient pour des guides ou des Ă©mules, mais qui prĂ©tendent imposer aujourd’hui le frein de leurs propres lois; les Casimir PĂ©rier, les SĂ©- LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 34 T bastiani, lesGuizot, les Tliiers mĂȘmes ? Journaux, Ă©crits, discours , les accusent Ă  l’envi du crime de trahison. Ce sont des ennemis de la nation qui conspirent avec l’étranger, qui sont les agents d’un autre Coblentz, les affidĂ©s d’autres Pitt et Cobourg! ! Que faisait-on de plus il y a quarante ans ? Ce qu’on faisait de plus, nous le savons bien. Mais s’il n’y a encore de pareil que le langage , la faute n’en est pas au parti rĂ©volutionnaire. Tout ce qu’il tente atteste tout ce qu’il ferait, s’il triomphait dans les circonstances oĂč nous sommes ayant les mĂȘmes maximes, les mĂȘmes procĂ©dĂ©s, souvent les mĂȘmes chefs que dans sa jeunesse, il fournirait la mĂȘme carriĂšre ‱, car il n’a rien oubliĂ©, ni rien appris. Cependant, on se rĂ©crie sur ces rapprochements. M. de Tracy nous interdit les lumiĂšres de l’histoire ; il ne veut pas que Ton compare des Ă©poques oĂč tout est divers, dit-il, et il nous cite en tĂ©moignage l’amour que la France porte Ă  son roi. Quel temps choisi, au milieu de tous les procĂšs effroyables qui nous agitent, pour lancer un tel argument ! Quel roi plus que Louis XVI a Ă©tĂ© environnĂ© de tĂ©moignages d’amour ? Les trois premiĂšres annĂ©es de la rĂ©volution n’ont-elles pas Ă©tĂ© un long concert de bĂ©nĂ©dictions et de louanges ? N’y avait- il pas rivalitĂ© entre les pouvoirs, les classes, les Ă©crivains pour adoucir les plaies de son cƓur par 342 LIVRE QUATRIÈME. le baume consolant de l’amour public ? Quelques jours avant le 10 aoĂ»t, l’AssemblĂ©e lĂ©gislative ne consignait-elle pas dans ses procĂšs-verbaux des expressions de confiance et de dĂ©voĂ»ment sans bornes? Nous ne pouvons accepter ce gage de sĂ©curitĂ©, quand nous avons vu le parti rĂ©volutionnaire tout tenter pour substituer l’insurrection aux pou voirs lĂ©gaux, et la force au bon droit ; quand nous avons entendu, comme il y a quarante ans, un dĂ©putĂ© gĂ©nĂ©reux,habile, loyal comme Barnave, cĂ©der Ă  cet entraĂźnement funeste des partis, au point de s’étonner, Ă  l’exemple de Barnave, lorsque des assassinats populaires venaient d’ensanglanter la Belgique, qu’on se prĂ©occupĂąt de lĂ©gers excĂšs ! tout le sang de Barnave a coulĂ© pour effacer une parole fatale. Nous savons du reste que le loyal orateur serait des premiers Ă  donner le mĂȘme dĂ©saveu ; mais nous avons le droit d’en repousser les occasions dans l’intĂ©rĂȘt de la patrie, et c’est ce que nous faisons en dĂ©nonçant Ă  la France, et au besoin Ă  lui-mĂȘme , le parti aveugle ou coupable qui joue avec la force, comme le chasseur avec l’arme toujours prĂȘte Ă  Ă©clater dans ses mains. Ne pas accepter le point d’arrĂȘt des lois , c’est se condamnera ne faire halte un jour, qu’acculĂ©s de toutes parts Ă  des rĂ©volutions, et peut- ĂȘtre Ă  des Ă©chafauds. Le parti proteste en vain contre cette destinĂ©e , en trouvant l’appui Ă©trange d’utopistes d’une autre LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 343 nature, qui ne doutent pas que cette fois l’anarchie ne se montrĂąt bienveillante et pacifique; que, de plus, elle ne nous ramenĂąt Ă  la lĂ©gitimitĂ©, et ne le fit par des sentiers fleuris. C’est une des plus dĂ©plorables imaginations de ce temps d'entraĂźnements irrĂ©flĂ©chis oĂč nous sommes ! Non pas que nous croyons, dans le cas de rĂ©volutions nouvelles, Ă  une rĂ©pĂ©tition exacte des mĂȘmes scĂšnes, Ă  un comitĂ© de salut public tenant d’un seul bras la France entiĂšre assujettie , et de ce bras de fer promenant la mort sur cette malheureuse France. Sans doute, on ne reverrait pas cette centralisation abominable de la terreur, cette rĂ©gularisation et cette discipline de la furie populaire. M ais ce qu’on verrait bien certainement aujourd’hui, avec l’exaltation des haines qui rĂ©gnent contre toute la partie monarchique, religieuse et riche de la nation, ce serait une terreur Ă  domicile, dans chaquebour- gade et prĂšs chaque chĂąteau, probablement trĂšs- courte, mais peut-ĂȘtre aussi atroce, aussi destructive que la premiĂšre fois, parce qu’elle aurait plus de passions, plus de caprices, plus d’amorces, parce qu’elle aurait une vue plus prochaine de la proie et du butin. Ce qui en sortirait, avec la rĂ©sistance des mƓurs publiques ? Peut-ĂȘtre rien de ce que rĂȘvent les partis. Dieu seul le sait! Mais nous disons que, maĂźtre de la France, s’il doit l’ĂȘtre , le parti rĂ©volutionnaire voudra tuer et spolier , comme il a tuĂ© et spoliĂ© ; qu’il vou- 344 LIVRE QUATRIÈME, dra dĂ©cimer les classes Ă©levĂ©es, comme il les a dĂ©cimĂ©es dĂ©jĂ , en tentant de les dĂ©truire ; que ceux de ses chefs qui rĂ©sisteraient Ă  cette horrible pente, tomberaient les premiers sous les roues du char follement lancĂ© par eux. Et ce n’est pas l’histoire qui dĂ©couvre ces chances certaines; c'est la nĂ©cessitĂ©. La terreur est pour le parti une loi de sa nature, une condition de son existence, son principe, sa vertu enfin, son odieuse vertu. S’il prĂ©tendait rĂ©gner sans la terreur, ou s’il y Ă©tait contraint, son empire ne durerait pas un jour. N’existant que par les masses, n’ayant de puissance que par leur concours, il n’a de gĂ©nie, sous peine d’ĂȘtre abandonnĂ© par elles, que leur gĂ©nie. Il est dĂšs lors condamnĂ©, pour vivre et rĂ©gner, Ă  se modeler sur la multitude, Ă  vivre et rĂ©gner Ă  son image. Et la multitude, M. Odilon- Barrot l’a dit dans un de ses rares moments d’abandon, la multitude est empreinte de barbarie par toute la terre ! C’est aussi, par malheur, M. Barrot qui a dit, en parlant des lĂ©gitimistes, qu’ore sait dans quelles mains est la propriĂ©tĂ©. Eh bien! nous dĂ©clarons, et quelque jour lui-mĂȘme le reconnaĂźtra 1, qu’un systĂšme qui avoue la propriĂ©tĂ© pour ennemie, et qui veut le principe barbare pour alliĂ©, que ce systĂšme coupable ne peut manquer, s’il 1 Ecrit en 1831. V. la Ire Ă©dition, Seize Mois. LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 345 triomphe, de se prĂ©cipiter dans d’effroyables voies. Une rĂ©volution ainsi conduite aurait cessĂ© d’ĂȘtre politique; elle serait sociale, ou avorterait. Elle deviendrait sociale de deux maniĂšres soit par la funeste tendance des rĂ©volutions populaires Ă  surmonter toujours la rĂ©sistance Ă  l’aide d’un effort plus grand et de plus terribles vindictes ; soit par la fermentation croissante des esprits, par la dĂ©sorganisation de la sociĂ©tĂ©, par l’habitude de rĂȘver de brutales utopies, de recourir Ă  des voies brutales pour les mettre en honneur... Depuis que ces lignes furent jetĂ©es sur le papier, la Providence a semblĂ© vouloir, par la catastrophe de Lyon, justifier nos doctrines 1. Malheur Ă  qui ne comprend pas la leçon que donne Ă  tous cette citĂ© infortunĂ©e! C’est une loi Ă©ternelle de ce monde, qu’on ne dĂ©place point le siĂšge de la puissance publique sans arriver forcĂ©ment Ă  dĂ©placer aussi la propriĂ©tĂ©. Pour battre en brĂšche l’édifice qui est debout, la citadelle qui se dĂ©fend, la classe qui rĂšgne, force est aux novateurs d’appeler le peuple Ă  leur aide. Cet ouvrier terrible ne peut avoir qu’un salaire, c’est la propriĂ©tĂ©. Aussi, on la lui montre dans le lointain comme le prix qui l’attend; on la lui prĂ©sente comme l’obstacle qui le sĂ©pare du bien-ĂȘtre et de la libertĂ©, cette libertĂ© indĂ©finie dont on caresse 1 Insurrection de Lyon de 4 LIVRE QUATRIÈME. parte. Vint l’empire. Nous avons repoussĂ© de la restauration, qui n’est plus, le mĂȘme outrage. Nous le repoussons du gouvernement de 1830, de- vantlequel la France ne plierait dĂ©jĂ  plus s’il n’avait montrĂ© Ă  l’Europe un front digne d’elle. La vĂ©ritĂ© est qu'il a remportĂ© des victoires dans toutes les cours; et s’il a maintenu, en les amendant chaque jour, ces traitĂ©s de 1815, tristes fruits du systĂšme belligĂ©rant qu’on invoque, c’est que l’honneur n’exigeait pas qu’aprĂšs dix-septans, aprĂšs des victoires, aprĂšs une rĂ©volution, la France courĂ»t Ă  ses armes pour donner Ă  l’Europe un autre droit public , et se donner Ă  elle-mĂȘme d’autres frontiĂšres. La honte serait aujourd’hui Ă  trahir la foi jurĂ©e, Ă  bouleverser les nations par ambition ou par gloriole, Ă  prĂ©cipiter de gaĂźtĂ© de coeur la patrie dans les calamitĂ©s de la dĂ©faite, ou mĂȘme dans celles de la victoire, Ă  mĂ©riter que l’opinion du genre humain flĂ©trĂźt les triomphes du nom de brigandages, ou les revers du nom de chĂątiments. De ces deux chances, malheur Ă  qui est prĂšs d’accepter la premiĂšre! malheur Ă  qui appelle la seconde ! Si vĂ©ritablement on veut de la gloire pour la rĂ©volution de 1830, qu’on lui donne la plus belle, celle de plaider la cause de la libertĂ© par ses exemples auprĂšs des peuples et auprĂšs des rois. Qu’on ne la fasse intervenir dans les affaires europĂ©ennes que pour ce qui est Ă  la fois possible et LE PARTI REVOLUTIONNAIRE. 4°5 juste. Alors le respect dĂ» Ă  sa puissance se fortifiera du respect conciliĂ© Ă  sa sagesse. Si on veut pour la rĂ©volution des conquĂȘtes, il en est de sĂ©rieuses, de vastes, d’importantes Ă  faire. On peut sans effusion de sang lui donner des sujets de plus, sans perturbation ruineuse rendre des Français Ă  la France. Qu’on rappelle au giron de la grande famille, en les ralliant au nouveau pouvoir et aux institutions nouvelles, toutes les classes aliĂ©nĂ©es par les fautes de la rĂ©volution, et sĂ©parĂ©es de la patrie, dans son sein mĂȘme, par de croissants abĂźmes ! Si on veut bien tenir compte du nombre, et plus encore de l’influence, des lumiĂšres, des richesses, on verra qu’il y a lĂ  l’équivalent d’une belle province Ă  recouvrer; on ose promettre Ă  ceux de nos Ă©loquents gĂ©nĂ©raux qui sauront faire ce prĂ©sent Ă  la patrie, qu’elle leur en saura grĂ© comme de la plus utile et de la plus glorieuse de leurs victoires. Si toute la prĂ©occupation se fixe sur la grandeur extĂ©rieure du pays, on ne craint pas d’avancer que le cĂŽtĂ© gauche, avec tous ses grands hommes de guerre, ne fera jamais autant pour la France qu’il fait depuis longtemps contre la France avec ses grands orateurs. Ce que deux ou trois d’entre eux lui ont coĂ»tĂ© Ă©quivaut assurĂ©ment Ă  plus d’une bataille perdue. Nous en appelons Ă  nos adversaires eux-mĂȘmes une causerie vraie ou fausse du marĂ©chal DiĂ©bitch leur parut un motif suffisant 4otĂŽ livre quatriĂšme. de dĂ©claration de guerre contre la Russie ! Quel effet pensent-ils que produisent leurs conversations de tribune, bien authentiques, bien retentissantes, bien ennemies, sur les cabinets attentifs et sur les princes qui les Ă©coutent ? Croient-ils qu’il y ait ensuite plus de confiance dans les rapports, plus d’indulgence pour les rĂ©volutions nos protĂ©gĂ©es, plus de chances de diviser les hauts alliĂ©s, plus d’ouverture Ă  souffrir notre agrandissement, plus d’élĂ©ments d’autoritĂ© pour le roi des Français entre toutes les tĂȘtes couronnĂ©es ? On ne le pense pas; et rien de plus simple car ce n’est point ce qu’on a voulu. Pour ne parler que de la France, quels rĂ©sultats ont produit parmi nous ces hostilitĂ©s effrĂ©nĂ©es de la tribune? Elles nous ont placĂ©s dans la situation la plus mauvaise oĂč nation puisse ĂȘtre. On ne traite bien, soit de la paix, soit de la guerre, que lorsqu’on ne craint pas la guerre. HĂ© bien, le gouvernement et la France ont eu peur de la guerre, en ont eu peur forcĂ©ment; car tous deux se sont vus en prĂ©sence d’un pĂ©ril plus imminent que l’étranger ; tous deux ont senti dans leur propre sein un ennemi qu’il fallait avant tout combattre; tous deux ont vu que la guerre ne pouvait ĂȘtre dĂ©sirĂ©e avec tant de passion et de tĂ©mĂ©ritĂ© sans un intĂ©rĂȘt puissant; tous deux ont reconnu que ce n’était point le Rhin qu’on voulait ressaisir, que c’était la France mĂȘme qui devait ĂȘtre la premiĂšre conquise. LE PARTI REVOLUTIONNAIRE. 407 Il y a eu ainsi une diversion fatale. Et le miracle est tout ce qui a Ă©tĂ© fait de bien dans la situation la plus difficile qui fĂ»t jamais. Mais tout le mal qui a Ă©tĂ© fait, et tout le bien qui ne l’a pas Ă©tĂ©, sont la faute, sont le crime de l’opinion rĂ©volutionnaire. Une tĂąche resterait Ă  remplir, celle de rechercher le mobile de ce goĂ»t pour une loterie terrible oĂč nous pouvions gagner la libertĂ© de ModĂšne ou de Bologne, et perdre la libertĂ©, l’honneur, l’indĂ©pendance de la France. M. de Lafayette nous l’a Ă©vitĂ©e. 11 a rĂ©pĂ©tĂ© deux fois Nous voulons l’alliance des peuples, moins l’aristocratie bien entendu ! » Un grand orateur a commentĂ© cette grave parole en dĂ©clarant que tout Etat dont le principe est aristocratique nous Ă©tait nĂ©cessairement ennemi. On le voit il ne s’agissait de rien autre chcse que d’un 29 juillet europĂ©en. C’était plus qie les rois qu’on voulait dĂ©truire; c’était, non pas la Charte de 1830, mais le programme de l’HĂŽtd- de-Ville qu’on prĂ©tendait Ă©tendre ou plutĂŽt imjro- ser au genre humain. Moins l’aristocratie! Mais ne savez-vous pis quelle est la constitution sociale de l’Europe ei- tiĂšre, quelles sont les mƓurs et les traditions le tousses peuples, quelle est la classe qui appelĂ© la libertĂ© en Espagne et en Italie; quels rĂȘves le moyen-Ăąge caresse la jeunesse allemande ; quds prĂ©jugĂ©s hiĂ©rarchiques nourrit la multitude sir 4o8 LIVRE QUATRIÈME. presque toute la face du continent! Moins l’aristocratie, grand Dieu ! Mais cette Pologne pour qui vous avez, dites-vous, tant d’entrailles, oubliez- vous qui marchait Ă  sa tĂȘte naguĂšre, qui a su si bien y combattre et y mourir pour la patrie? Ne savez-vous pas que, pour exproprier cette belliqueuse noblesse, il faudrait la dĂ©truire, ou plutĂŽt dĂ©truire la Pologne mĂȘme? Auriez-vous voulu lancer Ă  cette malheureuse Pologne , comme gage de votre sympathie, un flĂ©au exterminateur de plus ? Et vous comptez sur l’alliance des peuples ! Voyez ce qui se passe dans le monde. L’Espagne, qui faisait une rĂ©volution en 1820, qui la faisait seule, qui la faisait quand il n’y avait pas de ce cĂŽtĂ© des PyrĂ©nĂ©es une rĂ©volution qui lui tendĂźt la main , l’Espagne vous voit Ă  l’Ɠuvre, et elle prĂ©fĂšre le sceptre de Ferdinand VII au vĂŽtre. L’Allemagne rĂ©trograde dans la carriĂšre des institutions libres. L’Angleterre se dĂ©sintĂ©resse ou s’épouvante de la rĂ©forme. Tous les peuples savent ce que vous ne savez pas vous-mĂȘmes, c’est que vous les conviez Ă  l’orgie sanglante de la terreur. C’est qu’au fond de votre systĂšme, il y a, bon grĂ© mal grĂ©, une jacquerie pour tout l’univers. CHAPITRE IX. TYRANNIE DĂŒ PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. Le caractĂšre du parti rĂ©volutionnaire est la tyrannie, tyrannie dans le fond, tyrannie dans la forme. Ce parti a une thĂ©orie bonne ou mauvaise, n’importe ! il entend l’appliquer Ă  l’instant mĂȘme, sans souci des intĂ©rĂȘts, des prĂ©jugĂ©s, des mƓurs contraires, sans transaction avec les vieilles mƓurs, avec les opinions opposĂ©es, avec les intĂ©rĂȘts dissidents; c’est la tyrannie. Les rĂ©sistances nĂ©es ou Ă  naĂźtre, comment en- tend-il qu’on les surmonte? par la conciliation des esprits, par la mansuĂ©tude, par le temps ? il s’en indigne. Pour exercer le pouvoir comme pour le conquĂ©rir, il ne comprend que la force. AprĂšs avoir demandĂ© qu’on lui donnĂąt dans la VendĂ©e des exĂ©cutions Ă©clatantes, il rĂȘve les lois d’exception ; toujours la tyrannie. La tyrannie croit se lĂ©gitimer, Ă  la vĂ©ritĂ©, en s’autorisant du droit, de l’intĂ©rĂȘt et du nom du peuple. Mais ce peuple, quel est-il? 4lO LIVRE QUATRIÈME. On n’y comprend pas les trente mille Ă©lecteurs qui se sont abstenus des colleges Ă©lectoraux pour ne pas prĂȘter serment, ni leurs familles. On n’y comprend pas les quarante mille membres de la milice des autels, ni leurs familles. On n’y comprend pas la foule des gĂ©nĂ©raux, des fonctionnaires de la restauration frappĂ©s de disgrĂąces volontaires ou forcĂ©es, ni leurs familles. On n’y comprend pas les paysans des dix dĂ©partements de l’Ouest, si nombreux apparemment qu’on ne croit pas pouvoir les vaincre avec les seules armes de la loi. On n’y comprend pas les cultivateurs, les marchands, les propriĂ©taires de tout ordre des provinces de l’Est et du Midi, qui pensent comme ceux de l’Ouest. Tous ceux-lĂ  sont ennemis de la rĂ©volution de juillet. Voyons parmi ceux qui ont fait ou acceptĂ© loyalement la rĂ©volution. Le parti ne compte pas les cent mille Ă©lecteurs qui ont Ă©lu la majoritĂ© de la Chambre actuelle, ni leurs familles. Il ne compte pas la masse des cent mille fonctionnaires de divers degrĂ©s menacĂ©s de destitution, comme coupables de dĂ©tenir des places que des intrigants subalternes envient, ni leurs familles. U ne compte pas les quatre cent mille ci- LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 4n toyens enrĂŽlĂ©s sous les drapeaux et engagĂ©s Ă  la cause de l’ordre par la religion du serment militaire. Il ne compte pas la masse des paysans de France attachĂ©s au culte de leurs pĂšres et inquiets qu’on l’outrage, sans acception de foi politique, gens qui suivent les processions, portent un suaire et plient le genou devant la Vierge et son Christ. Il ne compte pas les manufacturiers, les nĂ©gociants dont les affaires sont en souffrance, qui imputent leurs maux Ă  la soif de la guerre et Ă  l’audace de l’émeute, ni la foule de leurs correspondants , associĂ©s, contre-maĂźtres , ouvriers et leurs familles. Il ne compte pas l’immense majoritĂ© de la garde nationale qui salue de malĂ©dictions les gardes du- corps du parti, les fiers-Ă -bras de l’émeute, partout oĂč elle les rencontre ; et les gardes nationales, avec femmes et enfants, font, d’un lot, plus de quinze millions d’ñmes. On voit ce qu’est le peuple souverain. Le dĂ©nombrement fait, que reste-t-il ? Les gens du suffrage universel auraient-ils le suffrage universel pour eux? Les apĂŽtres du nombre auraient-ils avec eux la majoritĂ© ? Sans la terreur, non assurĂ©ment. Quelle est donc leur armĂ©e? D’oĂč leur vient l’audace de recourir sans cesse Ă  la force, en la lĂ©gitimant du nom et de l’autoritĂ© du peuple ? 4l2 livre quatriĂšme. D’un fait et d’un Ă©quivoque. Le fait, c’est qu’ils ont gĂ©nĂ©ralement pour eux la multitude des villes, milice facile Ă  assembler, naturellement compacte, encore barbare selon M. Odilon-Barrot. Ce sont les strĂ©litz du parti. Quand cette orageuse milice se montre, elle impose; quand elle veut, sa volontĂ© est loi; car elle est rĂ©volution, et la France courbe la tĂȘte. L’équivoque est que ce peuple soit le peuple. Il n’est du peuple français que la partie la plus mobile, la plus passionnĂ©e, la plus terrible, la plus grossiĂšre avant les miracles de ces derniers mois, on aurait ajoutĂ© la plus corrompue. C’est sur cet Ă©quivoque que se fonde l’autoritĂ© du parti; son droit est un jeu de mots. Il parle au nom du peuple. On n’a qu’à lui demander lequel ? Si l’on compte encore pour quelque chose, nous ne disons pas les illustrations, les rangs, les services, les talents, mais seulement les richesses et les lumiĂšres, la portion la plus considĂ©rable et la plus nombreuse du peuple est tout entiĂšre en dehors du parti et contraire Ă  ses maximes. Plus vous ĂȘtes enfoncĂ© avant dans la faction , plus vous laissez derriĂšre vous d’intĂ©rĂȘts et de sentiments froissĂ©s, et dĂšs lors plus s’agrandit la France dissidente plus est manifeste la tyrannie. Ainsi, ce qu’on encense et ce qu’on prĂ©tend couronner, c’est le peuple, moins la tĂȘte pour LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. / I 3 tous ; pour beaucoup, moins la tĂȘte, le cƓur, les bras*, pour quelques-uns, moins le torse tout entier. L’utopie que NĂ©ron convoitait, les plus modĂ©rĂ©s la rĂ©alisent. Une prmiĂšre fois ce systĂšme a Ă©tĂ© appliquĂ© Ă  la France. On appela peuple ce qui n’était pas le peuple, libertĂ© ce qui n’était pas la libertĂ©, et on tint les Ă©chafauds en permanence pour la plus grande gloire de ce faux peuple et de cette libertĂ© mensongĂšre. Ceci, nos adversaires mĂȘmes ne le nieront point. Ils sont bien obligĂ©s de convenir qu’il y avait alors mensonge et tyrannie, une tyrannie abominable, puisqu’elle prĂ©tendait cimenter un mensonge par le sang. Us y sont obligĂ©s , car ils accordent tous en ce moment que la France ne veut pas la rĂ©publique et ne la voulut jamais. Us le reconnaissent si bien que, maĂźtres de la patrie Ă  ce qu’ils prĂ©tendent, ils lui ont donnĂ© un roi. Et cependant la rĂ©publique ou la mort Ă©tait le programme de la rĂ©volution du 10 aoĂ»t! la rĂ©alitĂ© Ă©tait la rĂ©publique et la mort. AprĂšs quarante ans, le mĂȘme systĂšme se renouvelle, avec l’unique diffĂ©rence que les chefs veulent, disent-ils, asseoir sur la pique populaire une couronne. La preuve que cette fois, comme alors, ils se sentent dĂ©laissĂ©s du peuple vĂ©ritable, qu’ils se jugent en opposition avec les intĂ©rĂȘts de ce qui a des intĂ©rĂȘts, avec les pensĂ©es de ce qui a des pensĂ©es, c’est que, comme leurs devanciers, ils ne 4 r 4 LIVRE QUATRIÈME. se fient pas au temps, Ă  la discussion paisible, Ă  la raison publique, pour le succĂšs de leurs doctrines. Comme alors, ils veulent l’emploi de la force; la force sous toutes ses formes, Ă©meute, dictature, lois d’exception. Le talent s’éloigne d’eux comme les richesses; les nouvelles gloires comme les anciennes. La Bourse les condamne comme l’élection. Ce sont des indices assurĂ©s, des votes positifs. IN’importe! il leur faut la victoire de leur mensonge. On le rĂ©pĂšte, c’est la tyrannie. CHAPITRE X. PREUVE DE TOUT CE QUI PRÉCÈDE. — PAMPHLET CABET. Nous avons de tristes bonnes fortunes. Depuis que nous Ă©crivons le tableau des mauvaises prĂ©tentions fit des mauvaises doctrines du parti rĂ©volutionnaire, voilĂ  qu’un des nouveaux lĂ©gislateurs semble s’attacher Ă  justifier une aune, par un curieux Ă©crit, toutes nos accusations. Il n’y a qu’une chose que nous n’eussions pas prĂ©vue c’est que le parti ressusciterait jusqu’aux formes de langage des beaux jours de la rĂ©volution. L’honorable M. Cabet y prĂ©lude ; Ă  la maniĂšre dont il dit Casimir PĂ©rier, Wellington, Martignac, on voit bien que, si c’étaient des patriotes, il les tutoierait. Mais nous avons dit que le parti rĂ©volutionnaire, s’il assujettissait jamais la France, parcourrait la mĂȘme carriĂšre qu’il y a quarante ans ; et voici qu’un homme grave, s’il en fut, un magistrat, un ex-procureur-gĂ©nĂ©ral, celui qui gouvernait le mi- 4l6 LIVRE QUATRIÈME. nistĂšre de la justice sous M. Dupont de l’Eure, celui qui a enfantĂ© la magistrature de juillet, dĂ©clare coupables de complot ourdi avec l’étranger pour amener une invasion, un dĂ©membrement, ou une restauration 1° Les aristocrates ; car le parti, qui assure que nous n’avons plus d’aristocratie depuis 1789, sait trĂšs-bien dĂ©couvrir des aristocrates pour les proscrire comme en 1793 ; 2° Les doctrinaires, autrement dit, le centre gauche ; 3° La camarilla, dĂ©signation qui comprend le Palais-Royal, maintenant les Tuileries ; 4° Enfin, les ministres, les ambassadeurs, les fonctionnaires publics, et notamment Talleyrand, sic PĂ©rier, SĂ©bastiani, tous les hommes d’Etat de la rĂ©volution, MM. Dupont de l’Eure et Lafayette exceptĂ©s. A cĂŽtĂ© des traĂźtres, il y a les suspects ce sont les industriels, les marchands et la garde nationale ! Encore l’honorable membre Ă©crit-il Le 26 juillet 1830, le peuple s’émeut. Si la » garde natonale avait existĂ©, l’émeute serait » peut-ĂȘtre Ă©touffĂ©e au profit de l’ordre et du » despotisme. » D’oĂč il suit que le peuple et la garde nationale sont choses parfaitement distinctes. La garde nationale est, comme les Suisses, un corps en dehors du peuple. Il s’ensuit aussi que la garde nationale est, LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 4 r 7 comme les Suisses, ennemie de la rĂ©volution de juillet et amie du despotisme. De quel parti est l’iionorable M. Cabet? Nous le prenons pour patriote, et nous cherchons comment il entend qu’on doive procĂ©der envers les traĂźtres. Mais M. Cabet pense sur la peine de mort comme M. de Salverte. Tous deux sont d’avis que l’arrĂȘt secourable de la Cour des pairs dans le procĂšs des ministres aurait dĂ» ĂȘtre inscrit sur Cairain. S’ils s’indignent du salut de quatre vaincus qui avaient cessĂ© d’ĂȘtre dangereux, et par lĂ  d’ĂȘtre criminels, qu’espĂ©rer pour tous ces grands coupables qu’on dĂ©clare en Ă©tat de conspiration permanente avec les successeurs actuels de Pitt et Cobourg ? Quand l’honorable M. Cabet s’écrie en finissant Que chacun pense Ă  sa famille, » Ă  sa femme, Ă  ses enfants , Ă  sa propre tĂȘte! » l’avis paraĂźt bon. M. Cabet justifie toutes les Ă©meutes l’une aprĂšs l’autre. Toutes ont Ă©tĂ© les effets de l’irritation populaire, toutes ont Ă©tĂ© les marques de la juste colĂšre du peuple. Celle de dĂ©cembre notam- » ment, lors du procĂšs des ministres, atteste un » entraĂźnement irrĂ©sistible. Le bon sens du peu- » pie lui a fait voir dans cette prĂ©tention hypo- » crite d’humanitĂ© une attaque contre la rĂ©volu- » tiou de juillet et un gage donnĂ© Ă  la lĂ©gitimitĂ©. » Pouvait-il donc rester impassible ? » Ceci range M. de Lafayette parmi les doctri- 27 4 I 8 LIVRE QUATRIÈME. naires et les traĂźtres, heureusement pour la gloire de M. de Lafayette. Mais avions-nous lort de croire et de dire que les Ă©meutes faisaient partie intĂ©grante du camp rĂ©volutionnaire ? Avions-nous tort davantage dĂ©penser que, si jamais un coup de main de bandits et d’é- meutiers dans Paris livrait la France Ă  la faction, cette politique trouverait et des ministres et des apologistes? L’honorable dĂ©putĂ© s’écrie dĂ©jĂ  Si » la colĂšre du peuple avait tout brisĂ©, croit-on que » c’est le peuple que l’histoire eĂ»t condamnĂ© ? >5 Tout brisĂ©! ce mot se comprend. Le pĂ©ril, en effet, sera toujours, constituĂ©e comme l’est la France, qu’un beau matin , Ă  son rĂ©veil, elle trouve tout brisĂ© ! Nous avons dit que le systĂšme rĂ©volutionnaire consiste Ă  se jeter dans des excĂšs qui provoquent, parmi les intĂ©rĂȘts conservateurs, des rĂ©sistances lĂ©gitimes, et Ă  dompter les rĂ©sistances par des excĂšs nouveaux, en appelant toujours le dissentiment, crime; la vengeance, justice; la terreur, reprĂ©sailles. L’honorable M. Cabet est du mĂȘme avis. Nous avons dit que le fond de la politique du parti est la force. M. Cabet raille trĂšs-joliment la lĂ©galitĂ© ; il demande si les lois, libĂ©rales ou non, doivent ĂȘtre Ă©galement respectĂ©es; et, le prĂ©tendre, dit-il, c’est l’absurditĂ©, c’est la servitude ! ! ! Nous avons dit que la libertĂ© du parti, c’est le LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. 4 [ 9 gouvernement rĂ©volutionnaire. M. Cabet raconte que le parti aurait voulu Ă©tablir un gouvernement dictatorial , apparemment pour doter la France de plus de libertĂ©. VoilĂ  la France bien avertie de ce qu’on lui prĂ©pare. Elle sait quel est ce gouvernement souterrain, car on ne peut pas dire occulte, qui reste posĂ© en face du gouvernement constitutionnel , dans l’attente d’une surprise heureuse, d’une bataille toujours prĂ©parĂ©e? L’honorable dĂ©putĂ© nous avertit que la Charte est essentiellement provisoire autrement il n’y verrait, comme M. de Cormenin , qu’une usurpation flagrante des droits nationaux. Nous avons dit que tout est tyrannie dans le parti ; qu’il veut rĂ©duire les classes, propriĂ©taires et Ă©clairĂ©es, Ă  l’état d’ilotisme, dĂ©placer la puissance publique, renverser l’édifice social, et asseoir la pyramide sur le faĂźte. Or voici qu’un membre des grands pouvoirs dĂ©clare que nous ne serons tranquilles que lorsque les rois, les aristocrates et les doctrinaires seront vaincus ; il comprend expressĂ©ment les capitalistes en masse, les industriels , les marchands dans sa proscription. Nous avons dit qu’une des infirmitĂ©s du parti est la nĂ©cessitĂ© d’offrir toujours un appĂąt aux passions populaires, et l’honorable M. Cabet s’écrie La cause de la misĂšre du peuple est dans la » conspiration des carlistes, qui seuls possĂšdent » presque tous les capitaux, qui les ont retirĂ©s de LIVRE QUATRIEME. /j20 » la circulation , qui ont fait d’ Ă©normes emprunts » hypothĂ©caires pour accaparer l'argent , comme » ils accaparent les armes et les grains , qui ont » supprimĂ© toutes leurs dĂ©penses pour Ă©conomi- » ser, et qui conservent leurs trĂ©sors, soit pour » ruiner leurs adversaires , soit pour soudoyer » leurs agents et l’étranger, soit pour les empor- » ter en Ă©migrant de nouveau. » Et un loyal dĂ©putĂ© ne veut pas que nous nous rappellions le temps oĂč on disait au peuple que les riches Ă©taient ses ennemis, les amis de l’étranger, qu’ils accaparaient les armes, les grains, l’argent ; qu’ils Ă©taient coupables de la disette et de la guerre; le temps oĂč la justice du peuple chĂątiait tous ces crimes et ce dĂ©putĂ© siĂšge aux cĂŽtĂ©s de l’honorable M. Gabet ! Maintenant, on demandera ce que l’honorable dĂ©putĂ© de la CĂŽte-d’Or comprend dans ce grand mot de peuple dont on a si cruellement abusĂ© depuis quarante ans ; ce qu’est ce peuple, auquel il immole, .Ă  l’exemple de ses devanciers, comme conspirateurs et traĂźtres, tout ce qui a les propriĂ©tĂ©s sous le nom d’aristocrates, les lumiĂšres sous le nom de doctrinaires, les capitaux sous le nom de carlistes, en un mot, les propriĂ©taires, les industriels, les marchands, et, pour parler franchement, la garde nationale en masse ? On ne peut pas bien le dire. Mais M. Cabet revient sur le peuple chargĂ©, mitraillĂ©, sabrĂ© dans les Ă©meutes. LE PARTI RÉVOLUTIONNAIRE. /J 2 I Ce sont donc d’abord les gens des Ă©meutes. 11 ajoute que le peuple dut ĂȘtre irritĂ© qu’on hĂ©sitĂąt Ă  condamner Polignac , quand il est lui-mĂȘme si souvent impitoyablement condamnĂ© le peuple! pour un morceau de pain que sa misĂšre lui fait dĂ©rober .Cette fois, il nous faut espĂ©rer que les Ă©lecteurs de l’honorable M. Cabet sont rangĂ©s en masse en dehors du peuple. Se rĂ©crierait-on, comme on l’a fait quand un ministre interpella l’honorable membre sur son factum , que l’ouvrage d’unseul n’est pas la pensĂ©e de tous ? Mais dix journaux de l’opposition ont cĂ©lĂ©brĂ© le courageux opuscule. Les hommes qui le dĂ©savouent voudraient-ils renoncer Ă  l’encens de ces dix journaux ? Si la grande Ă©meute qui faisait alors l’oraison funĂšbre de la Pologne, au lieu de se dissoudre devant la conspiration des citoyens et de l’armĂ©e, avait gouvernĂ© Paris trois jours comme en fĂ©vrier 1, ceux de ses amis, qui le fĂ©licitent tout bas sur son courage, ne le fĂ©liciteraient- ils pas tout haut sur sa prochaine entrĂ©e au ministĂšre ? Comment oublier que M. de Salverte est notoirement le ministre de l’instruction publique du parti, depuis qu’il a Ă©loquemment brodĂ© le fameux thĂšme qu’il n’y a que les morts qui ne reviennent jamais. D’ailleurs, M. Cabet aurait lieu de s’étonner l FĂ©vrier 1831. 422 LIVRE QUATRIÈME. de ces dĂ©saveux ; il pourrait dĂ©montrer, et nous sommes prĂȘts Ă  l’y aider, qu’il n’est pas une des phrases de son pamphlet que l’inflexible Moniteur n’ait dĂ©jĂ  Ă©crite dans ses colonnes, en retraçant les discussions des Chambres, Il n’est pas un de ses vƓux, pas un de ses principes que les orateurs les plus considĂ©rables de l’opposition n’aient accrĂ©ditĂ©s. Le parti est d’accord sur tous les points, hormis un la nouvelle zone sociale qui sera investie dĂ©sormais delĂ  puissance. Tous veulent le peuple souverain Ă  hauteur d’appui, et en consĂ©quence Ă  leur propre niveau. En appelant du nom de peuple Ă  peu prĂšs exclusivement les gens de l’émeute et ceux de la police correctionnelle, l’honorable reprĂ©sentant de la CĂŽte-d’Or est allĂ© un peu plus loin que le reste de l’opposition parlementaire. VoilĂ  tout le dĂ©bat est tout entier dans une question de limites. Ce n’est qu’une affaire de mur mitoyen. Mais il faut le dire c’est M. Cabet qui est dans le vrai. Quand on met les pouvoirs hors de leur base naturelle, le levier ne peut s’appuyer au penchant de l’abĂźme ; il va forcĂ©ment chercher le fond. CHAPITRE XI. RÉSUMÉ. Si le parti rĂ©volutionnaire eĂ»t triomphĂ©, l’état oĂč serait la France est facile Ă  juger. L'Europe, cette Europe monarchique, si calme , si forte, et si unie, attaquĂ©e dans ses institutions et dans ses maximes, blessĂ©e dans les sentiments religieux et moraux des peuples comme dans les droits des couronnes, serait prĂȘte Ă  peser de tout son poids sur nos frontiĂšres et sut nos rivages. En destinant aux frontiĂšres menacĂ©es les soldats qui combattent, les patriotes qui vocifĂšrent seraient restĂ©s Ă  l’intĂ©rieur pour veiller sur le salut de la patrie ; de nombreux Ă©chos des accents que nous avons redits dĂ©signeraient aux passions populaires, comme traĂźtres, accapareurs et complices de l’étranger, les propriĂ©taires, les fabricants, les capitalistes. Ou ceux qui possĂšdent se laisseraient Ă©craser, ou ils se dĂ©fendraient. Dans le premier cas, partout la terre serait pressurĂ©e pour donner de l’or, et la nation pour donner du sang ; dans Je second, cette 4^4 LIVRE QUATRIÈME. malheureuse nation, suspendue sur un abĂźme et toujours prĂšs d’y rouler, se sentirait sans sĂ©curitĂ©, sans stabilitĂ©, sans lendemain. Nous oublions de dire qu’il y aurait longtemps dĂ©jĂ  que tous les chefs de l’opposition parlementaire, Ă  l’exception peut-ĂȘtre de M. de Cormenin et de M. Cabet, auraient Ă©tĂ© brisĂ©s ou Ă  tout le moins rejetĂ©s, premiĂšres victimes de toutes les calamitĂ©s dont l’histoire les dirait les premiers coupables. Nous sommes loin de lĂ , grĂące Ă  Dieu, parce que c’est le parti constitutionnel qui gouverne. Mais la fausse libertĂ© lutte contre la vĂ©ritable, les maximes subversives contre les principes conservateurs, la sociĂ©tĂ© naturelle et lĂ©gitime contre la dĂ©magogie, parce que le parti constitutionnel ne gouverne qu’appuyĂ© Ă  des bases rĂ©volutionnaires. RepoussĂ©e quand elle se montrait toute nue Ă  la France, l’anarchie a trouvĂ© asile dans les assemblĂ©es nationales. Plus elle Ă©tait vaincue dans les rues, plus elle semblait prĂ©sider, comme une fatalitĂ© invincible, Ă  toutes les grandes rĂ©formes. ChassĂ©e des carrefours, elle entrait dans les lois. Les pouvoirs publics l’ont traitĂ©e comme l’Indien fait de son idole, qu’il flagelle pour venger ses maux passĂ©s, et devant laquelle il s’agenouille aussitĂŽt, pour conjurer les maux Ă  venir. VoilĂ  ce qu’il nous reste Ă  constater ; aprĂšs quoi, chacun pourra rĂ©pondre Ă  cette question que doit-il advenir? LIVRE CINQUIÈME. INFRACTIONS ÀÛX VÉRITABLES PROMESSES DE JUILLET, ou LE DÉSORDRE PAR LES POUVOIRS ET PAR LES LOIS. r Les rĂ©volutions se font quelquefois par progrĂšs insensible. On est tout Ă©tonnĂ© de voir les mƓurs et les lois changĂ©es sans qu’on ait fait attention aux causes lĂ©gĂšres et sourdes qui ont menĂ© lĂ  ; comme Ă  Ambracie, oĂč, aprĂšs avoir pris des magistrats de mince fortune, on en reçut peu Ă  peu qui n’avaient rien. Il n’y a point en effet, ou presque point de diffĂ©rence entre rien et peu. Arisiote, Politique, liv. V, chap. 3. LIVRE CINQUIEME INFRACTIONS AUX VÉRITABLES PROMESSES DE JUILLET, ou LE E PIE IBS PDDVOIES EĂŻ PIE LES LOIS. CHAPITRE PREMIER. QUE LES PROMESSES DE LIBERTÉ ONT ÉTÉ DÉPASSÉES. ‱Supposons que le peuple nous donnĂąt mission d’établir , au lieu de cette monarchie constitutionnelle , qui fait l’envie de l’univers, une forme dĂ©mocratique de gouvernement, agirions-nous en amis de notre pays si nous accĂ©dions Ă  ce vƓu ? Fox, 2b mars 1771. Le gouvernement de 1830 inscrivit sue ses banniĂšres les deux plus grands noms que Dieu ait faits l’ordre et la libertĂ©. La question est de 428 LIVRE CINQUIÈME. savoir s’il sera en sa puissance de rĂ©aliser ce programme. Mais qu’il dĂ»t le Venter, ce point ne peul pas faire question. Il est bien Ă©tabli que ce sont lĂ  les promesses de juillet ; etil ne pouvait pas n’en ĂȘtre point ainsi car, faite pour la libertĂ©, la rĂ©volution de 1830, en voulant fonder un Ă©tablissement loyal, devait Ă  l’ordre ses premiers soins et ses premiĂšres garanties; faite par une victoire populaire, elle devait au pouvoir tout son appui, afin de lui donner par les lois la force nĂ©cessaire qu’un trĂŽne ne peut trouver sur la base mouvante des barricades. Recherchons comment ces grandes promesses ont Ă©tĂ© tenues. Parlons d’abord de la libertĂ©. En constatant tout ce qu’on a fait ou cru faire pour elle, nous dĂ©clarons que nous acceptons comme bonnes et utiles, comme favorables en effet Ă  la libertĂ© vĂ©ritable, quel que pĂ»t ĂȘtre au fond notre jugement personnel, toutes les innovations Ă©tablies par la Charte revisĂ©e. Quand nous demandons que le parti victorieux se tienne au point d’arrĂȘt que lui-mĂȘme a posĂ©, nous ne donnerons pas l’exemple d’infirmer les engagements pris. Dans la Charte, telle qu’elle a Ă©tĂ© transcrite Ă  la hĂąte, M. de Cormenin dit bĂąclĂ©e , sur un pieu des barricades, nous respectons deux choses l’acceptation de la France et notre serment. Mais nous avions droit Ă  notre tour d’exiger qu’elle fĂ»t fidĂšlement gardĂ©e; nous avons droit de INFRACTIONS AUX PROMESSES DE JUILLET. /j 2 9 l’exiger, au nom de cette France qui l’accepta ; et plus le nouveau texte du pacte fondamental a Ă©tĂ© prodigue de concessions aux ombrages, aux dĂ©fiances, aux ambitions dĂ©mocratiques, plus on a ainsi dĂ©mantelĂ© et affaibli les pouvoirs nouveaux qu’il fallait au contraire fortifier, et plus il importait d’assujettir toutes les lois nouvelles Ă  l’esprit conservateur qui dĂ©termina le maintien de la forme de gouvernement monarchique. L’a-t-on fait ? non ; et il n’est que trop permis de craindre que la libertĂ© vĂ©ritable ne manque de garanties, par les efforts meme qui ont Ă©tĂ© tentĂ©s pour agrandir son domaine. Le droit national d’îter et de confĂ©rer la couronne a Ă©tĂ© proclamĂ© le principe de nos lois, par l’abolition du prĂ©ambule de la Charte et la suppression de l’article 14, qui avait besoin d’une explication , et c’était tout. En crĂ©ant un roi, le droit national ne s’est condamnĂ© ni Ă  l’abdication ni au repos. Ce droit illimitĂ© reste en permanence , confiĂ© Ă  la garde de la citĂ© armĂ©e. Le pacte fondamental est remis en dĂ©pĂŽt, par une de ses dispositions expresses, aux gardes nationales du royaume; c’est l’article 14 du pays, mais positif, souverain, joignant la force au principe. La garde nationale peut toujours ainsi, constitutionnellement, laisser tomber Ă  terre la constitution et le gouvernement, ou les renverser. Elle est le summum Jus, le pouvoir souverain et suprĂȘme. 43 O LIVRE CINQUIÈME. Le pouvoir royal, si fort abaissĂ© par ces dispositions, a Ă©tĂ© en mĂȘme temps affaibli. A tort ou Ă  raison, nous ne l’examinons sur aucun des points, il a perdu la prĂ©rogative de proposer seul les lois; celle d’interdire l’entrĂ©e de la Chambre haute aux princes du sang, et d’enlever ainsi Ă  l’opposition des chefs puissants et illustres; celle de donner un prĂ©sident Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s; celle de rĂ©gler la prĂ©sidence des collĂšges Ă©lectoraux , et de consacrer de la sorte ses candidatures; celle d’appeler sans contrĂŽle les dĂ©putĂ©s Ă  des fonctions publiques ; celle d’introduire des troupes Ă©trangĂšres dans le royaume ; celle de fixer l’étendue des cadres de l’armĂ©e ; celle de disposer du grade des officiers en mĂȘme temps que de leur emploi ; enfin , la facultĂ© de rĂ©gir les colonies par des ordonnances, et d’administrer souverainement l’instruction publique. Encore la royautĂ© s’est-elle vue bien moins dĂ©sarmĂ©e, par l’effet de son origine et par la rĂ©duction de ses prĂ©rogatives, cpie par la diminution de ses moyens d’influence, par l’abaissement de tous les salaires, par Ja suppression de toutes les charges honorifiques, par l’abolition des dignitĂ©s qui liaient encore au trĂŽne les citoyens considĂ©rables sortis de ses conseils, par le retranchement d’une garde royale qui enchaĂźnait de plus prĂšs l’armĂ©e, par les restrictions imposĂ©es Ă  la nomination des magistrats municipaux, qui sont les premiers instru- INFRACTIONS AUX PROMESSES DE JUILLET. 43 1 ments, les ressorts les plus directs de l’autoritĂ© royale, plus que tout par la mise Ă  nĂ©ant de tous les prestiges , de toutes les consĂ©crations, qui, crĂ©ant l’autoritĂ© morale , constituent la vĂ©ritable force des trĂŽnes. La puissance parlementaire s’est fortifiĂ©e de tout ce que la puissance royale a perdu ; elle s’est fortifiĂ©e en outre par l’attribution de l’initiative des lois Ă  l’une et l’autre Chambre. La Chambre Ă©lective a surtout pris des dĂ©veloppements immenses ; car, des deux AssemblĂ©es, il en est une qui a Ă©tĂ© frappĂ©e seize mois de provisoire, celle-lĂ  mĂȘme qui devait attacher Ă  nos institutions le sceau de la durĂ©e ; mutilĂ©e violemment par les exclusions de juillet 1, ainsi que par les nombreuses dĂ©missions, la Chambre des pairs a Ă©tĂ©, en outre, rĂ©duite Ă  nĂ©ant systĂ©matiquement par le pouvoir, qui n’a osĂ©, sous aucun ministĂšre, faire usage d’aucune des prĂ©rogatives du trĂŽne pour la complĂ©ter, la soutenir, la relever. Le pouvoir Ă©lectif s’est donc enrichi de l’appauvrissement du trĂŽne et de la pairie. Affranchi avec raison par la Charte nouvelle de la dĂ©pendance oĂč la Charte royale tenait naguĂšre la Chambre des dĂ©putĂ©s pour le choix de son prĂ©sident et la formation de son bureau , le vote annuel de 1 Exclusion prononcĂ©e par la Charte mĂȘme des pairs nommĂ©s par Charles X. Parmi eux se trouvait le marĂ©chal duc de Dalmatie. 432 LIVRE CINQUIÈME. l’armĂ©e lui a Ă©tĂ© donnĂ© comme celui des impĂŽts ; et la responsabilitĂ© ministĂ©rielle, vis-Ă -vis des reprĂ©sentants du pays, a cessĂ© d’ĂȘtre une menace stĂ©rile la loi Ă  faire est Ă©crite sur les crĂ©neaux du chĂąteau de Ham. Peu s’en faut que cette Chambre, qui a en main toute la puissance publique, se prĂ©tende hĂ©ritiĂšre du pouvoir constituant que la monarchie rĂ©clamait naguĂšre, et qui l’a menĂ©e oĂč nous savons. Ce qu’elle ne fait pas aujourd’hui, elle pourra toujours le faire demain. En mĂȘme temps, le pouvoir politique a Ă©tĂ© Ă©tendu Ă  trois cent mille Français; d’un autre cĂŽtĂ©, les grands collĂšges ont Ă©tĂ© abolis; le cens d’éligibilitĂ© a Ă©tĂ© abaissĂ© de moitiĂ© comme le cens d’élection ; les fermiers se sont vus substituĂ©s aux grands propriĂ©taires dans le privilĂšge du double vote. Le pouvoir dĂ©partemental sera dĂ©volu Ă  huit cent mille citoyens. Deux millions et plus ĂŽnt Ă©tĂ© investis du pouvoir municipal. Par les gardes nationales, la force publique a Ă©tĂ© livrĂ©e Ă  tous. Le peuple entier a des armes, et tandis que les gardes nationales devaient simplement, aux termes du pacte fondamental, intervenir dans le choix de leurs chefs, la loi leur a confĂ©rĂ© le droit de nominations de leurs officiers et sous-officiers sans restriction. La puissance populaire a trouvĂ© un profit direct dans chacun de ces changements de l’ordre politique. Et ce n’est pas tout la publicitĂ© de la INFRACTIONS ADN PROMESSES DE JUILLET. 433 Chambre des pairs a subordonnĂ© ce grand corps au contrĂŽle et Ă  l’action de l’opinion publique; la nĂ©cessitĂ© de la réélection des dĂ©putĂ©s promus Ă  des fonctions publiques ajoute Ă  la dĂ©pendance des commettants vis-Ă -vis de leurs mandataires; l’augmentation numĂ©rique de la Chambre la tient tout entiĂšre ^placĂ©e de plus prĂšs sous l’autoritĂ© et sous l’Ɠil des localitĂ©s. Enfin, affranchie du long interdit que prononçait sur elle la Charte royale, la jeunesse française a Ă©tĂ© mise en possession de tous les droits politiques ; les gĂ©nĂ©rations nouvelles ont pris place parmi les lĂ©gislateurs de la patrie. Toutes les libertĂ©s ont reçu la mĂȘme extension que tous les pouvoirs populaires. La libertĂ© de conscience a renversĂ© l’ombre de suprĂ©matie que le titre de religion de l’État donnait au culte qui est celui de l’immense majoritĂ©'des Français; un salaire public a Ă©tĂ© attribuĂ© aux prĂȘtres juifs, simplement pour bien marquer l’égalitĂ© des croyances devant la loi. La libertĂ© d’enseignement a Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ©e. La libertĂ© personnelle a reçu des garanties. multipliĂ©es et nouvelles par l’extension de la juridiction du jury Ă  tous les crimes ou dĂ©lits politiques, et par les dĂ©finitions plus prĂ©cises qui ont Ă©tĂ© portĂ©es de ces dĂ©lits et de ces crimes. Le pacte fondamental a proscrit le retour de toute juridiction exceptionnelle, de tout tribunal extraordinaire. L’armĂ©e a participĂ© au bĂ©nĂ©fice des franchises 28 434 LIVRE CINQUIÈME. civiques; un jugement seul peut ravir au militaire son Ă©tat et ses honneurs. La garantie de la publicitĂ© a Ă©tĂ© appliquĂ©e Ă  la juridiction administrative. La Charte a rendu impossible aux lĂ©gislateurs Ă  venir le rĂ©tablissement de la censure. La loi a rĂ©pudiĂ©, au contraire, la plupart des cautions qu’elle avait exigĂ©es jusqu’alors de l’imprimeur, du journaliste, du libraire. La libertĂ© de la presse rĂšgne sans contre-poids, grĂąces Ă  toutes ces dispositions qui assurent l’immunitĂ© des Ă©crivains elle est illimitĂ©e de fait, sinon de droit; enfin, la libĂ©ralitĂ© infinie du pouvoir ou de la loi a compris dans ses prĂ©rogatives deux autres libertĂ©s auxquelles les combattants de juillet ne pensaient pas celle des crieurs publics, et celle des théùtres. VoilĂ  la part de la libertĂ©! elle est grande; si grande, que le parti qui exige davantage veut Ă©videmment une rĂ©volution sociale. Car, dans l’ordre politique, il n’est rien, absolument rien au- delĂ  du point oĂč nous sommes. Au-delĂ , il n’y a que l’anarchie, et dĂ©jĂ  nous n’avons que trop empiĂ©tĂ© sur son domaine. CHAPITRE II. COMMENT LES PROMESSES D’ORDRE ONT ÉTÉ TENUES. L’ordre a-t-il Ă©tĂ© aussi bien traitĂ© que la libertĂ©? Qu’ont fait les lois, qu’a fait l’autoritĂ© suprĂȘme, pour ce premier, ce plus pressant des intĂ©rĂȘts des peuples ? 3 la libertĂ© ! 33 Aujourd’hui l’esprit d’opposition s’aggrave de l’esprit de caste. Avec notre rĂ©gime partial et exclusif, il en sera toujours ainsi. Les gouvernements mixtes , dans lesquels l’esprit aristocratique a une part, savent seuls, comme l’Angleterre, concilier la prĂ©voyance avec la grandeur. Dans les conditions oĂč nous Ă©tablissons le pouvoir, nous manquerons tour Ă  tour de l’une et de l’autre. LivrĂ©s Ă  tous les vents, sous l’empire des intĂ©rĂȘts ou des sentiments qui rĂ©gneront, nous passerons delĂ  parcimonie Ă  la prodigalitĂ©, celle-ci qui sera l’effet des passions Ă©goĂŻstes, celle-lĂ  des passions jalouses. Aujourd’hui, c’est le tour de l’envie. Elle se croit Ă©conome, et n’est que destructive. On voit le gĂ©nie de la partie infĂ©rieure des deux cents francs d’impĂŽt faisant les affaires de la France; il rĂšgle, comme le sien propre, le mĂ©nage de l’une des premiĂšres nations de l’univers, surpris que l’on veuille des peintures dans un palais, quand on vit fort bien sans peintures; iudi- 37 MVRE SIXIÈME. que l’on demande pour nos reprĂ©sentants auprĂšs de l’étranger un Ă©tat, une maison, et de la grandeur, tandis que les Ă©lecteurs se font reprĂ©senter, Ă  Paris, par tel honorable citoyen qui se contente d’un pĂ©cule de dix francs par jour et fait, dit-on, des Ă©pargnes. Aussi a-t-il fallu voir les services, les arts, la gloire, mis Ă  la portion congrue. L’Observatoire a seul trouvĂ© faveur, parce qu’un savant illustre siĂšge Ă  gauche, heureusement pour l’astronomie ; ce qui prouve qu’on peut voir trĂšs-bien dans le ciel et moins bien sur la terre. La Fontaine l’avait dit. Ces lĂ©gislateurs ne savent pas que, des professions , la premiĂšre est de servir l’État ; qu’il importe Ă  l’État que les talents se vouent Ă  lui par prĂ©fĂ©rence; que la politique exige qu’il n’y ait pas d’existence assez haute pour dĂ©daigner de servir la chose publique et quel avocat de mĂ©rite voudra dĂ©sormais ĂȘtre juge, quel riche propriĂ©taire administrer, quel guerrier illustre, quel citoyen considĂ©rable affronter la pompe des cours Ă©trangĂšres, quand l’unique avantage des situations officielles sera une existence prĂ©caire, l’imminence des destitutions, la perspective des Ă©meutes, des charivaris, des mascarades, des assassinats Ă  coups de pierres, et l’obligation de dĂ©mĂ©nager Ă  chaque terme, de supprimer un plat de sa table Ă  chaque session, sur un assis et levĂ© de M. Cabet. À la vĂ©ritĂ©, ces Spartiates nouveaux, en offrant PM ANARCHIE MORALE. O79 le bronetaux serviteurs de l’Etat, leur promettent aussi la gloire la gloire de ne pouvoir mettre un fils au college et d’aller en omnibus Ă  la cour ; la gloire de vivre en prĂ©sence de vingt journaux qui vous guettent pour vous outrager, et qu’au besoin la tribune supplĂ©era... La gloire ! vous parlez de la gloire! Quand un capitaine chargĂ© de batailles se prĂ©sente Ă  vous, Ă  vous, citoyens stĂ©riles que votre patrie ignore quoi que vous la gouverniez, comment le traitez-vous? Quels sont vos respects pour cette Ă©pĂ©e que respecte le monde ? Vous n’ĂȘtes occupĂ©s qu’à voir ce qu’elle pĂšse Ă  la trĂ©sorerie; et ce qu’elle pĂšse dans les conseils des rois, ce qu’elle pĂšserait sur les champs d’honneur, vous en inquiĂ©tez-vous? Ney, de qui vous parlez toujours, que feriez-vous pour lui s’il Ă©tait vivant! Ministre , dĂ©putĂ©, dĂ©fenseur de ses camarades , Ă  tous ces titres , vous Ă©toufferiez, sous vos trĂ©pignements et vos injures, cette voix qui remplissait la Moskowie. Vous lui parleriez de ses cumuls et non pas de ses victoires. Vous lui demanderiez compte de chaque obole. Vous disputeriez des douceurs Ă  sa vieillesse, de l’aisance Ă  sa famille, des convives Ă  sa table, des auditeurs Ă  ses rĂ©cits, des Ă©mules Ă  sa grandeur, aussi bien que des honneurs Ă  son nom et la pairie Ă  son sang. Gardez vos dĂ©risions de gloire! la gloire est l’unique Ă©conomie qu’assure Ă  notre pays un rĂ©gime tel que le vĂŽtre; on ne la verra point figurer dans vos bud- ĂŻ 58 o LIVRE SIXIÈME. gets; elle ne chargera pas vos comptes. Si cette politique mortelle pouvait vivre,bornĂ©s et stĂ©riles, prolixes et impuissants, nous serions la petite Provence de l'univers. L’un des plus curieux symptĂŽmes de la maladie morale qui nous travaille, c’est l’étrange, l’inconcevable Ă©chauffourĂ©e d’un orateur puissant et sage contre le budget de l’armĂ©e. Les Ă©conomies brutales faites sur la magistrature l’ont rĂ©voltĂ© Ă  juste titre-, son indignation Ă©clate dans toutes ses paroles. Il ne tarit pas sur cette mesquinerie envieuse et grossiĂšre; son Ă©loquence intermittente est fixe sur ce point, comme le pendule mobile sur son immobile pivot. Sans doute, il dĂ©fendra les autres services contre les Tarquins de bas-Ă©tage qui courbent tout ce qui s’élĂšve sous un mĂȘme niveau, afin de pouvoir encore tout dominer ? Point! puisqu’on a rabaissĂ© la magistrature, il faut rabaisser l’armĂ©e; et voilĂ  ce ferme esprit qui lance un rĂ©quisitoire contre la gloire des armes ! il se met Ă  compter sou Ă  sou les profits des tenants d’Austerlitz, des survivants d’HĂ©liopolis ou de la Moskowa ; il place le lĂ©giste en parallĂšle avec le capitaine; il oppose les veilles fructueuses et volontaires aux bivacs forcĂ©s, l’étude intĂ©ressĂ©e au courage, la pierre sic ! Ă  la mitraille, les combats du barreau Ă  ceux de la BĂ©rĂ©sina, de Leipsik, du DĂ©sert, oubliant que l’avocat, qui dĂ©fend devant la justice nos marĂ©chaux de France menacĂ©s, se ANARCHIE MORALE. 58 I fait payer Ă  beaux deniers son Ă©loquence glorieuse, tandis que le capitaine illustre ou le soldat inconnu donnent leur vie sans savoir de quel prix les payera la patrie ! Et quand nous disons qu’ils donnent leur vie, est-ce de ce souffle passager que nous parlons, de cette existence que le plomb, le fer, le froid, la faim, l’air des pontons, celui de la SibĂ©rie peuvent trancher ? Non c’est de cette vie de l’ñme et du cƓur, de cette vie de tous les jours que le militaire livre Ă  son pays et que nous recommandons^ vos respects, que nul dĂ©dommagement ne peut payer ; c’est enfin de sa libertĂ©, de ses affections, de ses goĂ»ts, de ses jouissances de mari et de pĂšre, de l’honime entier qui se donne corps et biens Ă  la patrie, partant quand elle veut qu’on parte, restant quand elle veut qu’on reste, courant au bout du monde quand elle veut qu’on y coure, mourant quand elle veut qu’on meure ! Vous , si la pierre vous tue , comme vous dites, ce sera plein de jours, au milieu de vos neveux qui vous environnent, et que vous laissez opulents. Le militaire, c’est seul, derriĂšre une haie, jeune et pauvre, pensant Ă  sa femme qui restera sans pain, et Ă  son fils qui restera sans avenir, qu’il entend KlĂ©ber lui dire Commandant, vous vous ferez tuer lĂ ! et il s’y fait tuer. Ah! jurisconsulte illustre, ne comparez pas une existence tissue de sacrifices Ă  l’indĂ©pendance de vos travaux, de vos succĂšs, de votre fortune! 58 2 LIVRE SIXIÈME. n’enviez pas la parcelle d’or , dont la patrie orne quelques chefs blanchis pour essayer de couvrir tant de misĂšres aux yeux du soldat dont ils sont tout l’orgueil. Songez qu’en venant, votre balance Ă  la main , peser exactement Ă  l’armĂ©e les mĂȘmes rigueurs que vous avez subies, vous disputez au parti que vous-mĂȘme combattez son sceptre grossier; vous lui dĂ©robez le niveau pour l’imposer aux autres comme il l’impose Ă  vous-mĂȘme. Vous vous inoculez, de gaĂźtĂ© de cƓur, la maladie qui le travaille, et qui est la vĂ©ritable, la grande infirmitĂ© de la France ! Et c’est un personnage officiel, Ă©minent, qui s’exprime ainsi dans ce royaume continental , dĂ©mocratique et libre, dont l’unique force consistante est sa belle armĂ©e. Le mĂȘme orateur avait dit Ă©loquemment une autre fois, que la France ne sera pas toujours en dĂ©lire. HĂ©las, elle y est encore. On a tant accusĂ© la restauration de ne pas aimer assez nos gloires! et voilĂ  les gĂ©nĂ©raux illustres rĂ©duits, dans leur mĂ©nage, Ă  ne plus savoir comment ils joindront les deux bouts! La Chambre semble avoir peur que l’armĂ©e s’attache trop vivement au gouvernement reprĂ©sentatif. Elle peut ĂȘtre rassurĂ©e. Il y a quarante ans que les rivalitĂ©s parlementaires font le dĂ©sespoir des camps. Par lĂ  a pĂ©ri le Directoire ; les CortĂšs espagnoles ont pĂ©ri par lĂ  un dĂ©putĂ©, qui s’avisa d’appeler les ANARCHIE MORALE. 583 soldats des assassins payĂ©s , glaça l’armĂ©e libĂ©rale et insurrectionnelle de l’üle de LĂ©on. Nous, nous appelons les nĂŽtres des Ă©gorgeurs. Les mĂȘmes folies ne peuvent manquer d’enfanter toujours les mĂȘmes coups de la fortune; car c’est une loi funeste de ce monde, que les dĂ©portements de la dĂ©mocratie tournent toujours Ă  la perte de la libertĂ©! Cependant, Ă  travers les petites Ă©conomies sont venus les grands hommes. La rĂ©volution voulait faire, de par la loi, de grands hommes et les pan- thĂ©oniser. Qui l’aurait dit? Desquatre noms agitĂ©s dans la proposition soumise Ă  la Chambre, deux seulement l’étaient sĂ©rieusement. Le duc de Liancourt n’avait Ă©tĂ© conservĂ© sur la liste que par respect humain ; l’illustre citoyen a jouĂ© de malheur dans son cercueil. QuantĂ Foy, l'opposition sait bien que, s’il vivait , il siĂ©gerait sur le banc du ministĂšre, aux cĂŽtĂ©s des PĂ©rier et des SĂ©bastian!; qu’il serait, comme eux, dĂ©vouĂ© Ă  la tĂąche de ressusciter, s’il se peut, l’ordre dĂ©faillant, comme eux impopulaire, comme eux chargĂ© d’outrages. Ce qui importait au cĂŽtĂ© gauche, c’était l’apothĂ©ose de M. Manuel et celle de M. Benjamin de Constant lĂ  le succĂšs prĂ©sent, les perspectives futures, tout souriait. C’est quelque chose d’avoir la chance d’ĂȘtre un jour de grands hommes en vertu d’un vote officieux de ses amis du Parlement. Le curieux a Ă©tĂ© de voir, dans ce dĂ©bat, le dĂ©- LIVRE SIXIÈME. 584 faut de toutes croyances, le vide moral, le dĂ©sordre de sentiments et d’idĂ©es dĂ©plorĂ©, en beaux termes, il faut l’avouer, par un parti qui outrage chaque jour toutes les croyances privĂ©es et publiques ! Ce parti trouve tout simple de se grouper autour d’un homme 1 qui, conformant son langage Ă  sa pensĂ©e, a dit, du haut de la tribune nationale, en parlant delĂ  religion desespĂšres, de la religion de son pays, d’une religion qui remplit l’univers et qui l’a civilisĂ© Je n’en use pas ! Et ils veulent que nous usions de leurs demi- dieux ! ils nous donnent leurs saints pour remplir le ciel dĂ©sert ! chacun apporte le sien Ă  son tour celui-ci Berton, celui-lĂ  les sous-officiers de la Rochelle, un autre les constituants, un autre Ney. Ney, volontiers, si c’est la gloire; point, si c’est la haine et la vengeance ! Pour repeupler le monde moral dont Ă  la fin le vide Ă©pouvante, un honorable marĂ©chal M. le marĂ©chal Clausel croit avoir assez fait, en demandant qu’un vote au scrutin pare le PanthĂ©on du nom de temple. Temple dĂ©diĂ© Ă  qui ? Au dieu inconnu? on le comprendrait, il y aurait de la ferveur dans cette dĂ©dicase Deo ignoto, qui cherche le dieu absent et l’adore. Mais prenez garde un temple au Dieu qu’on repousse, au Dieu qu’on nie, au Dieu qui n’est pas ! Le parti 1 M. Àudry de Puyraveau. ANARCHIE MORALE. 585 veut une religion comme il veut une monarchie, l’une sans trĂŽne et sans roi, l’autre sans autels et sans dieu. Nous avons dit de ce parti qu’il est nĂ©cessairement impuissant et stĂ©rile ; nous avions tort. On avait bien parlĂ© jusqu’à prĂ©sent de l’athĂ©isme dans les mƓurs, dans les opinions, dans les lois ; les lois athĂ©es sont cĂ©lĂšbres. Mais un temple athĂ©e, ce serait une crĂ©ation. Imaginez quel temple, quel saint Denis populaire ils nous auraient donnĂ© ! En arriĂšre, rien ; tout commence Ă  1791. En avant, rien ; tout finit Ă  la mort. Des sĂ©pultures sans passĂ©, un temple sans avenir ! une pierre entre deux abĂźmes ! un cĂ©notaphe, un sĂ©pulcre vide, bĂąti sur le nĂ©ant! Pour remplir le monument et payer une dette Ă  la gloire, la mort seule, partout la mort ! C’est bien la religion, c’est bien la philosophie, c’est bien la politique des rĂ©volutionnaires ; mais ils ne sont pas toujours aussi naĂŻfs. Àh! nous aimons, nous malgrĂ© toutes ces folies, osons encore le dĂ©clarer, nous aimons la pensĂ©e d’un panthĂ©on pour les demi-dieux de la patrie; nous aimions, enfant, cette inscription qui fait vibrer le cƓur Aux grands hommes , la patrie reconnaissante ! Nous concevrions tous les grands citoyens venant trouver, dans ce prytanĂ©e suprĂȘme, un dernier et glorieux asile, Nous verrions, avec Ă©motion, leurs tombeaux sĂ©parĂ©s, ou plutĂŽt 581 LIVRE SIXIÈME. rĂ©unis par les statues de tous les hĂ©ros qui ont fait la grandeur du nom de France dans l’univers, depuis ce Clovis qui nous donna des ancĂȘtres, depuis ce saint RĂ©mi qui leur donna un Dieu ! Mais ce Dieu de saint RĂ©mi et de Clovis, nous voudrions qu’il fĂ»t lĂ  encore, pour ne pas nous trouver seuls face Ă  face avec la mort dans son temple. Mais nous voudrions que ce temple, cette Ă©glise, pour dire le mot simple et vrai, eĂ»t des pontifes, des pompes, s’animĂąt de fĂȘtes, s’agrandĂźt d’espĂ©rances, et appuyĂąt au ciel les gloires de la terre ! Mais ces gloires, nous voudrions que ce ne fut point l’esprit de faction qui les intronisĂąt, que les partis n’imposassent point Ă  la France des immortalitĂ©s de sociĂ©tĂ©s secrĂštes et des vertus de tapis vert ; nous voudrions que la royautĂ©, car nous avons foi Ă  la royautĂ©, comptĂąt, comme un de ses attributs nĂ©cessaires, ce fleuron de plus dans sa couronne; enfin, nous voudrions par-dessus tout que ces hommages ne fussent pas une dĂ©rision ; que la patrie reconnaissante honorĂąt les grands hommes, non pas seulement dans leur dĂ©pouille morte, mais dans leur race vivante; que les institutions Ă©tablissent que, si des restes inanimĂ©s sont quelque chose encore, un nom est davantage ; en un mot que les grandes rĂ©compenses survĂ©cussent aux pĂšres dans leurs fils, et que, pour prix d’un dĂ©voĂ»ment illustre, on eĂ»t la chance, dans cette France qui sait la ANARCHIE MORALE. 587 gloire, d’arriver Ă  quelque chose de plus qu’à un tombeau, de fonder quelque chose de mieux qu’une fortune ! Mais non ! ce sont lĂ  des pensĂ©es et des passions surannĂ©es parmi nous. Le principe social qui soutient le monde politique depuis six mille ans, est mort. Le principe religieux , qui soutient le genre humain depuis la crĂ©ation, est mort. Le principe monarchique, qui soutient l’Europe chrĂ©tienne depuis quinze siĂšcles , est mort. Que reste-t-il ?... Ce qui reste une vĂ©ritĂ© ! C’est que ces principes, mis en Ɠuvre dans la mesure et la forme que comporte le progrĂšs des temps, sont immortels; qu’ils reprendront leur empire d’une maniĂšre appropriĂ©e Ă  nos mƓurs et Ă  nos intĂ©rĂȘts, ou que c’en sera fait Ă  la longue de l’ordre social, de l’indĂ©pendance extĂ©rieure, de la civilisation française. Àvant tout, le gouvernement reprĂ©sentatif, notre rĂȘve de quarante ans, disparaĂźtra, quelque jour, Ă©touffĂ© sous nos dĂ©combres. La France a Ă©tĂ© vue, renversant les autels en haine du prĂȘtre, les trĂŽnes en reprĂ©sailles contre un roi. Elle pourrait bien renier la libertĂ© constitutionnelle, en dĂ©goĂ»t de ses tendances anarchiques, par fatigue de cette basse dĂ©mocratie qui l’envahit, qui la corrompt, qui en viendra Ă  froisser toutes les Ăąmes, Ă  soulever tous les intĂ©rĂȘts, Ă  contrister et blesser ceux mĂȘme qui ne se rendraient pas compte des motifs de leur Ă©pou- 588 LIVRE SIXIÈME. vante, et verraient enfin la vie manquer Ă  tout ce systĂšme impossible, sans savoir pourquoi. Les dieux ne s’en vont jamais ; mais l’expĂ©rience nous apprend que parfois les institutions s’en vont. C’est quand elles sont mal fondĂ©es, mal assises. Pour fixer les nĂŽtres, il fallait savoir rĂ©soudre deux grands problĂšmes celui d’accorder le systĂšme reprĂ©sentatif avec les conditions de la monarchie, en accordant avec les conditions de l’ordre notre ombrageuse Ă©galitĂ©. Ce problĂšme, s’il n’est pas mieux posĂ©, mieux compris et mieux rĂ©solu, pourra user bien des gouvernements Ă  la peine. CONCLUSION. Mes conseils , ĂŽ AthĂ©niens , sont tels , que moi, il m’est presque toujours mauvais de vous les donner, et que, vous, il vous eĂ»t Ă©tĂ© presque toujours bon de les suivre. DĂ©mosthĂšnes. Avril 1832. Nous assistons Ă  la plus grande expĂ©rience qui ait Ă©tĂ© faite a-u sein d’un peuple. Il n’est pas parmi nous un pouvoir qui ne soit d’hier, que la sociĂ©tĂ© n’ait vu naĂźtre, qu’elle n’ait pĂ©tri de ses mains , et ne se sente en droit et en puissance de dĂ©truire, autant qu’elle le fut de les crĂ©er. Il n’est pas une croyance qui puisse prĂȘter des forces Ă  l’Etat renouvelĂ©. La sociĂ©tĂ©, dĂ©mantelĂ©e comme l’État, n’a pas une institution conservatrice qui lie entre eux et enchaĂźne ces trente-quatre millions d’hommes Ă©gaux et libres. La famille n’est pas constituĂ©e plus solidement que tout le reste. La France enfin ne CONCLUSION. 5gO se tient ensemble, ne marche ; ne vit que par sa propre sagesse. Dans celte situation extraordinaire oĂč, depuis l’origine du monde , jamais encore nation ne s’était trouvĂ©e, quelles seront les destinĂ©es de notre patrie ? Pourra-t-elle fonder un gouvernement ? Celui qu’elle vient de se donnera-t-il des Ă©lĂ©ments suffisants de force et de succĂšs ? Ou bien est-elle condamnĂ©e Ă  des bouleversements sans terme, tant qu’elle ne se sera pas Ă©nergiquement rĂ©formĂ©e elle-mĂȘme, rĂ©formĂ©e dans ses moeurs, dans ses opinions, dans ses institutions civiles, dans ses institutions politiques , dans ses sentiments Ă  l’égard de la religion comme Ă  l’égard de tout le reste. LĂ  est le problĂšme fondamental posĂ© Ă  la France par la fortune. Nous aimons Ă  le reconnaĂźtre parmi tous les orages, dans ces derniers temps, un rĂ©el miracle s’est accompli. Au milieu de toutes les concessions Ă  l’esprit rĂ©volutionnaire, concessions d’hommes et de choses, d’institutions et de pouvoirs, de lois et de principes, des victoires ont Ă©tĂ© remportĂ©es sur le dĂ©sordre, quelques-unes grandes et signalĂ©es. Par elles , la paix publique subsiste ; par elles, une halte est faite, dont Dieu fixera la durĂ©e, sur la pente des rĂ©volutions; par elles, la Providence semble nous laisser maĂźtres encore de sauver l’ordre matĂ©riel, et de l’asseoir sur des bases solides. On peut compter cinq de ces vie- CONCLUSION.. toires publiques la clĂŽture des clubs, le salut des ministres accusĂ©s, le renversement de l'association nationale , le maintien de la paix extĂ©rieure , l’issue enfin de la guerre sociale de Lyon. La premiĂšre fut l’ouvrage du ministĂšre de coalition qui eut la rude tĂąche de gouverner d’abord la rĂ©volution. M. Guizot y mit sa rĂ©solution courageuse , et les gardes nationaux de la rue Montmartre leurs baĂŻonnettes c’était une bataille dĂ©cisive. Si la faction l’avait gagnĂ©e, le gouvernement rĂ©volutionnaire rĂ©gnait. La seconde est la gloire d’un ministĂšre qui a Ă©tĂ©, du reste, le dĂ©sordre mĂȘme, et dans la vie duquel on est heureux de rencontrer une bonne page. On aime Ă  estimer ses adversaires, Ă  louer les concitoyens que l’on combat. Ne recherchons pas si les gĂ©nĂ©reuses dispositions du premier ministĂšre n’enchaĂźnĂšrent pas le second ; si la dĂ©termination annoncĂ©e trĂšs-haut par le roi Louis-Philippe de jeter sa vie et sa couronne dans la mĂȘlĂ©e, plutĂŽt que de laisser flĂ©trir l’avĂ©nement de sa monarchie par des vindictes sanglantes , ne fit pas la rĂ©solution unanime de ses ministres et de ses lieutenants ; si mĂȘme quelques-uns ne pensĂšrent pas acquĂ©rir , par un grand service , le droit de rançonner de nouveau la couronne que la rĂ©volution avait donnĂ©e Ă  trop bas prix. En prenant les faitspour ce qu’ils furent, on doitreconnaĂźtre qu’une des belles paroles de l’histoire est ce mot du gĂ©nĂ©- 5ç2 conclusion. val Lafayette, dans des circonstances Ă©minemment pĂ©rilleuses que sa popularitĂ© lui Ă©tait plus chĂšre que la vie , mais qu’il saurait la sacrifier Ă  son devoir et Ă  son honneur. On doit reconnaĂźtre aussi, parmi les bonnes actions faites pour couvrir bien des torts, la vive Ă©motion de joie que tout le monde a pu voir Ă  M. Laffitte, racontant tout haut, dans la salle des confĂ©rences de la Chambre des dĂ©putĂ©s, une allocution de M. le prince de Polignac, qui avait fait assez d’impression sur l’auditoire pour promettre un retentissement favorable dans le public. Cette justice est duc Ă  M. le comte de Montalivet qu’il eut, toutes les fois qu’il le fallait, de l’esprit et du cƓur, et il le fallut souvent. Les captifs de Ham peuvent aujourd’hui frapper l’opinion calmĂ©e, des vices dĂš forme et des nullitĂ©s lĂ©gales ou constitutionnelles qui se sont rencontrĂ©es dans leur procĂšs ‱, ils ne mĂ©connaissent pas, assurĂ©ment, que ce procĂšs sauva leurs tĂȘtes. Ceux qui, dans ces terribles jours, faisaient face, le fusil sur l’épaule, aux flots d’un peuple en furie, avec des compagnons de veille et de pĂ©ril qui ne diffĂ©raient de la multitude qu’en voulant la mort par la loi au lieu de la vouloir contre la loi, ceux-lĂ  , savent que pour arriver Ă  une solution gĂ©nĂ©reuse, il fallait des prodiges de courage et d’habiletĂ©. Ces prodiges furent faits; tout le monde fit son devoir. La garde nationale sut plier ses passions au joug de la sagesse et de la CONCLUSION. 5 9 3 loi. Cent soixante-onze pairs du royaume, guerriers, magistrats, grands seigneurs, vieillards, demeurĂšrent impassibles sur leur chaise curule, quand la tempĂȘte de juillet se reprenait Ă  gronder de toutes parts sur leurs tĂȘtes. Le chef de ce grand corps M. le baron Pasquier fut habile, comme de coutume, quand l’habiletĂ© exigeait d’abord dĂ©voĂ»ment et courage. Les dĂ©fenseurs furent admirables. 11 y en eut un... L’appellerons-nous un dĂ©fenseur ? Comment vous dĂ©signer, vous, homme d’Etat cher Ă  la France, l’honneur de la tribune, qui accourez, malade, dĂ©bile.... tout-puissant de talent et d’ñme, pour couvrir du bouclier de votre parole magnifique, contre la furie de tout un peuple, ce rival heureux un jour, ce rival Ă©crasĂ©, dont la courte victoire vous coĂ»ta la puissance, et nous coĂ»te une monarchie? Ces journĂ©es sont les belles pages de la rĂ©volution de 1830; la France doit ĂȘtre Ă©ternellement fiĂšre d’elle-mĂšme. Mais aussi ne faut-il pas se dissimuler que nous avons couru peu de pĂ©rils plus grands si le sang avait coulĂ© une fois, il aurait pu couler Ă  flots. Car on peut dire du peuple ce que les anciens disaient des sectateurs de ce temple , oĂč on n’avait pas plutĂŽt goĂ»tĂ© aux entrailles des victimes humaines, qu’on Ă©tait changĂ© en loup dĂ©vorant. La troisiĂšme victoire a Ă©tĂ© l’ouvrage du ministĂšre du 13 mars. Il s’agissait de savoir si le parti 38 CONCLUSION. 594 rĂ©volutionnaire, non content de ses trophĂ©es de la semaine de fĂ©vrier 1831, aurait son gouvernement, son trĂ©sor, sa police, son armĂ©e, ses land- wers, Ă  cĂŽtĂ© et bientĂŽt au-dessus du gouvernement public. M. Casimir PĂ©rier a voulu, il a voulu avec toute la dignitĂ© de son caractĂšre et de son auto- ritĂ© l 'association nationale , qui Ă©tait, sous une autre forme, la rĂ©publique de l’HĂŽtel-de-Ville, a disparu pour cette fois sous le ridicule. Il faut que sa caisse ait pĂ©ri avec elle, car on ne sait ce qu’est devenu le sou par semaine qui Ă©tait imposĂ© aux associĂ©s. Les ministres des finances de ce gouvernement souterrain ne rendent pas de comptes. La quatriĂšme Ă©tait la plus pressante. Une politique furibonde et insensĂ©e demandait la guerre pour la guerre, et encore elle mentait elle voulait la guerre pour avoir l’anarchie. Il Ă©tait difficile qu’elle obtint gain de cause dans les conseils d’un roi. Aussi les trois ministĂšres de la rĂ©volution ont- ils unanimement dĂ©sirĂ© la paix. Mais le ministĂšre actuel a eu la gloire de la vouloir et de l’avouer, de repousser la propagande rĂ©volutionnaire et de la flĂ©trir, de rester dans le droit des gens et de dire pourquoi. Il ne s’agit pas de savoir si ou approuve exactement tout ce qui a Ă©tĂ© dit et fait. Notre cƓur français aurait voulu que de toutes les grandes complications qui se sont multipliĂ©es autour de nous, sortissent des Ă©vĂ©nements plus favorables Ă  la splendeur de la France. Peut- CONCLUSION. %5 ĂȘtre cette gloire nous aurait-elle Ă©tĂ© rĂ©servĂ©e au dehors, si nous avions eu au dedans moins de passions et de pĂ©rils. Mais qu’on fasse la part des difficultĂ©s, qu’on mesure la grandeur des obstacles que crĂ©aient Ă  notre politique toutes ces vocifĂ©rations indiscrĂštes, irritantes, perfides, criminelles; on verra le service immense qui a Ă©tĂ© rendu Ă  la France et au monde par les maux qu’on a Ă©vitĂ©s en Ă©vitant une guerre sauvage, et par le bien qu’on a fait en proclamant les maximes sur lesquelles la sociĂ©tĂ© universelle des nations repose. Rendons grĂące Ă  qui de droit de rĂ©sultats si grands. La guerre , telle que le monde nous l’eĂ»t faite, devait nous livrer Ă  la merci de la politique rĂ©volutionnaire; car elle se retranche derriĂšre toutes les perturbations. Nous ne pouvions en effet nous dĂ©fendre contre l’Europe que par l’incendie, et la premiĂšre condition Ă©tait de nous laisser nous-mĂȘme dĂ©vorer. Reste enfin la conclusion prompte et heureuse de la catastrophe de Lyon , comme de toutes ces rĂ©bellions renaissantes qui, menaçant toujours de jeter l’Etat et la sociĂ©tĂ© dans la confusion , n’ont pas empĂȘchĂ© les esprits de se rasseoir et la sĂ©curitĂ© de renaĂźtre. Reconnaissons que l’honneur de la victoire de l’ordre, Ă  Lyon et partout, appartient Ă  notre civilisation, qui, attaquĂ©e de toutes parts, se dĂ©fend par sa propre vertu, et rĂ©siste, comme ces places envahies qui se referment sur les assail- 5c6 CONCLUSION. lants et les accablent. Cette pensĂ©e est un motif d’espoir. Elle prouve qu’il y a en nous des moyens de salut; tous les gens de bien doivent se dĂ©vouer Ă  les mettre en Ɠuvre. Mais la grandeur de la brĂšche atteste la grandeur de nos pĂ©rils. Les victoires remportĂ©es sont de celles dont il faut s’applaudir , en sachant qu’elles ressemblent aux victoires de Pyrrhus. Si elles devaient se renouveler, trĂšs-probablement l’État et la sociĂ©tĂ© y pĂ©riraient. On a vu Ă  Grenoble, Ă  Lyon, partout, deux choses dont il faut se bien rendre compte c’est, d’une part, la faiblesse de nos institutions politiques et sociales, que le moindre incident perce Ă  jour, qui semblent incapables de se dĂ©fendre contre un premier choc si ces premiers coups de main de l’anarchie n’ont fait que tout Ă©branler, c’est qu’ils ont eu lieu uniquement Ă  Perpignan, Ă  Grenoble, Ă  Lyon. Le jour oĂč les victoires du dĂ©sordre Ă©clateraient Ă  Paris, comme dit M. Cabet, tout serait brisĂ©. D’autre part, a Ă©clatĂ© l’impuissance du dĂ©sordre Ă  rien fonder, que disons-nous, Ă  saisir mĂȘme le gouvernail, Ă  nous rĂ©gir, Ă  se rĂ©gir lui-mĂȘme, et enfin Ă  oser. Ce double point de vue marque le caractĂšre exact du temps oĂč nous sommes ; il indique la tĂąche prĂ©cise que la politique doit se proposer. En effet, il est manifeste que la sĂ©curitĂ© renaissante manque de garanties, qu’elle n’a point les conclusion. 097 Ă©lĂ©ments essentiels de stabilitĂ© qu’exigent le repos et la prospĂ©ritĂ© d’un grand empire. 11 n’est pas moins Ă©vident que l’anarchie des institutions et des esprits reste notre plus pressant pĂ©ril. L’anarchie des rues est provisoirement domptĂ©e; le torrent rentre peu Ă  peu dans son lit ; avec le raffermissement de l’autoritĂ© publique, et l’appui assurĂ© de la paix du monde, il y a dans la situation un point d’arrĂȘt marquĂ© ; on peut prĂ©dire Ă  coup sur pour le moment , que nous ne ferons point, du moins par l’intervention de la force brutale, des pas de plus dans la voie rĂ©volutionnaire. Enfin nous ferons une halte, avant de toucher le fond du gouffre qui s’entrouvait sous nos pas. DĂšs-lors, nous devons dĂ©sormais remonter vers l’ordre par de pacifiques degrĂ©s ; car les biens s’engendrent, et d’ordre naĂźt de l’ordre, comme l’anarchie de l’ bien nous serions condamnĂ©s du Ciel ! Nous sommes perdus, si la dĂ©faite des sĂ©ditions armĂ©es ne prĂ©pare pas la chute de cette sĂ©dition morale contre Dieu, l’autoritĂ©, les supĂ©rioritĂ©s naturelles et les influences lĂ©gitimes, qui a trop longtemps dominĂ© les pouvoirs et les lois. Si donc aujourd’hui l’anarchie n’a plus la chance de conquĂ©rir la France, d’un jour Ă  l’autre, dans les carrefours, c’est dans les arĂšnes Ă©lectorales, dans l’arĂšne parlementaire, dans celle de la presse, dans les directions du pouvoir, que 5c8 CONCLUSION. doit ĂȘtre complĂ©tĂ©e sa dĂ©faite. Or, lĂ  prĂ©cisĂ©ment est notre faiblesse. Pour la premiĂšre fois, le pou- voir, ce pasteur et ce pontife - roi des nations, apparaĂźt au monde, ayant contre lui l’aristocratie territoriale sans avoir avec lui les masses ; ayant en dehors de lui, une part considĂ©rable des influences actives, des notabilitĂ©s sĂ©culaires, des talents et des renommĂ©es illustres, sans s’appuyer sur les forces vives; ayant loin de lui, le sentiment religieux, les croyances antiques et leurs ministres, sans que pour cela l’écume des nations Ă  laquelle seule cet Ă©tat de choses peut complaire, dorme calmĂ©e Ă  ses pieds. Pour la premiĂšre fois, un gouvernement Ă  pouvoirs Ă©lectifs et Ă  presse libre, prĂ©tend vivre et fleurir avec l’hostilitĂ© ouverte, et presque dĂ©sirĂ©e, d’une partie notable du public Ă©clairĂ©, lettrĂ©, agissant, influent; et c’est la partie de ce public qui possĂšde au plus haut degrĂ© l’esprit de gouvernement, le culte de la monarchie, le dĂ©pĂŽt des traditions, les loisirs nĂ©cessaires Ă  la conduite des affaires, l’indĂ©pendance de situation et de fortune plus nĂ©cessaire encore, enfin tout ce qu’il faut pour avoir un rĂŽle considĂ©rable, tout ce qui rend impossible de n’en avoir aucun, malfaisant et destructeur, si ce n’est utile et salutaire. Les questions posĂ©es sont celle-ci La royautĂ© de 1830, avec son origine, son esprit propre, celui de ses princes, a-t-elle en elle-mĂȘme ce qu’il CONCLUSION. %9 faut pour mettre un terme Ă  cette situation, ou pour y supplĂ©er? Pourra-t-elle Ă©largir ses bases, ou s’affermir sur la base restreinte que les Ă©vĂ©nements lui ont donnĂ©e ? Ayant hors du cercle de son action , les autels , les chĂąteaux , quelquefois les chaumiĂšres, saura-t-elle ressaisir ces points d’appui naturels de tout ce qu’il y a eu de gouvernements dans le monde, sans aliĂ©ner de soi les forces qui l’ont inaugurĂ©e ; ou bien ces forces suffiront-elles Ă  lui rendre possible sa tĂąche d’ordre et de libertĂ©, par le concours rĂ©solu d’un corps Ă©lectoral dĂ©vouĂ© au trĂŽne nouveau et puissant sui- le pays ? Cette question revient Ă  celle-ci la classe moyenne suffira-t-elle toujours Ă  cette mission ? L’administration, qui est son unique lien, aura-t- elle la puissance de la tenir unie pour faire face Ă  des pĂ©rils qui l’assiĂ©geront au-dessus, Ă  cĂŽtĂ©, au-dessous d’elle ? Dans un pays tel que le nĂŽtre, toujours sĂ©vĂšre pour les pouvoirs qui ne sont pas absolus et redoutĂ©s, cette classe active, mĂȘme en restant unie, sera-t-elle toujours plus forte que tout ce qu’elle prĂ©tend combattre et gouverner ? Enfin, eĂ»t-elle les forces que ce rĂŽle exige, aura-t-elle, comme l’aristocratie anglaise, le gĂ©nie, la passion , la persĂ©vĂ©rance qui y sont indispensables ? PrĂȘtera-t-elle main-forte au pouvoir partout et toujours, dans le jury, dans les Ă©lections, dans les conseils locaux, dans les assemblĂ©es na- 6oo CONCLUSION. tionales, dans la presse, dans le monde, dans le barreau, sur la place publique enfin, les armes Ă  la main? Et cela sera nĂ©cessaire tous les jours, en tous lieux, en tous temps. On a vu qu’une dĂ©faillance Ă  Lyon ou Grenoble est la guerre civile. Ailleurs, ce peut ĂȘtre une rĂ©volution. VoilĂ  les questions posĂ©es par la fortune. A notre avis, il n’y a qu’une alternative et qu’une solution les rĂ©volutions en effet, les rĂ©volutions sans terme, Ă  la maniĂšre des rĂ©publiques espagnoles, ou bien la rĂ©conciliation active, le concours sincĂšre, dĂ©vouĂ©, incessant de toutes les forces conservatrices que la sociĂ©tĂ© porte dans son sein. Nous disons la rĂ©conciliation des forces; car celle des personnes ne suffirait pas; c’est celle des idĂ©es qui importe. Celle-lĂ  seule, si jamais elle s’accomplissait, serait solide et dĂ©cisive. 11 faut que le dĂ©chirement produit d’une part par les systĂšmes et les luttes de la restauration , de l’autre par les entraĂźnements et les passions de 1830, se terminent. Il faut que l’ancien parti royaliste et celui des royalistes nouveaux , lesquels, frappant tĂ©moignage de l’inconsistance de nos idĂ©es et de la faiblesse de nos crĂ©ations, n’acceptent pas ce nom, tout en voulant la chose, en la voulant tant bien que mal, abjurent, Ă  Paris, dans les provinces, partout, les prĂ©jugĂ©s contraires, les inimitiĂ©s, les envies rĂ©ciproques qui les divisent. Il le faut car aucun des deux partis, aucune des COfĂźCMJSION. 601 deux classes ne peut, au milieu de nos incessantes tempĂȘtes, seule tenir en main le gouvernail contre le grĂ© du reste de la nation. Les royalistes de 1814 viennent d’en faire l’épreuve. L’autre Ă©preuve commence; elle est dĂ©jĂ  laborieuse ; elle le sera de plus en plus. Il n’y a donc qu’une ressource le rapprochement, l’union , le bon accord ; les sacrifices communs d’opinion et de passion. Que les uns soient moins absolus et moins exclusifs; que les autres soient plus monarchiques , plus religieux, moins dĂ©mocratiques , moins ombrageux, moins partiaux. Les intĂ©rĂȘts rĂ©els et lĂ©gitimes sont identiques. Il n’y a de divers que les prĂ©tentions. La propriĂ©tĂ©, la prospĂ©ritĂ©, la sĂ©curitĂ©, la libertĂ© , sont des biens communs Ă  tous les ^Français. Ils existent aux mĂȘmes conditions pour tous , et il faut bien le savoir , la premiĂšre fois que la tempĂȘte sera dĂ©chaĂźnĂ©e, elle sĂ©vira contre tous en mĂȘme temps. Les comptoirs ne seront pas mieux traitĂ©s que les chĂąteaux. On nie qu’il y ait encore une aristocratie parmi nous; les rĂ©volutionnaires sauront bien en trouver deux la bourgeoisie, si on en juge par leurs livres prĂ©sents, sera la premiĂšre qu’ils introniseront dans leurs proscriptions, ce qui n’empĂȘchera pas l’autre d’avoir son tour. Toutes les deux sont coupables des mĂȘmes crimes elles possĂšdent, elles ont des lumiĂšres; elles veulent l’ordre. Pourquoi la communautĂ© inĂ©vitable de destinĂ©e dans 002 CONCLUSION. le danger ne peut-elle pas ĂȘtre un lien dans le calme et servir Ă  former d’avance un seul faisceau ! La maxime tout ou rien, est toujours condamnĂ©e par le bon sens. En politique , elle l’est de plus par la justice. Aussi l’est-elle toujours dans l’histoire par la Providence. Que ce soit la classe moyenne qui s’y attache, c’est-Ă -dire le parti dominant, ou bien l’ancien parti royaliste, l’aristocratie dĂ©possĂ©dĂ©e, elle ne prĂ©parera Ă  tous que de stĂ©riles regrets et un tardif repentir. En effet, l’esprit rĂ©volutionnaire n’aurait Ă©videmment qu’un seul moyen de tirer parti des tempĂȘtes qu’il rĂ©ussirait Ă  soulever ce serait de renverser l’ordre social que la rĂ©volution de 1 789 a laissĂ© aprĂšs soi. Tout le monde conçoit qu’appeler les masses, une fois qu’elles sont agitĂ©es, effervescentes et armĂ©es, au pillage des richesses publiques et privĂ©es, soit une maniĂšre de les dominer. Malheureusement, dans les temps calmes, quand les destinĂ©es publiques se dĂ©battent pacifiquement au-dessus de la multitude , quand l’anarchie serait obligĂ©e de plaider sa cause devant une nation laborieuse, paisible, propriĂ©taire, on se confie dans la puissance de la raison et de la justice. On a tort. Si la puissance des institutions et l’esprit mĂȘme de la sociĂ©tĂ© ne leur servent de boulevards, la raison et la justice elles-mĂȘmes flĂ©chiront Ă  la longue, par la corruption des institutions et de la sociĂ©tĂ©, sous le joug de la force. CONCLUSION. 6o3 Certes, si la raison et la justice, ces divinitĂ©s protectrices des peuples fermes et sages, dĂ©cidaient seules des choses humaines, la sociĂ©tĂ© française , dans ce conflit avec les mauvaises passions , serait fondĂ©e mille fois Ă  persister dans sa sĂ©curitĂ©. L’ordre social que la rĂ©volution nous a laissĂ©, n’est-il pas le plus propice au grand nombre qui se soit vu dans l’univers ? Le droit seul le domine; l’égalitĂ© y rĂšgne; cette Ă©galitĂ© sincĂšre et fĂ©conde y fait de tous les biens de la civilisation une loterie entre tous les hommes ; le travail, l’honneur, le talent, y sont toujours sĂ»rs du gain. Que demandera-t-on dĂ©plus pour les masses? La domination et la propriĂ©tĂ©; car il n’y a rien de plus. C’est forcĂ©ment sur ces deux points que portera tout l’effort public ou occulte des factions. La domination, le pouvoir public ? Qui l’oserait? Elles n’accepteraient pas ce funeste prĂ©sent. Lyon nous a fait voir que cpiand il leur est Ă©chu en chĂątiment de leur rĂ©volte, elles ne savent dĂ©sirer pour toute amnistie cpi’une seule grĂące, celle d’ĂȘtre gouvernĂ©es. Reste la propriĂ©tĂ© c’est une bien autre sĂ©duction. Mais elles peuvent obtenir la propriĂ©tĂ© par l’ordre et le travail ! On voudra la leur faire acquĂ©rir parla force. Ce n’est rien de nouveau c’est la loi agraire, mais universelle, furieuse, insensĂ©e, accusant bruyamment le dĂ©lire de ceux qui feront ce rĂȘve exĂ©crable. CONCLUSION. Go4 Qu’est-ce qu’attaquer la propriĂ©tĂ© dans un pays constituĂ© sur l’égalitĂ© des partages ? c’est non pas la rĂ©partir d’une façon nouvelle, mais l’abolir. Car, * ferez-vous des lots Ă©gaux entre tous ? aussitĂŽt le hasard des naissances, le mouvement de la population aura tout changĂ©. Il n’est pas de combinaison qui vous fasse Ă©chapper pour le lendemain Ă  cette nĂ©cessitĂ© de compter encore des riches et des pauvres, de recommencer toujours ce tirage au sort du sol entier de la patrie. En dehors de l’ordre social sur lequel tout repose aujourd’hui, il n’y a donc que le saint-simonisme ou le babouvisme ; et, la propriĂ©tĂ© anĂ©antie , ce n’est pas seulement l’esprit de conservation qui s’évanouit; l’esprit de progrĂšs Ă©teint son flambeau; le travail cesse; la civilisation, la justice, Dieu mĂȘme se retire du milieu des hommes. Au sein de l’univers sauvage et dĂ©sert, crĂ©ature dĂ©chue, l’homme se sent orphelin. En d’autres termes, la rĂ©volution de 1789 est achevĂ©e; la pousser plus loin ne se peut. Plus loin, il n’y a que des abĂźmes sans fond et sans retour. C’est Ă  ces abĂźmes que l’esprit rĂ©volutionnaire nous pousse. La France y veut-elle aller ? Si elle ne le veut pas , ce n’est pas trop du concours de tous les hommes et de toutes les idĂ©es d’ordre pour en prĂ©server l’avenir. Car, en terminant ce livre, on est obligĂ© de le redire. La rĂ©volution de 1830 nous a fait faire CONCLUSION. 6o5 dans la voie du bouleversement social des pas formidables. On parle d’aller plus loin. Plus loin, il n’y a que l’anarchie, la subversion, le bas- empire, la ruinejpar nous-mĂȘmes ou peut-ĂȘtre par l’étranger. Non! non ! Il n’est plus cpi’une Ɠuvre possible; mais celle-lĂ  est lĂ©gitime, elle est nĂ©cessaire c’est une rĂ©action contre les impossibilitĂ©s de la rĂ©volution prĂ©sente. La rĂ©volution de 1789 a voulu de plein saut, sans transition, en un jour, per fus et nef as, proclamer et accomplir l’égalitĂ© civile, l’égalitĂ© des hommes, des frĂšres, des citoyens, des classes; elle l’a fait au prix d’une gĂ©nĂ©ration dĂ©cimĂ©e. Elle l’a fait par la force d’abord, plus tard par le crime , et de lĂ  vient qu'elle a Ă©tĂ© tout d’abord emportĂ©e au-delĂ  de la carriĂšre qu’elle entendait fournir, pour se voir ramenĂ©e dans de plus sages limites par une main et une intelligence puissantes. Aujourd’hui, de l’égalitĂ© de droit, nous voulons conclure l’égalitĂ© de fait; de l’égalitĂ© civile, l’égalitĂ© politique; du droit de chacun Ă  la puissance, dans la mesure de ses droits et de ses lumiĂšres, l’appel d’uue seule classe Ă  la puissance. AprĂšs l’abolition Ă  perpĂ©tuitĂ© du vieux principe nobiliaire qui reposait sur l’immobilisation des fortunes, des rangs et des honneurs, nous avons entendu Ă©tablir la mise Ă  nĂ©ant du principe social rĂ©duit Ă  ses prĂ©rogatives lĂ©gitimes, c’est-Ă -dire au simple droit des lumiĂšres, des illus- 6o6 CONCLUSION. trations, des services, de tout ce qui est l’aliment des progrĂšs de la civilisation, de tout ce qui fait la nature, le besoin, la gloire de l'humanitĂ©. C’est ainsi encore qu’aprĂšs le renversement irrĂ©vocable de la royautĂ© absolue, nous entendons prononcer l’abolition de toutes les pompes, de tous les privilĂšges de la royautĂ©. HĂ©las, aprĂšs la chute du systĂšme universel de la domination de l’Etat en fait de croyances, n’entendons-nous pas fonder, non point la libertĂ© des croyances, mais leur destruction et l’abandon de cette ancre tutĂ©laire qui rattache la sociĂ©tĂ© Ă  son auteur, les lois humaines Ă  la loi divine, la terre au ciel ! Tout cela est insensĂ© ; tout cela appelle les mĂ©diations des gens de bien ; tout cela demande un sĂ©rieux retour de la France sur elle-mĂȘme. Il s’accomplira, fĂ»t-ce au prix des plus douloureuses expĂ©riences ; fĂ»t-ce au prix de dix rĂ©volutions ou c’en serait fait, non pas seulement de l’ordre, non pas seulement de la libertĂ©, mais de la France mĂȘme. Maintenant, par quels instruments, cette heureuse rĂ©sipiscence de l’esprit public et de toutes les tendances de nos lois s’accomplira-t-elle ? Des hommes d’ordre Ă©minents, dans leurs alarmes, des autoritĂ©s imposantes entre toutes, se rattachent chaque jour davantage Ă  la classe moyenne comme Ă  la planche de salut. Nous persistons Ă  penser que, seule, elle n’est point de force Ă  corccLUSicm. 607 soutenir l’édifice qui doit comprendre tous les Français et s'appuyer sur tous. Nous n’hĂ©sitons pas Ă  le lui dire Ă  elle - mĂȘme pour le salut de l’avenir. Le flot, en bouillonnant, s’élĂšverait sans effort jusqu’à elle pour l’entraĂźner elle-mĂȘme ou la dĂ©border. Ce livre n’a pas d’autre but que d’annoncer ce rĂ©sultat et de le conjurer. Pour le prĂ©venir, nous ne consentons pas Ă  fixer notre champ de bataille sur cette pente rapide. Nous voudrions planter notre tente oĂč nous voyons la justice et la vĂ©ritĂ©. Ayons foi Ă  ces gĂ©nies protecteurs du genre humain, et ne craignons pas, quels que soient les temps, de combattre Ă  leur ombre. Tel de leurs champions peut ĂȘtre vaincu, mais eux en dĂ©finitive, ils ne le seront pas. Voyez si depuis vingt mois la classe moyenne, qui rĂšgne sans partage, a pu nous gouverner, a pu mĂȘme se dĂ©fendre. Les attaques incessantes Ă  la propriĂ©tĂ© aussi bien qu’à tous les intĂ©rĂȘts, Ă  toutes les doctrines et Ă  tous les sentiments qui constituent l’ordre social, attestent deux choses D’abord le facile entraĂźnement des passions mauvaises Ă  se faire une arme des conquĂȘtes lĂ©gitimes pour en poursuivre d’iniques et de coupables ; Ensuite, la nĂ©cessitĂ© oĂč nous sommes de retrouver, au sein de notre Ă©galitĂ© dĂ©mocratique, des contre-poids qui rendent l’état social inĂ©branlable Ă  tous les assauts. 6o8 CONCLUSION. L’entreprise n’est point surhumaine. Une fois, ces contre-poids nous ont Ă©tĂ© offerts , mais offerts moins le premier des biens, moins la libertĂ©. Discernant, avec son regard d'aigle, ce qui devait ĂȘtre ressaisi dans le naufrage du passĂ© pour donner Ă  ce peuple innombrable un lien commun, une assiette solide , NapolĂ©on fit refleurir les maximes sans lesquelles il n’y a rien de stable chez les hommes; il les fit refleurir, appropriĂ©es Ă  notre sol nouveau. Ce qu’il a fait, par le despotisme, nous avons Ă  le faire par la libertĂ©, par la discussion , par le travail des esprits. La mission est plus difficile; elle est plus grande; puisse-t-elle ne passer ni le courage de nos hommes d’Etat prĂ©sents et Ă  venir, ni la fortune de la France? Que fit NapolĂ©on ? U inaugura toute cette restauration sociale qui a fait sa grandeur, qui a fait sa popularitĂ© immense et profonde, en plaçant Dieu au faĂźte de l’ordre reconstruit, en s’honorant d’unir les pompes de la religion Ă  celles de sa couronne, en osant avouer pour son sceptre et son Ă©pĂ©e le concours de la croix Ă©vangĂ©lique qui calme les passions des hommes, facilite et anno- blit leur obĂ©issance, donne au pouvoir son caractĂšre moral, auguste et sacrĂ©. Cependant, il n’avait pas affaire seulement, comme nous, Ă  des esprits forts de collĂšge et d’arriĂšre-boutique que les Ă©ditions - Touquet de Voltaire et de Rousseau ont CONCLUSION. 609 formĂ©s, mais Ă  des esprits et Ă  des coeurs robustes que toute la philosophie du xvm e siĂšcle avait imprĂ©gnĂ©s et trempĂ©s, qui avaient hardiment combattu et Ă©crasĂ© XinfĂąme, qui n’avaient pas reculĂ© devant le sang des prĂȘtres plus que devant celui des rois; qui enfin avaient mis la barriĂšre de leurs fureurs entre eux et les autels, comme entre eux et la royautĂ© ! Il ne s’en inquiĂ©ta pas. Il courba ces hommes d’airain sous les bĂ©nĂ©dictions du vicaire de JĂ©sus-Christ. Il les conduisit Ă  genoux sous les voĂ»tes de Notre-Dame. Il leur fit promener dans les rues de Paris la croix et la mule papales, tandis que notre gouvernement constitutionnel se voit contraint par la rĂ©volution Ă  glorifier ses morts avec les choeurs de l’OpĂ©ra pour tout cortĂšge, et Ă  cacher Dieu dans l’ombre des sanctuaires, sans aller lui-mĂȘme l’y honorer. VoilĂ  pour le ciel. Sur la terre, NapolĂ©on prit la propriĂ©tĂ© pour la hase de son gouvernement. Elle est le point d’appui nĂ©cessaire des trĂŽnes; elle est le point d’appui, plus nĂ©cessaire encore, des institutions libres. À la propriĂ©tĂ©, il joignit hardiment ces autres pierres fondamentales de l’édifice social le respect des traditions, le culte du passĂ©, qui font des gĂ©nĂ©rations Ă©coulĂ©es les gardiennes perpĂ©tuelles des gĂ©nĂ©rations prĂ©sentes ; le respect des noms et des souvenirs, sentiment populaire que le xvm e siĂšcle essaya de nier ou de dĂ©truire, que la 39 6io CONCLUSION. nature humaine maintiendra en dĂ©pit des folles thĂ©ories, parce que les noms sont aux yeux des hommes une gloire, une force et souvent un droit ; l’esprit de famille, et, avec ce levier puissant, un autre levier plus puissant encore, le droit de fonder une famille, droit auguste et sacrĂ©, qui satisfait les plus intimes besoins de l’ñme humaine, Ă©pure les ambitions tout en les Ă©levant, et fortifient l’un par Vautre ces deux grands intĂ©rĂȘts sociaux , le prĂ©sent et l’avenir; enfin tous les ressorts qui tiennent Ă  la nature morale de l’homme, et sont pour ses institutions des principes conservateurs plus durables que lui-mĂȘme. En consĂ©quence, NapolĂ©on associa Ă  l’empire le talent et l’illustration , ces gĂ©nies tutĂ©laires qui veillent Ă  la garde des États, un flambeau Ă  la main. Il sut mener de front la sollicitude pour les supĂ©rioritĂ©s lĂ©gitimes avec ce mouvement ascendant, qui est l’honneur, le besoin des temps prĂ©sents, et qui a créé le souvenir profond que le peuple garde de sa mĂ©moire. Sachons faire comme lui ! Le talent et la gloire appartiennent Ă  moins de titres au despotisme qu’à la libertĂ© ; la libertĂ© aime d’une Ă©gale passion et les renommĂ©es nouvelles, et les gloires antiques, tĂ©moin Rome et l’Angleterre. On peut faire avec tous les Français des soldats et mĂȘme des hĂ©ros. Il faut la grandeur des traditions et des exemples, les Ă©tudes de l’enfance et CONCLUSION. 6 I I de la jeunesse, l’apprentissage souvent des gĂ©nĂ©rations successives , pour donnera un grand peuple tout ce qu’il doit consommer, Ă  l’état libre, de Pitts et de Foxs. NapolĂ©on joignit la pratique aux maximes. Il ne connut plus de bleus et de VendĂ©ens. C’est Ă  Sainte-HĂ©lĂšne qu’il en retrouva. Aux Tuileries, il n’en connaissait point. Dans ses conseils, dans ses tribunaux, dans ses armĂ©es, dans sa cour, il rapprocha , confondit, ressuscita les deux Frances. Toute sa politique consista dans ce mot de place de la Concorde substituĂ© Ă  celui de place de la RĂ©volution, en disant que sa vraie gloire Ă©tait d’avoir rĂ©tabli la concorde entre les Français, et que tant qu’elle subsisterait, nous serions le grand peuple. Ce qu’il ne disait pas, c’est qu’il n’était donnĂ© Ă  son pouvoir glorieux, mais prĂ©caire, de fonder et de maintenir la concorde qu’à l’aide de deux ministres terribles, l’esprit de conquĂȘte et le pouvoir despotique qui devaient tout perdre. La Charte de 1814 vint qui institua la conciliation des intĂ©rĂȘts etjdes esprits sur sa base rĂ©guliĂšre et lĂ©gitime, c’est-Ă -dire sur le droit partout, dans la nation, par la libertĂ© publique, comme sur le trĂŽne par le retour au service des rois. Maintenant, elle est rompue. Elle a Ă©tĂ© violemment rompue par la rĂ©volution de 1830, plus violemment peut-ĂȘtre par la maniĂšre dont cette rĂ©volution, depuis qu’elle est accomplie , a Ă©tĂ© comprise et dirigĂ©e. CONCLUSION. GI -2 Il faut la rĂ©tablir. Si le gouvernement de 1830 Ă©tait incapable de se proposer cette tĂąche ou de la rĂ©aliser, il pĂ©rirait Ă  la peine ; car la stabilitĂ© de l’ordre constitutionnel, de l’autoritĂ© royale et du repos public sont Ă  ce prix. Nous savons bien la rĂ©ponse qui nous attend. NapolĂ©on , dont nous invoquons les exemples, pouvait tout! Français, nous ne serons dignes et capables d’institutions libres , que quand le bon sens pourra parmi nous tout ce qu’a pu le pouvoir absolu. Nous serons sauvĂ©s quand l’esprit de NapolĂ©on au dedans sera l’esprit de la France. Nous n’avons par malheur que son esprit au dehors, deux raisons pour courir Ă  notre ruine. Mais, sachons-le bien nos prĂ©jugĂ©s, nos haines dĂ©mocratiques passeront sous l’épreuve des sĂ©vĂ©ritĂ©s du ciel, si ce n’est pas sous l’action rĂ©paratrice des bonnes pensĂ©es du pays et des bons exemples du pouvoir. Car il faut que nous cessions de dĂ©molir, que nous veuillons enfin le otiurn cum dignitate nĂ©cessaire aussi aux nations ; pour cela, que nous revenions Ă  l’équitĂ©, Ă  l’autoritĂ©, au respect, Ă  la foi. L’édifice que nous Ă©tablirons, alors, sera plus fort que celui de NapolĂ©on ; car la place qu’occupait la force sera remplie par la justice et par la libertĂ©. La concorde alors sera rĂ©elle et stable car elle naĂźtra, non de la contrainte, mais de l’union; de l’égale satisfaction de tous les intĂ©rĂȘts et de tous les droits, non de leur Ă©gale CONCLUSION. G I 3 servitude. Alors seulement, il sera manifeste que les rĂ©volutions de la France sont finies. Loin de nous de dĂ©sespĂ©rer de notre pays! Ce qu’il a fait une fois par le bras d’un homme, il lĂ© fera quand l’heure sera venue, par la raison et la volontĂ© de tous. En traçant le tableau que nous prĂ©sentons Ă  nos concitoyens ivres de fausse Ă©galitĂ©, de fausse libertĂ© , de fausse et mauvaise philosophie, ce qui est une ivresse comme une autre, mais plus fatale, nous avons voulu appeler de leurs passions Ă  leur sagesse; leur faire voir quel torrent les pousse ; leur signaler l’abĂźme oĂč le courant les entraĂźne. Nous demandons Ă  notre patrie de mĂ©diter sur ce qui a Ă©tĂ© fait depuis vingt mois ; de peser tous les principes d’ordre qui ont Ă©tĂ© mĂ©connus; et on ne peut croire que la conscience nationale n’eti soit point frappĂ©e tĂŽt ou tard, quand on voit, dans le nombre de ces principes, ce qu’il y a de plus français au monde l’attachement, Ă  la foi civilisatrice qui a fondĂ© la France; la place rĂ©clamĂ©e, au foyer de la patrie , pour les supĂ©rioritĂ©s, filles du mĂ©rite, filles du travail, filles des services, filles du gĂ©nie ; les droits de la propriĂ©tĂ©; ceux des lumiĂšres, ceux de la gloire, et par-dessus tout ce besoin de rapprochement et d’union entre tous les enfants de la grande famille française, que le sentiment des dangers publics, intĂ©rieurs tout ensemble et extĂ©rieurs , doit nourrir ou rĂ©veiller au cƓur de quiconque aime et honore la France. conclusion. 61 4 II y a longues annĂ©es, vers nos vingt ans, au lendemain des grandes adversitĂ©s de cette France bien aimĂ©e, quand la douleur nous instruisit Ă  dire tout haut notre pensĂ©e, quand nous dĂ©fendions contre les coups de l’invasion Ă©trangĂšre ou des rĂ©actions domestiques nos drapeaux insultĂ©s, la gloire nationale mĂ©connue, l’indĂ©pendance du pays compromise, nous plaçùmes notre pĂ©rilleux Ă©crit sous la protection d’une devise des vieux siĂšcles qui nous est chĂšre. Car elle comprend l’exact et touchant rĂ©sumĂ© de la tĂąche assignĂ©e , dans cette vie, Ă  quiconque met au-dessus de tous les biens l’estime des hommes, et au- dessus de celui-lĂ  sa propre estime. C’était y ĂȘtre fidĂšle ,J que de plaider, pendant le cours entier de la restauration, contre un pouvoir aimĂ© et respectĂ©, la cause des seules maximes qui pussent l’affermir; et on peut le dire aujourd’hui c’était un devoir douloureux que nous accomplissions. Nous l’accomplissions, au pĂ©ril d’injustices qui nous Ă©taient une affliction de chaque jour. Ce pouvoir est tombĂ© sous le poids des rĂ©sultats que nous avions redoutĂ©s. Nous voyons maintenant profaner les dieux de nos jeunes annĂ©es, la libertĂ© , la publicitĂ©, le systĂšme reprĂ©sentatif, le rĂšgne des lois ; nous voyons le dĂ©sordre frapper Ă  toutes les portes , et envahir la sociĂ©tĂ© française par toutes les avenues. Depuis vingt mois, les pouvoirs nouveaux, que nous n’avons CONCLUSION. 615 pas faits, que nous avons acceptĂ©s comme des planches de salut, et que nous servirons loyalement dans le sens de nos maximes, n’ont encore su faire que des ruines. Nous disons les fautes commises, les engagements mĂ©connus, les grands principes violĂ©s, la route Ă  prendre, si on veut l’ordre, et qu’on ait foi Ă  la libertĂ©. Nous dĂ©ployons enfin la vĂ©ritĂ© tout entiĂšre , telle qu’elle nous apparaĂźt, aux regards de notre pays, comme nous avons fait, quinze ans, Ă  ceux des rois* La seule diffĂ©rence est que maintenant il ne nous faut plus d’efforts ; nous sommes aguerri Ă  la devise Fais ce que dois , advienne que pourba ! FIN. y, L'.;‱, . ' hv* Ăż.^'.i, g^rni' j a{h! - ;i->'I ' ‱. t$4ĂčW’ J i*n ^ '> ĂšS''. 'v^.C' ' ' ’ ' ’ ĂŻfef,-. Wf, Mr JT mĂŻ' a tĂ©s-K Pour paraĂźtre prochainement Ă  la mĂȘme Librairie VIE DE NAPOLÉON, par de Salvandy, 3 vol. in-8°. 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